Question du vendredi en conseils de maitrise et jeuderôlogie

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Question du vendredi en conseils de maitrise et jeuderôlogie

Message par Sildoenfein » 20 Fév 2015, 16:41

C’est un peu longuet, mais j’espère divertissant, c’est pour cela que je l’ai gardé pour vendredi.

J’ai un petit souvenir de maitrise qui me reste obstinément coincé dans un coin du cerveau. Je l’ai tellement retourné que je ne sais plus quoi en penser. J’aurais voulu savoir comment vous le jugez, s’il vous fait réagir, en bien comme en mal. C’est un peu un exorcisme ;)

Cela date d’il y a quelques années… je menais dans un monde médiéval fantastique, plutôt freeform et bac à sable (avec des morceaux d’esprit pionnier / trailblazing). La sociétéabout elfe y parait idyllique, croisement entre le Seigneur des anneaux et les contes de fée, mais cache une réalité (un peu) plus sordide, type fascisme avec de bons PR. Les PJ sont étrangers à cette société et je veux leur faire découvrir cela progressivement dans le jeu, pas leur décrire abstraitement (show, don’t tell). C’est une question de couleur, d’ambiance, mais cela n’est pas essentiel pour ces parties.

Un joueur en particulier est un peu dur à la détente et ne saisit pas les indices occasionnellement disséminés, alors que les autres oui. (Je comprendrai plus tard que c’était beaucoup plus compliqué que cela : pour des raisons tout à fait personnelles et de la vraie vie, il ne pouvait pas accepter cela comme fiction… mais cela n’a pas d’importance ici.)

Voulant lui ouvrir les yeux sur la nature de la société, j’attaque la question à la fois du côté du joueur en lui soulignant certaines choses, en lui donnant directement des indices, type « attention, tout n’est peut-être pas comme tu le crois… » (les autres joueurs suivent le mouvement) et du côté du joueur : je décide qu’il faut qu’il assiste à un évènement marquant. J’attends les occasions de tordre la fiction dans ce sens, et dans l’attente je cogite. (Pas pressé, cela prend 2 à 3 séances de 3 à 4 h espacées d’une semaine – puisque je vous dis que ce n’était pas essentiel… mais j’y tenais.) Pour qu’il ne puisse pas ignorer le message je décide que l’évènement marquant sera si possible la conséquence de ses actions, et grave. Voulant finalement accélérer les choses, je décide de recourir au choix du magicien.

Voici le plan : je place un mendiant devant l’auberge où son personnage est descendu. S’il ne fait pas l’aumône, le personnage apprendra plus tard que le mendiant est mort de faim et de maladie, n’ayant pas pu trouver de nourriture ni s’offrir des soins (en théorie ils sont gratuits et accessibles à tous, mais ça c’est la théorie). S’il fait l’aumône, ce qui me semble beaucoup plus probable de la part du joueur, le mendiant sera tué lors d’une bagarre avec un autre mendiant avide de la lui soustraire. Le joueur, comme prévu, choisi que son personnage fait l’aumône. Chance pour mon plan, il lui fait ostensiblement un don complètement disproportionné. Je suis parfaitement couvert pour le braquage du mendiant, je peux procéder.

Les personnages entendent l’agression depuis l’intérieur de l’auberge. Là je prends le « risque » qu’ils interviennent et sauvent la victime, mais les braves prennent leur temps : bien observer la situation, s’équiper, … le temps qu’ils sortent, la victime git dans une mare de sang, à moitié défigurée, l’agresseur est en fuite avec son butin et la milice arrive. Ils peuvent alors assister à l’évacuation méprisante du mendiant vers la morgue… alors qu’il était encore largement temps de le sauver. Un des joueurs veut l’examiner pour vérifier son intuition, mais cède devant les menaces à peine voilée de l’officier de la garde. Suit le nettoyage et les affirmations lénifiantes des autorités.



Qu’est-ce que vous en pensez ? D’un point de vue éthique : est-ce correct de mener ainsi ? Est-ce une bonne pratique ou une mauvaise ? Oui, ça dépend du contexte, que vous n’avez pas, mais quelle est votre impression personnelle ? Comment est-ce que vous classeriez cette pratique dans les différentes grilles de lectures qui existent ? Est-ce dirigiste ? Sinon, qu’est-ce que c’est ? Quelle est la démarche créative ? Est-ce que j’ai attaqué le périmètre des joueurs ? Comment auriez-vous gérer la situation ? Avez-vous connu des cas similaires ? Comment les avez-vous réglés ? Est-ce nécessaire ? utile ? superflu ? gênant ? Bref : qu’est-ce qui vous passe par la tête quand vous lisez ça ? Du point du vue des intentions ? De la mise en œuvre ? Fus-je un connard insupportable ou est-ce un type de maitrise qui vous plairait ? Pourquoi ?



Épilogue : le joueur a choisi de croire que les autorités avaient emmenés le mendiant mourant pour le soigner et que si on ne le voyais plus, c’était qu’il allait bien mieux, avait trouvé une situation et n’avais plus besoin de mendier. Ce n’était pas un roleplay obstiné, c’était vraiment le joueur. Donc : raté. Mais il s’agissait d’un cas désespéré.
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Re: Question du vendredi en conseils de maitrise et jeuderôl

Message par Thomas Munier » 20 Fév 2015, 17:48

Pour la démarche créative, c'est pas ludiste, à moins que les joueurs aient des ressources à perdre ou à gagner des conséquences de cette scène, ou que ça influe sur leur avancement dans telle ou telle mission ou quête personnelle.

C'est pas narrativiste, parce que ni l'aumône ni le sauvetage du clochard ne présentent de dilemmes moraux. Par exemple, la scène de l'aumône, si je l'avais joué à Inflorenza, j'aurais demandé au joueur ce qu'il attendait comme conséquence de faire l'aumône. Typiquement, le joueur aurait surement alors demandé comme gain : "je lui fais un gros don et il sort définitivement de la misère", j'aurais proposé comme risque "un autre clodo le surine pour lui voler le fruit de sa mendicité", et comme forfait "tu ne fais pas l'aumône et il crève de faim". s'il veut que la meilleure issue survienne, il doit prendre des risques et dépenser des ressources (premier dilemme moral, il peut gagner, mais avec un sacrifice tel que "je lui donne l'aumône, je sors de la misère, mais moi aussi je deviens un miséreux"). Je peux moduler en proposant un forfait plus léger "tu ne lui fais pas l'aumône et il est expulsé de la ville" pour apporter un dilemme moral supplémentaire.

L'unique but de cette scène est d'apporter une information (la société des elfes est pourrie). A mon sens, c'est du pur simulationnisme.

On peut te reprocher que lors de la scène de l'aumône, tu n'offres pas un véritable choix informé. Tu as certes fait des allusions par le passé, mais elles comptent pour du beurre puisque tu sais que le joueur est dans le déni. Mais j'ai tendance à penser que ce n'est pas grave dans ce cas précis, parce que un, on est sur du sim, donc on découvre le fonctionnement de l'univers, parfois dans la douleur, et deux, la vraie scène cruciale, avec des choix informés, c'est la scène suivante, avec le clodo qui agonise, et les gardes. On pourrait me rétorquer que ce n'est pas au MJ de juger quelle scène est cruciale. Mais bien aux joueurs, et que le joueur du perso naïf aurait pu te reprocher de ne pas avoir mentionner les risques que couraient le clochard. Mais on répliquera à cela qu'après tout, si à ce moment là de la fiction/maëlstrom, les personnages n'ont pas les moyens de se douter de ce qui arriver, ou qu'au nom de la sacro-sainte immersion, le MJ ne saurait parler de ce qui peut se passer dans le futur, et bien il aurait été tout à fait malvenu d'informer le joueur, en méta-jeu des enjeux réels de cette scène de l'aumône. Auquel on répondra qu'après tout, il eut été facile de mettre un scène un PNJ, connaissant la façon dont cette société fonctionne, qui prophétise le destin funeste du clochard. Auquel on répondra que les scènes scriptées et l'inéluctabilité sont une forme de résistance, voir même un élément de crédibilité tout à fait nécessaire à la démarche simulationniste, Sens Hexalogie en étant le meilleur exemple. Et de penser que je n'ai sans doute pas compris grand-chose aux démarches créatives.
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Re: Question du vendredi en conseils de maitrise et jeuderôl

Message par kaly » 20 Fév 2015, 18:06

Salut Philippe,

Personnellement cela ne choque pas. L'exemple que tu cites est clairement illusionniste mais si cela va à tes joueurs.
A mon avis ce n'est ni bien ni mal tant que les joueurs en ont conscience, tant que le contrat est clair.
Si j'ai bien compris, tu as voulu forcer la fiction avec une mise en scène particulière pour mettre en lumière un propos. Ce n'est pas forcément répréhensible. C'est vrai que sans le contexte ni de détail sur le jeu, son système, le positionnement, ... c'est difficile à juger. Surtout que lors d'une partie, les type de maitrise sont souvent mélangés et difficilement identifiable allant de l'esprit pionnier à l'illusionnisme par exemple.
Ce qui me choque plus c'est que j'ai l'impression que tu parles d'un jeu tradi alors que c'est du freeform. Bon après il y a différent type de freeform.... et tu ne dis rien du système.
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Re: Question du vendredi en conseils de maitrise et jeuderôl

Message par Frédéric » 20 Fév 2015, 19:47

Philippe : quand tu dis que cette scène reste obstinément coincée dans un coin de ton cerveau, quelle en est la raison ?

Tu nous poses plein de questions ouvertes et nous demandant de juger une pratique, ce qui m'intéresse, c'est ton propre jugement où les points sur lesquels tes éventuels doutes se fondent. Ou en quoi tu as trouvé ça génial, éventuellement.

Petite rectification Kaly : l'illusionnisme n'a pas de contrat clair. C'est de l'entourloupe : on fait croire que alors qu'en fait non.

Thomas : quelque chose résiste s'il peut céder. ;)
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Re: Question du vendredi en conseils de maitrise et jeuderôl

Message par kaly » 20 Fév 2015, 21:45

Frédéric a écrit :Petite rectification Kaly : l'illusionnisme n'a pas de contrat clair. C'est de l'entourloupe : on fait croire que alors qu'en fait non.

Autant pour moi, c'est vrai. J'ai pas fait la distinction entre illusionnisme et participationnisme simplement car je considère que c'est la même chose : l'un a un contrat flou et l'autre clair. Tu as de raison de me reprendre ça peux prêter à confusion.
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Re: Question du vendredi en conseils de maitrise et jeuderôl

Message par Sildoenfein » 22 Fév 2015, 04:47

Bonjour à tous et merci pour vos réponses.

Je crois que l’exorcisme est réussi, resteront les questions fondamentales qui se cachent derrière.

D’abord : plus de contexte. Je vous prie de m’excuser si c’est un peu long.

On doit se situer il y a 10 à 15 ans, disons entre 2001 et 2004. Approximativement. Donc, tout ce que je vous raconte, c’est du souvenir reconstitué, friable et pas vraiment fiable.

À l’époque et pour cette campagne, notre jeu est informé par notre expérience simultanée du grandeur nature. Ou plutôt : de certains grandeurs natures – parce qu’ils sont autant variés que le jdr sur table – que nous avons fréquentés. Nous jouons en co-maîtrise, à deux meneurs. Des tables qui varient du solo (un ou deux meneurs, un joueur) à la douzaine de joueur (plus les deux meneurs). Aussi par email, par IRC ou MSN Messenger, par téléphone, et même par courrier postal.

À l’époque, je n’ai pas encore découvert The Forge. Je n’achète plus de jdr ou de magazines. Je lutte farouchement contre le dirigisme, contre les scénarios (mon co-meneur n’a pas encore adopté mes points de vue, ce qui enrichit la table car nous nous entendons bien), je pense que libre arbitre du personnage est le seul bien du joueur et donc sacré. Je conchie la compétition entre joueurs, le minimaxage, les « règles trop lourdes ». Nous visons avant tout l’immersion, la cohérence du monde, mais pas que. Et le meneur n’a pas toujours raison.

Le reste du système… ah… difficile de savoir exactement ce que l’on faisait à l’époque, ce n’est pas documenté. Sur la table, il devait y avoir des feuilles de personnage ADD2. Qui étaient sorties en début de séance et ne servaient pour ainsi dire jamais, se retrouvaient vite ensevelies sous les notes de jeu. On joue en résolution de tâche, malgré quelques essais infructueux en résolution de conflit (maladroitement importé d’Heroquest). Généralement on joue au jugé, à la négociation. Parfois on jette un dé, quand il y conflit entre les participants sur la décision, quand les différentes issues sont intéressantes, ou juste parce que l’on a envie. Le résultat est interprété également au jugé. Tout d’un coup l’on va compter les points de vies, les rations, les munitions et les torches, parce que l’attrition est soudainement intéressante. Mais généralement non. Certains jours il y aura des points de destin, pour influencer l’histoire. D’autres les blessures seront notées comme des conséquences « clue-mediated ». Bref, ça change, ça mute, ça évolue selon les envies.

La démarche créative est très variable selon les moments. De temps en temps un peu de ludisme, mais presqu’exclusivement dans le sens groupe contre épreuve (exploration dangereuse, combat, énigme, enquête). Le reste du temps, grosso modo une alternance de Simulationnisme (axée avant tout sur Personnages, Décor, Situation) et de Narrativisme quand cela prend. Je dirais que bien que nous apprécions et défendions le Sim en lui-même, il servait également à faire la mise en place nécessaire au Narrativisme.

Le partage de responsabilité est plutôt serré, mais plus par les habitudes et les désirs des « joueurs », car qui veut les prendre le peut. Certains le font, mais rarement. Pour la pratique, en vocabulaire d’aujourd’hui, on dirait qu’on ne partage pas les fronts, mais Ars Magica donnait déjà des conseils dans ce sens dans la VF de 93. [Edit] Ce partage de responsabilité potentiel ne se limite pas à la fiction, aux "propriétés", mais s'étend aux règles, , ... bref tout le système est ouvert à la négociation.[/Edit]


Philippe semble reprendre ses sens. Son regard qui s’était égaré dans le lointain revient sur vous. Il cligne un peu des yeux, et fini par s’attaquer aux questions d’aujourd’hui.

Je ne vois de meilleur mot pour définir cela que freeform. Si vous avez d’autres propositions, je suis preneur.

Comme je disais trois-mille-neuf-cents caractères plus haut, vos réponses ont réussit à me débloquer dans pas mal d’interrogations.

Le problème avec cette scène, c’est qu’elle reste. (Kaamelott-style)

Elle reste parce que c’est un bon souvenir, parce que j’avais eu de la satisfaction à m’attaquer au problème, à trouver cette réponse, à la mettre en œuvre. Parce que les joueurs l’avaient bien accueillie et que cela a donné lieu à quelques scènes mémorables dont ils me parlent encore. (Ainsi, les joueurs étaient également perturbés par les lunettes roses perpétuelles du joueur-cible. Leurs personnages, qui trempaient tous plus ou moins dans de curieux trafics, ont organisé une soirée au personnage-cible « pour fêter son premier assassinat ».)

Elle reste aussi parce que je me suis beaucoup interrogé sur ma légitimité à procéder de la sorte. Regarde le raisonnement donné par Thomas… imaginez que cela fait au moins 10 ans que je retourne le problème ainsi.

Ma conclusion (actuelle) : ce que j’ai fait, c’est de l’exposition. La démarche créative, c’était finalement un piège. Je pense qu’il n’y en a pas : c’est « seulement » de l’exploration.

C’est offrir un choix non informé ? Ce dernier n’est même pas indiqué comme tel. Je l’assume. Parce que c’est quelque chose de non significatif, et dans ce cas c’est moi qui décide pleinement et sereinement de si c’est significatif ou non. Entre autre parce que je ne suivrai par aucune autre conséquence pour les joueurs.

(En passant : dans cette campagne, une partie du plaisir vient de faire des choix partiellement informé : il faut gérer l’incertitude, le risque, c’est du gambling. Petite incursion Ludiste dans un univers Sim-Nar. J’assume et revendique cette option.)

(La scène suivante qui agonise avec le clodo qui agonise et le garde, c’est de l’impro. Je n’avais pas prévu au-delà de la décision abstraite que le clochard devait mourir.)

Toutefois, aujourd’hui j’aborderais directement la question avec le joueur. C’est plus efficace et j’aurais pu mieux déceler ses problèmes. Peut-être aussi parce que j’ai infiniment moins de temps à consacrer au jeu. Mais pas que.

Sur l’illusionnisme et le dirigisme : je pense actuellement que, comme pour les démarches créatives, c’est une erreur de vouloir les appliquer à l’ensemble d’un jeu. Que c’est plus riche en les considérant instant par instant. C’est un moment illusionniste dans un jeu plutôt libre. (Ou qui se voulait comme tel, et dont un des deux meneurs essayait d’en donner toujours les moyens.)

Reste la question fondamentale que je me pose : orienter le jeu, que ce soit en game-design, en préparation de partie ou en improvisation, dans le but de produire un effet déterminé sur les joueurs, c’est du dirigisme ou non ? c’est bien ou c’est mal ? Selon le point de vue que j’adopte, ça varie. Ceci me contrarie. Et quoi, donc ? Serait-ce convenable pour l’auteur de jeu et vice pour le meneur ? Fouterie, baliverne et billevesée ! Mais j’entrevois une réponse, ceci sera le sujet de ma thèse ;)

Je remercie les Dr Pikathulu-Munier, Kaly-Calamai et Froudounich-Sintes pour leur assistance qui m'a permis de finalement défaire les nœuds que j’avais noués dans ma cervelle et aux dernière pièces de cette réflexion décennale de trouver leur place :)
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Re: Question du vendredi en conseils de maitrise et jeuderôl

Message par Mangelune » 22 Fév 2015, 19:13

Sildoenfein a écrit :Reste la question fondamentale que je me pose : orienter le jeu, que ce soit en game-design, en préparation de partie ou en improvisation, dans le but de produire un effet déterminé sur les joueurs, c’est du dirigisme ou non ? c’est bien ou c’est mal ? Selon le point de vue que j’adopte, ça varie. Ceci me contrarie. Et quoi, donc ? Serait-ce convenable pour l’auteur de jeu et vice pour le meneur ? Fouterie, baliverne et billevesée ! Mais j’entrevois une réponse, ceci sera le sujet de ma thèse ;)


La liberté absolue, c'est le mal. La contrainte absolue, c'est le mal. Le tout c'est de trouver où situer le curseur.

L'exemple ne me gêne pas abominablement en tous cas. C'est un peu un choix non éclairé, une dose d'illusionnisme traditionnel, mais c'est un choix quand même qui a des effets sur le monde. Bref tu es mûr pour faire jouer à Sens Mort !

Maintenant à titre personnel je suis quand même rarement fan de l'idée d'imposer un thème aux joueurs sans leur accord explicite (et les règles constituent un bon moyen de clarifier les choses, même si ce n'est pas le seul). Pour moi le MJ n'est pas là pour donner une leçon ou manipuler les autres pour leur bien ; à plus forte raison quand un ou plusieurs joueurs ne vont pas dans le sens voulu, ce qui conduit souvent en retour à une forme de coercition.
Contes et histoires à vivre, un site pour parler des Errants d'Ukiyo, de Perdus sous la pluie et du reste.

Pensez aussi à la page Facebook officielle de Perdus sous la pluie.
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Re: Question du vendredi en conseils de maitrise et jeuderôl

Message par ELBJ (Christophe) » 23 Fév 2015, 18:17

Bonjour

Je me permet de rebondir sur une association qui me choque un peu : "choix non éclairé et illusionisme".

Ce n'est pas de l'illusionisme que de faire vivre et évoluer le monde dans lequel interagissent les personnages et surtout de répercuter les actes ou non-actes de ceux-ci. L'illusionisme est de forcer les choses telles que définies malgré les actes des personnages alors qu'en toute logique ceux-ci auraient dû avoir un impact, tout faisant croire que ces mêmes actes ont un réel impact sur la suite.

Ludiquement
Christophe "elbj"
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Envie d'être un super-héros ? Mon site sur Hexagon Universe
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Re: Question du vendredi en conseils de maitrise et jeuderôl

Message par Globo » 24 Fév 2015, 12:04

Tu sais que ta question me tourne dans la tête depuis quelque jours … et je n’arrive pas à mettre de le doigt sur ce qui me dérange, je n’arrive pas même à savoir si quelque chose me dérange.

Donc, ta campagne se joue dans une monde qui parait idyllique (on est chez les elfes) mais en fait c’est un petit peu plus compliqué que cela. Certains joueurs commence à comprendre mais tu veux enfoncer les clou et peut être les forcer à prendre parti. Pour cela tu décides de faire mourir un pécore, ton mendiant.

Mais comme tu n’es pas un MJ illusionniste, tu décides de laisser à tes joueurs (un en particulier) le choix dans la manière dont le mendiant va mourir. En fonction des choix des joueurs, la fin du mendiant sera plus ou moins « sale » et plus ou moins « culpabilisante » pour les joueurs.

Les principes de l’agentivité disent que : faire un choix qui n’est pas suffisamment documenté, ce n’est pas faire un choix, c’est jouer à pile ou face. Ne pas donner d’information au joueurs (Et on a sans doute tout un tas de « bonnes » raisons pour ne pas filler les infos) c’est le premier pas sur le chemin qui réduit l’agentivité des joueurs. C’est peut être un « mal nécessaire » (réduire l’agentivité des autres joueurs), mais cela doit être un choix fait en conscience.

Je me pose quelques questions sur la situation que tu évoques. Est-ce que les PJ connaissait ce mendiant ? Avait-il un nom ? Les PJ avaient-il déjà interagi avec lui ?

Si non, alors on comprend pourquoi les joueurs avaient leur agentivité réduite, ils n’avaient pas de raison de penser que le mendiant était autre chose qu’un élément de décore, un NPJ ultra secondaire au même titre que le forgerons chez qui ils vont acheter leur quincaillerie par exemple.

Mais il aurais sans doute été sympa de laisser les joueurs développer une relation avec ce mendiant avant de le tuer. Il aurait pu avoir un nom, être le mec qui leur ouvre la porte de leur auberge tous les soir, qui ce fait chasser à coup de balai par l’aubergiste régulièrement mais que les PJ trouvent sympa ou pittoresque etc. Et à un moment , BANG, il crève … (éventuellement à cause des PJ, de leurs point de vue en tout cas).

C’est ce que conseil V. Baker dans Apocalypse world. Il le conseil au travers de deux ou trois « moves » de MJ. 1) Donne un nom à tout le monde. 2) Cherche une cible. Et éventuellement 3) Annonce les emmerdes.

Personnaliser le mendiant avant de le tuer c’est laisser au joueurs la possibilité d’ « avoir les infos » pour faire le choix, que tu allais leur proposer, en conscience. C’est-à-dire qu’il auraient pu se renseigner s’ils l’avaient voulu.

Soit ils se renseignent et alors peut-être qu’il peuvent « sauver » le mendiant.
Soit ils ne se renseigne pas et le mendiant meurt selon une des deux méthodes que tu as imaginé.

On est là encore dans un autre move de MJ d’AW, Joue pour voir ce qui vas arriver. Tu respectes plus l’agentivité des joueurs en leur laissant la possibilité de s’intéresser au mendiant mais cela leurs laisse aussi la possibilité de le sauver et te prive de ton « effet » ou plutôt cela t’obligera à passer ton message d’une autre manière que de la façon que tu avais prévu (la mort du mendiant). Pour autant, ce n’est pas un drame car c’est toujours de la création de contenu …

Cela dit, analyser une scène à tête reposée et à posteriori c’est toujours plus facile que quand on est pris dans l’action en tant que MJ.

Je ne vois pas dans la scène que tu nous décrit d’illusionnisme mais un choix de mise en scène. Et je ne pense pas que tu ais complètement privé tes joueurs d’argentinité sur ce coup là.

On pourrait éventuellement t’accuser de jouer « dirty » (cf play dirty de John Wick) mais moi j’aime encore bien :)
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Re: Question du vendredi en conseils de maitrise et jeuderôl

Message par Christoph » 24 Fév 2015, 14:20

Hello Philippe

Il n'y a pas d'illusionnisme là-dedans. Les joueurs sont libres de faire ce qu'ils veulent avec leur persos, le MJ fait ce qu'il veut avec ses propres persos. Bien sûr que les PJ sont plus ou moins responsables en fonction de leur degré de connaissance de la situation (dû en partie à ta mise en scène, comme Globo l'explique très bien), mais leur agentivité ne peut pas être en cause, c'est des PNJ qui en liquident un autre, qu'est-ce que ça a à voir avec les PJs ? En plus, tu leur a laissé l'occasion d'intervenir, et tu sous-entends depuis le début que le régime est pourri, c'est largement bon à mon avis. Après, si les PJ ne réagissent pas et que tu te sens mal d'avoir tué un PNJ pour rien, c'est pas grave, ça fait partie de l'expérience du jeu !
En gros, ce que tu as fait pourrait passer pour un Bang dans Sorcerer, qui préconise d'en préparer à l'avance, quitte à les jeter s'ils deviennent inutiles. Ce n'est en tout cas pas la préparation qui en fait du dirigisme.

Tu poses une question morale aux joueurs à travers ton monde : le « fascisme » est-il acceptable dans cette situation ? Tes joueurs ont l'air de jouer des personnages qui s'en accommodent assez bien. Tu as tenté d'escalader la situation, la rendre plus insoutenable. Les joueurs n'ont pas vraiment réagi. Ils semblent donc estimer que leurs persos sont bien dans ce système. Si les joueurs trouvent intéressant de voir jusqu'où cette escalade va les mener, c'est parfait. S'ils te laissent faire pour que t'aies ton petit amusement, et que « quand est-ce qu'on passe aux choses sérieuses bon sang ? » et qu'ils s'en fichent complètement de ta question sur le fascisme, alors vous êtes en décalage quant aux attentes que vous avez par rapport à la partie. C'est la faute à personne en particulier, faut juste en parler entre vous.

Ce qui me fait presque le plus cogiter, c'est l'attitude du joueur sur lequel tu ne veux pas entrer en matière. J'ai l'impression que t'as joué pour obtenir une réaction de sa part, réaction qui n'était pas possible. La fiction devient secondaire, ça devient personnel quelque part. Ça change complètement la discussion à mon avis.
Les Petites choses oubliées, avec Sylvie Guillaume, c'est arrivé !
.ınnommable: cuvées 2008-2010 en téléchargement gratuit.
Zombie Cinema, en français dans le texte.
Christoph
 
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Re: Question du vendredi en conseils de maitrise et jeuderôl

Message par Sildoenfein » 26 Fév 2015, 11:52

Bonjour Vivien,

Mais qu’est que vous avez à tous vouloir me faire jouer à Sens, sacrebleu ‽

Je n’aime pas les extrêmes, enfin pas souvent. Donc oui, pour moi la vérité se situe quelque part dans l’entre-deux. Quelque part entre liberté et contrainte.

Un peu d’autodéfense : ce n’était pas du tout pour donner une leçon, juste souligner une information sur la fiction. Donner un élément pour informer des choix suivants. (Oui, je suis plus clair sur la nature du bidule maintenant.)

Sur le fait d’imposer un thème aux joueurs sans leur accord explicite… Je ne suis pas très sûr de comment on vendait la campagne à l’époque, mais je ne pense pas que les joueurs savaient exactement à quoi ils s’engageaient. C’était (et c’est) une campagne à révélations (histoire de dire que c’est un jeu à secrets mais que tous les secrets sont faits pour être mis à jour)(sans métaplot ajouté). Les joueurs ne peuvent pas être informés de tout à l’avance. Ils savent qu’il y aura des révélations.

Les révélations, pour mériter leur nom, doivent changer sensiblement le jeu ou sa perception. Il y a donc des thèmes qui sont découverts, mais ce sont des propositions. Cela reste un bac-à-sable, les joueurs explorent ce qu’ils veulent.

Comme c’est globalement une approche très traditionnelle, je ne pense pas qu’il y en ait eu qui furent surpris par ces aspects. Au contraire, c’était plutôt la liberté des pj et les moments où c’était aux joueurs de fixer leurs propres buts qui perdaient parfois certains.


Bonjour Christophe (ELBJ),

Choix non éclairé : parce que le joueur a du décider sans connaître les conséquences potentielles et déjà prévues de ses actes.

Illusionnisme : parce que le choix qui lui est présenté est en partie factice : quelle que soit sa décision, le mendiant périt. En partie illusioniste seulement, puisque (1) la motivation d’action demeure et elle va changer grandement la perception des choses ; (2) il s’agit d’un gros détail.


Bonjour Globo, et bienvenue au club des tourmentés !

Sur la culpabilité des joueurs, je remarque que j’avais croisé les axes responsabilité et horreur de manière perverse : si le personnage était généreux, la mort était plus immédiate, plus violente et donc plus culpabilisante.

Rendre le mendiant plus proche aurait pour moi aggravé la perte d’agentivité et/ou le dirigisme. Agir ainsi sur un élément de décor nouveau, inconnu, et donc peu investi, agir en laissant les choses peu détaillées et en glissant rapidement dessus (évidemment dans le résumé fait ici on ne voit pas les préoccupations autrement plus présentes des personnages et des joueurs) me permettait de ne pas choquer les joueurs. Juste un léger accent sur le mendiant qui demande l’aumône dans la description des décors, suivi de la question directe au joueur pour marquer le choix offert au passage. Leur proposer de se familiariser avec le mendiant, qui aurait pris trop de temps, aurait rendu cette technique de maitrise nettement moins justifiable à mes yeux.

Par rapport aux principes d’AW, si nous meneurs ne jouions pas exactement pour voir ce qui allait arriver, car nous avions souvent un itinéraire prévu/probable en tête, nous avons toujours essayé de suivre les directions prises par les personnages. Quitte à abandonner notre préparation en changeant ce que nous avions prévu plus loin pour mieux répondre à ce qui semblait être les attentes des joueurs.

Suivant l’aspect Sim du jeu, nous avons toujours voulu qu’il n’y ait pas de personnage secondaire : tout pnj a droit à sa profondeur : nom, motivations, … Y compris la plupart des forgerons, marchands et aubergistes. (Cela explique peut-être pourquoi au fil des ans, entre les guerriers et les voleurs, on a eu 2 pj aubergistes, 1 restaurateur, 3 forgerons et 1 marchand.)

Chercher une cible et Annoncer les emmerdes était certainement aussi parmi nos principes. Je crois que j’appliquais, à une vache près – ce n’est pas un science exacte –, la plupart des principes d’AW, mais sans les avoir formalisés ou avoir conscience de leur nature exacte.



Hi Christoph,

Je ne me sens pas du tout mal d’avoir tué un pnj pour rien, mais d’avoir proposé un faux choix. La question morale est plutôt restée à l’arrière-plan. Ils avaient d’autres soucis ou ne s’en soucièrent pas.

Il y avait un décalage avec le joueur-cible, oui. Tu as parfaitement raison : j’ai joué pour obtenir une réaction (d’où mes interrogations de légitimité) et tu as de nouveau raison : cette réaction n’était pas possible. Le parcours suivi pour rencontrer ce joueur et l’accueillir dans la campagne fit que nous ne nous en rendîmes pas tout de suite compte, mais il y avait un décalage quant aux attentes… pas par rapport à la partie, non, par rapport à la réalité… J’ai fini par mettre mon chapeau de méchant et le larguer. Ce n’est pas du tout le pire joueur que j’ai croisé, il y a eu des moments mémorables en bien ; malheureusement ils furent toujours dus à ce décalage. Il y a des joueurs qui ont du mal à croire/admettre que les pnj puissent mentir. Celui-là avait du mal à croire que le meneur (ou quiconque) puisse dire la vérité quand cela contredisait sa vision.

Merci à tous !
Philippe
Dernière édition par Sildoenfein le 27 Fév 2015, 00:43, édité 1 fois.
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Re: Question du vendredi en conseils de maitrise et jeuderôl

Message par Christoph » 26 Fév 2015, 15:22

Salut Philippe

Je crois que je ne comprends pas ce qui te tracasse, et en fait ça m'intéresse à fond. Si mes questions et analyses te gavent, ignore, je n'en prendrai pas ombrage.

Si je résume, depuis plusieurs séances, les joueurs savaient qu'ils habitaient un lieu dirigé par un régime fasciste à visage angélique. Dans ce monde, les mendiants meurent de faim s'ils ne reçoivent rien (ce n'est pas trop tiré par les cheveux je crois...) ou, comme la situation est vraiment exécrable, ils se volent parmi (pas complètement fou non plus). Tu mets un PJ face à ce problème. Seuls deux choix moraux s'offrent à lui : venir en aide ou non pour ce mendiant, ou mettre en route un plan d'envergure pour en finir avec la situation des mendiants et améliorer leurs conditions de vie. D'ailleurs, ces choix étaient latents depuis longtemps, c'est pas comme s'il tombait nez à nez avec deux personnes pendant en bas d'une falaise et avec la possibilité d'en sauver qu'une.

Le fait que le système politique de ton monde ait un fonctionnement implacable ne diminue en rien la moralité du PJ. On ne peut pas s'attendre à ce qu'il prévoie le futur. Sur le moment, comment agit-il dans le but de faire le bien avec les meilleurs conséquences possibles ? Il a décidé de donner beaucoup d'argent au mendiant, qui meurt peu après dans une bagarre (c'est des PNJ, c'est à toi de décider s'il faut lancer les dés ou imposer l'issue qui t'arrange). C'est ton monde qui est injuste, pas toi. Tu ne fais que l'illustrer, ce qui est une de tes tâches.

On n'est pas non plus face à une non-question du type : « Porte de gauche ou de droite ? » alors qu'on n'a strictement aucune idée de ce qui se cache derrière et que l'une te précipite vers une mort certaine. Les conséquences matérielles pour le PJ sont nulles et celles pour le mendiant tout à fait prévisibles. Je ne crois pas que ton exemple du mendiant soit un faux choix. La situation est plus compliquée que « oh, pauvre diable, prends ces pièces et sois heureux ». En tout cas j'apprécie beaucoup le cynisme de ton monde et je n'aurais pas été offusqué que tu liquides un mendiant auquel je venais, librement, de donner de l'argent. Cela m'aurait interpellé, fait réfléchir. Je reste maître de mes choix, mais je ne peux pas prévoir toutes les issues. Les joueurs ne s'en sont pas non plus offusqués d'après ton rapport, et ce n'est pas parce que tu ne leur as pas dit que le mendiant allait mourir de toute façon, j'en mettrais ma main au feu.

Quant au joueur derrière ce PJ, ça me semble être toute une histoire en soi, dont je respecte qu'elle reste privée.
Les Petites choses oubliées, avec Sylvie Guillaume, c'est arrivé !
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Zombie Cinema, en français dans le texte.
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Re: Question du vendredi en conseils de maitrise et jeuderôl

Message par Sildoenfein » 27 Fév 2015, 01:59

Bonjour Christoph,

(Sans faute à ton prénom, cette fois, c’est mieux !)

Oui, j’ai l’impression que nos messages se croisent mais ne se rencontrent pas réellement. Tes questions et analysent m’intéressent, ne t’en fais pas, c’est plutôt moi qui crains de vous lasser avec cette vieille histoire.

Je ne dis pas que j’avais raison de me tourmenter, ni que j’en avais de bonne raison, je dis seulement que c’était le cas. Pourquoi ça me tracassait, je n’en suis pas entièrement sûr. Par incertitude et culpabilité potentielle ? J’ai décidé de transmettre une information aux joueurs. En particulier à un joueur. J’ai choisi de la communiquer et de la souligner uniquement dans la fiction (en cohérence je crois avec la priorité Sim et notre souci de l’*immersion dans les personnages). Jusque-là tout va bien. Mais je la souligne en tendant un choix piégé au joueur : lorsque le moment se présentera quoi qu’il fasse d’attendu, de normal, il sera coupable de la mort du mendiant et le saura. Ce n’est pas tellement le fait que quoi qu’il fasse de normal, d’attendu, le mendiant meure, c’est que je lui en met d’office une part de culpabilité sur le dos. Ce n’est pas la même chose que de montrer le sort d’un mendiant sans forcer l’implication des joueurs.

Cela ressemble quand même fort à du dirigisme-illusionnisme. Sur un détail. Pour la bonne cause. Qui a été accepté par les joueurs (dupes ou pas). Qui a enrichi le jeu. Mais moi je savais ce que j’avais fait.

Je peux imaginer différents paliers dans ce crime dirigiste : décrire le mendiant faisant la manche et interpellant le personnage comme élément de décor, ne pas poser la question en tant que meneur au joueur, mais seulement marquer une pause pour l’inciter subtilement à un commentaire, une action et poursuivre si je n’étais pas interrompu. Décrire le mendiant faisant la manche et interpellant le personnage comme élément de décor mais sans marquer de pause. Décrire le mendiant faisant la manche en mentionnant qu’il interpelle les passants. Décrire un mendiant faisant la manche. Mais quand j’arrive à ce point, alors que la vie du mendiant est dans la balance, que je vais caser une scène qui concerne cette mort, est-ce que je ne tombe pas dans un dirigisme par manque d’information, par manque de place laissée au joueur ? Et, simultanément, les joueurs ayant toujours la possibilité de m’interrompre pour poser des questions ou agir, n’auraient-ils pas gardé leur responsabilité morale ? Plus aucune solution ne me paraît bonne.

J’ai aujourd’hui fait la paix avec cela, mais à l’époque je pourchassais le dirigisme, tendance qui ne s’est apaisée chez moi que récemment. Réel mûrissement ou ornière ? Il me faut du recul pour le découvrir.

Je me demande soudainement s’il n’y a pas là également un effet du mélange des démarches créatives : en posant cette question, est-ce qu’en fait je n’impose pas tout simplement une approche narrativiste ? Qu’il s’agit là d’un coup légitime dans cette démarche, mais nettement moins pour du simulationnisme ? (et probablement juste une perte de temps dans la plupart des approches ludistes?) je n’ai pas pris le temps de bien examiner cela,… possible ?



Le joueur en lui-même… je crois que puis en parler. Il restera complètement anonyme et biens malins seront ceux qui pourraient l’identifier sans déjà le connaître. Donc oui, allons-y si cela vous intéresse.

Mon impression est qu’il refusait de voir que la réalité, et donc le reflet de la réalité dans le jeu, puisse être au moins par moment ou par endroit cruelle, injuste ou sans pitié.

En jeu cela se manifestait par l’incapacité de reconnaître qu’un pnj puisse être mal intentionné, qu’un système puisse avoir des effets pervers, … C’est un joueur qui nous a sorti quelques phrases cultes de notre carnet noir : « les zombies sont des êtres vivants comme les autres » ou « je suis sûr qu’il y du bon en lui » en parlant d’un démon majeur dont on lui avait expliqué en long et en large qu’il était par nature le mal pur incarné. Malheureusement il les prononçait parfaitement sincèrement, rien ne pouvait infléchir ces opinions qui n’étaient pas du tout une boutade ou un défi de roleplay, mais la manifestation de quelque chose de plus profond. Je ne vous parle pas du jour ou un personnage a volé un autre personnage « du groupe » >_<

C’était son attitude de surface. Je pense que plus au fond, sans devoir parler d’inconscient, il était lucide. Il n’avait d’ailleurs pas toujours une vie facile à tous points de vue. Mais il devait le cacher. Se le cacher ? Est-ce que son approche était réellement un problème pour lui ? En tous cas cela en devenait un pour le jeu. Je pense que cela devait en être un pour sa vie, son bonheur. Devait-il rechercher une aide professionnelle ? Je n’en savais rien, je pensais que ce n’était pas ma place de le pousser activement vers cela, mais je lui ai dit d’au moins se poser la question.

Découvrir tout cela, le comprendre, le digérer, tenter d’aider et puis finalement couper les ponts d’abord autour du jeu et puis en général, cela a pris pas mal de temps. Et d’efforts.

(Je ne me lie pas facilement avec de nouvelles personnes et par conséquent le nombre de rôlistes que je connais n’est pas particulièrement élevé. Mais j’ai tout de même croisé un certain nombre d’énergumènes.)


Maintenant que j’ai déballé tout cela, Chrisoph, à ton tour de t’asseoir dans le divan : qu’est-ce qui t’interresse à fond là-dedans ? Et as-tu trouvé ta réponse dans mon étalage ?
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Re: Question du vendredi en conseils de maitrise et jeuderôl

Message par Frédéric » 27 Fév 2015, 02:32

Hello, je suivais ce fil en silence, à présent rompu :

Pour moi tu as créé une situation, avec un enjeu implicite et le seul truc que je ne ferais pas là-dedans, c'est de prévoir à l'avance la façon dont ça va se terminer. Sauf que comme tu étais prêt à envisager que les joueurs puissent sauver le mendiant, ben en fait tu n'as pas prévu l'issue tant que ça.
Le fait de mettre en avant le mendiant me semble normal, puisque tu avais envie qu'il se passe quelque chose là.

La chose qui m'interroge, c'est : est-ce que ça t'allait si les joueurs n'étaient que spectateurs de la situation ? Ou est-ce que t'aurais préféré qu'ils agissent ?

D'une certaine façon, j'ai déjà éprouvé des frustrations d'essayer de créer des situations dans mes parties et de voir les joueurs passer à côté ou s'en désintéresser. Je pense que pour qu'un signal soit bien reçu par les joueurs, il vaut mieux que l'enjeu soit évident et qu'il touche aux intérêts des PJ. Ça ne marche pas à tous les coups, mais ça augmente les chances qu'ils s'y intéressent.
Là, comme l'enjeu de départ était opaque, la responsabilité des joueurs sur l'issue est affaiblie.

***

Par contre, s'il te plaît, j'apprécierais que tu y ailles mollo sur les invocations païennes du GNS. Je t'invite à faire des périphrases, je pense qu'on se comprendra mieux. ;)
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Re: Question du vendredi en conseils de maitrise et jeuderôl

Message par Thomas Munier » 27 Fév 2015, 10:23

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