Salut Mathieu,
tout d'abord, j'aurais préféré que tu écrives un nouveau rapport de partie pour ce fil (une ou deux scènes centrées sur ton propos pour ce nouveau fil auraient suffi). Mais bon, je suis bien luné aujourd'hui et la discussion me semble sereine, donc je passe pour cette fois.
Pour revenir à ton sujet :
La fiction en JdR est un matériau liquide.
La mécanique de jeu est un matériau solide.
Le matériau liquide est insaisissable, car capable de donner lieu à des interprétations divergentes, voire contradictoires entre plusieurs participants.
On utilise le matériau solide de façon à générer un jeu de contrôle et perte de contrôle des participants sur l'évolution de la fiction, sans quoi, la fluidité du matériau fictionnel serait un frein à "l'empowerment", c'est-à-dire le fait de sentir que l'on a une prise sur l'évolution des événements. Que nos décisions comptent vraiment.
Les mécaniques de résolution ne sont pas indispensables à une pratique rôliste. Beaucoup s'en passent.
En revanche, elles sont utiles lorsqu'on veut jouer des parties avec de la "combativité". C'est-à-dire des pratiques dans lesquelles les joueurs peuvent éprouver des risques de réussite et d'échec, de gain et de perte et en faire un enjeu central de la partie (notamment : obtenir ce que l'on souhaite et se protéger de ce que l'on veut éviter pour notre personnage).
Certains jeux ne reposent absolument pas sur la combativité (comme
Les Petites Choses Oubliées), et
Happy Together ils peuvent donc se passer de mécaniques de résolution.
Un conflit ou un combat dans la fiction ne signifie pas qu'il y a de la combativité. Dans Prosopopée, il peut arriver qu'un conflit se déroule dans la fiction, sans recours aux mécaniques. Dans ce cas on résout les choses à "l'amiable". Ça fonctionne très bien. Dans ces moments-là, il n'y a pas de combativité. La transparence des mécaniques du jeu ne laissent aucun doute à ce sujet.
Dans les pratiques freeform (donc sans mécaniques de jeu), parfois il s'instaure une dynamique de jugement du MJ qui crée de la combativité de la part des joueurs : ceux-ci cherchent à séduire le MJ pour obtenir gain de cause dans leurs conflits. Mais dès que l'arbitraire du jugement du MJ pointe, la combativité s'affaiblit. Néanmoins, certaines tables s'éclatent en jouant sans combativité. On laisse le MJ décider du résultat des actions importantes, parce qu'on se concentre sur tout autre chose. Ce n'est pas un problème, mais c'est une question d'habitude de jouer ensemble.
La mécanique de jeu sert donc à renforcer la combativité et à arbitrer les désirs contradictoires à la table (elle a aussi d'autres fonctions, mais je ne pense pas que ce soit utile de les évoquer ici).
Je trouve la remarque de Julien (Kiraen) très intéressantes : cela contredit l'observation de Philippe (Sildoenfein) à laquelle je souscris pourtant. Mais il semble que si l'on veut cacher les mécaniques, il faut que les joueurs soient conscients des procédures à l’œuvre et les jeux freeform modernes tendent à utiliser beaucoup de ces "procédures" non-mécaniques qui définissent que chaque cause établie dans la fiction produit systématiquement les mêmes conséquences (ou le même type de conséquences).
Je pense que l'expérience d'Ambre par Julien va dans ce sens : les joueurs connaissant leurs points forts et leurs points faibles finissent par savoir lire la logique des résultats annoncés par le MJ. Quelque part, je pense que l'une des solutions serait de creuser dans ce sens : ce qui compte, c'est moins d'avoir des mécaniques à l’œuvre pour déterminer si on gagne ou si on perd, que des procédures qui permettent de définir les conséquences de certaines décisions (par exemple : "quand j'utilise la force, je réussis toujours ce que j'entreprends", ou : "quand je tiens ma plume dans ma trompe, je sais voler"). Et que les joueurs puissent les percevoir dans les conséquences que tire le MJ.
En revanche, ça signifie que le MJ ne doit jamais tricher. Il doit appliquer rigoureusement chaque procédure sans jamais glisser vers l'arbitraire.
Et ça signifie que créer de telles procédures fonctionnelles doit être un véritable casse-tête, puisqu'il s'agit de juger un matériau fictionnel (donc liquide, abstrait, bien trop libre d'interprétation, pour générer de l'empowerment).
À ce sujet, je te conseille de lire ça, ça devrait t'aider à comprendre la complexité de ta démarche :
http://lumpley.com/index.php/anyway/thread/432On trouve certaines solutions intéressantes dans un jeu comme Bliss Stage, par exemple : les scènes d'interlude du jeu proposent de jouer un moment de relation avec un autre personnage. Il n'y a pas de mécanique de résolution dans ces scènes et donc on joue nos personnages librement et on voit comment évolue la situation. À la fin de la scène, un joueur tiers juge des conséquences mécaniques de la scène sur la feuille du personnage. Et toutes les options possibles sont en fait relativement neutres : il ne s'agit pas de gagner ou de perdre, mais d'évoluer. Soit on évolue en renforçant la relation, soit on évolue en se renforçant soi-même, etc.
Et c'est grâce à cette neutralité que ce jugement fonctionne.
Si on devait juger : est-ce que votre relation s'améliore ou se détériore, typiquement, on trouverait de nombreux cas de figure où le jugement du joueur tiers paraîtrait incohérent pour les autres (on créerait à nouveau de la combativité et le fait qu'elle repose sur de l'arbitraire serait mal adapté, parce qu'il est de nouveau question de gagner ou de perdre).
En espérant que ça t'aide. ;)