Equilibre entre fluidité narrative et intérêt ludique

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Equilibre entre fluidité narrative et intérêt ludique

Message par Brisecous (Mathieu) » 07 Avr 2015, 18:36

Salut,

Dans le cadre de mon système de jeu sans dés, j'ai été confronté à un problème d'équilibrage. Je le définirais comme une opposition entre ces 3 facteurs :
- La fluidité narrative, le fait que le système de résolution d'action soit transparent et ne vienne pas interrompre la narration
- L'intérêt ludique, le fait que les joueurs prennent plaisir à jouer, le sentiment qu'ils ont une prise sur les évènements, par exemple en se servant des mécaniques de jeu
- La facilité de gestion pour le MJ, le fait que le MJ puisse gérer les différentes variables du système de résolution de manière efficace (ce qui rejoint en partie la fluidité narrative).

Dans le cadre d'une campagne que je masterise (3 parties réalisées ; vous trouverez un rapport de partie sur les 2 premières dans le lien fourni plus haut), mes joueurs ont apprécié la transparence du système, c'est-à-dire le fait que la narration n'était pas hachée par le système de jeu : Je gère l'ensemble du système de résolution (j'ai un double des fiches de PJ), je décide des bonus qui s'appliquent. Les PJs ne lancent pas de dés, ils décrivent les actions de leur personnage sans s'occuper de leurs statistiques.

Mais d'un autre côté, ils ont eu le sentiment qu'en tant que joueurs, ils n'avaient pas assez de prise sur la résolution des actions. Comme me l'a dit un de mes joueurs, il avait l'impression d'être "spectateur actif" plutôt qu'acteur du jeu. Le fait que le système soit transparent le leur a rendu opaque : l'absence de lancer de dés, le fait de ne pas indiquer au MJ quels bonus s'appliquent, quelles compétences ils utilisent, leur ont donné l'impression que "tout était joué d'avance", que leur personnage ou eux-mêmes n'avaient pas de prise sur les évènements. Je précise que j'utilisais bien les différentes variables (dont les compétences de personnage) pour déterminer le résultat d'une action.

Par ailleurs, ma volonté de céder au MJ la gestion pleine et entière de la résolution des actions pose malgré tout un problème : ça fait beaucoup à gérer, et c'est assez dur pour le MJ de tout garder en tête, de tout avoir sous les yeux, tout en restant réactif.

Je souhaiterais que la fluidité de la narration soit garantie par un système peu visible. C'est ma priorité. Mais d'un autre côté, les joueurs ressentent comme un manque le sentiment d'une prise sur les évènements grâce à une mécanique de résolution visible.

J'aimerais avoir votre opinion sur la manière de concilier ces différents facteurs (fluidité narrative non interrompue par des mécaniques de jeu comme lancer de dés et énumération de stats utilisées // intérêt ludique et sentiment des joueurs qu'ils ont une prise sur les évènements // facilité de gestion pour le MJ). Auriez-vous des conseils à me donner, que ce soit dans le cadre de mon système de jeu ou sur un plan plus large ? Auriez-vous quelques systèmes ou jeux à me proposer en exemple qui ont trouvé une manière intéressante / originale de résoudre cette apparente contradiction ?

En vous remerciant par avance,

Brisecous / Mathieu

PS : Si mon propos n'est pas clair, n'hésitez pas à le mettre en lumière afin que je fournisse précisions ou corrections.
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Re: Equilibre entre fluidité narrative et intérêt ludique

Message par Thomas Munier » 07 Avr 2015, 21:20

Cela m'interesse beaucoup car j'ai la meme problematique sur un jeu que je developpe.

peut etre faut il que les joueurs sentent que leurs decisions aient un poids, qu'ils aient la possibilite d'elaborer des tactiques, qu'ils connaissent leur potentiel, bref que l,absence de chiffres ne signifie pas l'absence de decisions
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Re: Equilibre entre fluidité narrative et intérêt ludique

Message par Globo » 08 Avr 2015, 11:26

La question est essentielle. Si l’auteur fait tout, les joueurs deviennent des spectateurs. Si le MJ fait tout, c’est la même punition … Il faut laisser des vides car c’est dans ces vides que les joueurs pourront s’épanouir. Ces vides seront encore meilleurs s’ils sont fertiles (voir l’article de Fréderic S.).

Le problème de la fluidité est, selon moi, un faux problème. Si on laisse le choix aux joueurs de faire intervenir le système de résolution à leur convenance, alors on a assez peu de risque de perte de fluidité. A défaut, c’est un sacrifice que les joueurs consentiront de bons grés car cela permet de répondre à un enjeu « important » pour eux.

A ce sujet, Apocalypse World est très intéressant. Il laisse aux joueurs l’entière autorité sur l’utilisation du système de résolution. Le MJ ne jette jamais aucuns dés. Il peut suggérer (tu ne serais pas en train d’agir face au danger là ?) mais son rôle s’arrête là. Avec le temps et l’expérience, les suggestions du MJ tendent à disparaitre une fois que les joueurs ont « appris » le système. Cette expérience avec AW je la transpose à D&D. Et cela me soulage énormément en tant que MJ. Ce « temps de cerveau disponible » me permet de me concentrer sur plein d’autre chose. Le fait de ne plus avoir à focaliser une partie de mon attention sur le système me permet de penser « mieux » l’adversité et les relations que je mets en scène. In fine, cela profite plus à la qualité de la narration que quand j’essai de m’occuper de tout.

Le « flow » de la narration n’est interrompu par les joueurs que s’ils estiment que cela est réellement important. La conséquence est que, puisque cela leur parait important, ils n’ont pas d’impression de « rupture » dans la narration.

J’ai conscience que ma réponse ne répond pas à ta question.

Voila ce que je te propose. Plutôt que d’essayer de « tout contrôler » pourquoi ne pas mettre en place un système qui permette d’apprendre aux joueurs à accéder à l’autonomie ? C’est un peut le propos de l’histoire du mec à qui on fille un poisson et du mec à qui on apprend à pécher.

Comment, dans ton système tu peux mettre en place des routines d’apprentissage pour que petit à petit, les joueurs accèdent à une autonomie par rapport au système de résolution ? Peut être qu’au début, le MJ aura à beaucoup prendre la main. Mais l’idéal serait que petit à petit, au fils des parties, le MJ puisse passer la main à ses joueurs afin que lui puisse se concentrer sur l’intrigue, l’ambiance, les antagonismes. Non ?
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Re: Equilibre entre fluidité narrative et intérêt ludique

Message par Sildoenfein » 08 Avr 2015, 15:48

En complément :

Inspiré par Hurlement, j’ai déjà créé et utilisé (au long cours) une mécanique dans ce genre : cachée des joueurs et opérée par le meneur. Et, en effet, pour un joueur, un système mécanique invisible n’existe pas ; s’il est opéré par le meneur il devient indistinct de la volonté du meneur et cela créer facilement ce sentiment d’absence de prise, d’insignifiance. (Surtout avec l’existence et parfois la promotion de l’illusionnisme, c’est-à-dire de faire croire aux joueurs qu’ils ont des choix qui n’existent pas ou sont insignifiants.)

En passant, cela peut être parfaitement cohérent et justifié (pour illustrer : j’avais choisi comme thème musical central du jeu la chanson « Everybody Knows » de Leonard Cohen…).

Toutefois, cela reste un problème. Pour donner aux joueurs la sensation qui correspond à leur réelle liberté de choix et effet signifiant dans la fiction, j’utilise les techniques suivantes :
  • Être très clair sur la nature des mécaniques cachées, et sur pourquoi elles le sont. Que ce soit pour décharger les joueurs ou parce qu’il y a quelque chose à découvrir.
  • Leur signaler spontanément, honnêtement, clairement, les décisions qu’ils semblent ne pas avoir vu, sans toutefois orienter le jeu par le choix des décisions ainsi soulignées.
  • Lorsqu’ils hésitent, leur décrire honnêtement et généreusement (dans la quantité d’information) les conséquences prévisibles de leurs choix et suivre par après une fois que le choix est pris.
  • En débriefing ou interpartie commenter honnêtement les mécaniques et/ou justifications de ce qui s’est passé, de ce qui était possible d’autre, des incertitudes du meneur, des surprises heureuses ou non.
  • Soulever immédiatement la question si un joueur a manifestement un doute sérieux en cours de partie qui lui gâche son plaisir (à moins que cela ne devienne une habitude)
  • Faire très attention en donnant de fausses informations aux joueurs et aux personnages car c’est vite destructeur. Éviter au maximum, ne jamais autoriser une information fausse s’il n’y a pas quelqu’un qui est activement en train de tromper un quelqu’un d’autre (entre personnages, entre joueurs, mais pas le meneur). Ne jamais laisser s’installer un malentendu, toujours accepter de revenir en arrière lorsque des décisions furent prise sur base d’un malentendu ; toujours accueillir joyeusement la découverte d’une tromperie. (Autrement dit : bien montrer que le but du meneur est d’accompagner le joueur et pas de le tromper, ce qui serait beaucoup trop facile.)
  • Pas mal de ces principes se retrouvent implicitement dans le « soit fan des personnages » d’Apocalypse World, qui résout bien des problématiques.
  • Bref, bâtir la confiance des joueurs (et surtout pas pour la trahir plus tard).
  • Ce qui inclus le « faites-moi confiance, vous comprendrez plus tard » lorsqu’il est sincère et honnête.
Au final, même une fois cette relation de confiance bâtie, il n’y a toujours cet effet boite noire / turc mécanique : pour le joueur aucune différence entre un système mécanique fixe mais inconnu et la volonté / les décisions du meneur. (Déjà avec une mécanique visible quand le meneur fixe arbitrairement les valeurs de l’adversité, voire les conserve cachées...) Ce qui veut dire que l’on peut remplacer arbitrairement ce système mécanique, ou le supprimer totalement sans que cela change a priori quoi que ce soit pour les joueurs. Si ta mécanique est censé rester cachée des joueurs (je ne suis pas sûr que cela soit le cas) et puisque tu le trouve trop lourd à gérer en plus des autres tâches que tu te réserves, pourquoi ces mécanismes-là ?
Philippe D. / Sildoenfein - [G+] Attention : intervenant à éclipses. Avertissement : incapacité chronique à clôturer une conversation. Bien agiter avant l'usage. Ne pas dépasser la dose prescrite. "Le belge, là."
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Re: Equilibre entre fluidité narrative et intérêt ludique

Message par kaly » 08 Avr 2015, 16:47

L'intérêt d'une mécanique de résolution (tout comme les règles) est d'être impartiale. En mettant tout dans les mains du meneur tu brises cette impartialité (c'est ce que évoque Philippe juste avant) et c'est ce que tes joueurs ressentent quand ils disent qu'ils n'ont pas de prises sur les évènements.

Je pense que tu ne peux pas mettre la responsabilité de la résolution des actions et la responsabilité "classique" du meneur entre les mêmes mains, il peut y avoir un conflit d'intérêt (même si tes intentions sont nobles).

Les solutions proposées par Philippe sont une base certaine.
Laisser les joueurs gérés le système comme t'invite à le faire Globo et ainsi les rendre autonomes est une très bonne idée. Cela va leur permettre d'avoir la sensation de faire de vrai choix et que ceux ci ont une importance. Je ne pense pas que ce soit simple à mettre en place, il faudra que tu leur expliques (et que tes joueurs comprennent) où se situe l'adversité, il y aura forcément un temps d'apprentissage pour le meneur et les joueurs.

Personnellement en tant que joueur si tu m'enlèves les mécaniques de résolutions, je perdrais mon plaisir de jouer et je ne serais pas en mesure d'apprécier le poids de mes choix. Le plaisir de jouer se retrouve également dans les choix que proposent les mécaniques et, c'est ce que Fred m'expliquait il n'y a pas longtemps, dans les aller-retour entre les mécaniques et la fiction. Si les mécaniques de résolution ne sont pas accessibles ou sont opaques, les joueurs ne voient pas l'impact de leur choix dans la fiction.
Un truc me choque : si tu décides quels bonus s'appliquent, par exemple les joueurs n'ont aucun choix au niveau des mécaniques de résolution, du coup je ne suis pas sûr qu'ils sentent réellement les capacités de leur personnage. On est d'accord les dés ne sont pas une fatalité mais ce qui est intéressant en jdr c'est de sentir le poids/les possibilités de son personnage.

Tu veux un système peu visible, je pense qu'il est préférable d'avoir un système transparent et minimal. Il sera alors fluide et facile à prendre en main pour tes joueurs. L'aspect transparent est primordial : c'est grâce à cette transparence que tes joueurs vont connaitre les possibilités qui leurs sont offertes et ainsi ils auront la sensation d'avoir des choix.

J'espère que cela t'aidera :-)

Bon courage
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Re: Equilibre entre fluidité narrative et intérêt ludique

Message par Brisecous (Mathieu) » 08 Avr 2015, 22:27

Merci pour vos réponses. Cela aide ma réflexion mais ne m'apporte pas forcément de solutions pour le moment.

Pour préciser un peu le cas qui m'intéresse, je ne pratique pas la narration partagée. Je souhaite que la résolution des actions soit dans les mains du MJ pour une raison précise : je considère que l'ego, l'individualité est un des éléments les plus puissants de la psychologie humaine. En incarnant un personnage, en voyant à travers ses yeux, nous avons une facilité innée à nous représenter un environnement imaginaire. Incarner un personnage favorise donc l'immersion. Incarner un personnage signifie aussi se restreindre à son champ de perception, et donc, avoir une prise minimale sur les évènements et le système de résolution (quand on lance les dés, la prise des joueurs est fictive car ce n'est pas le joueur qui fixe le résultat).

Ce postulat est une approche personnelle et non pas un concept établi, mais en tout cas c'est celui sur lequel j'ai choisi de construire mon projet.

En ce qui concerne la transparence du système de jeu, je ne veux pas que le joueur ait à consulter sa fiche de personnage ou à faire des calculs, ou encore à se préoccuper de la mécanique de résolution. Et c'est justement quand les joueurs estiment que c'est important, globo, qu'il ne faut surtout pas selon moi que la mécanique de jeu vienne interrompre la narration. Sinon, ma problématique n'en est pas une et je réinstaure un système de lancer de dés. Je n'envisage pas la narration partagée, en raison du postulat que je décris plus haut. Je note que AW peut apporter de l'eau à mon moulin, je vais consulter ce système plus en détails.

Sildoenfein, le lien que tu fais entre "mécanique cachée" et "volonté du meneur", qui ne seraient pas différenciables par le joueur, est très intéressant. Dois-je chercher à masquer le système ? Ou au contraire le rendre suffisamment évident pour qu'il prenne moins de place (la question est posée) ? Par ailleurs, tous les points que tu abordes sont utiles (j'en ai appris certains à la dure), mais ils me semblent dénoter plus de conseils au MJ que de choix d'une mécanique de jeu adaptée. A mon sens la relation de confiance est certes primordiale, mais elle ne suffit pas (surtout avec des rôlistes expérimentés et casses-pieds ^^).

Pourquoi est-ce que j'ai choisi ces mécanismes ? Car ils permettent de résoudre les actions de manière simple et invisible pour le joueur. La mécanique est simple, mais elle se rajoute cependant à tout ce que le MJ gère déjà. Néanmoins le problème principal pour moi est avant tout le sentiment pour les joueurs qu'ils ne sont pas acteurs de l'action (ou que le système de résolution n'est pas cohérent). La difficulté de masterisation est secondaire (me concernant).

Kaly, je suis conscient de l'intérêt ludique des mécaniques de jeu. J'aime moi aussi lancer des dés en tant que joueur. Mais je souhaite expérimenter un autre type de jeu où l'intérêt ludique ne passe pas par la mécanique. Je recherche une immersion favorisée par la narration ininterrompue de la scène. Tout en bannissant la narration partagée et en conservant le rôle "traditionnel" du MJ. Toute la question est de savoir s'il est possible de trouver une solution aux biais que j'ai annoncés plus haut, ou si ce "nouveau" choix de jeu doit obligatoirement s'accompagner d'un certain sentiment de dépossession de la part des joueurs. A ce propos, pourquoi parles-tu de "conflit d'intérêts" ?

J'en suis à me dire qu'il faudrait que j'utilise un système illusionniste pour masquer le fait que j'utilise un système de résolution invisible des joueurs... Ce qui revient à réinstaurer une mécanique visible et envahissante dans la narration !
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Re: Equilibre entre fluidité narrative et intérêt ludique

Message par kiraen » 09 Avr 2015, 08:47

Si je comprends bien, tu veux que pour les joueurs le système soit invisible pendant la gestion des scènes. Mais ont-ils accès au système pour évaluer ce que les personnages sont capables de faire ? Est-ce que réaliser une action revient à mettre son destin entre les mains du MJ ou est-ce qu'ils sentent que leurs descriptions ont un vrai impact ?

J'ai l'occasion de jouer régulièrement à Ambre par skype avec un système relativement modifié par le MJ. Lors de ces parties nous avons notre feuille de perso et nous savons comment nous placer du point de vue technique par rapport à nos adversaires, le plus souvent en tous cas.

Dans ces parties, c'est le MJ qui gère quasi intégralement le système, nous on dit ce qu'on veut faire, et il nous dit ce qui se passe. La relation de confiance est là, on se connait depuis longtemps et nous n'avons pas l'impression d'être des spectateurs. Un des éléments qui le permet c'est que nous sentons le système à l'oeuvre derrière l'écran (en l'occurrence l'écran du PC), que parfois le MJ fait des pauses pour calculer un truc, qu'il semble éviter ou demande des précisions sur une action ("Tu utilises le Logrus pour t'aider lors de ce combat ?" par exemple). Par ailleurs, le système est clairement exposé sur un site web, et de temps en temps on creuse un peu. Je pense qu'il nous a fallu un temps d'apprentissage. Au début le système était visible pour qu'on en prenne la mesure ("Ton perso est classé à 10 en combat, ton adversaire est juste ambrien donc à 0, ce qui veut dire que ton attaque lui inflige une blessure moyenne"). Une fois que nous avons compris comment ça fonctionnait, et constaté que les mêmes décisions aboutissaient aux mêmes effets. Que nous avons intégré le niveau de compétence de nos personnages dans les différents champs d'action, nous avons pu remettre les règles entre les mains du MJ pour nous concentrer beaucoup plus directement sur la narration et l'explication des actions de nos personnages.

Mais ça demandé du temps, au début on était souvent frustrés parce qu'on ne comprenait pas comment il gérait les choses.
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Le Sénat des Architectes, blog de Divergence un jdr en développement.
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Re: Equilibre entre fluidité narrative et intérêt ludique

Message par Frédéric » 10 Avr 2015, 21:20

Salut Mathieu,

tout d'abord, j'aurais préféré que tu écrives un nouveau rapport de partie pour ce fil (une ou deux scènes centrées sur ton propos pour ce nouveau fil auraient suffi). Mais bon, je suis bien luné aujourd'hui et la discussion me semble sereine, donc je passe pour cette fois.


Pour revenir à ton sujet :
La fiction en JdR est un matériau liquide.
La mécanique de jeu est un matériau solide.

Le matériau liquide est insaisissable, car capable de donner lieu à des interprétations divergentes, voire contradictoires entre plusieurs participants.

On utilise le matériau solide de façon à générer un jeu de contrôle et perte de contrôle des participants sur l'évolution de la fiction, sans quoi, la fluidité du matériau fictionnel serait un frein à "l'empowerment", c'est-à-dire le fait de sentir que l'on a une prise sur l'évolution des événements. Que nos décisions comptent vraiment.

Les mécaniques de résolution ne sont pas indispensables à une pratique rôliste. Beaucoup s'en passent.
En revanche, elles sont utiles lorsqu'on veut jouer des parties avec de la "combativité". C'est-à-dire des pratiques dans lesquelles les joueurs peuvent éprouver des risques de réussite et d'échec, de gain et de perte et en faire un enjeu central de la partie (notamment : obtenir ce que l'on souhaite et se protéger de ce que l'on veut éviter pour notre personnage).

Certains jeux ne reposent absolument pas sur la combativité (comme Les Petites Choses Oubliées), et Happy Together ils peuvent donc se passer de mécaniques de résolution.
Un conflit ou un combat dans la fiction ne signifie pas qu'il y a de la combativité. Dans Prosopopée, il peut arriver qu'un conflit se déroule dans la fiction, sans recours aux mécaniques. Dans ce cas on résout les choses à "l'amiable". Ça fonctionne très bien. Dans ces moments-là, il n'y a pas de combativité. La transparence des mécaniques du jeu ne laissent aucun doute à ce sujet.

Dans les pratiques freeform (donc sans mécaniques de jeu), parfois il s'instaure une dynamique de jugement du MJ qui crée de la combativité de la part des joueurs : ceux-ci cherchent à séduire le MJ pour obtenir gain de cause dans leurs conflits. Mais dès que l'arbitraire du jugement du MJ pointe, la combativité s'affaiblit. Néanmoins, certaines tables s'éclatent en jouant sans combativité. On laisse le MJ décider du résultat des actions importantes, parce qu'on se concentre sur tout autre chose. Ce n'est pas un problème, mais c'est une question d'habitude de jouer ensemble.

La mécanique de jeu sert donc à renforcer la combativité et à arbitrer les désirs contradictoires à la table (elle a aussi d'autres fonctions, mais je ne pense pas que ce soit utile de les évoquer ici).

Je trouve la remarque de Julien (Kiraen) très intéressantes : cela contredit l'observation de Philippe (Sildoenfein) à laquelle je souscris pourtant. Mais il semble que si l'on veut cacher les mécaniques, il faut que les joueurs soient conscients des procédures à l’œuvre et les jeux freeform modernes tendent à utiliser beaucoup de ces "procédures" non-mécaniques qui définissent que chaque cause établie dans la fiction produit systématiquement les mêmes conséquences (ou le même type de conséquences).
Je pense que l'expérience d'Ambre par Julien va dans ce sens : les joueurs connaissant leurs points forts et leurs points faibles finissent par savoir lire la logique des résultats annoncés par le MJ. Quelque part, je pense que l'une des solutions serait de creuser dans ce sens : ce qui compte, c'est moins d'avoir des mécaniques à l’œuvre pour déterminer si on gagne ou si on perd, que des procédures qui permettent de définir les conséquences de certaines décisions (par exemple : "quand j'utilise la force, je réussis toujours ce que j'entreprends", ou : "quand je tiens ma plume dans ma trompe, je sais voler"). Et que les joueurs puissent les percevoir dans les conséquences que tire le MJ.

En revanche, ça signifie que le MJ ne doit jamais tricher. Il doit appliquer rigoureusement chaque procédure sans jamais glisser vers l'arbitraire.
Et ça signifie que créer de telles procédures fonctionnelles doit être un véritable casse-tête, puisqu'il s'agit de juger un matériau fictionnel (donc liquide, abstrait, bien trop libre d'interprétation, pour générer de l'empowerment).

À ce sujet, je te conseille de lire ça, ça devrait t'aider à comprendre la complexité de ta démarche : http://lumpley.com/index.php/anyway/thread/432

On trouve certaines solutions intéressantes dans un jeu comme Bliss Stage, par exemple : les scènes d'interlude du jeu proposent de jouer un moment de relation avec un autre personnage. Il n'y a pas de mécanique de résolution dans ces scènes et donc on joue nos personnages librement et on voit comment évolue la situation. À la fin de la scène, un joueur tiers juge des conséquences mécaniques de la scène sur la feuille du personnage. Et toutes les options possibles sont en fait relativement neutres : il ne s'agit pas de gagner ou de perdre, mais d'évoluer. Soit on évolue en renforçant la relation, soit on évolue en se renforçant soi-même, etc.
Et c'est grâce à cette neutralité que ce jugement fonctionne.

Si on devait juger : est-ce que votre relation s'améliore ou se détériore, typiquement, on trouverait de nombreux cas de figure où le jugement du joueur tiers paraîtrait incohérent pour les autres (on créerait à nouveau de la combativité et le fait qu'elle repose sur de l'arbitraire serait mal adapté, parce qu'il est de nouveau question de gagner ou de perdre).

En espérant que ça t'aide. ;)
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Re: Equilibre entre fluidité narrative et intérêt ludique

Message par Brisecous (Mathieu) » 11 Avr 2015, 22:51

@Kiraen : Les joueurs savent comment fonctionne le système et comment la mécanique de jeu amène au calcul du résultat. Ils ont accès à leur fiche de personnage et savent donc quels sont les points forts et les points faibles de leurs personnages. Théoriquement, leurs descriptions ont un véritable impact qui est généralement mélioratif de leur score d'action.

Tes explications sur la partie d'Ambre sont intéressantes et j'en retiens trois points :
- Un système sans dés dans lequel les joueurs ne voient pas la mécanique de résolution peut fonctionner
- Il y a eu une frustration fréquente en début de campagne
- Rendre visible aux joueurs la mécanique de résolution pendant un certain temps aide à son acceptation par les joueurs

-----------

@Frederic : Je n'ai pas fait de rapport de partie car je croyais que mon propos n'était pas en rapport direct avec ce qui s'est déroulé durant la 3e partie de ma campagne. J'ai réalisé par la suite qu'en fait si, cela avait à voir, mais il m'a fallu les interventions des membres de ce forum pour en prendre conscience.

Je te remercie pour tes explications et pour le lien, même si j'ai du mal à acquérir ces concepts hautement théoriques. J'en retiens que je souhaite instaurer de la combattivité dans mon système de jeu, ce qui passe par une mécanique de résolution des actions. Mon objectif est que les réussites et les échecs du personnage impactent émotionnellement sur le joueur, qu'ils créent du jeu et qu'ils produisent le plaisir d'incarner son personnage. Je ne me démarque pas dans ce cadre de la plupart des JDR du commerce auxquels j'ai pu jouer.

Je commence à m'y perdre quand tu indiques : "ce qui compte, c'est moins d'avoir des mécaniques à l’œuvre pour déterminer si on gagne ou si on perd, que des procédures qui permettent de définir les conséquences de certaines décisions." Je comprends le sens de la phrase mais j'ai du mal à me rendre compte de ce qu'elle implique, concrètement, dans le jeu et dans la manière dont le MJ va masteriser. J'en retiens néanmoins qu'il faut, au delà de l'utilisation d'une mécanique de résolution invisible, avoir une cohérence dans la manière dont le résultat d'action va intervenir dans la fiction.

Pour le lien en anglais, j'essaie encore d'en retirer le sens profond après deux lectures (je maîtrise mal cette langue). J'en retiens que mon jeu fonctionne intégralement sur la base d'un jugement du MJ. Et que la difficulté est de maintenir un jugement impartial de la part du MJ. Les deux solutions seraient :
- D'associer une mécanique de coût ou de risque à la mécanique d'avantage découlant de la fiction (ce qui signifie que la mécanique sera visible, et en rupture avec la fiction, et ce qui revient à supprimer tout l'intérêt que je trouve à la suppression du lancer de dés)
- De céder le jugement à un joueur qui n'est pas investi dans l'action et a donc une opinion moins partiale (cette solution me semble utile seulement dans le cas d'un jeu à narration partagée, car théoriquement le MJ est aussi impartial que n'importe quel joueur peut l'être)

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Résumé de la 3e partie de ma campagne.

Les joueurs incarnent un groupe de saltimbanques nomades qui sont en fait des voleurs et des arnaqueurs. Ils veulent intégrer une guilde de voleurs locale et le chef de la guilde leur a donné une mission : Trouver pour quelle guilde concurrente travaille un individu qui lui met des bâtons dans les roues. Les joueurs ont découvert que l'individu en question joue souvent à l'auberge de la Pomme de Pin, et ils ont obtenu une description sommaire du personnage. Ils se rendent devant l'auberge, je leur décris la rue comme vaste, passante, et l'auberge comme une auberge propre et honnête, bondée de clients. Soudain, l'individu qu'ils recherchent va pour rentrer dans l'auberge en bousculant l'un des PJs. Les joueurs décident d'attraper l'homme par l'épaule et de le traîner dans une ruelle. Sauf qu'il n'y a pas de ruelle à proximité, et que l'homme crie "au voleur !", attirant du monde sur place. J'ai commis une erreur en tant que MJ : les joueurs avaient une vision de la scène qui était différente de la mienne, malgré ma description. En voyant que l'objectif de leur action n'était pas en cohérence avec les éléments que j'avais implantés dans la fiction, j'aurais dû demander confirmation au joueur en lui re-précisant l'environnement qui conditionnait son action.

A partir de là, l'action dégénère vite. Je m'embrouille un peu dans les différentes fiches de personnage, dans la recherche des fiches des PNJs concernés. Les joueurs tentent de faire croire que l'un des PJs (un vieillard) a été frappé/bousculé par le PNJ. Mais le PNJ ne se laisse pas faire : c'est un arnaqueur-né, ce n'est pas un étranger comme les PJs, c'est un habitué de la taverne et il a des alliés sur place, de nombreux témoins ont vu les PJs tenter de tirer le PNJ à l'écart. Leurs justifications ne convainquent pas et les PJs se mettent à fuir et la foule en colère poursuit 2 des PJs en hurlant "au voleur !" Une course-poursuite s'engage. Les PJs entrent dans le 1er commerce venu afin de ressortir par la porte de derrière (je leur ai fait lancer un jet de chance) et pas de bol, c'est un magasin d'armes. Le PJ "costaud" qui porte le PJ "vieillard" rentre dans le lard d'un garde assis sur une chaise, tout le monde s'étale au sol tandis que l'armurier, derrière son comptoir, commence à gueuler et à sortir une arme. Les PJs parviennent à fuir par la porte de derrière tandis que la foule envahit le commerce. Ils se retrouvent alors dans l'arrière-boutique, une forge où plusieurs forgerons et apprentis les regardent d'un air patibulaire en saisissant leurs marteaux. Le PJ costaud maintient la porte que la foule en colère tente de défoncer. Le PJ vieillard fait croire qu'il y a une émeute et que des pillards en veulent au commerce. Les forgerons font signe au PJ costaud de lâcher la porte et la foule agglutinée s'affale au sol, tandis que les coups de marteau pleuvent. Une bagarre commence et les PJs en profitent pour s'enfuir par la porte de derrière.

Pendant ce temps, une 3e PJ reste relativement discrète et glane quelques informations. Le 4e PJ, habillé en noble, joue la grandiloquence (il a quelques talents de comédien) et tente de gagner le public à sa cause.

Ce que je peux déduire de la partie, c'est que la fiction est effectivement sujette à controverse, et à jugement partial, de la part du MJ comme des joueurs. Il est important avant chaque action un peu "douteuse" de s'assurer que le joueur est conscient du cadre dans lequel il effectue son action. Sans quoi, le résultat sera frustrant, surtout s'il a des répercussions : le joueur se sentira "floué" car l'action qu'il voulait faire aura eu lieu dans des conditions différentes de celles qu'il envisageait.

Au niveau de l'action elle-même, la scène de poursuite a été extrêmement tendue. Les joueurs ont eu le sentiment d'un risque monstrueux, la scène les a tenus en haleine et ils ont cru y passer plusieurs fois. Ils étaient persuadés que la situation était désespérée alors qu'à aucun moment je n'ai douté de pouvoir les sauver. J'ai bien maîtrisé la narration et les conséquences des diverses actions des joueurs n'ont choqué personne.

En revanche, la scène du PJ tentant de discuter et de convaincre le public qu'il était un noble, m'a posé plus de problèmes. Le joueur concerné est souvent un peu "à côté" de l'action. Il a sa propre vision des choses, il est fantasque, et son sens de la logique d'une scène n'est pas forcément le même que celui des autres joueurs. Il a joué le noble tout le long de la partie, mais son personnage n'est pas un expert en comédie, même s'il a des bases et un beau costume. Je ne percevais pas la finalité des actions de ce joueur, je ne comprenais pas où il voulait en venir et quel était son objectif. Les PNJs de l'auberge et de la rue étaient excités et ça courait de partout ; je ne savais pas comment considérer les actions du PJ. J'ai eu tendance à considérer que le jeu du PJ a convaincu les PNJs de ne pas toucher à un noble potentiel, mais que ses remarques et exigences déplacées étaient ignorées. Le joueur a eu le sentiment qu'il n'avait pas prise sur les évènements et que ses compétences de personnage n'étaient pas prises en compte par mon système de résolution "masqué".

2 des 4 joueurs présents m'ont fait part de ce sentiment d'arbitraire. La partie est restée globalement positive et plaisante. Il m'est difficile de considérer si ce sentiment d'arbitraire vient du système de jeu, ou s'il est lié à la perte de contrôle de début de partie, lorsque les joueurs et le MJ (moi-même) avions une vision différente de la fiction, qui a amené à un résultat non prévu par les joueurs. Ils n'ont en effet pas pu réaliser leur objectif, à savoir faire parler le PNJ pour savoir pour qui il travaillait.

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Suite à nos échanges et aux critiques de mes joueurs, j'ai commencé à construire une nouvelle mécanique de résolution que je vais décrire sommairement ci-après :
- Même fiche de personnage que précédemment (aspects, métier, savoir-faire et équipement)
- Lors d'une scène (une scène comporte plusieurs actions, un combat est une scène), les joueurs peuvent annoncer l'utilisation d'éléments de leur fiche de personnage. Ils peuvent utiliser 2 éléments par action (par exemple, leur aspect et leur métier).
- Les éléments ne sont utilisables qu'une seule fois par scène (sauf le métier qui est utilisable autant de fois que son niveau).
- Le score d'action (de 0, 1 ou 2 avec possibilité d'utiliser des "points d'héroïsme" pour monter à 3) est comparé à un score de difficulté fixe ou au score d'action de l'adversaire.

L'idée de ce système était de redonner une prise au joueur sur la mécanique de résolution afin d'éviter ce sentiment d'arbitraire, tout en impactant le moins possible sur la narration. Il reste simple et prend peu de place dans la narration. Il facilite grandement le travail du MJ qui n'a plus besoin de consulter la fiche du PJ et de fixer lui-même le score d'action du PJ. Son inconvénient, c'est qu'il conditionne la narration. Il organise la fiction autour de la manière dont les joueurs vont annoncer des mécaniques de jeu avant de décrire leur action (par exemple : j'utilise mon aspect force de taureau et mon métier "soldat" et [description de l'action]). De plus, l'instauration d'un concept de "pool" non renouvelable par scène pose d'autres problèmes (les capacités des PJs s'affaiblissent rapidement, quel que soit leur niveau de compétence dans une activité donnée).

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En conclusion, mes interrogations : Est-il possible de masquer les mécaniques de résolution tout en évitant cette notion d'arbitraire ? Faut-il instaurer la mécanique de résolution directement dans la narration, afin qu'elle soit visible des joueurs tout en prenant peu de place ? Cela ne risque-t-il pas de codifier et donc d'amoindrir la fiction ? La lourdeur de gestion pour le MJ peut-elle être réduite, notamment par une meilleure organisation lors des parties (je n'ai pas d'écran de MJ) ? Dois-je améliorer mon premier système pour le rendre plus efficient, ou dois-je chercher d'autres solutions du style du 2e système ? Comment distinguer la part des critiques liées à un public qui ne sera jamais réceptif à un style de jeu, de la part des critiques qui mettent en lumière un problème dans le système ?
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Moi aussi j'ai un blog !
Brisecous (Mathieu)
 
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