Salut Simon,
Content que ton projet avance bien. Viens demander de l'aide si tu as besoin de tests extérieurs !
Concernant la transmission de l'univers, j'ai peu de choses vraiment neuves à ajouter à ce qui a déjà été dit, ou les conseils que tu pourras trouver un peu partout: oui, c'est plus facile de transmettre un univers sur la durée et avec des personnages qui découvrent l'univers (amnésiques, jeunes, découvreurs...); oui, la cohérence de l'univers, même si tu prends du temps pour la transmettre en début de partie, est susceptible d'être réinterprétée très loin de ce que tu as en tête comme auteur/meneur, ce qui peut mener aux problèmes que décrit Fred.
Pour répondre plus spécifiquement à tes questions:
- En cours de jeu, tu sens que ton univers est bien transmis quand les créations des joueurs sont conformes à l'esthétique que tu portes en toi. Je sais, ça semble bateau comme réponse, mais en fait c'est une question de philosophie du langage: je sais que ce que je dis a du sens pour les autres, quand ce qu'ils disent a du sens pour moi, c'est-à-dire qu'ils émettent une réponse à laquelle je pouvais m'attendre (par exemple, quand je dis "bonjour", ils répondent "bonjour" et pas "oui, volontiers, avec un peu de sauce"). Cela veut aussi dire
- Pendant que tu écris ton univers, c'est beaucoup plus compliqué de savoir si tu seras bien compris. Il n'y a pas de recette miracle, il faut le faire lire aux autres et voir ce qu'ils en retirent. Ça dépend de tellement de facteurs ! Les références culturelles évidemment, mais aussi la « forme » de l'esprit de chacun (je comprends très bien les univers de Fred par exemple, tandis que ceux de Romaric me sont beaucoup plus hermétiques, alors que pour d'autres c'est l'inverse).
- Certains jeux, notamment Prosopopée, résolvent ces questions à l'aide de quelques règles simples ("on joue dans un Japon médiéval fantasmé et onirique", "il n'y a pas de noms propres, décrivez autant que possible", etc.) et de "briques" de construction de son univers (les Couleurs). C'est une excellente manière de faire, mais elle pose de nombreuses contraintes à la fois en termes de conception et de réception, la première étant que beaucoup de gens croient qu'il n'y a pas d'univers.
Dans
Monostatos, je n'ai pas réussi franchement la transmission aux joueurs. On est obligé au début de faire une longue exposition de l'univers, et c'est pas toujours très fun. Pour la transmission au meneur, je crois m'en être mieux tiré (c'est peut-être ce qui est le mieux réussi dans ce jeu), en me concentrant sur ce qui est le plus important dans chaque lieu, en transmettant surtout une esthétique, un "sentiment", en laissant les meneurs compléter d'eux-mêmes le reste à partir de cet élément central.
Pour la transmission aux joueurs dans Sphynx, je m'en suis sorti d'une part en jouant des explorateurs contemporains (donc pas très différents des participants) et d'autre part en faisant de la découverte l'enjeu central du jeu: il n'y a pas d'autre enjeu qui vient parasiter la découverte, toute l'énergie des joueurs lui est consacrée. (Je ne parle pas de la transmission au meneur, il n'y a pas de contenu de ce type.)
Il y a quand même une réflexion vraiment neuve que je peux apporter sur cette question.
Lorsqu'on cherche à transmettre un univers personnel, avec un propos fort, ce qu'on cherche à transmettre en fait n'est pas un univers au sens classique du terme. On ne cherche pas à transmettre des informations (voilà pourquoi l'univers de
Monostatos est tout sauf une encyclopédie). Ce qu'on cherche à transmettre c'est un
sentiment. Je n'ai pas de meilleur mot pour désigner ce dont je veux parler, ça me semble vraiment être de l'ordre du sentiment poétique, c'est-à-dire de l'affect profond, maturé, raffiné par les rêveries. L'univers de
Monostatos et celui de Sphynx en sont chacun porteur, chacun à sa manière. C'est complètement différent du propos, ce n'est pas un message, ça tient plus de l'esthétique.
Et parce que ça tient du sentiment poétique, toute la difficulté tient à le transmettre alors même que notre langage n'est pas fait pour y parvenir. Quand j'écris un univers (et je m'y emploie en ce moment), je ne cherche pas à décrire, mais à
connoter des faits, c'est-à-dire à leur donner une saveur particulière. Cela suppose notamment de jouer avec le langage, de créer des effets de surprise, de jouer avec son lecteur idéal. Je travaille beaucoup à partir d'
images et de symboles, qui souvent sont très efficaces pour exprimer l'inexprimable. Au fond, le texte décrivant l'univers est un grand poème pour exprimer ce sentiment qui ne peut être exprimé autrement que par cet univers. Le jeu devient alors l'apprentissage et l'exploration de ce sentiment.
Je sais que Romaric a aussi ses techniques d'écriture pour réaliser la même chose, mais il s'y prend différemment. Il est beaucoup plus adepte de la méthode ésotérique: il cache une bonne partie des informations importantes, toute en parsemant son texte de suffisamment d'indices pour reconstituer ces informations manquantes (et c'est encore vrai dans Sens Cosmo/Sens Chaos). Je comprends cette méthode, mais ce n'est simplement pas ma voie. J'indique qu'elle existe et semble fonctionner vu combien les sensiens arrivent à se parler entre eux.
Dans le cas de ton projet, il me semble que tu disposes déjà de tous les outils nécessaires pour bien t'en sortir: les personnages sont des explorateurs d'un lieu inconnu, donc tu peux transmettre facilement les informations ainsi. L'endroit d'où viennent les personnages peut être résumé par "un monde de fantasy" ou "un monde médiéval fantasmé", en ajoutant le panthéon dont tu parles (qui sert de ce point de vue à la même chose que les Couleurs de Prosopopée).
Donc je crois que tu es sur la bonne voie, je ne perçois pas de difficulté majeure de ce point de vue-là.
Je te l'avais déjà dit, je m'interroge sur la représentation des « indigènes » dans ton jeu et sur les présupposés qu'elle porte. Si la question t'intéresse, je t'invite à jeter un coup d’œil à ce projet de jdr:
Ehdrigohr, qui cherche à s'émanciper de la fantasy européenne et proposer une approche post-coloniale, c'est-à-dire développé du point de vue des cultures autochtones (il a aussi l'ambition de parler de dépression, semble-t-il). C'est un jdr très traditionnel (univers + motorisation par le système FATE) mais avec un propos intéressant.