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[La Saveur du Ciel] La pièce montée parfaite

24 Mars 2015, 22:21

J'ai enfin eu l'occasion de tester La Saveur du Ciel lors d'une partie jouée au milieu de la foule de la convention suisse de la Ludesco.
J'incarnais l'Apprenti et Christoph fut mon guide.

Les Personnages
J'incarnais Sumac, jeune cuisinier respectueux de la politesse mais bouillonnant d'impatience et d'envie de montrer ce dont il était capable.
Christoph incarnait un guide japonais, variation de la figure du vieux sage à laquelle il avait ajouté des tatouages et des piercing.

Approche :
Le Guide accueil Sumac à l'entrée de son usine, ce dernier le salut respectueusement avant de pénétrer dans le bâtiment. Celui-ci est rempli de grosses machines métalliques bruyantes et aux mouvements brusques. Finalement les deux hommes entrent dans un petit cabinet de cuisine, préservé du bruit et de la poussière.*
Le Guide demande à Sumac son projet. Ce dernier à l'intention de construire une pièce montée faite presque entièrement de crème de citron. S'il réussi son plat sera non seulement un délice culinaire mais aussi une prouesse architecturale. En effet pour que la pièce montée tienne en équilibre il faudra parvenir à mettre sur pied une structure faite de pâte.
L'idée est venue à Sumac suite à une discussion avec sa sœur, architecte. Tout en étant gêné par sa propre hardiesse, il se pose la question de la perfection, l'homme peut-il toucher au divin avec une préparation culinaire ?
Bien que Sumac respecte toutes les règles de la politesse, il se penche respectueusement et acquiesce poliment devant toutes les propositions du guide, il est pris de tremblement, comme si son corps frêle ne pouvait pas contenir cette ambition dévorante.

La préparation
Au même titre que la préparation de Sumac qui repose sur une armature de pâte, ma description repose toute entière sur mon dialogue avec Christoph. Il me pose énormément de questions me permettant d'orienter ma description, m'invitant à préciser des éléments. En me forçant à justifier les choix de mon personnage, Christoph me met parfois en difficulté (il me faut répondre immédiatement à ses questions et donc improviser des réponses là où mon personnage a réfléchi à son plat en amont...en bref il me faut feindre l'assurance) mais il donne une cohérence à ma préparation et facilite globalement ma description).
J'explique donc que mon but est d'introduire une démarche architecturale dans la pratique culinaire. Mélanger l'ingénierie et l'art. Je prépare mes ingrédients, explique que j'ai été aidé par un ami dans le choix des fruits, que le lait à une légère saveur salée liée à la proximité de ma maison avec la mer (je tiens à ce que la recette soit personnel et je centre ma recherche d'aliments autour de chez moi). J'ai laissé ma sœur choisir le beurre, produit pourtant crucial, si j'introduis de l'architecture dans ma cuisine j'aime l'idée de réciprocité et donc de demander à une architecte de faire un choix culinaire.
Le Guide me demande si ce lâcher prise si le choix d'un aliment ne m'éloigne pas de la perfection que je vise. Je lui réponds dans un premier temps que je remplace la maîtrise par la confiance, je ne cherche pas la perfection froide (et donc paradoxalement imparfaite) et j'introduis ce léger élément chaotique. De même je renonce à l'idée de laisser 7 étages à ma pièce montée (comme les 7 étages qui mènent au ciel), d'abord parce que je tiens à être -au moins légèrement- modeste et aussi parce que je trouve le symbolisme un peu vain.
Enfin je ne peux pas utiliser de cylindres pour tracer les cercles de ma pièce montée (la crème partirait avec eux). Je vais devoir découper les cercles au couteau. Je prépare donc un marqueur et du papier canson pour m'entrainer à tracer des cercles avant d'effectuer les gestes définitifs.

La dégustation
Je décris la lenteur avec laquelle je commence à déguster ma pièce montée. Le choix de la cuillère, le fait de la frotter tout doucement à mon gâteau en ayant à chaque instant peur que tout s'effondre. Les différents sens mis à contribution, mon odorat, mon sens du touché : je sens la texture du gâteau une fraction de seconde avant que mes papilles gustatives m'informent de son goût.

C'est bon, oui, sans défaut immédiatement repérable mais mon œuvre n'est elle pas un peu fade ? D'abord la déception et puis l'accident, la structure s'effondre sur elle même, projetant des bouts de pâtes dans toute la crème.
Et puis le miracle, le gâteau s'est effondré avec une parfaite symétrie axiale. La structure est renforcée et les éclats de pâtes aléatoirement repartis donnent au gâteau le chaos dont il avait besoin. C'est l'explosion gustative, l'état de grâce, le divin à portée de palais. BOUM !
Je ne peux pas m'empêcher, un instant de perdre toute ma modestie et de commander à mon Guide de goûter.

Après quelques bouchées, cependant, la tour se met à tanguer. Babel soumise à la vengeance divine ? Que nenni ! La pièce montée oscille, de plus en plus vite, de plus en plus brusquement mais l’oscillation se stabilise dans un équilibre en mouvement. Je prends encore quelques bouchées sans me préoccuper de la chute de mon œuvre.

Ma critique
Même si c'est moi qui avais amené le jeu dans mes bagages, avec la ferme intention de trouver un partenaire pour le tester, j'avoue que j'abordais le jeu avec circonspection. La faute peut-être aux photos qui illustrent le bouquin et qui ne m'évoquent qu'une nourriture aseptisée, celle des catalogues de super-marchés. Il y a un premier effort créatif à faire dans la sélection du plat : il faut que l'Apprenti vienne à la table avec une idée de plat suffisamment inspirante pour lui permettre de créer la plupart des descriptions. Ce n'est pas forcément évident quand on a un rapport très pragmatique à la cuisine comme moi, la cuisine est pour moi une opération très guidée et assez peu créative (j'ai besoin de ma recette bien précise et mes rares initiatives culinaires se soldent souvent par des échecs).

Heureusement, cette étape passée, je trouve le jeu absolument formidable. A la lecture je voyais beaucoup de similarités avec Breaking the Ice et je me demandais si cette transposition des mécaniques des jeux de séduction à l'épreuve gastronomique était pertinente.
La réponse est un grand oui, le jeu insiste sur l'aspect créatif de la cuisine, très bien rendu par les mécanismes de dons de dés et le jeu de questions/réponses entre le Guide et l'Apprenti permettent aussi de mettre en avant l'aspect concret, artisanal de l'acte de cuisine.
Le jeu est très court, en apparence modeste dans ses ambitions, mais tout s'imbrique parfaitement. Je serai bien en peine de pointer un défaut dans le déroulement de la partie. Tout au plus peut-on questionner le choix de ne pas mettre l'accent sur la phase de préparation en elle-même, on fait une ellipse un peu surprenante (mais qui n'a pas vraiment posé de problème pendant la partie, c'est surtout une critique qui nous est venue après coup).

Au fond j'ai presque envie de faire ma critique à l'envers : est-ce que les mécaniques que tu empruntais à Breaking the Ice étaient vraiment adaptées à la romance ? Mais c'est un autre sujet sur lequel j'espère revenir après avoir testé ce dernier...

Re: [La Saveur du Ciel] La pièce montée parfaite

25 Mars 2015, 18:15

Merci beaucoup pour ce rapport de partie Steve, merci à Christoph de l'avoir rendue possible !
Que dire ? J'ai toujours du mal à accepter les compliments, merci ça me fait vraiment plaisir ! ^^

Concernant les illustrations, c'est vrai qu'elles ont l'air un peu aseptisées. Je dois dire que d'une part j'avais envie que mon jeu soit publié rapidement et d'autre part qu'il était difficile de trouver un illustrateur ou un photographe capable de faire des photos de nourriture "transcendante" (les photos de livre de cuisine ne m'ont jamais convenu et les faire soi-même est un vrai cauchemar). Seule l'image de couverture convenait bien à mon projet.

Re: [La Saveur du Ciel] La pièce montée parfaite

25 Mars 2015, 22:43

C'était une super partie. J'ai beaucoup aimé l'inspiration architecturale et les équilibres instables et dynamiques de ton œuvre !

Haha, c'est vrai que c'était bruyant ! Dans mon esprit, le guide était un métalleux (d'où aussi la localisation du laboratoire dans une zone d'industrie lourde), armoire à glace, avec grosse barbe noir, pas trop vieux sage. Mais son nom était japonais en effet : Furikake (je n'avais pas décrit son ethnie, et même si je l'imaginais blanc, je ne l'ai pas communiqué). Et je l'ai joué comme quelqu'un de calme et pondéré, il est vrai.

Steve, je serais intéressé de connaître ton avis après avoir joué le guide une fois. Avec toi, et probablement grâce au fait qu'il y avait du bruit, des interruptions et qu'on était fatigués, j'ai pu jouer le guide comme un moyen de te relancer quand je voulais en savoir plus ou que tu semblais hésiter. Mais en fin de compte, j'ai assez peu contribué de manière directe. Les deux fois où j'ai joué le guide pour Sylvie, elle était tellement en forme que je ne faisais pas grand chose de plus que de distribuer des dés et vérifier les règles. À part la description du lieu de travail et du personnage, au début, il n'y a pas grand chose qui soit attendu du guide en termes de contributions créatives. On est censé donner une évaluation à la fin, mais c'est un peu creux si on joue en one-shot, d'autant plus que les dés ont déjà validé plein de choses. C'est très particulier comme rôle, et je pense que si une partie n'était pas aussi brève, ça serait pénible. Mais là, il y a quelque chose d'intéressant, c'est comme si on encourageait le joueur de l'apprenti à se surpasser pour créer un truc.

Hmm, d'ailleurs c'est quoi qu'on crée vraiment à ce jeu ? Parfois, j'ai l'impression qu'on est plus proche de la poésie que d'une narration (qui est toujours la même : quelqu'un arrive, fait la cuisine, mange, trippe et repart).
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