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[S'échapper des Faubourgs] L'Enfant-charbon

Message Publié : 16 Jan 2014, 20:45
par Thomas Munier
L’ENFANT-CHARBON

Glauque ou gore, les goûts et les couleurs.

Partie du jeu S’échapper des faubourgs jouée le 8/12/13 avec Anna (Martial Diomé), Martin (Achille Diomé), Benji (Norman) et moi-même (Chloé).

J’ai tendance à ne plus maîtriser un scénario une fois qu’il est publié. Il en est de même pour les jeux, puisqu’après sa conception pour le Game Chef 2013, je n’ai rejoué qu’une fois à S’échapper des Faubourgs, et dans un pur cadre de promo, puisque c’était pour une émission One-Shot du Podcast de la Cellule (à paraître). Mais mon amie Anna m’avait acheté le jeu et semblait enthousiaste à l’idée d’essayer. J’ai donc profité d’une occasion de jouer où, pour une fois, je n’avais rien de nouveau à playtester, pour tenter une partie. Je suis ravi de l’avoir fait, car je vais pouvoir mettre ce compte-rendu de partie à la disposition des lecteurs de ce jeu. Si vous n’avez pas lu le jeu, il vous manquera des éléments pour tout comprendre mais vous saisirez au moins la couleur.

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Dessin par Anna. A gauche : Martial Diomé. Milieu haut : Achille Diomé. Milieu bas :Norman. Droite : Chloé.


J’en profite pour déconseiller la lecture de ce compte-rendu aux personnes sensibles ou aux personnes qui estiment vivre des situations émotionnellement difficiles. Nous y abordons des sujets très sensibles sous l’angle de la caricature horrifique. Cela n’a pas été fait pour choquer mais dans le cadre d’une partie de jeu de rôle entre adultes, d’une fiction. Notre objectif n’était pas de manquer de respect aux personnes placées dans des situations similaires, ni de proposer une peinture réaliste des divers problèmes évoqués. Je ne suis moi-même pas placé dans les situations décrites encore que toutes sortes de drames aient pu concerner mes proches par le passé, comme tout le monde, mais je vous prie de croire à ma compassion sincère pour les cas évoqués.

Je vais commencer par préciser qu’Anna et Martin étaient déjà familiarisés avec le concept de narration partagée puisqu’ils ont joué à Inflorenza. Quant à Benji, c’est un joueur expérimenté et un MJ, il s’est plongé très facilement dans le bain. Il créait même plein de PNJ, il a fallu que je le recadre car je vois les Faubourgs comme une ville désertée, comme dans un cauchemar.

Nous avons commencé par décider de qui jouerait en premier. C’est important parce que tous les autres personnages seront liés au sien, le premier joueur est donc un pivot. Je ne voulais pas jouer en premier parce que mon expérience du jeu et mon poste d’animateur allaient déjà me donner un grand poids sur la fiction. J’ai donc proposé à Anna de faire le premier joueur, comme elle avait lu le jeu et semblait enthousiaste. Elle a eu deux heures pour imaginer son personnage avant que nous ne commencions à jouer.

En guise de contrat social, j’ai juste précisé aux joueurs que c’était contemporain, horrifique et glauque, que l’humour était proscrit, et que les personnages étaient des gens normaux qui avaient un passé sombre sans pour autant être des monstres. Je n’ai pas évoqué les lignes et les voiles pour rester dans l’esprit hermétique du jeu et ça a été peut-être un peu dommageable au plaisir de jeu d’Anna comme je l’évoquerai plus tard. Ensuite, j’ai précisé que les personnages n’avaient pas de pouvoirs surnaturels, et que lorsqu’ils allaient devoir se battre, il leur faudrait s’armer avec ce qui leur tombe sous la main. C’était important pour moi, car lors de la partie du Podcast de la Cellule, Flavie et Romaric donnaient des pouvoirs magiques à leur perso et ça ne me convenait pas car ça sortait leurs persos de leur condition de victime (même si en terme de système de résolution, ça ne change absolument rien. Pour attaquer, il suffit de plier le rabat « tuer un monstre » et la réussite est automatique, quelque soit l’arme utilisée.) Puis j’ai expliqué toutes les règles sauf celle sur l’Echappatoire qui est secrète et ensuite nous avons joué en prenant notre temps pour faire une bonne fiction, ce qui nous a pris trois bonnes heures. Le nombre de joueurs a un fort impact sur la durée d’une partie, comptez une heure de moins que le nombre de joueurs. On a respecté les principes de narration partagée du jeu mais j’ai fait jouer mon autorité pour assurer une cohérence maximale. Je suggérais un certain nombre de détails aux joueurs, qu’ils ont quasiment toujours validés. J’ai également pris sur moi d’interpréter les monstres non joueurs même quand ce n’était pas mon tour.

Je ne vais pas raconter toute la fiction car le côté jeu de plateau fait qu’elle était assez complexe. Je vais surtout vous présenter les personnages, les quartiers, les monstres, les objets récoltés.

Les faubourgs :

On n’a pas précisé le lieu, mais tout portait à croire que ça se passait en France, probablement à Paris (il y avait un métro), ou éventuellement à Lyon ou Marseille, deux autres villes dotées d’un métro.

Les personnages :

Le jeu précise que ce sont des amis au sens le plus large du terme : proches, parents, concubins, collègues…

Anna jouait Martial Diomé, un malien gigantesque, la trentaine, très européanisé : costard-cravate, cheveux ras, petites lunettes... Il est directeur financier et porte-parole d’un grand groupe pharmaceutique, Eugenya. Il a un problème avec les africains qui ne sont pas aussi surintégrés que lui, comme ses sénégalais rastafari ou ces gangstas maliens qui l’abordent dans le métro en l’appelant « mon frère » ou « mon cousin », à son grand dégoût. Martial est très dévoué à son entreprise mais il s’est fait piéger par une journaliste, Chloé. Elle a réussi à lui faire avouer qu’il avait accordé des subsides pour des expérimentations sur des singes. Ce qu’il n’a pas dit, c’est qu’il a aussi accordé d’importants moyens au département d’Eugenya qui fait de la recherche sur la maladie de Parkinson, parce que son grand-père est en stade terminal de cette maladie. Il a donné carte blanche au département et découvrira en cours de jeu que le département a fait des recherches affreuses sur des humains capturés dans le métro, impliquant des lobotomies et autres pratiques d’un autre âge.

Martin jouait Achille Diomé, le grand-père de Martial. Achille est d’une autre génération, il est nettement plus fidèle à ses racines que Martial. Mais à 80 ans, il se meurt de la maladie de Parkinson, dans le couloir d’une clinique réservée aux patients en fin de vie. Chloé l’a interview pour un article qu’elle a intitulé « le couloir des condamnés à mort ». Martial n’a pas rendu visite à son grand-père depuis un moment. Avant d’être cloué au lit, Achille a eu l’occasion de faire une bonne occasion, car il a recueilli un jeune sauvageon, Norman, qui errait dans le parc d’attraction abandonné. Norman était blessé et Achille a obtenu de Martial qu’Eugenya couvre ses soins.

Benji jouait Norman, un jeune collégien. Il y a deux ans, il était au parc d’attraction avec son frère jumeau Andy, et ils ont voulu faire un tour dans le train fantôme, qui est le plus grand d’Europe. Mais il n’y avait de la place que pour un. Andy est monté dans le train et Norman est resté à l’attendre. Il y a eu un incident technique et le train fantôme a pris feu. Un millier d’enfants, dont Andy, ont trouvé la mort carbonisés. (oui, Benji n’a pas fait dans la demi-mesure). Le parc d’attraction a été aussitôt fermé. Fait curieux, les corps des enfants n’ont pas été évacués du train tout de suite. Norman a été rapatrié chez ses parents, mais il a vite fugué, pour revenir errer dans le parc d’attractions abandonné. C’est là qu’il a été accosté par la journaliste Chloé, qui faisait un papier sur le sujet. Elle a poussé Norman a explorer le train fantôme pour découvrir la dépouille carbonisée de son frère. Ensuite, Chloé l’a abandonné pour partir vers d’autres horizons journalistiques, et plus tard Achille l’a recueilli et s’est assuré qu’il rentre chez ses parents et reçoive des soins.

Quant à moi, je jouais Chloé, journaliste pour un magazine qui s’appelle La Vérité. A l’instar du magazine pour lequel je travaille, j’ai commencé par faire du travail de reporter de terrain avant de verser dans le voyeurisme et le fait divers sordide, type Le Nouveau Détective. Comme pour le personnage de Kemal que j’avais interprété pour le Podcast de la Cellule, j’ai cherché à jouer un personnage borderline mais qui restait humain, pour lequel je pouvais plaider. Chloé a un véritable désir de faire éclater au grand jour des vérités qui dérangent. Si elle a enquêté sur l’incendie du train fantôme, sur les expérimentations animales chez Eugenya, ou sur le couloir hospitalier des personnes en fin de vie, c’était avant tout pour dénoncer des abus. Mais le problème est que dans sa recherche de vérité, elle oublie toute éthique. Elle manipule ses témoins jusqu’à obtenir la vérité qu’elle recherche puis les abandonne pour écrire un brûlot et les laisse gérer ça tous seuls. Quand elle entraîne Norman dans le train à la recherche du corps carbonisé d’Andy, elle n’est plus elle-même. Elle prend des photos du corps à la chaîne, voyant déjà l’abjecte page de une qu’elle va pouvoir faire. À mesure qu’elle prend ces photos, elle est prise de soupirs d’extase. C’est aussi un personnage que j’ai créé pour renforcer la cohérence puisque Chloé à interviewé les trois autres persos, ramenant trois histoires disparates sous le thème du scandale et des vérités qui ne sont pas bonnes à dire.

Les quartiers :

Le passage :
Il s’agit du métro que Martial emprunte pour se rendre à son travail. C’est une manœuvre de comm’ de sa part puisqu’il a les moyens d’acheter une superbe voiture pour faire ce trajet. Mais il envisage de le faire parce qu’il ne supporte plus la promiscuité, l’insalubrité, l’insécurité qui empirent dans le métro. Je demande alors à Anna de nous livrer une anecdote qui l’a poussé à abandonner le métro. Anna nous explique que Martial a été récemment pris à parti par un jeune malien habillé en gangsta, qui critique le « blanchiment » de Martial. Si le choix du métro n’était pas original, le traitement était intéressant, Anna donnait du sens à ce lieu. Benji en a rajouté dans le glauque en annonçant plus tard qu’un gars s’est jeté sous une rame, entraînant avec lui une femme enceinte qui était la secrétaire de Martial.

Un costume de pouvoir :
Costards noirs et blouses blanches, l’immeuble d’Eugenya est le premier quartier décrit. Il est complètement abandonné. Martial y découvre les labos où l’on fait des expériences sur des singes. Ils sont enfermés dans des cages ou conservés dans du formol. Certains ont d’horribles tumeurs sur le crâne. Plus tard, Martial et Chloé découvrent aussi le labo dédié aux recherches sur Parkison, à qui Martial a alloué un budget illimité sans regard sur ses méthodes. Ils y découvrent le malien gangsta qui avait agressé Martial dans le métro. Il est attaché à un siège de dentiste. On lui a ouvert le crâne, le cerveau est à nu, avec des écarteurs placés entre les lobes. Chloé prend des photos tandis que Martial débranche le malheureux. Chloé sent de la salive lui perler sur la joue. Elle lève la tête et découvre la prostituée aneroxique du métro, suspendue au plafond. Elle porte des cicatrices de lobotomie. Chloé prend la fuite et laisse Martial la combattre seul. Martial arrive à la tuer avec des outils de chirurgie cervicale : il l’achève en lui plantant un poinçon dans le canal lacrymal et lui transperce le cerveau.

La mort :
Deuxième quartier décrit, la Mort n’est rien d’autre qu’une morgue où se réveille Achille, en tenue d’hospitalisé, vulnérable au possible. Le sol est couvert de sang séché, toutes les cases mortuaires sont vides. Il y a une porte blindée avec un digicode et le symbole de tête mort narquoise qui sert de plan pour les Faubourgs et qu’on retrouve sur la couverture du jeu. On découvrira plus tard qu’il communique vers le métro. Achille entend le bruit d’un chariot rouleur. C’est un des infirmiers du « couloir des condamnés à mort ». Il pousse un cadavre et tient une seringue au curare. Il est venu pour euthanasier Achille. Cet infirmier est un sadique, qui par le passé a déjà amené Achille à la morgue pour lui dire : « C’est là où tu finiras bientôt. ».
A noter que j'ai complètement oublié la règle qui fait qu'on ne peut rester deux tours d'affilée dans le quartier sans mourir ! En effet, Achille y est resté fort longtemps...

La lumière enferme, l’obscurité libère :
Troisième quartier décrit, il s’agit du parc d’attractions abandonné, lugubre endroit hanté par des squatteurs. En son centre, la figure spectrale du train fantôme carbonisé, où se trouvent encore des corps d’enfants. C’est là qu’apparaît Norman. Il a encore fugué de ses parents pour y retourner.

Un monstre dans le fruit :
Quatrième quartier décrit, il s’agit des locaux du journal La Vérité. Ils sont vides, et illuminés en rouge comme un immense labo photo, avec des tonnes de clichés morbides suspendus à sécher. J’ai failli faire comme les autres joueurs, faire apparaître mon perso dans le quartier que j’avais décrit, mais j’ai préféré décrire Chloé dans le quartier d’Eugenya, pour faire du roleplay avec Martial. Ce départ, avec chaque joueur qui décrit un quartier très lié à son perso et y fait apparaître son perso, était inédit. D’ordinaire, on fait plutôt apparaître les persos dans le Passage. Mais c’était intéressant parce que ça donnait une identité forte à chaque perso. La faiblesse était que les persos se rencontraient tard. Achille, qui passait beaucoup de temps à se reposer, n’est sorti qu’une fois de la morgue pour aller au métro, puis est revenu à la morgue. Heureusement, les autres persos ont fini par se concentrer dans la morgue, donc Achille a pu prendre part au roleplay.

Un plan dans la tête :
Cinquième quartier décrit, au bout de deux heures de jeu. C’est le centre d’accueil de jour des malades de Parkinson, comme une maison de retraite en plus sordide. Il est tenu par le même médecin qui supervise les recherches sur la maladie à Eugenya.

L’échappatoire :
Benji a voulu décrire ce quartier vers le milieu de la partie. Je lui ai demandé s’il était bien sûr car je devais lui révéler une règle secrète avant qu’il commence à décrire. Il a finalement opté pour une autre action et je n’ai révélé la règle secrète que lorsqu’Anna a voulu décrire l’échappatoire, vers la fin de la partie. Je n’en dis pas plus pour ne pas révéler cette règle.

Les monstres :

L’infirmier :
sadique obsédé par l’euthanasie, armé d’une seringue au curare.

La femme araignée :
prostituée du métro, héroïnomane et anorexique, cette pauvre femme, entièrement nue, se déplace comme une araignée. On découvre plus tard qu’elle a été victime d’une lobotomie frontale pratiquée par Eugenya.

Le forcené :
c’est le père d’Andy et de Norman. Au désespoir, il s’équipe de sa doudoune rouge, de cartouchières et d’un fusil de chasse et part faire un carnage dans les locaux de La Vérité qui a publié des photos de son fils carbonisé. Il agressera ensuite Chloé dans le métro, mais ses tirs ne feront pas mouche et Chloé fuira dans le parc d’attraction. Martial et Norman fuiront dans la morgue, et le forcené s’y rendra pour les prendre en chasse. Si au départ Norman était plutôt excité à l’idée que son père calme son chagrin et le sien dans une tuerie, c’est bien Norman qui sera obligé de le tuer.

Le singe :
Un singe maléfique, chimpanzé albinos lobotomisé, échappé des cages d’Eugenya.

Andy, l’enfant-charbon :
Andy sera le monstre-joueur que j’ai décrit après la mort de Chloé. Les monstres joueurs sont différents des monstres non joueurs : ils tuent en pliant le rabat « tuer une personne » alors que les monstres non joueurs tuent passivement, si un personnage est présent à leurs côtés à la fin de son tour. J’en ai profité pour en faire un monstre effrayant (c’est quand même un enfant zombie carbonisé, et il a la possibilité technique de tuer facilement) mais pacifique (je n’ai pas usé de cette possibilité de tuer) qui est venu vers Norman pour le prendre dans ses bras.

Les cartes :

Dans cette partie et celle du podcast de la Cellule, j’appelle ces cartes des « objets » car le terme de « carte » ne me paraît plus très heureux. On pourrait aussi les appeler des « clés » ou des « fétiches » ou des « talismans ». Les persos collectent ces objets sur les monstres qu’ils tuent car ils comprennent instinctivement que ces objets serviront à un rituel pour s’échapper des faubourgs.

La carte « un plan dans la tête » n’a pas été décrite.

Carte Mort :
la seringue au curare récupérée par Martial sur le corps de l’infirmier.

Carte Un Monstre dans le fruit :
une bobine de négatifs des photos de singes victimes d’expérimentation, récupérée par Martial dans l’œsophage de la femme araignée.

Carte La Lumière enferme, l’obscurité libère :
des clichés du train fantôme et de l’enfant-charbon pris par Chloé, récupéré par Martial sur le corps d’Andy.

Carte Un costume de pouvoir :
la doudoune et la cartouchière récupérée par Norman sur le corps du père de Norman ressuscité.

Les rituels :

C’est Martial qui parvient le premier à l’échappatoire alors qu’il n’a que deux cartes. A ce moment-là, je suis passé en monstre non joueur, et je me sens donc plus dans la peau d’un MJ que d’un joueur. J’ai envie que Martial accomplisse le rituel, alors je génère un monstre dans l’échappatoire. Comme il n’y a plus de monstres vierges, je dois prendre un monstre dans le cimetière, et je choisis le père de Norman. Martial s’acharne sur lui jusqu’à le couper en deux et trouve les clichés d’Andy sur lui. Il sent instinctivement que c’est le dernier objet qu’il lui fallait. Il accomplit son rituel. Il se met torse nu et se fait des marques tribales avec du sang. Il effectue une danse tribale et entre en transe. Martial a enfin renoué avec ses racines. Il avale les clichés et les négatifs pour imiter la femme araignée, qui cherchait peut-être à effacer les traumas de cette façon. Au stade ultime de sa transe, il s’injecte le curare de la seringue dans la veine du poignet.

Anna avait la possibilité d’écrire au dos du pion Plan le nom d’un quatrième objet permettant un deuxième rituel d’échappatoire. A ce stade, il ne reste plus qu’un autre perso vivant, Norman, qui possède un objet, la doudoune de son père. Anna est gentille et écrit « Doudoune » au dos du pion.

Norman est à la morgue. Les faubourgs sont remplis de monstres : le singe, Andy, la femme araignée ressuscitée, l’infirmier ressuscité. Il court et traverse le métro infesté de monstres, où il récupère le fusil de son père, et atteint l’échappatoire. Là, il accomplit le rituel. Il revêt la doudoune de son père. Il cale le canon du fusil sous son menton, et tire.

Des morts prématurées :

Chloé est morte aux trois quart de la partie, de façon assez bête. Au début de son tour, elle se retrouve bloquée dans le parc d’attraction avec pour seules actions disponibles : se déplacer ou tuer un monstre. Problème, il n’y a pas de monstre dans le parc, et elle ne peut pas sortir du parc, pour deux raisons : le passage a effectué une rotation depuis et ne communique plus avec le parc, et Benji a confiné le quartier en décrivant un cordon de police et des barricades. Benji a expliqué que des fanatiques en robe noire se rendaient dans le parc pour célébrer des messes sataniques. D’où les barricades et les cordons de CRS pour sécuriser la zone.
J’aurais pu négocier pour qu’on fasse une entorse aux règles et sauver la peau de Chloé, mais j’étais dès le départ plutôt dans une posture de MJ, et j’ai donc sacrifié Chloé sans remords. Elle arrive devant le cordon et demande le passage à un CRS anonyme sous son casque. Ce dernier dit : « Personne n’entre, personne ne sort. ». Chloé insiste, elle dit qu’elle est en danger à cause des fanatiques. Le CRS répond : « Tu n’avais qu’à pas venir fouiner une fois de plus, salope de journaliste. ». Chloé s’enfonce alors dans le parc à la recherche d’une autre issue. Les fanatiques la prennent en chasse. Elle fuit alors à l’intérieur du train fantôme. Elle s’éclaire avec le flash de son appareil (super idée que j’ai piquée dans un CR de partie de Sombre de Johan Scipion ou dans un film). Premier coup de flip quand elle prend en photo un zombie carbonisé. Ce n’est qu’un décor du train. Elle s’avance dans le train et prend une photo qui l’interpelle. Elle regarde l’écran de son appareil et découvre qu’elle a pris en photo un enfant carbonisé crispé dans un wagon de train. Elle reprend en photo l’endroit mais l’enfant n’y est plus. Il est derrière elle et l’étrangle. Il s’agit d’Andy. Comme Chloé est morte, je déplie tous mes rabats, et commence par décrire Andy.

Pas longtemps après, ce sera au tour d’Achille de mourir faute de pouvoir faire sa première action. Martin décrète alors qu’Achille fait une crise de Parkinson qui lui est fatale.

Les morts prématurées nous ont surpris, bien qu’elles soient dans la logique du jeu. Les faubourgs sont un labyrinthe mortel où on se retrouve facilement bloqué. Elles n’ont pas trop nui à notre plaisir de jeu car Martin comme moi étions prêt à embrayer sur l’interprétation d’un monstre joueur et sur un rôle de MJ qui manipule l’environnement des Faubourgs.

Toutefois, j’invite les joueurs qui n’apprécieraient pas cette façon de mourir de tester cette règle alternative : en permettant au joueur de déplier un rabat dès sa première action, il est impossible de mourir en se bloquant dans le jeu.

Comment jouer une fois que son personnage est mort :

Martin, tout comme moi, avons adopté une posture de MJ bienveillant : nous déplacions nos monstres joueurs et d’autres monstres pour harceler les personnages survivants, mais nous avons évité de les tuer alors que nous en avions le pouvoir. Nous avons préféré permettre aux personnages d’accomplir le rituel car cela offrait un climax plus intéressant. Ainsi, quand Martial se réfugie dans l’échappatoire avec seulement deux objets en main, il semble être condamné. J’aurais pu déplacer Andy et le tuer. J’ai préféré générer un monstre non joueur dans l’échappatoire pour que Martial le tue, collectant ainsi son troisième objet, et puisse accomplir son rituel.
Quand à Benji, il n’aurait pas dû arriver vivant de la morgue vers l’échappatoire. Martin avait les moyens de le tuer avec des monstres, mais il s’est contenté de les déployer dans le métro, sachant que Norman pourrait traverser le métro sans danger du moment qu’il ne s’arrêtait pas, en faisant « se déplacer de la morgue vers métro » puis « déplier un rabat » puis « se déplacer du métro vers l’échappatoire ».
En revanche, nous avons caché notre jeu en laissant penser que nous jouions tous deux contre les persos d’Anna et de Benji. Technique illusionniste qui était tout à fait nécessaire pour maintenir la pression.

Glauque ou gore, les goûts et les couleurs :

Anna, qui était enthousiaste à la lecture du livre, n’a pas caché sa déception à l’issue de la partie. Elle a regretté que la partie ait été « plus gore que glauque ». La violence est inévitable dans ce jeu, puisque les persos doivent tuer des monstres pour collecter des objets pour s’échapper des faubourgs. En revanche, le gore est une tendance liée à nos choix de descriptions, à nos choix de fiction. On aurait pu éviter certains débordements. Ainsi, vers la fin de la partie, je décris le quartier correspondant à l’accueil de jour des malades de Parkinson, et j’y décris ensuite un monstre. Je choisis de ressusciter la femme araignée. Je décris le médecin responsable de la recherche sur la maladie de Parkinson dans son bureau. On devine qu’une personne est sous son bureau en train de lui faire une gâterie. Soudain, le médecin fait une drôle de tête : il réalise qu’il s’agit de la femme araignée. On passe ensuite hors champ, on devine que la femme araignée le tue. Typiquement, cette cinématique était gratuite et j’aurais pu l’éviter.
Je réalise aussi que j’ai mis l’accent sur le gore en invitant les joueurs à décrire précisément comment ils tuaient les monstres. Ainsi, quand un joueur frappait un monstre, je demandais de préciser à quel endroit, avec quelle force. Ce genre de gore avait un rôle dans le propos du jeu, puisqu’il s’agit de montrer que les héros se comportent comme des monstres. Néanmoins, ça a pu participer au malaise d’Anna.
Enfin, Anna elle-même a dû se sentir emportée par la spirale du gore, puisque lorsque Martial, son personnage, tue son dernier monstre, le père de Norman ressuscité, il va jusqu’à le couper en deux.

Cela me fait toujours un pincement au cœur quand un joueur ressort déçu d’une partie. Je suis bien conscient que ni mon jeu ni ma façon d’y jouer ne sont entièrement responsables. Systems does matter, but system does not all. Que cela ne m’empêche pas de réfléchir à des solutions.

S’échapper des Faubourgs ne propose volontairement pas de contrat social, puisque le propos du jeu est de réfléchir sur le contrat social, et qu’il est une épreuve de talent pour MJ. Néanmoins, le but de ce compte-rendu est d’apporter des conseils pour les MJ qui voudraient quelques clés en plus avant de se lancer. Vous pouvez sonder les envies des joueurs en leur demandent s’il faut placer la barre sur le glauque et le gore. Si on préfère le glauque, les morts des monstres devront être sobres.

Ceci dit, une règle me paraît valable dans les jeux de rôles encourageant la démarche narrativiste, comme dans d’autres types de fictions : en tant qu’auteur (ici, auteur du jeu ou MJ), ne donnez pas forcément aux joueur/spectateurs ce qu’ils attendent. S’échapper des Faubourgs est un jeu à autorité partagée avec un système « piègeur » qui pousse les joueurs dans des retranchements imprévus. Si on donne exactement aux joueurs ce qu’ils attendent, il est possible que les personnages ne souffrent pas, qu’ils n’aient pas de dilemmes à résoudre. Le plaisir de jeu en sera diminué, que ce soit le plaisir instantané, ou le plaisir à se souvenir de la partie.

Si je veux considérer la déception première d’Anna avec tout le sérieux que ça mérite, je serais curieux de savoir si, quand le temps aura passé, elle gardera ou pas un bon souvenir de cette intense partie.


Playlist :


Deathprod / Morals and Dogma : scie musicale / électro-jazz de fin du monde

Kreng / L'autopsie phénoménale de Dieu : Dark ambient pour opéra de sanglots

Overmars / Afflication, Endocrine... Vertigo : post-hardcore cauchemardesque

Monarch / Die Tonight : drone sludgecore avec chant féminin ensorcelé à vingt mille lieues sous les mers

Re: [S'échapper des Faubourgs] L'Enfant-charbon

Message Publié : 20 Fév 2014, 01:44
par Fabien @ InMediasRes
Un objet très singulier que ce jeu.

Au delà de son aspect cryptique, le récit qui tient lieu de règles donne également le ton et constitue une inquiétante mise en abîme.

Dans ces jeux où l'on touche à l'intime, le tête à tête me semble le plus approprié.
S'il n'y avais pas eu d'indication dans les règles, j'aurai déduit qu'il se joue uniquement à 2. Le nombre d'éléments et la taille du plateau m'aurait également poussé à ce choix.
Sur les deux comptes rendus (Enfant charbon et la Cellule), le finish se fait visiblement en tête à tête.
La partie optimale ne se jouerait-elle pas à deux ?

Question subsidiaire : j'avais entendu il y a quelques temps une chronique sur un essai intitulé le "Cauchemar Pavillonnaire" où l'auteur décrit les faubourgs comme des lieux idéalisés se transformant en véritable enfer pour ceux qui s'y installent (obsession sécuritaire, isolement social, perte d'individualité). Un rapport avec le présent jeu ? Pourquoi les faubourgs comme zone privilégiée de l'horreur ?

Re: [S'échapper des Faubourgs] L'Enfant-charbon

Message Publié : 20 Fév 2014, 08:55
par Thomas Munier
Merci de ces commentaires, Fabien.

Il semble en effet que le jeu à deux offre une expérience intense. Il me semble en revanche que certains joueurs ne voudront pas le faire dans cette configuration, justement parce qu'en jouant à deux, on joue sans filet. Il est des joueurs qui finalement oseront plus si on est trois ou quatre à la table (du moment qu'on a établi le bon contrat social). Mais au final, comme tu le fais remarquer, le jeu tournant en Battle Royale une fois que tous les objets sont collectés, ça finit forcément avec deux personnes, mais pas forcément en face à face, cela dit.

Je n'ai pas lu le Le Cauchemar Pavillonnaire, mais je vois bien l'idée derrière, tout à fait transposable au contexte de ce jeu, en effet.

Le contexte et le nom des Faubourgs me vient d'un cauchemar que j'ai fait.