Merci Sildoenfein pour cette réaction,
A lire Frédéric, j'ai d'abord, émis l'hypothèse qu'il pointait avant tout le risque, qu'avec des règles uniquement basées sur le fair-play, les joueurs les plus optimisateurs allaient "cracker" le jeu. Risque qui me paraissait trivial, dans le sens où le jeu ne s'adressait pas aux ludistes.
Mais ce que j'ai finalement interprété dans ses remarques, c'est que le jeu manquait de cadre, tout bonnement manquait de lois de la physique, fussent-elle narratives. Or, un cadre, c'est bien ce que demande un joueur simulationniste, coeur de cible de ce jeu.
J'ai dit que ça se passait bien en playtest, c'est peut-être un raccourci malheureux. Dans
La Source, un des personnages mange de la chair crue de Sanglegoule. Je lui expose ensuite que manger une telle chose provoque une métamorphose en Sanglegoule. Plusieurs fois pendant la partie, je lui ai suggéré qu'il pourrait développer un immense appêtit, des crises de rage, un début de métamorphose physique. Jamais le joueur n'a retranscrit mes suggestions, pas même sous une forme atténuée. Certes, à l'époque, je formulais sous forme de questions, du genre "est-ce que tu te transformes ?". Lors des playtests suivants, j'aurais été plus direct, en disant quelque chose du genre : "la chair crue veut contaminer ta propre chair, elle veut qu'elle se transforme en chair de Sanglegoule". Mais mon petit doigt me dit que le joueur n'aurait pas plus saisi la balle au bond. Non pas qu'il n'était pas client de l'intention du jeu ; il s'était inscrit à ma table en lisant ma présentation de partie, et ça annonce bien la couleur. Mais rien ne le poussait à accepter cette métamorphose, et rien ne le récompensait.
Lors d'un playtest suivant (Tunnel Poursuite, CR à venir), mes deux joueuses, vétérans d'Arbre, tout à fait clientes de l'intention de jeu, ont plusieurs fois "laggué" quand elles devaient répondre à mes agressions de MJ. Elles ne savaient pas comment réagir, ne voyaient pas ce qui était "bon" pour le jeu.
L'idée du Goupil, c'est de rapporter une résistance asymétrique (ou quelque chose qui y ressemble) pour redonner un cadre, sanctionner le gameplay dans le sens de donner des punitions et des récompenses.
Mais surtout, il clarifie l'intention du jeu. Qui est d'explorer ce que c'est d'être ces clochards magnifiques, toujours sur le fil entre pulsion de vie et pulsion de mort. J'ai craint à un moment que centrer le propos là-dessus allait pénaliser l'exploration de l'univers. Mais en réalité, sans ces pulsions de vie (des problèmes à résoudre...) et sans ces pulsions de mort (volonté autodestructrice, mais aussi volonté de liberté qui pousse à s'aventurer dans des zones aussi inconnues que dangereuses...), il n'y a pas d'exploration de l'univers. On reste à l'abri dans les villes, dans les communautés.
Sinon, je le reformule, la règle du Goupil n'est pas pour contrer un usage abusif du "Non !". Le "Non !" demeure comme une indispensable protection pour le joueur, pas pour le personnage, pour que le joueur puisse éviter que son personnage se fasse violer alors qu'à son idée, la notion de viol n'est pas soluble dans la notion de jeu, pour que le joueur puisse éviter la mort d'un PNJ si important pour son personnage que sans lui, le jeu s'arrête. Je vais conserver ce "Non !", c'est comme tu le dis, tout à fait un safe word. Je n'exclus pas de le reformuler d'une façon plus élégante, ou de le fusionner avec les couleurs, et aussi donner aux autres, MJ, joueurs, des clés pour que ce "Non !" ne brise pas cette suspension d'incrédulité (et après tout, un appel aux pouvoirs magiques du Goupil pourrait être une bonne solution, une phrase comme "Goupil, empêche ça !" à laquelle le Goupil serait obligé d'obéïr).
J'en profite pour répréciser comment fonctionne la résolution des actions. Quand le MJ agresse un personnage, il annonce sa position (inventaire des forces en présence et de ce qu'elles font pour arriver à leurs fins) et un voeu (une proposition d'impact sur les propriétés du personnage). Quand le joueur répond à cela par un "Non !", il n'est pas difficile pour le MJ de rebondir. "Non !" à la tentative de viol, le violeur n'arrive plus à bander. "Non !" au meurtre de son PNJ fétiche, l'assassin retient sa lame au dernier moment, pour certaines raisons il ajourne son geste. Du moment que le MJ se place toujours dans le registre de la tentative et non de l'exécution, je crois que le joueur a toutes les latitudes pour choisir sa réponse à cette tentative, sans que ça bloque le jeu.
La règle du Goupil est là pour contrer un usage abusif du "Non car" au détriment des formules "Non mais", "oui mais", "oui". Pour contrer un usage abusif de la pulsion de vie, en somme.
(j'ai employé dans ma réponse les termes pulsions de vie et pulsions de mort au lieu de survie et abandon, mais dans le jeu je maintiendrai survie et abandon, ces deux termes étant plus nuancés, chacun porteur de qualités comme de défaut : adaptativité et égoïsme pour la survie, lâcher prise et autodestruction pour l'abandon. C'est si nuancé que je compte écrire 6 qualités et 6 défaut pour chacun de ces deux termes, et je pourrais en écrire davantage si je ne préférais pas laisser le soin aux joueurs de décortiquer eux-même ces notions à l'infini).
Autrement dit, la règle du goupil et les autres règles proposées dans son sujet, je ne les vois pas comme une transformation du système, mais comme un enrichissement. Elles ne viennent pas contredire le guide du joueur mais le clarifier et l'enrichir. Elles me semblent être une clé vers une meilleure compréhension de l'intention de jeu et vers une plus grande profondeur de jeu (le roleplay entre ami et goupil étant par lui même riche en occasions de jeu).
Si le jeu est plus compréhensible, les joueurs tentés par l'intention de jeu s'y épanouiront davantage. Les autres comprendront plus aisément qu'il leur faut passer leur chemin.
J'ai un test de prévu dimanche, il me tarde vraiment de voir ce que ça va changer.