[Inflorenza] La Forêt d'Aokigahara

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[Inflorenza] La Forêt d'Aokigahara

Message par Thomas Munier » 04 Avr 2015, 10:36

LA FORÊT D'AOKIGAHARA

Millevaux dans le Japon contemporain pour une expérience fragile et émouvante.

Jeu : Inflorenza, héros, salauds et martyrs dans l'enfer forestier de Millevaux

Joué le 18/01/2015 avec Melody (Nakamura) et Anna (Miyako)


Image

crédit image : dentarg, licence cc-by-nc, galerie sur flickr.com


Contexte :

La Forêt d'Aokigahara est un théâtre pour Inflorenza assez spécial, puisqu'il ne se passe pas en Europe dans le futur comme la plupart des théâtres de Millevaux, mais au Japon, de nos jours. Il s'agit de montrer que les dangers de Millevaux (Syndrome de l'Oubli, emprise, égrégore, Horlas) sont intemporels et universels. Ce théâtre est en quelque sorte une prémisse de Millevaux, un des premiers frémissements qui annoncent l'avènement de la forêt sur terre.
Ce théâtre est inspiré d'une histoire vraie : la forêt d'Aokigahara, au Japon, est une immense forêt où beaucoup de jeunes femmes et hommes se rendent pour s'y perdre et pour s'y donner la mort. Bien des spéculations existent sur les propriétés de cette forêt et sur cet engouement des jeunes suicidaires pour ce lieu, mais à ce jour le problème n'est pas résolu. Des personnes continuent à se rendre à Aokigahara pour y rendre leur dernier souffle.


Les personnages :

Nakamura a 50 ans. Kyo, son fils étudiant a disparu. La police a lâché l'affaire au bout d'un temps. Nakamura pense qu'il est parti dans la forêt d'Aokigahara, alors il décide de partir là-bas, à sa recherche.
Objectif : se rendre dans la forêt pour retrouver son fils
Symboles : Culpabilité / Espoir

Miyako est une secrétaire/salarywoman de 30 ans
Objectif : partir dans la forêt pour mettre fin à ses jours
Symboles : Identité / Mort


L'histoire :

Miyako est dans sa salle de bains, elle coiffe ses longs cheveux. Soudain, dans le miroir de son lavabo, elle se voit telle qu'elle était il y a plus de dix ans. Cheveux courts, en uniforme de lycéenne. Son reflet semble l'accuser de ne pas lui avoir offert une vie qui en vaut la peine. Miyako a le sentiment qu'elle peut faire quelque chose pour se réconcilier avec ce fantôme du passé si elle arrive à traverser le miroir pour lui parler. Le décor derrière le fantôme change, c'est maintenant une forêt obscure.
La silhouette d'un homme apparaît à l'orée de la forêt, il semble attendre Miyako. Miyako n'arrive pas à traverser le miroir. Le fantôme lui tourne le dos et court vers l'homme. Elle comprend que comme elle n'a pas réussi à lui parler, ce fantôme est devenu malfaisant.

Nakamura est dans sa maison. Il prépare ses bagages. Il veut emporter quelques affaires personnelles de Kyo, notamment son journal intime. Mais il ne le retrouve pas, alors qu'il était posé bien en vue dans la chambre de son fils !
Après avoir fouillé toute la maison, il inspecte le jardin. Derrière un bosquet, il trouve un jouet perdu par Kyo quand il était enfant, et des empreintes de baskets féminines qui continuent dans les pelouses des voisins.
Par politesse, Nakamura ne va pas sur les pelouses de ses voisins, mais il va sonner à leurs portes. On est en journée, en semaine, personne n'ouvre. Mais finalement, une vieille veuve le reçoit. Elle l'invite à prendre le thé, Nakamura se sent obligé d'accepter. Elle a vu la voleuse passer sur sa pelouse, elle était dans sa maison. Elle a même eu le temps de la prendre en photo à travers la baie vitrée. Elle se plaint que ses enfants lui ont acheté un téléphone portable et un ordinateur pour lui parler davantage mais qu'ils ne trouvent pas le temps de le faire pour autant. Elle lui imprime la photo de la voleuse : c'est la jeune Miyako, en uniforme de lycéenne. Elle court avec le journal au bras. Son visage est flou à cause de la vitesse, mais on reconnait bien sa coupe de cheveux.

Miyako va voir son chef de bureau pour présenter sa démission. Son chef est surpris, il essaye de vérifier que tout va bien. Miyako s'étonne de son intérêt, mais remarque aussi qu'il ne se rappelle plus son prénom.

Miyako est rentrée chez elle. Elle se coupe les cheveux devant son miroir. Elle les avait fait pousser pour se faire un chignon, c'était plus correct pour le boulot. Les cheveux tombent dans le lavabo. Elle a maintenant la coupe courte de sa jeunesse. L'espace d'un instant, elle a l'impression que les cheveux se multiplient dans le lavabo. Elle l'ignore, mais c'est peut-être une manifestation de l'emprise.

La femme de Nakamura, d'ordinaire effacée, demande à son mari de partir avec lui. Elle est pourtant dans le déni, elle n'a ni rangé ni nettoyé la chambre de Kyo depuis qu'il est parti (Kyo est étudiant à Tokyo, il rentrait à la maison les week-end et les vacances). Nakamura refuse. Elle s'incline avec violence et insiste : "Nakamura-chan !". Nakamura n'a pas le coeur de refuser à nouveau. Sa femme conclut : "De toute façon, mes valises sont déjà prêtes."

Le bus pour Aokigahara. Nakamura et sa famille sont dans le fond du bus. Nakamura a pris le moins d'affaires possibles, mais quand même une couchette et une lampe-torche, car il sait qu'il dormira à la belle étoile dans la forêt. Sa femme a pris des affaires pour passer quinze jours à l'hôtel. Le bus s'arrête à une station dans la banlieue de Tokyo. Miyako monte, elle a juste un sac à main. Elle n'a pas pris d'affaires pour se suicider (corde, couteau), elle pense se laisser mourir d'inanition une fois dans la forêt. Elle a pris des baskets en prévision de la marche en forêt. Comme elle n’en a plus acheté depuis qu’elle travaille, ce sont des chaussures qui datent du lycée. Nakamura la reconnaît : ça ne fait aucun doute que c’est la fille de la photo. Même coupe de cheveux, mêmes baskets. Mais il se garde bien d’en faire la remarque.

Par politesse, Nakamura et sa femme se sont installés dans le fond du bus, pour laisser les places avant à ceux qui viendraient plus tard. Miyako fait de même, et comme il n’y avait pas eu de passager entre les deux, ils se retrouvent côte à côte.

Le bus roule depuis un petit temps quand il s'arrête en rase campagne pour prendre un passage en rase campagne. C’est un vieil homme. Il a un chapeau en osier et des tongs en bois. Il porte un goban (un plateau de jeu de go) dans un sac de toile en bandoulière.

Il va dans le fond du bus, sort son goban, le pose sur ses genoux, et demande qui veut jouer une partie. Miyako décline, Nakamura accepte.
Quand il joue, il réalise assez vite que les pions du vieil homme, noirs, sont comme la forêt d’Aokigahara. Ils l’encerclent. Nakamura réalise que les pions blancs qu’il pose, sont comme Kyo, perdus, étouffés par la forêt noire.
Nakamura réalise que le vieux utilise le jeu de go pour lire dans ses pensées. S’il perd la partie, le vieux saura tout de son histoire, peut-être même qu’il la divulguera à haute voix, qu’il lui fera perdre la face. Nakamura n’a pas le choix, il doit gagner la partie. Miyako sent qu’il est en difficulté, elle l’aide discrètement en lui montrant ou poser son prochain pion.
Finalement, Nakamura gagne la partie.

Le vieux lui concède sa victoire et en dit alors plus sur lui-même. Il est l'ancien garde forestier et qu'il connait des passages secrets dans la forêt, il guide qui lui en fait la demande. On comprend à demi-mot qu’il rend ce service aux jeunes suicidaires.

La participation de Miyako à la partie de go a brisé la glace. La femme de Nakamura lui demande ce qu'elle est venue faire ici. Elle répond : « Visiter la région. ».

La nuit est tombée. Le bus s’arrête à nouveau. Monte un jeune otaku, avec un appareil photo numérique au cou, avec un gros téléobjectif. Quand il voit Miyako, il la prend aussitôt en photo.
Miyako insiste pour qu'il efface la photo. Nakamura se joint à elle dans cette requête. L’otaku leur montre la photo, dit qu’elle est trop belle, qu’ils pourront en avoir une copie s’ils le veulent. Sur la photo, à cause de la nuit et du flash, Miyako a l’air d’un spectre. Ils insistent davantage et l’otaku appuie sur le bouton « corbeille » à contrecœur.

Enfin, le bus arrivé à l'hotel qui fait face à la forêt d’Aokigahara. Il y a un grand parking, avec beaucoup de places de bus, signe que l’endroit est attractif : la réputation des lieux fait venir les touristes. La forêt est entourée par un grillage, avec un seul portail d’entrée, qui est fermé à cette heure-ci. Parking. Il y a des panneaux en japonais et en anglais, qui disent « La vie est belle, n’allez pas vous perdre dans la forêt. ». L’hotel est un motel, construit après les premières vagues de disparition, et les chambres sont disposées de façon à avoir une vue imprenable sur la forêt.

L’ancien garde forestier sort le premier, il dit qu’on pourra le trouver à sa cabane, non loin d’ici. / Cantine. Les autres passagers se rendent à la cantine du motel, pour prendre un repas. Miyako se place à la même table que Nakamura et sa femme. L’otaku s’incruste aussi. On comprend qu’il est fasciné par le folklore morbide d’Aokigahara, et qu’il est venu prendre « des bons clichés ». Il révèle à Nakamura qu'il était un camarade de Kyo à l’université. Kyo était d’un naturel rêveur, mélancolique. Il disait souvent qu'il était né trop tard. Cette phrase était lourde de sens pour lui. Il était fasciné par cette forêt, c’est par lui que l’otaku en a eu connaissance. Il montre une photo qu’il a prise de Kyo. On voit que c’est un jeune homme, fragile et beau. Sur le cliché, il regarde ailleurs, hors-champ. Il est comme son prénom. Pur.

Un policier en gilet jaune fluo passe dans la cantine. Il distribue à chaque convive un flyer avec des photos de disparus, qu’il recherche. Sur le flyer, il y a la place pour 9 photos, en 3 par 3. Il y a 8 photos plus un emplacement vierge. La huitième photo est celle de Kyo, c’est une copie de la photo jadis prise par l’otaku. Mise dans cette perspective, on a l’impression que Kyo regarde la place vierge, dédiée à une neuvième photo, à la prochaine personne qui va disparaître.

Miyako est rassurée de voir que les disparitions ne sont pas si fréquentes. A cause de l’otaku et du motel, elle avait l’impression que le suicide dans la forêt d’Aokigahara était devenu une mode hystérique, et ça la peinait. Elle veut que ce moment soit rare, privilégié.
Elle avoue à demi-mots à Nakamura la raison de sa venue. Par pudeur ou par respect, Nakamura ne dit rien pour la dissuader, il clot le sujet.

Miyako va trouver sa chambre de motel. Elle croise une femme de ménage, qui s’étonne qu’on lui ait confiée cette chambre. C’était la chambre de Kyo. Elle avoue à Miyako qu’elle est tombée folle amoureuse de Kyo quand elle l’a vue. Mais il lui a dit qu’il en aimait une autre, d’un amour impossible.

Dans la chambre, il y a un autel bouddhiste, disposé de telle façon qu’en priant on se tourne vers la fenêtre, qui donne sur la forêt. Noire, bruissante sous le vent. Comme son nom l’indique, une mer d’arbres. Avec ses vagues, ses houles et ses ressacs.

Dans le tiroir de sa table de nuit, elle découvre un objet. Le journal de Kyo. Elle ne peut s’empêcher de le lire. Elle découvre que Kyo n’avait pas de rancune envers son père, le sentiment de culpabilité de Nakamura n’est pas fondé. Elle lui dira quand elle pourra, mais d’abord elle doit poursuivre sa lecture. Elle découvre, à la dernière page, un portrait au fusain. Ce portrait ressemble beaucoup à Miyako, quand elle était jeune. Il lui ressemblerait même trait pour trait si ce n’était pas impossible.

Miyako passe la nuit à lire le journal.

Pendant ce temps, dans sa chambre de motel, au lit avec sa femme, Nakamura fait des cauchemars.
Avant de s’endormir, il avait allumé posé une bougie sur le rebord de sa fenêtre, comme pour envoyer un signal à Kyo. C’était une bougie qui lui appartenait.

Dans son cauchemar, il voit le spectre malfaisant de la jeune Miyako à sa fenêtre, qui le regarde. Elle s’empare de la bougie et court vers la chambre de Miyako. Nakamura comprend que Miyako est en danger !

Nakamura se réveille, il se rue vers la porte de sa chambre, mais elle est bloquée, comme si le spectre de Miyako l’avait verrouillée de l’extérieur. Le temps qu’il réussisse à ouvrir la porte, et qu’il arrive à la chambre de Miyako, celle-ci a disparu, la porte est grande ouverte.

Dans sa chambre, Miyako lève un temps la tête de sa lecture. Son spectre se tient en face d’elle ! Elle lui dit « Il est temps qu’on en finisse, suis-moi, je t’emmène vers la forêt. Nous allons en finir et tu ne reverras jamais Kyo. ». Miyako essaye de résister, mais le pouvoir du spectre est trop fort. Elles partent toutes deux, en chemise de nuit, pieds nus, elles sortent la nuit et le vent déchaîné. Le spectre la conduit à un trou dans le grillage. Elles passent là pour entrer dans la forêt. La forêt est noire, le spectre court, pour que Miyako n’ait pas le temps de reprendre ses esprits, elle est forcée de la suivre sans réfléchir. On sent quelque chose dans cette forêt, noire. Une présence. Une présence !

Nakamura va réveiller le flic, et lui explique que Miyako a fugué de sa chambre, qu’elle est partie dans la forêt. Le flic a toutes les raisons de le prendre au sérieux, alors il enfile son gilet fluo, prend deux lampes torches, un téléphone satellite et un gilet fluo supplémentaire pour Nakamura, et tout deux ils s’enfonçent dans la forêt par le trou du grillage, suivant les empreintes de pas.

Miyako et le spectre arrivent à une clairière, très calme. Le spectre l’invite à s’assoir à ses côtés contre un arbre. Miyako ne veut pas en finir comme ça, ce n’est pas comme elle l’avait prévu. Mais elle n’a plus la force de résister au spectre, alors elle s’assoit. Ensemble elles tiennent la bougie. Il n’y a plus qu’à attendre. Plus le temps passe, plus la bougie chancèle. Miyako a la bouche de plus en plus sèche. Le spectre sourit et la tient dans ses bras, paisible.

Sur le chemin, le flic et Nakamura font une découverte. Une jeune femme en habits de week-end qui semble léviter sous les arbres. De plus prés, il réalise qu’elle s’est pendue. Elle est déjà en décomposition. C’est une autre des disparues, une lycéenne. Le flic la décroche, il note les coordonnées GPS de l’endroit, et dit qu’il reviendra la chercher demain avec une équipe, pour l’instant la prioriété est pour la personne qu’on peut encore sauver. Nakamura a vaguement conscience que Miyako est dans un endroit où le temps s’écoule beaucoup plus vite qu’ici, et que chaque minute compte, alors il acquiesce et ils repartent tous deux en courant.

Quand ils trouvent enfin Miyako, il s’est déroulé trois heures depuis son départ. Mais elle est dans un état de dénutrition effroyable, comme si elle était restée ici plusieurs jours sans manger. La bougie est morte. Au pied de Miyako, il y a une touffe de cheveux noirs. Tout ce qui reste du spectre.

Le lendemain matin, alors que sa femme dort encore, Nakamura se rend au chevet de Miyako. Voyant qu’elle est sur pied, il lui dit qu’il va voir le Garde Forestier pour qu’il le conduise à Kyo. Il insiste pour qu’elle soit présente à ses côtés. Il n’a pas prévenu sa femme car il pense qu’elle n’est pas prête à accepter la vérité, quelle qu’elle soit.

Quand ils se présentent à l’ancien Garde Forestier, celui-ci les attendait. Il a pris son bâton de marche, des bouteilles d’eau et des beignets. Ils entrent ensemble dans la forêt par la porte autorisée, mais bientôt ils s’enfoncent dans des sentiers que seul le vieux connaît. On comprend qu’il a servi de guide pour Kyo.

Sur le chemin, Miyako trouve un sac à dos abandonné, rongé par les intempéries. Elle l’ouvre et comprend que c’est le sac de la lycéenne que Nakamura et le flic ont trouvée la veille. Elle savait que les suicidés de la forêt abandonnaient des objets sur leur chemin, elle en a la confirmation. A l’intérieur, il y a des objets personnels, à l’abri dans des sacs plastiques. Des figurines kawaii et un agenda. Tout en marchant, Miyako parcourt l’agenda. Elle y trouve beaucoup de photos collées, on y voit la lycéenne prendre la pose avec ses amis. Elles sont toutes jolies et souriantes et superficielles. Puis il y a des photos d’un garçon, on comprend qu’il obsède la lycéenne. Puis une photo volée de ce garçon, qui embrasse une autre lycéenne, une de ses meilleures amies, celle qu’on voit la plus souvent à ses côtés dans les plus anciennes photos, en selfie. C’est là toute l’histoire qui a conduit cette jeune femme dans cette forêt. Un chagrin d’amour, une amitié trahie. Miyako s’offusque d’un motif aussi trivial pour un acte aussi grave. En ce qui la concerne, elle pense avoir de plus hautes motivations.

La marche dure huit heures. Ils franchissent un antique torii en bois recouvert de mousse. Ils comprennent alors qu’ils ne sont plus tout à fait dans le même monde.
La forêt est apaisée. Il n’y a pas de vent.

Ils arrivent à une clairière. Il y a de la lumière. « C’est lui qui a choisi cet endroit », dit le Garde Forestier. Il écarte les plantes d’un bosquet, et révèle une tombe cachée là, une tombe rudimentaire, seulement quelques pierres et un autel.

Il n’y a pas de nom sur la tombe, mais une photo. Une photo de Kyo au milieu de ses parents.

Miyako craque et raconte son histoire, celle du spectre. Mais le Garde Forestier remet en cause son existence. Personne ne les a jamais vues toutes les deux ensemble. Rien n’interdit de croire que c’est Miyako qui a volé le journal de Kyo chez Nakamura, c’est chronologiquement possible. Dans la forêt, on n’a trouvé qu’un type d’empreinte de pas, les pieds de Miyako. Bref, il soutient qu’elle a tout inventé, et Miyako commence à douter de sa santé mentale. Nakamura n’ose rien dire qui fasse peser la balance d’un côté ou de l’autre. Puis le Garde recule au bord de la clairière. « Si vous voulez passer un peu de temps avec lui, je m’éclipse. »

Miyako et Nakamura se recueillent un long moment. L’émotion est palpable.
Puis ils se relèvent. Le Garde Forestier fait mine de faire demi-tour, et Nakamura lui emboîte le pas. Au seuil de la clairière, il se retourne. Miyako est restée debout près de la tombe.

Il lui demande : « Vous venez ? ».

Miyako ne répond pas.

Son visage. Son visage. Son visage.


Playlist :

Jack or Jive / Absurdity (ambient ritualiste japonais)

Tangerine Dream / Rubycon (ambient à la fois cotonneux et massif)
Radiohead / Amnesiac (la tristesse faite musique)
Boris / At last feedbacker (drone lumineux, tout de larsens tendu)
Envy / Insomniac Dose (screamo hardcore évanescent)


Règles utilisées :

Nous avons utilisé Inflorenza a Capella en mode Carte Blanche, exactement comme dans le précédent test, Eteindre le Soleil. De même, nous avons joué sans dé, en faisant les tirages à la voix. Nous avons joué environ trois heures, sur les canapés puisque nous n'avions pas besoin d'écrire ou de lancer des dés. Le jeu continuait même quand une joueuse faisait une pause au balcon, on se parlait à distance. Cette façon de jouer apportait un confort, une fluidité et un feeling inédits pour nous !


Commentaires sur le jeu :

C'est vraiment un de mes meilleurs souvenirs sur Inflorenza, une partie tout en nuances, complètement dans le ton du fantastique japonais, et vraiment riche en émotions. Je serais heureux si je pouvais jouer plus souvent comme ça. Il y a eu une bonne conjonction entre le système, le théâtre, le groupe de jeu, le feeling du moment et mon expérience. Je pense que je prendrai le temps de coucher ce théâtre en détail dans la deuxième édition d'Inflorenza, ça en vaut la peine.

Quand Anna m’a annoncé que l’objectif de Miyako était de se suicider dans la forêt, je lui ai demandé s’il était possible que les évènements fassent changer Miyako d’avis, et Anna a dit que c’était en effet une possibilité. Cette nuance a conféré une grande ouverture à la partie. Ouverture que je n’ai pas voulu entamer, et c’est pour ça que j’ai proposé qu’on finisse en cliffhanger. Au final, on ne sera pas quelle aura été sa décision.

Même avant que Miyako et Nakamura se rencontrent, les deux joueuses pouvaient s'allier dans des griefs communs, grâce à l'égrégore. Cette règle de l’égrégore nous a permis de démarrer avec des scènes solo, qui posent les personnages, et de prendre notre temps pour les rapprocher, et de faire ensuite encore de nombreuses scènes solo, sans craindre que l’autre joueuse ne se sente délaissée.

Quand Miyako veut traverser le miroir pour parler au fantôme, c'est un grief que je lui propose. Elle échoue au dé et prend donc le risque que j'avais défini comme tel : Miyako s'échappe vers un homme dans la forêt, devient la méchante Miyako.

Quand Nakamura veut retrouver le journal intime de Kyo, je propose un grief pour le retrouver. Il échoue au dé et prend donc le risque : il ne le retrouve pas, mais trouve un jouet perdu par Kyo enfant, et des empreintes de baskets féminines qui partent dans les pelouses des voisins.

Quand Nakamura veut interdire à sa femme de partir avec lui, je lui propose un grief. Il échoue au dé et prend donc le risque : Elle part avec lui.

La scène du jeu de go est l’objet d’un grief complexe. C’est moi qui ouvre les hostilités, j’annonce comme risque : « le vieux dit tout haut que Nakamura recherche son fils parti mourir dans la forêt ». Nakamura annonce comme gain : « je perce à jour les intentions du vieux. ». Il choisit comme sacrifice : « Le vieux connaît aussi mes intentions mais se tait ». J’ai apprécié cette façon de trouver un sacrifice, qui est en fait d’accepter une partie du risque. Elegant. Ça va directement aller dans les suggestions de la deuxième édition.
En suggérant le déplacement d’un pion (une déclaration, qui augmente la mise de un), Miyako entre dans le grief comme alliée. Elle propose comme sacrifice : « Le vieux connaît les intentions de Miyako et les dit à haute voix ».
Au final, le duo mise 4 et obtient exactement 4 au dé : une victoire avec sacrifice. C’est à Nakamura de choisir, et il choisit de prendre le sacrifice pour lui. C’est ainsi que le vieux explique son rôle à l’issue de la partie et sous-entend à Nakamura qu’il peut lui être utile pour retrouver son fils.

Un des derniers griefs importants, c’est quand le spectre veut entraîner Miyako hors de sa chambre. A ce stade, Miyako n’a pas du tout envie de suivre le spectre, et Nakamura s’allie avec elle pour contrer ce fantôme malfaisant. Mais le jet dé échoue, et le risque se réalise, tel que je l’avais formulé : « Le spectre entraîne Miyako dans forêt ET elle ne reverra jamais Kyo. ». J’ai pris beaucoup de risques en fermant ainsi une option à jamais. Je ne conseillerais pas de proposer souvent ce genre de risque. Miyako aurait-elle eu le droit de jouer un nouveau grief pour retrouver Kyo ? Je ne sais pas. Je ne sais pas si c’est bien de poser en risque des choses qu’on ne peut pas réparer au court d’un grief suivant. Est-ce que je dois écrire dans les règles que oui, on pourra jouer plus tard un grief pour retrouver Kyo mais qu’on ne pourra pas le retrouver en narratif pur ? Ou est-ce que j’écris que ce qui arrive par un risque est irréparable, irréversible ? La première option ouvre le jeu mais abîme la sensation d’adversité. La deuxième renforce le jeu en posant une adversité nette mais propose une causalité étrange, trop surnaturelle. Je pense me ranger vers la première option, car sommes toutes, Anna, la joueuse de Miyako, avait intégré qu’elle ne reverrait pas Kyo, pas vivant en tout cas, et c’est ce qui est arrivé, à aucun moment plus tard Anna n’a fait de tentative pour qu’il en soit autrement. La chose avait été dite, que ça a été dit était suffisamment fort. Que j’ai renforcé les choses par de la règle, en précisant qu’on ne pourrait pas casser cet état de fait en demandant un nouveau grief, ça aurait pourri l’ambiance. Une troisième option se dessine, qui est de dire : « on ne formule comme risque que des conséquences très directes de l’échec. ». Mais là encore, adjoindre ce commentaire « ET tu ne reverras jamais Kyo » était d’une grande force. Je dois revoir avec Anna ce qu’elle a éprouvé à ce moment-là.


En revanche, Anna va remettre en question l'énoncé de ce risque par une autre façon. Quand le spectre l'invite à s'asseoir et à attendre la mort, Anna ne veut pas que ça se passe comme ça, elle en a assez de suivre le spectre et veut reprendre le contrôle. On réfléchit ensemble sur comment j'ai énoncé le risque, et j'admets avoir dit "Miyako part avec le spectre mourir dans la forêt", en supposant qu'une fois arrivé dans la forêt, la question de la mort effective peut être l'objet d'un autre grief. Encore une fois, on propose à un personnage séparé d'apporter son aide, bien que les personnages soient ici non seulement séparés physiquement, mais aussi dans des dimensions différentes : Miyako et le spectre sont dans une dimension où le temps s'écoule beaucoup plus vite : on peut y mourir d'inanition en quelques heures. Je l'ai fait pour préserver l'esthétique du suicide proposée par Anna, mais aussi pour mettre la pression à Nakamura : bien que Miyako ait choisi un suicide lent, le temps leur est compté. Il faut vraiment que je systématise ça dans les conseils, cette idée de favoriser à la fois la séparation des personnages dans des espaces très différents (réalité / rêve, dimensions différentes, passé / présent...) et leur interaction lors de griefs. C'est l'effet de surnaturel le plus élégant que je puisse produire dans une séance d'Inflorenza.


Les joueuses ont remporté quelques revers et fiertés au cours des griefs, mais surtout je leur en ai accordé à chaque fois que je voulais faire un point. Pour décrire leurs fiertés et leurs revers, elles ont fait selon les règles, c'est-à-dire qu’elles choisissaient un de leur symboles et y associaient un fait (Symboles : Culpabilité / Espoir pour Nakamura, Identité / Mort pour Miyako). Ces fiertés et des revers étaient souvent de simples déclarations sur leurs sentiments à ce moment-là, ça a donné un côté « Confessionnal », mais jamais forcé, et cela permettait de cerner de mieux en mieux la psychologie des personnages, et leur évolution.

Moi aussi, je me suis beaucoup reposé sur ces symboles pour ma narration, j’espère que ça se sent dans ce compte-rendu.

Enfin, on suppose dans la séance que les disparitions ne sont pas très fréquentes. Ceci dit, Wikipedia avance le chiffre de 108 pendaisons en 2004.

On rapporte également que le site est le siège de perturbations magnifiques qui explique que les gens s'y perdent. Je ne l'ai pas exploité en jouant, mais c'est bien sûr une supposition intéressante, qui pourrait être fertile en jeu.
Énergie créative. Univers artisanaux.
http://outsider.rolepod.net/
Thomas Munier
 
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