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[S'échapper des Faubourgs] Des Murs et des Briques

Message Publié : 14 Juil 2015, 11:57
par Thomas Munier
DES MURS ET DES BRIQUES

La rencontre de trois souffrances au cœur d'un plat pays de neige et de cendre.

Le Jeu : S'échapper des Faubourgs, cauchemar de poche dans une banlieue hallucinée

Joué le 03/07/15 et le 04/07/15 sur google hangout

Personnages : Sac, Ivanova, Neil


Partie enregistrée en deux sessions : ici et ici.

Image

Crédits image : Travis Gray & State Library Victoria Collections & Tom.Blackie, licence cc-by-nc, galeries sur flickr.com


L'histoire :

Sac le sans-abri se réveille dans un quartier de maisons de briques en ruines. Il tombe de la neige et de la cendre. Braseros. Des ombres rôdent. Sac est un ado, il est en loques, il est paumé, mais il est libre.
Il retrouve Ivanova, une grande femme avec les cheveux lâchés sur les épaules, des traits durs, à couper au couteau, des yeux perçants comme des pics à glace. Elle porte un long manteau et une toque russe, de loin on pourrait croire à de la fourrure, mais en réalité c'est une nuée de vers noirs.
Sac l'a un jour sauvé d'une agression qui aurait pu très mal finir pour elle, depuis Ivanova lui offre beaucoup d'argent, des gros chèques, que Sac n'a encore jamais encaissés. Elle lui a offert aussi ses faveurs, mais Sac n'a accepté qu'à contrecœur, comme pour rendre service parce qu'il ressentait le besoin de ne pas cracher sur une main tendue. Il ne sait pas non plus qu'Ivanova trompe avec lui l'ennui qu'elle vit auprès de son riche mari.

Un hôtel de maître, dans un quartier jadis cossu, mais les grandes maisons de brique ont perdu de leur splendeur. La clientèle huppée à fui ces hôtels et désormais ils servent pour abriter des pratiques horribles. Le concierge qui tient cet endroit, est un petit homme résigné, il sait toutes les choses immondes qui ont été commises dans cet hôtel, et pour cause il est hanté par un monstre, l'Araignée, une créature dont les pattes se prolongent dans les couloirs et dans les chambres, et qui pour lancer ses maléfices a besoin d'un focus, et ce focus, c'est le concierge qu'elle tourmente en lui envoyant les pires images de ce qui se passe dans l'hôtel.

Cet hôtel, Ivanova ne veut pas y retourner pour rien au monde.

Une troisième personne les rejoint dans le quartier enneigé. C'est Neil, le grand-frère de Sac. Il a un travail honorable, un beau costume noir et blanc. Son visage est beau mais neutre, hormis ses yeux qui expriment une grande tension intérieure. Il n'est pas dans la misère comme son frère, d'ailleurs il voudrait l'en sortir, mais Sac s'y refuse, il préfère la liberté. "La liberté de mourir !", s'exclame Neil. Ivanova lui fait remarquer que sur le papier, Sac est riche, puisqu'elle lui a fait des chèques. "Encaisse-les et nous pourrons sortir tous les deux des Faubourgs !", fait Neil. Il faut dire que Neil a aussi un problème. Il est accro aux jeux du casino, et il a perdu beaucoup d'argent. Le casino appartient à la mafia russe et la mafia le recherche pour le faire payer ce qu'il doit. Et le parrain de la mafia, c'est Igor, le mari d'Ivanova.
D'ailleurs, Neil et Ivanova se connaissent de vue, pour s'être déjà croisés au casino. A chaque fois, Neil lui a adressé des regards ardents. Il n'a jamais exprimé les sentiments qu'il avait pour elle, mais ses yeux ont tout dit.

La mafia russe a son siège dans une cathédrale. C'était l'ancienne perle de la ville, avec son beffroi et son carillon et toutes ses cloches qui sonnent le tocsin, et ses flèches et ses mats et ses dentelles de pierre, et son horloge astronomique, et son ballet d'automates à chaque fois que sonnait l'heure. Mais l'édifice est couvert de coulées de cendre et de boue, il y a des quais et des dockers et des containers tout contre, la moisissure ronge tout. Dans le beffroi, c'est le siège de la mafia, là où le parrain établit ses plans de domination. L'intérieur de la cathédrale a été reconverti en sauna, où des hommes de la mafia, tatoués des pieds à la tête, prennent de longs bains, entièrement nus. Il y a des filets de sang dans les rigoles qui coulent entre les bassins, et on entend le cri des personnes qu'on torture, dans quelque loge secrète de la cathédrale.

Ivanova propose qu'on aille au restaurant pour détendre l'atmosphère. Sac ouvre la marche, à travers des tranchées et des rues interdites, enneigées, mal fréquentées. Leurs propres ombres les poursuivent. Neil a peur, il ne suit pas, et finalement Sac arrive tout seul au restaurant, qui est en fait le restaurant de l'hôtel de maître où des serveurs compassés servent des bouchées à la reine dont on ne décrira pas le contenu. Les pattes de l'araignée tentent de s'accrocher à lui, et Sac sort alors un bilboquet, que Neil lui avait fabriqué de ses mains quant ils étaient enfants. Et ce dernier fragment d'innocence tue l'araignée. Avant de quitter cet hôtel, il héberge un rat qui avait élu domicile à l'intérieur d'une grosse pomme qu'il avait mangée.
Mais quand il veut sortir de l'hôtel, la carapace de l'araignée morte enfle et obstrue les orifices de la maison de maître, et un liquide chitineux coule et soude portes et fenêtres. Sac est coincé à l'intérieur !

Ivanova et Neil discutent. Pour Ivanova, Sac est le seul qui mérite d'être sauvé dans cette ville. On sent que Neil est jaloux, mais qu'il aime son frère et tient à le protéger. Il dit à Ivanova qu'il a un aveu à lui faire, mais qu'elle ne le verra plus de la même façon ensuite. Ivanova lui répond d'une façon que Neil interprète comme un "d'accord" assorti d'aucune marque d'intérêt. Pour elle, Neil n'est qu'une victime de plus comme elle en a vu défiler tant autour de la mafia, elle n'éprouve pour lui qu'un mélange de mépris et de compassion, pas de l'intérêt. Et Ivanova semble être satisfaite de la vie qu'elle mène. Elle dit qu'elle peut s'offrir tout ce qu'elle veut grâce à son ennuyeux mari. Alors Neil fait : "Finalement, je vous le dirai plus tard, vous avez la tête trop froide pour l'entendre pour le moment. Je vous le dirai quand vous serez en panique."

Le parrain de la mafia est assis dans un bain turc, avec ses hommes de main. Il plonge la tête d'une de ses victimes sous l'eau, puis la ressort un instant pour lui dire : "Je te sortirai la tête de l'eau quand ma femme sera rentrée...". Et il lui replonge la tête sous l'eau. Bulles.

L'usine de bonbons, encore une ancienne attraction de la ville qui a fermé ses portes. On sent toujours l'odeur de chocolat. C'était la plus grande usine de bonbons de la région, mais c'était aussi le repaire d'un médecin fou, qui capturait les enfants et revendait leurs organes au parrain de la mafia, pour lui offrir la jeunesse éternelle. Il a fait mille expériences et tortures sur les enfants. Maintenant, l'usine est remplie d'enfants-zombies, et à leur tête il y a Petrochka, la fille d'Ivanova. Bien sûr, ce n'est plus qu'une coquille vide, un mort-vivant doté de pouvoirs atroces. Avant, c'était la fille adorée d'Ivanova. C'était sa seule raison de vivre, sa seule façon d'oublier tout ce qu'elle avait enduré des années dans l'hôtel de maître, pour en arriver là. Quand Ivanova a demandé au Parrain de faire quelque chose pour qu'elle retrouve Petrochka, il l'a insultée, il l'a battue comme plâtre : "Sale petite ingrate ! Je te donne tout ce dont une femme peut rêver et tu t'inquiète pour cette bâtarde que tu as eue en allant coucher ailleurs ! Tu la reverras jamais !"

Sa décision est prise. Elle se rend à la cathédrale de la mafia. Elle va dans les loges secrètes, là où les hommes de main entreposent les filles qu'ils ont capturées et qu'ils gardent comme esclaves sexuels. Les vers noirs partent de son manteau et vont tuer et asphyxier les hommes de main un par un. Elle trouve son mari dans une des caves secrètes de la cathédrale. Il est nu, le sexe en érection, il cravache une pauvre fille, son truc c'est la torture. Elle achève son mari avec ses derniers vers, et elle lui vole son carnet noir, le carnet qui mentionne toutes les activités, toutes les rançons, toutes les tortures, toutes les victimes, tous les comptes secrets de la mafia, toutes les dettes, le carnet qui porte aussi le nom de Neil, de la dette sur son nom dont il mourra s'il ne s'en acquitte pas.

Et comme elle voit que ça ne lui rend pas sa fille, elle s'effondre en larmes, et chacune de ses larmes devient un nouvel asticot noir...

Neil la retrouve à la cathédrale, il s'est inquiété pour sa sécurité. Si elle est s'en très bien sortie sans lui, elle est maintenant effondrée. Elle n'a plus son manteau, elle est dans une robe de haute couture, un robe à strass un peu vulgaire, une tenue de nouveau riche. Il l'entraîne dans le beffroi, sous le carillon, pour se protéger tous les deux de la menace des containers qui gronde. Ils sont serrés l'un contre l'autre, et il lui avoue son secret. Sac et lui sont des orphelins, ils ont passé leur enfance dans la misère, de familles d'accueil en assistantes sociales. Il s'est juré de sortir de la pauvreté, la pauvreté c'est sa plus grande peur. Il a voulu toucher un gros salaire, alors il s'est inscrit dans la plus chère des écoles de commerce, et pour la payer, il a dû vendre son corps aux souteneurs de l'hôtel de maître. Cela lui a permis d'avoir ce travail si bien payé. Mais s'il gagnait assez pour survivre, il ne gagnait pas assez pour s'enfuir d'ici avec Neil. Alors il a joué aux jeux du casino. La suite, on la connaît.

La carapace de l'hôtel s'effondre sous son propre poids, le liquide noir s'écoule et devient poudre : Sac est maintenant libre.

Une grand magasin construit dans une ancienne halle art nouveau, avec d'immenses piliers et vitraux en fer forgé, des verrières maintenant dégueulasses, et des files de costumes masculins noirs et blancs, très classe, les costumes qu'achetait Neil pour monter dans l'échelle sociale. Maintenant, le magasin est pourri par un dégât des eaux, les costumes sont moisis et boueux. Devant la halle, un petite baraque à frite ambulante, ça sent la gaufre et la barbe-à-papa, on y vend aussi des frites fricadelle et des churros. Celui qui tient cette roulotte, c'est le bon médecin, qui a dû fuir l'usine de bonbons depuis que ses créatures, les enfants zombies, en ont pris le contrôle. Il a un visage infiniment bon et gentil, il tient une pomme d'amour, dans sa blouse il cache des scalpels et d'autres instruments de mort. Il adore attirer les enfants et les ouvrir comme des pochettes-surprises pour en retirer les organes et mettre d'autres choses à l'intérieur. Le bon médecin inspire la confiance et ça sent vraiment bon, déjà un enfant s'approche par l'odeur alléché...

Aux limites de la ville, parmi la neige et les cendres et les bidonvilles, il y a un grand mur de briques qui empêche les habitants de sortir. En haut du mur, on imagine l'extérieur, qui brille, comme une promesse. Le mur est difficile à trouver, en fait ceux qui veulent sortir errent sans jamais le trouver. En plus le mur est gardé par un homme qui tient une arbalète antique. Il a le pouvoir de tirer sur vous non pas un carreau, mais votre plus grande peur.

L'arbalétrier tire en direction de la cathédrale. Des carreaux de boue et de cendre traversent l'édifice de part en part. Neil est touché, et son beau costume disparaît : il est maintenant vêtu d'une toile de jute en lambeaux. Il court auprès d'Ivanova, il est en panique.

Sac passe à l'action. Il s'enfuit de l'hôtel, alors qu'en face, les enfants-zombies sont sortis de l'usine de bonbons pour envahir la ville. Il croise Petrochka, qui fuit les enfants-zombies qui la prennent pour leur reine. Le bon médecin a fait des expériences sur elle, elle est dopée aux hormones et la pauvre enfant a maintenant le corps d'une nageuse est-allemande. Sac renverse un brasero et met le feu dans les ruines où elle s'est réfugiée. Il recueille son dernier souffle : un feu-follet.

Neil et Ivanova sont réfugiés sous le carillon, au milieu des rails et des automates poussiéreux qui ne voient plus la lumière du jour. Ils constatent de loin que Sac est proche du but ; il ne lui reste plus qu'à se rendre à l'échappatoire, tuer l'arbalète, et faire le rituel, alors il sera libre. Ils débattent sur qui devrait l'accompagner, faire le deuxième rituel. Ivanova avoue son amour pour Sac, il est le seul qui peut être sauvé, le seul auprès de qui elle pourrait vivre heureuse. Neil dit qu'il a tout sacrifié pour offrir une meilleure vie pour lui et son frère. Ivanova lui dit : "Regarde ta chance si tu restes ici, regarde ce que je t'ai offert. La place du parrain est libre, et si quelqu'un ici a la force et la volonté de prendre cette place, c'est bien toi." Neil répond : "Ne dis pas n'importe quoi. Tu sais bien ce qui va se passer quand Sac et toi serons partis". Mais quand même il se défait de sa toile de jute, qu'il déteste, pour revêtir un des costumes du Pakhân, du parrain. Le costume est trop ample pour lui.

Il continue à pleuvoir neige et cendre. La cendre provient de la fumée des cheminées de crémation où l'on brûle les morts des faubourgs, morts de plus en plus nombreux suite à une épidémie.
Et résonne encore à travers la ville ce bruit métallique, ce bruit de métal vivant.

A travers la pluie de neige et de cendres funèbres. Ivanova court rejoindre Sac dans le quartier enneigé. "Mon amour, partons ensemble, je ne peux pas vivre sans toi."

Neil libère les esclaves et les victimes enfermés dans les caves de la cathédrale. Tous, à moitiés nus, meurtris, mutilés de corps ou d'esprit, lui demandent ce qu'ils peuvent faire pour montrer leur reconnaissance. Neil, jaloux, dit : "Empêchez Sac d'atteindre l'arbalétrier, il n'est pas de taille à lutter, faites ça pour le protéger de lui-même.". Et tout ce peuple pantelant, ce peuple d'esclaves, se rend à l'échappatoire et construit un nouveau mur avec des briques et du sang pour condamner l'accès par le quartier enneigé.

Neil rejoint Ivanova et Sac. Neil tente à nouveau de plaider sa cause auprès de Sac, mais Sac prétend que Neil ne pense qu'à lui, il annonce son amour pour Ivanova. Ivanova répète à nouveau que Neil saura sans tirer en restant dans les faubourgs. Alors Neil finit par accepter. Il tourne les talons, il tourne le dos à Sac pour lui rendre la décision plus facile.
Il fait un détour en cachette, il passe par des souterrains, et longe un canal sous le ciel gris, on sent une puissante odeur de gaufres qui monte de l'usine à bonbons, mêlée à l'odeur de la crémation car c'est à l'usine de bonbons qu'on brûle les morts. Il va voir le peuple esclave, et leur dit de briser le mur pour laisser passer Sac. Une femme nue, celle que torturait le parrain avant de mourir, soulève une masse aussi lourde qu'elle, et l'abat contre le mur, et l'éclate, brique après brique, après brique, après brique !

Alors l'arbalète tire sur le peuple esclave, et tous ceux qui sont touchés s'élèvent vers le ciel gris, comme au jour du ravissement, il s'élèvent et deviennent légers et fins comme du papier brûlé, s'élèvent, s'élèvent et disparaissent.

Puis Neil se dirige vers le quartier de la Mort, quartier en tout point à celui du mur, là aussi c'est bloqué, et là aussi derrière le mur on croit voir comme une lueur d'espoir.

Alors Sac passe le premier mur, il rencontre enfin l'arbalétrier. Il n'a pas un aspect terrifiant du tout, sauf pour Sac. Installé sur les remparts, c'est un vieil homme assis dans un fauteuil confortable, dans un peignoir de soie, qui fume sa pipe tranquillement. Sac le soulève de son fauteuil et le jette par-dessus le mur. Flaque de sang.

Le moment est venu. Il prend le rat avec douceur, coince sa tête dans sa bouche et serre jusqu'à ce que le rat étouffe. Il allume la pipe avec le feu-follet, puis éteint le feu-follet. Il s'installe sur le fauteuil et fume le tabac. Et disparaît.

Pendant ce temps à la cathédrale, dans le bain turc, un crâne chauve émerge de l'eau. C'est le parrain. Car dans les faubourgs, les salauds ne meurent jamais.

Ivanova va partir, mais avant elle a plusieurs choses à faire. Une gigantesque ombre s'élève, c'est le médecin, son visage est tordu par un sourire dément. Ivanova lance une brique de toutes ses forces, et la brique devient un missile, devient du magma, et s'envole à une hauteur prodigieuse, et fait éclater l'ombre, qui retombe en pluie de papier brûlé. C'est en fini du médecin qui a tué sa Rochka bien-aimée. Elle enlève sa robe de strass maculée de neige et de cendre et s'empare de la blouse du médecin, dont elle fait une robe d'infirmière, immaculée.

Puis il demande à Neil de le suivre, il lui prend la main et ensemble ils vont devant la Cathédrale, et avec des briques ils condamnent l'endroit, chaque brique qu'ils posent se multiplient jusqu'à ce que chaque vitrail, chaque container, chaque beffroi.

Ils reviennent au quartier enneigé. Neil prend ses mains dans ses mains, approche son visage du sien. Il la fixe avec ce même regard ardent qu'il avait au casino. "Tu sais bien ce qu'il adviendra de moi quand tu partiras.". "Oui, j'ai confiance, ça va bien se passer pour toi." Alors Ivanova lui accorde un unique baiser, un passionné baiser d'adieu, et elle s'en va vers le mur.

Elle regarde le plan, et constate que Sac a tenu parole. Il a écrit "tenue d'infirmière". Elle se débarrasse du carnet noir, et tous les noms mentionnés dessus partent en paix. Puis avec sa tenue d'infirmière, elle part s'occuper des derniers survivants du peuple esclave, elle soigne chacun d'eux jusqu'à ce que sa robe soit couverte de sang. Et à son tour, s'échappe des faubourgs.


Les retours des joueurs :

Le joueur de Sac :

+ J'ai beaucoup apprécié.

+ Ce que je recherche, c'est explorer une émotion.

+ Le jeu nous poussait à accepter ce qui était dit, et le réutiliser.

+ Le jeu est freeform sous pas mal d'aspects et ça laisse la place pour la narration.

+ Il est basé sur l'écoute, le recyclage, l'attention.

+ On aurait pu jouer très tactique, mais j'ai le sentiment que le jeu privilégie l'histoire. On basculait en permanence entre le jeu dans le personnage et le jeu en surplomb.

+ C'est le genre d'expérience que j'aimerais reproduire, mais ce n'est pas à mettre entre toutes les mains.

Le joueur d'Ivanova :

+ J'ai adoré le symbolisme des faubourgs, des 6 quartiers, l'obligation de décrire des choses cauchemardesques, et liées à la première personne, tout ça est pertinent par rapport à l'intention narrative du jeu. Un bon vide créatif.

+ J'ai trouvé que le système des actions (interdiction de se reposer pour la première action + nécessité de se reposer pour refaire la même action) apportait un formalisme castrateur. Cela semblait fertile pour une expérience forte pour une première partie, mais ça nuit à la rejouabilité, il faudrait assouplir ces règles pour pouvoir rejouer avec plaisir.

+ Pourquoi pas, au lieu de se reposer, proposer une économie de type "coup de main / coup de pute" ?

+ Et si on rendait obligatoire de décrire sa personne dès la première action de son premier tour [Note de Thomas : j'ai répondu que certains joueurs pouvaient ressentir le besoin de d'abord décrire des quartiers et des monstres, pour prendre la température].

+ Il faudrait annoncer dès le début qu'une règle secrète est révélée quand on décrit le quartier de la mort [Je crois que c'est le cas dans le bouquin en fait, mais en effet je ne l'ai pas annoncé au départ, et ça aurait apporté un peu plus de tension.]

+ Et si on donnait la possibilité de voler une clé à une personne plutôt que de la tuer pour lui prendre ? [j'ai répondu que cette possibilité affaiblirait la tension. Avec le recul, je pense en revanche qu'on pourrait laisser la possibilité aux personnes de donner leur clé à une autre personne, en narratif pur, sans inventer une nouvelle action sur la rose des vents pour ça].

+ J'ai apprécié que tu demande à ce qu'on décrive les clés comme des objets tangibles [la seule fois dans cette partie où j'ai repris un joueur sur la narration, c'est quand le joueur de Sac a commencé par décrire la clé de Rochka comme une sorte de boule bleue lumineuse, un objet abstrait.]

+ Pour autant, j'ai apprécie qu'on ne me bride pas dans ma narration. [la règle du jeu ne bride jamais la narration, tout au plus un joueur peut demander à ce qu'on rajoute des détails, mais sur d'autres parties, j'interdisais aux joueurs de conférer des pouvoirs surnaturels à leurs personnages. J'ai bien fait de lâcher la bride sur cette partie, car le joueur d'Ivanova n'aurait pas pu explorer son concept de personnage sans cette possibilité d'avoir des pouvoirs surnaturels. De surcroît, ça lui paraissait raccord avec l'impératif cauchemardesque du jeu. En fait, cette partie m'a fait évoluer sur la notion de surenchère narrative. D'ordinaire, je considère ça comme un problème, mais je vois bien que sur ce genre de partie, c'était fertile, ça permettait aux joueurs de développer complètement un langage symbolique, et d'investir beaucoup d'eux-mêmes dans leur personnage, ça n'était pas du tout un artifice pour échapper à l'horreur ou un délire d'immersion égoïste, il y avait aussi du "donner à voir" et beaucoup d'écoute quand c'était le tour d'un autre.]

+ Il faudrait écrire en rouge sur les pions du plateau, plutôt qu'en noir. Ce serait plus visible, et esthétiquement ça matche rouge, noir, blanc, ça matche bien [pour jouer en ligne, j'ai utilisé la fonction "partager l'écran" de google hangout et j'affichais mon plan des faubourgs sous gimp (logiciel libre de retouche d'images), que je modifiais à chaque action des joueurs.]


Mes remarques :

+ Les joueurs se sont installés dans des descriptions très longues. J'ai été tenté de leur dire qu'ils pouvaient faire plus court, j'ai amené la question du chrono. Il était évident qu'on ne finirait pas en une soirée. Mais les joueurs m'ont fait comprendre que ce temps long leur convenait et qu'on pouvait faire la partie en deux séances. Alors j'ai accepté et je me suis prêté au jeu des descriptions longues, et ça a donné un très bon résultat, parce que comme on avait discuté du rythme, on était sur la même longueur d'onde, et on a pu prendre le temps qu'il fallait pour développer un langage symbolique et donner beaucoup d'épaisseur à nos personnages au fur et à mesure.

+ Autre aspect atypique de la partie : deux personnes se sont échappées des faubourgs avant qu'on ait la possibilité de s'entretuer. C'était appréciable de voir ce dénouement inédit.

+ Je l'ai pas verbalisé, mais comme l'un des joueurs était belge, et comme le joueur de Sac a ouvert la narration en évoquant des maisons de briques, j'ai tout de suite imaginé que ça se passait dans une ville du nord, et dans ma narration, j'ai essayé de développer ça, de donner un cachet particulier, entre les chansons de Brel, le film Bienvenue chez les Ch'tis et les BD Les Cités Obscures, avec aussi pas mal du Londres des Promesses de l'Ombre et de Pink Floyd, et du Rotterdam de Léo Ferré.

+ J'ai demandé à la fin aux joueurs s'ils avaient bien compris que la personne qui restait aux faubourgs était condamnée à mourir. Le joueur de Sac ne l'avait pas compris, mais quelque part, c'était raccord avec l'innocence de Sac, le joueur d'Ivanova l'avait très bien compris, et ça rendait d'autant plus subtil son roleplay de manipulation/déni autour d'un hypothétique avenir dans les faubourgs pour Neil.

+ Par rapport au formalisme des actions, je tiens à rappeler que sur une thématique proche, Dragonfly Motel est beaucoup moins cadré, et permet donc d'explorer des scènes oniriques en gardant la bride sur le cou.