[Dragonfly Motel] Les Coursives

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[Dragonfly Motel] Les Coursives

Message par Thomas Munier » 26 Juil 2015, 11:00

LES COURSIVES

Chercher les leçons d'une partie en demi-teinte

Jeu : Dragonfly Motel, quêtes surréalistes pour voyageurs imprudents

Joué le 17/07/15 en ligne, via google hangout
Personnages : La femme fatale, le clandestin, le musicien

Partie enregistrée sur ma chaîne Youtube.

Image

Image extraite de film Journal d'une femme de chambre

Crédit extrait : Père Ubu, licence cc-by-nc, galerie sur flickr.com


L'histoire :

L'Orient-Express, somptueux train baigné de vapeur, s'arrête devant le Motel Dragonfly, un hôtel à l'ancienne, immense et luxueux. Colonnes, moulures et lustres flamboyant. Dizaines de grooms et d'employés en costume, compassés. Débarque une femme à la beauté fatale. Cheveux noirs ou roux selon l'éclairage, longs cils, lèvres rouges. Elle entre dans l'hôtel, elle cherche un homme riche. Chacun et chacune se retourne sur son passage.

La femme fatale au lit avec un homme riche dans un des pensionnaires les plus riches de l'hôtel. Elle demande du vin, pour oublier la nuit. Chardonnay.

La femme fatale encore, un autre lit, un autre homme, des billets de banque partout, comme une piscine. Elle raconte l'effet qu'elle fait aux hommes, leurs pleurs, tout ce qu'ils lui offrent, leur cœur, leur dignité, leur argent, leur vie.

La femme fatale à nouveau, une autre chambre, un autre homme qui pleure, elle qui s'en va avec une valise pleine d'argent, l'argent de l'homme.

Les coursives de l'hôtel, tous ces endroits renfermés qui sont cachés à la vue des pensionnaires. La femme fatale est perdue, elle cherche à retourner dans l'hôtel, personne ne semble pouvoir lui indiquer une issue. Elle parle à une femme de chambre. Elle trouve que la femme de chambre à des ongles fins, qu'elle est belle, qu'elle pourrait obtenir tout ce qu'elle veut si elle fardait son regard, si elle mettait du rouge à lèvres, qu'elle ne serait pas obligé de trimer dans la saleté des draps des riches. La femme aux ongles fins ne répond pas.

Les coursives, toujours plus lointaines. Corridors étroits encombrés d'employés mutiques et de chariots de linge sale. La femme fatale croise un petit homme trapu. Il a une moustache et un attaché case. Il cherche le bureau de douane, il n'a plus de papiers. La femme fatale lui propose qu'ils cherchent ensemble une sortie vers l'hôtel, ensuite il devrait pouvoir trouver le bureau des douanes.

Ils cherchent encore, en vain. L'homme moustachu à l'attaché-case prend un autre chemin et disparaît.

Elle revient face à la femme aux ongles fins. Une porte s'ouvre, c'est un client qui veut qu'on vide sa chambre. Un homme aux habits de miséreux, il n'a pas bonne allure du tout, mais il affecte d'être riche. Il explique que c'est un grand musicien, un grand chanteur, très connu. La femme fatale lui demande s'il est riche, il lui répond non. Elle lui explique que c'est très facile d'être riche, il suffit de n'avoir aucune pitié.

Ils sont tous les deux dans une maison très pauvre. La femme fatale fouille les placards, à la recherche d'argent ou de vin, sans trouver ni l'un ni l'autre. "Vois-tu, ça c'était mon enfance, il n'y avait rien. C'était urgent que je trouve des personnes à exploiter, pour me sortir de là."

Une grande salle de dîner-spectacle dans l'hôtel. Tous ces hommes riches en costume. La femme fatale discute avec l'homme à l'attaché-case. Ils repèrent la femme aux ongles fins cachée par une tenture, qui travaille en cachette des hommes riches, parce que les hommes riches ne veulent voir que des belles choses, ils ne veulent même pas savoir qu'il existe des femmes de chambre.

Ella Fitzgerald est sur scène, elle chante accompagnée d'un big band de jazz. L'ambiance est chaude, le public est surexcité, impatient que cette première partie se termine, parce que tout le monde attend la star.

Arrive alors le musicien, Hercule, sous les feux de la rampe. Il frappe Ella Fitzgerald à la tête, il détruit les instruments des musiciens de jazz. On lui demande de jouer sa musique, il se contente de cacher des choses, de râler, de se soûler au whisky. D'abord, la foule le hue, terrorisée.
L'homme le plus riche de la salle, un grand homme au visage de plastique narquois, tape une fois dans ses mains. Alors tout le public reprend ce geste. Tonnerre d'applaudissements.

Les coursives, loin sous la terre. Couloirs sombres, sans papier peint, rugueux, canalisations, sol boueux, fuites d'eau. Hercule et la femme fatale sont perdus. La femme fatale réclame du vin. Hercule sort une bouteille, elle semble de plus en plus trouble, ce n'est finalement que de l'eau croupie. Hercule et la femme fatale boivent et divaguent. L'homme à l'attaché case les rejoints. Il se souvient des aboiement des chiens et des tirs des gardes frontières, de la course pour leur échapper, de sa femme, de ses enfants qui tombent, de toutes les personnes tuées autour de lui.

La femme fatale sombre dans l'ivresse. Le musicien et le clandestin conversent. Le clandestin offre une belle bouteille couverte de poussière, un Tokay. Il explique qu'il est le diable, il fait un pacte avec le musicien.

Le clandestin et sa famille courent dans le fossé, sous les tirs des gardes frontières. La femme fatale court avec eux. L'épouse du clandestin s'effondre, frappée entre les deux yeux. C'est la femme aux ongles fins, c'est la mère de la femme fatale. Elle la recueille dans ses bras.

Les coursives. La femme fatale demande au clandestin pourquoi il n'a pas de regrets. Il dit qu'il ne peut pas en avoir, puisqu'il est le diable. Elle lui demande pourquoi il n'a pas utilisé ses pouvoirs diaboliques pour sauver la femme aux ongles fins. Il dit qu'il n'a pas de pouvoir sur les affaires d'en haut.

Les coursives, de plus en plus sombres, humides, lointaines. La femme fatale, le musicien et le diable trouvent le gardien de la porte qui conduit à la sortie. Pas si loin, au pied du chariot de draps, la femme aux ongles fins, agonise de ses blessures. Au départ, le gardien ne veut faire passer que la femme fatale. Le diable prétend n'avoir aucun pouvoir pour l'infléchir. La femme fatale insiste, et il dit qu'il peut faire passer aussi le musicien et le diable, avec les conséquences que ça aura. Et ensuite, il refermera la porte à jamais, et tous ceux qui sont restés dans les coursives y seront prisonniers à jamais. La femme fatale lui dit : "Si tu tombes amoureux de moi, tu ne seras plus le gardien, tu seras un simple mortel, tu sauras ce que c'est d'être vivant, c'est le cadeau que je peux te faire pour que tu laisses la porte ouverte pour tout le monde." Mais le gardien refuse. Alors tous trois se résignent à accepter la première offre, à passer, et à laisser le gardien refermer la porte derrière eux. Le diable dit ne pas regarder en arrière. Mais alors que le gardien referme la porte, la femme fatale ne peut s'empêcher de se retourner et fixer, au fond du couloir

la femme aux ongles fins

la femme aux ongles fins

la femme aux ongles fins



La femme fatale, fiche de personnage :

Quatre papiers, tous révélés puis déchirés

+ Je résolus en mon cœur de donner ma chair au vin
+ Question : comment es-tu morte ?
+ Beauté : une beauté décrépite et purulente
+ Motivation : Motivation céleste pour vivre


Les papiers Parole que j'ai distribués en jeu :

+ Attache
+ Beauté : la beauté de renoncer à ses rêves
+ Question : Qu'est-ce qui compte le plus dans la vie ?


Retour des joueurs :

Pour mieux comprendre ces retours, voici ce que nous avons fait avant de jouer : chacun a lu les règles (je ne sais pas si les joueurs ont lu l'exemple de partie), chacun a élaboré des playlists lors des jours précédents, et avant de jouer, j'ai briefé les joueurs pendant 3/4 d'h sur les règles et sur comment jouer via hangout.
Il y avait un joueur de plus que de personnage. Il n'est quasiment pas intervenu. Au bout d'une demi-heure de jeu, il m'a mis en message privé qu'il était largué, et il est resté sur le banc de touche pour le reste du jeu, pour observer et donner son ressenti après le jeu.
J'ai senti que la partie était difficile (plusieurs problèmes : compréhension de règles, joueurs ne trouvant pas l'inspiration, attentes déçues, plusieurs playlists qui ne marchaient pas). Avec un joueur en touche, et deux autres en surnage, j'ai volontairement abrégé le jeu en déchirant prématurément mes papiers, nous n'avons joué qu'une heure et quart.
Je fais parler les joueurs à la première personne par commodité, mais ce sont des retranscriptions de notes, je ne garantis pas qu'ils ont dit ça au mot près.

Joueur du clandestin :

J'étais hyper largué. Je ne visualisais pas comment prendre la parole, comment récupérer des papiers pour mon personnage. C'était compliqué avec la dématérialisation.
On aurait dû faire un tour de chauffe. S'envoyer les papiers parole en visible pour que tout le monde comprenne ce qui se passe.
Pour trouver de l'inspiration, j'ai utilisé un livre comme table aléatoire [Note de moi-même : le Lévitique, où un autre livre chrétien].

Joueur d'Hercule le musicien :

J'étais un peu paumé. Je n'ai pas tenu compte des papiers que j'ai récupérés.
J'avais des livres de moi, je m'en suis servi comme tables aléatoires.
Je ne savais pas si j'étais clair, que ce soit quand j'ai joué le musicien en personnage ou le gardien en décor.
Je n'ai pas tenu compte de la musique parce que j'étais happé, la musique m'absorbait au lieu de me donner des idées.
Les règles de prise de parole ne m'ont pas gêné, pour autant ce serait bien de parler du tac, sans avoir besoin de se faire valider par un autre pour entrer dans l'espace de jeu.
Le cadre est très bien.

Joueur en touche :

Les deux pages de règles manquent de structure.
Sur la structure narrative, j'ai vraiment eu du mal. J'aime Lynch, le fantastique, le trouble entre le réel et la réalité, mais quand ça commence réaliste et que les choses se délitent au fur et à mesure alors que là, c'était illogique d'entrée de jeu.
Cela manque d'éléments au début pour que les joueurs ne soient pas perdus, on sait juste que ça commence au Motel Dragonfly et c'est tout.
Pour moi, ce n'est pas ça le surréalisme, même dans les cadavres exquis il y a des règles.
Il faudrait au moins obliger de toujours compléter les papiers parole. Quand j'ai récupéré ton papier parole, c'était juste écrit Attache, tu n'avais pas compliqué. En récupérant, j'espérais avoir une inspiration, et là, j'avais juste le mot Attache, ce n'était pas suffisant.
Quand tu veux prendre la parole, il faut attendre que quelqu'un récupère, et ça prend parfois du temps. Alors c'est trop tard pour placer son idée, les autres ont avancé sans toi et tu ne peux plus intervenir.
Il n'y a pas d'utilisation mécanique de la musique, j'aurais aimé, par exemple, qu'on doive partir des paroles d'une chanson.
Il n'y a pas de mécanique de gradation du surréalisme, comme la jauge d'interférence dans Lacuna, ou un enchaînement de scènes pré-programmé.
Il n'y avait pas d'histoire, j'ai le sentiment qu'il ne s'est rien passé, peut-être parce que j'étais sur le banc de touche. J'ai le sentiment que le jeu ne permet de construire une histoire.


Mon retour personnel :

+ J'aurais dû demander à chaque joueur quelles étaient ses séances, j'aurais par exemple pu déceler que le joueur en touche avait un agenda très différent du mien (aussi différent que l'atelier d'écriture l'est de l'écriture automatique). On aurait pu établir un compromis, en débriefant avec le joueur en touche, j'ai compris qu'il aurait préféré qu'on commence la séance par du world building, et que chacun remplisse ses six papiers parole et les distribue aux autres avant de commencer.

+ Pendant la partie, j'ai été pris dans le flow, aspiré dans le jeu (comme je le suis souvent, c'est très facile pour moi, et on voit là que c'est un handicap), et donc assez incapable d'être à l'écoute des difficultés livrées par les joueurs dans le chat textuel, assez incapables de leur trouver des solutions. Le joueur du clandestin disait qu'il était largué au niveau des prises de parole, et le joueur en touche qu'il était largué tout court. J'aurais dû en prendre acte, demander une pause, et faire un premier debriefing avant de repartir, comme j'avais fait au milieu de la partie Manuscrit, qui avait permis de refaire décoller la partie pour aboutir sur un excellent souvenir.

+ L'autre chose que je devrais demander aux joueurs, en plus de leurs attentes, c'est que quand ils ont des difficultés, non seulement ils doivent les dire comme ils l'ont fait là, mais en plus ils devraient proposer eux-même un début de solution, c'est-à-dire faire une demande concrète. Si un joueur me dit "je suis largué" alors que moi je suis pris dans le flow, ça m'est difficile de le dépanner. S'il me dit "je suis largué, je demande une pause" ou "je suis largué, je veux une inspiration" ou "je suis largué, expliquez moi comment prendre la parole", c'est plus concret, je peux apporter une réponse tout de suite. Cela, c'est un truc valable pour tout jeu de rôle, et dans la vie en général, mais c'est une chose que très peu de gens, moi le premier, sont habitués à faire.

+ J'ai voulu défendre mes règles sur la prise de parole, en expliquant ma quête rôliste sur l'équilibre de temps de parole entre les timides et les bavards. Je ne sais pas si on a tranché sur ce sujet.

+ J'ai le sentiment qu'à ce stade, une partie ratée est un coût d'entrée presque inévitable dans le jeu, c'est arrivé avec mon premier testeur sur Manuscrit, et avec le groupe qui a joué "Derrière les champs de maïs" : première partie ou début de partie en demi-teinte, discussion, et deuxième partie beaucoup plus satisfaisante. C'est compliqué de savoir si c'est une question de réaction, et si c'est tout simplement dû au caractère très étrange de ce jeu. Je repense au groupe de Prosopopée qui ont avorté 3 ou quatre parties avant que ça décolle.

+ Il est possible que certaines tables aient besoin de bidouiller le jeu, notamment en ramenant des incitations créatives (world building, tables aléatoires, personnages créés à l'avance) pour que ça fonctionne pour elle. Pour ma part, j'ai un truc tout simple dans tous les jeux sans création de personnage : j'arrive avec un concept de personnage qui me tient à cœur et je le mets en pratique dans le jeu. Je fais toujours ça en fait. C'est très rare, finalement, que je ne sois pas préparé. Est-ce que je devrais le mettre dans les conseils du jeu ? Est-ce que cette démarche fonctionne toujours si tout le monde fait la même chose ?

+ Je n'ai pas voulu paraître borné aux yeux des joueurs, mais il est un certain nombre de leurs conseils que je ne pourrai pas mettre directement en application. Je ne réécrirai pas le jeu. Je considère que les retours, foires aux questions et comptes-rendus de partie sont des aides de jeu, pour s'approprier le jeu, et c'est en cela que leurs retours sont très précieux.
Je ne vais pas changer le jeu, par exemple, en changeant les règles de prise de parole ou en réinjectant des règles de world building, des scènes procédurales, des tables aléatoires ou des tarots. Dragonfly Motel est une défense d'une pratique "automatique" du jeu de rôle, et aussi une défense de la construction du jeu sur l'histoire, sur ce que les autres ont déjà raconté, plutôt que sur des éléments extra-diégétiques. Pour ce qui de pratiquer un onirisme soutenu, en plus du jeu automatique et de l'enchaînement diégétique, par des éléments exogènes, je préfère proposer d'autres jeux, comme S'échapper des Faubourgs, très corseté, ou Wonderland, dans une perpective beaucoup plus ouverte.
Je considère que les personnes qui jouent peuvent changer les règles si elles en éprouvent le besoin. Le jeu est libre de droits, elles peuvent même le réécrire de bout en bout. Je n'utilise pas cet argument comme une excuse pour écrire n'importe quoi, seulement, quand j'écris un jeu court, j'écris pour défendre une façon de jouer et je m'y tiens. A chacun d'accepter, de rejeter ou de modifier. Je peux avoir un état d'esprit plus conciliant sur de gros jeux, ou je vais proposer des modules et des variantes. Inflorenza première édition était déjà un sacré légo, Inflorenza 2 le sera encore plus. Mais pas sur un jeu de 4000 mots (encore qu'il y a quand même une variante de proposer, le jeu sans papiers) qui se veut être un jeu-manifeste. Si je défends l'écriture automatique dans un jeu-manifeste, je ne vais pas écrire à l'intérieur du même jeu : "mais si vous voulez, il y a telle table aléatoire, et tel scénario, et telle enchaînement de scènes, et tel tarot de symboles".




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Thomas Munier
 
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