[Les Remémorants] La faute aux mains

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Re: [Les Remémorants] Chasseurs de souvenirs...

Message par kaly » 12 Sep 2015, 13:16

Eugénie a écrit :Où elle passe pour une andouille en trois actes :

Carrément pas !

Eugénie a écrit :2. Après relecture plus attentive des règles : mea culpa. Je retire ma remarque sur le jet "sans effet", car c'est nous qui avons déformé les réponses à la question "es-tu sûre ?". Les règles disent qu'une joueuse peut répondre "non" ou accepter les dés. Si le jet est réussi, alors seulement à ce moment elle dit "oui j'en suis sûre". Nous, on anticipait la réponse en disant directement "oui j'en suis sûre", et Thomas n'avait plus qu'à dire "oui en effet", ce qui retirait de la saveur au jet.

D'après mon ressenti, ce n'est pas le jet qui est sans effet mais son acceptation ou non. En tant que remémorant, le fait de refuser les dés n'apportent rien. Je vois ça comme un choix ludique vide, il n'y pas de résistance de ce côté, pas de répercussion. Cela ressemble plus à une autorisation donnée à la grande forêt pour obtenir la possibilité de faire un jet dans l'optique de modifier le récit (je sais pas si c'est clair). Soit c'est une double sécurité pas forcément utile car il y a déjà le dé impartial qui peut autoriser ou non ce choix, soit il est possible d'apporter un choix plus sérieux pour le joueur en ajoutant un résistance et donc une vrai valeur sur ce choix.
Personnellement, j'ai toujours accepté le jet de dé car je n'ai trouvé aucun intérêt à faire l'inverse.
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[Les Remémorants] La faute aux mains

Message par Thomas Munier » 17 Sep 2015, 14:07

LA FAUTE AUX MAINS

Un premier test poignant du jeu autour de la mémoire et de Millevaux

Jeu : Les Rémorants, de Steve Jakoubovitch : Chasseurs de souvenirs dans le monde sans passé de Millevaux

Joué le 08/09/15 sur google hangout
Personnages : Anicette, Blandine


Partie enregistrée sur ma chaîne youtube ici

Image

crédits image : aftab,Anne Marthe Widvey, JMVerco, licence cc-by-nc, galeries sur flickr.com


Feuilles de personnages :

Anicette
Originaire d'une communauté
Rôle dans la communauté : infirmière
Conséquences de son départ : elle les ignore encore

Blandine
Vagabonde
Blessure : un œil crevé
Étincelle de vie : j'ai promis à quelqu'un (qui ?) de revenir de la Grande Forêt.


L'histoire :

La rumeur du vent.

La Grande Forêt Lyonnaise. Le voyage a été plus long que prévu. A l'arrivée, c'est l'hiver. Congères de neige. Campagnes immaculées.

Il fait froid. Dès l'orée de la forêt, on comprend que les choses ne sont pas ordinaires. Une horloge à coucou sur l'écorce d'un arbre, avec un oiseau mécanique qui sort quand sonne l'heure.

Anicette est arrivée au terme de son long voyage. Elle est maigrichonne, ses cheveux étaient d'un blond fade avant que la crasse ne teinte ses nattes en noir. Ses grands yeux bleus et son visage angélique inspirent la confiance. Des scarifications sur un de ses bras : le nom ANICETTE gravé. Le nom FERDINAND gravé sur l'autre bras.
Elle a fait un long chemin depuis sa communauté. Elle a emporté un petit garçon. Il voit dans le sol les empreintes d'un renard, empreintes qui se chevauchent pour donner l'impression que l'animal qui les a laissées est une sorte de bipède. L'enfant est fasciné à l'idée de voir un renard.

Le vent charrie des feuilles et plaque quelque chose sur le visage d'Anicette. Une photo de polaroid, le cliché jauni d'une famille. Peut-être la sienne ? Il y a aussi des voix qui murmurent dans le vent. Familières.
Des bijoux traînent dans la neige. Des chouettes plantées dans les arbres, comme celles qu'on plante sur les portes de grange pour éloigner le mauvais œil.
Sous la forêt, des buttes et des fossés, et au bas des talus, des entrées de terriers où brillent comme des tessons de miroir.
Dans le vent, comme une musique.

Ailleurs, une autre personne entre dans la forêt. Blandine. C'est une grande femme d'âge mûr, abîmée par la vie. Ses cheveux sont rabattus sur une moitié du visage, en vain ils tentent de cacher son œil qu'ont mangé les corbeaux. Elle porte une robe qui a été blanche un jour, elle est pieds nus. Elle est tiraillée par une promesse qu'elle a faite alors elle pénètre dans la forêt : celle de revenir. A qui a-t-elle promis cela ? Revenir où ?

Blandine aperçoit une araignée qui lui rappelle ses peurs d'enfance, mais il lui est impossible de savoir si c'est une réminiscence qui lui revient du fond d'elle-même ou si c'est un mensonge de l'araignée...

L'enfant n'est pas venu pour se souvenir, il a peur de la Grande Forêt. Il a suivi Anicette parce qu'il la suit partout et qu'elle le protège. On entend un bruit de pattes, l'enfant veut aller voir, mais Anicette l'en dissuade. Elle pique son doigt avec une aiguille et place son doigt ensanglanté dans un trou de pivert. Elle dit "je souhaite me rappeler pourquoi j'ai quitté ma communauté."

Elle se souvient de son village ; elle soignait les blessés, c'était son rôle. Un jour, elle a apporté de l'eau dans ses mains à un homme qui s'était fait écraser la jambe par une chute d'arbre. Et lui, dans ses mains, il a vu un oiseau, un oiseau qu'il avait quand il était enfant. Il a demandé d'où venait l'eau, Anicette a répondu elle vient du seau, il a demandé mais où as-tu rempli ton seau, elle a répondu de la source. Malgré ses récriminations, il s'est redressé sur sa béquille et a insisté pour qu'elle aille lui montrer la source. Elle a juste obtenu qu'il se fasse porter par deux bûcherons. Ils sont arrivés avec Anicette à la source, un cours d'eau bouillonnant au fond d'une ravine. Le blessé s'est penché, il a dit : "Vous entendez ? L'oiseau !". Anicette a crié aux deux bûcherons de le retenir, mais c'était trop tard ! Il s'est penché au-dessus de la ravine, tellement qu'il est tombé et s'est écrasé en contrebas. Le sang de son crâne s'est mêlé à la source, et peut-être bien qu'on entendait le gazouillis de l'oiseau.

Blandine a allumé un feu de camp. Elle entend des bruits de pas dans la forêt. Elle ne réagit pas. Si ce sont des gens, ils viendront la voir s'ils le désirent.

Elle marchait depuis des jours avec son compagnon, elle comme lui étaient affamés et démunis. Ils sont arrivés dans un village réduit en ruines par une catastrophe. Ils ont commencé à l'explorer, en quête de quelque chose à grappiller, quand ils ont entendu un gémissement sous des décombres de pierre. Le compagnon a insisté pour partir, mais Blandine a dégagé quelques gravats, et ils ont trouvé une petite fille rousse, encore vivante. Mais ses jambes étaient coincées sous une pierre. Elle les a suppliés de l'aider, mais Blandine a dit qu'elle n'était pas en état de la porter, et le compagnon ne voulait pas d'un fardeau, d'une autre bouche à nourrir. Blandine a promis d'aller lui chercher du secours, le compagnon a récriminé qu'il n'y avait pas âme qui vive à des jours de là. On a entendu le hurlement des loups. La fillette a supplié Blandine de rester la veiller pendant que le compagnon irait chercher des secours. Mais Blandine a préféré rester aux côtés de son compagnon (peut-être de peur qu'il ne l'abandonne ?), elle est partie, abandonnant la fillette. Enfin, elle n'est plus vraiment sûre que ça se soit fini comme ça.

Anicette enfonce sa tête dans un arbre creux. Elle aussi veut se rappeler.

C'était des jours après le premier incident. Anicette avait repris sa vie d'infirmière, il y avait toujours à faire au dispensaire du village. Elle tendait de l'eau au médecin, et celui-ci a vu dans ses mains toute une salle de l'opération de l'Âge d'Or : avec des sièges, des lampes, du matériel, des machines. Il a dit que c'était un miracle, qu'ils auraient tout cet équipement dans cet avenir proche, si l'infirmière lui disait où le trouver.
Cela a attiré l'attention d'un vieil homme allongé sur une civière. Il lui a demandé de lui montrer ses mains, que c'était sans doute un phénomène lié aux lignes de ses mains. Il voulait revoir le visage de sa femme, qui est morte il y a des années, et c'est ce qu'il a revu, les larmes aux yeux. Il a dit que les mains d'Anicette permettaient de voir dans le passé, que c'était un miracle. Alors, beaucoup de malades ont demandé à voir ses mains aussi.

Il y avait une vieille femme dans le fond, qui ricanait en douce. Une vieille qu'on paye à faire le ménage, non pas qu'elle soit efficace, mais parce qu'ici, on n'entretient pas les personnes âgées si elles ne peuvent pas se rendre utiles. Anicette est allée la voir. La vieille lui a dit que ce n'est pas un miracle, mais une malédiction. Elle a dit que ses mains ne permettaient pas de voir dans le passé. Elle a toujours vécu dans le village, elle a une mémoire d'éléphant, elle connaissait l'histoire de tous ceux qui sont passé ici, et elle savait que le vieux n'a jamais eu de femme. Les gens voient dans ses mains ce qu'ils veulent bien y voir ! Elle lui a dit que si elle voulait mieux comprendre ce pouvoir, elle devait aller voir la cartomancienne en bordure du village. Mais si elle voulait en finir avec ce pouvoir, elle devait aller voir le sarcomancien au fond de la forêt, qui effacerait les lignes de ses mains.

L'enfant aperçoit le campement de Blandine. Sur sa demande, Anicette va voir. "Ah, tu as survécu finalement ?", lui demande Blandine qui croît avoir affaire à la fille qu'elle avait trouvé sous les décombres. Mais Anicette ne réagit pas. Blandine comprend alors son erreur et s'excuse. Ils viennent se réchauffer près du feu. Mais l'enfant ne s'approche pas trop. Il est révulsé par l’œil crevé de Blandine, il n'arrive pas à cacher le dégoût et la peur sur son visage. Blandine lui demande si c'est son œil qui le dérange. Il lui demande comment c'est arrivé.

Blandine et son compagnon marchaient dans la forêt. Ils marchaient dans un fossé, quand le compagnon s'est pris le pied dans un piège à loup ! Ils ont tous les deux sombré dans la panique, le compagnon voulait qu'elle le laisse là, il ne pourrait sûrement pas remarcher, il ne ferait que la retarder. C'est alors qu'ils ont entendu une cohorte d'hommes en armes arriver par le chemin au-dessus du fossé.
Blandine a murmuré au compagnon de faire comme elle : s'allonger et ne pas bouger, se faire passer pour morts. Les hommes en armes, c'était ce qui restait de la troupe claudicante des pillards, les Écorcheurs, avec à leur tête l'Homme qui Rit, un homme à la carrure massive. Son visage, une déchirure, des gencives apparentes, un sourire mutilé.
Les pillards les ont vus dans le fossé. L'Homme qui Rit est descendu les observer de plus près, il les a tâtés avec un bâton, mais ils n'ont pas bronché. C'est alors qu'un corbeau s'est posé sur le visage de Blandine, qu'il a essayé de lui picorer l’œil. Alors Blandine n'a pas tenu, elle s'est redressée. L'Homme qui Rit l'a empoignée, puis il lui a pointé son surin sous la gorge. Il jubilait. Le compagnon a cessé la comédie du trépas, il a supplié l'Homme qui Rit de la laisser tranquille, de le tuer lui. Mais l'Homme qui Rit s'intéressait plus à Blandine. Il a pris son menton dans ses doigts. Il lui a demandé à quel point elle tenait à son homme. Il lui a fait tout un laïus sur ce qu'ils étaient, eux, les Écorcheurs. Des racleurs. Racleurs de vie, racleurs de mort, racleurs de ce que personne ne veut prendre, de ce que personne n'ose prendre.
Ses hommes, gens de sac et de corde, clopin-clopant, cache-œils et jambes de bois, des dents une horreur insondable, tenaient Blandine et son compagnon en respect avec leurs hallebardes tordues et hérissées. Ils réclamaient pour bouffer le compagnon. Mais l'Homme qui Rit a précisé que s'ils pouvaient se nourrir de chair humaine, ils pouvaient aussi se nourrir de cruauté, eux, les racleurs de tout.
Alors il a dit à Blandine qu'ils pouvaient recueillir son compagnon parmi eux. Ils le rafistoleraient, ils lui couperaient la jambe et y planteraient du bois à la place, ils en feraient un des leurs. Il laissa le choix à Blandine : ou elle partait sans rien leur laisser, et ils bouffaient son compagnon, ou... Il piqua sa lame sur la joue de Blandine... ou elle se laissait prendre l'œil qu'elle avait refusé au corbeau ! Le compagnon lui a crié de s'enfuir ! Mais Blandine a cédé au chantage. Elle lui a dit qu'il pouvait lui enlever l'oeil.
"Mais je veux que tu le fasses toi-même", a répondu l'Homme qui Rit. Et il lui a tendu le couteau. Le compagnon l'a suppliée d'abandonner, de s'enfuir, maintenant !
Mais Blandine a persisté. Elle ne savait pas comment s'y prendre, elle a fait ça salement, mais elle l'a fait.

L'enfant voit un miroir qui brille au fond d'un terrier. Il dit qu'il veut aller voir, les adultes ne peuvent pas rentrer dans les terrier, mais lui si. Blandine et Anicette insistent sur le danger que ça représente, mais finalement Anicette accepte de l'accompagner devant l'entrée du terrier. Il s'enfonce dans le terrier la tête la première. Et soudain, on entend des grognements monstrueux et avides, les jambes du gamin s'agitent, il hurle ! Anicette arrive à le sortir du terrier en le tirant par les pieds. Il est griffé jusqu'au sang, au visage, au bras, ses mains portent des traces de morsures et sont ouvertes par le tesson de miroir qu'il a pu récupérer, et qui semble contenir un souvenir.

Depuis que le médecin avait vu dans les mains d'Anicette, elle était devenue une curiosité locale. Tous les gens du village allaient la consulter, et aussi des gens d'ailleurs, si bien que l'endroit est devenu un lieu de pèlerinage. Mais Anicette a été interrompue dans ses activités de divination par deux bûcherons qui revenaient à la hâte de la forêt, portant une femme dans une civière improvisée avec des branches. "Vite, elle pisse le sang, elle est blessée à l’œil !"
Anicette les a fait venir d'urgence au dispensaire, elle s'est affairée pour sauver cette femme. Cette femme, c'était Blandine. Blandine a écarquillé l’œil qui lui restait. Elle venait de voir la petite fille chargée d'amener les baquets d'eau chaude depuis qu'on avait remercié la vieille, trop critique à l'égard des pouvoirs d'Anicette. La petite fille rousse. Au-dessus de leur tête, la voûte de pierre du dispensaire. Le seul bâtiment en pierre du village.
Anicette en avait assez de l'hystérie que provoquait ses mains au village. Elle s'est décidée à aller voir la cartomancienne dans sa roulotte. À la porte de la roulotte, une chouette clouée. À l'intérieur, des choses dans des flacons, des poulets pendus, des herbes et des feuilles à sécher. Au plafond, tout un bric-à-brac accroché, crucifix, chapelets, images de la Madone, pendeloques. Sur un tabouret, en train de touiller sa soupe, la cartomancienne, une naine avec un fichu sur la tête. Entre les pattes du tabouret, son renard apprivoisé.
"Quelle ironie ! Plus personne ne vient me voir à cause de toi ! Tu es la première personne à me consulter depuis des mois !". "Je n'ai jamais demandé à ce que mes mains fassent ça !", a répondu Anicette. "Qu'est-ce qui te fait croire que tes mains t'appartiendront éternellement ! C'est comme ça, c'est le cycle de la vie, c'est l'emprise, un jour on contrôle tout notre corps, le lendemain, des parties demandent leur liberté."
Malgré sa rancune visible, elle lui a demandé de tirer une carte dans les tarots du passé.
Anicette s'est alors rappelé quand elle était enfant, dans un autre village, déjà on avait découvert le pouvoir de ses mains, et déjà c'était l'hystérie collective à ce sujet. Sa mère n'aimait pas trop son père, et un jour elle a vu dans les mains d'Anicette qu'il allait mourir. Alors elle a attendu ce moment, mais ça ne venait pas.
Mais une nuit, elle est venue voir Anicette dans son lit, elle lui a tenu le visage entre ses deux mains, et ses mains étaient pleines de sang : "Tes mains, elles disaient la vérité Anicette ! ça s'est produit ! Enfin, ton père est mort ! Je l'ai tué avec le hachoir de la cuisine !".
Dans la chambre des parents, juste à côté. Du sang. Beaucoup de sang.

Anicette revient à elle. Ses mains, ses mains, c'est de leur faute ! Elle essaye de se trancher les mains avec son couteau, mais comme ça ne fonctionne pas, elle enfonce ses mains dans le terrier. On entend un horrible grognement vorace, et le renard les dévore !

Blandine et l'enfant accourent pour constater le désastre. Blandine cautérise les poignets d'Anicette dans le feu, et lui bande les bras.

Avant, Blandine avait une famille, un mari, un enfant. Son mari, il n'était pas comme le compagnon, il n'était pas comme lui. Il était grand, il était brave, il était beau. Il était vrai. Ils étaient dans ce minuscule village de bûcherons au milieu de la forêt, la vie était simple et heureuse. Et puis Blandine est allée dans la forêt avec l'enfant, cueillir des plantes et des fruits des bois. L'enfant a vu quelque chose dans les ronces, il s'est enfoncé dedans, et il est tombé dans une sorte de trou, Blandine l'a cherché des heures en vain, puis elle a fait venir son mari, et ils se sont rendus à l'évidence que l'enfant a disparu. Le mari a parlé, et quelque chose dans sa voix s'est cassé, il n'avait plus du tout la même voix. Il a dit qu'il leur faudrait prendre la route pour retrouver l'enfant, abandonner leur maison et partir par monts et par vaux, pour le retrouver. Blandine a dit qu'elle n'était pas assez forte pour ça, mais il a encore haussé le ton, il lui a dit qu'elle devait payer. Ils sont repartis à la maison, juste le temps de rassembler quelques affaires. En sortant, son mari lui a confié un objet, il lui a demandé de le cacher dans sa robe, contre son ventre. La poupée de chiffons préférée de l'enfant.

L'enfant cherche à donner de la chaleur. Il est blotti entre Anicette et Blandine. Alors Blandine dégrafe quelques boutons de sa robe et en sort une poupée en lambeaux, qu'elle donne à l'enfant.
Mais l'enfant ne se rappelle pas. Il leur demande s'il devrait s'en rappeler. Blandine et Anicette lui répondent que c'est dangereux de chercher à se souvenir, que d'ailleurs elles veulent quitter la forêt, mais que c'est vrai qu'en se souvenant, ça coûte cher mais on devient une meilleure personne.
Alors l'enfant dit : "je veux me rappeler qui est ma maman."

Il était dans la forêt avec sa mère. Il a vu des mûres dans les ronces, il est allé voir, et il est tombé dans le trou, il a dévalé le talus, et il est tombé sur un sentier, des mètres et des mètres plus bas. Une dame l'a ramassée, c'était la soigneuse du village. Ils la connaissent depuis que son papa a été blessé dans un accident de chasse et qu'elle l'a soignée. Depuis, son papa était très bizarre. Quand l'enfant partait avec sa maman en forêt, il savait que son papa s'absentait, mais il lui avait fait promettre de ne rien dire à sa maman.
La dame lui a tendu la main. Elle a dit : "viens, je vais te soigner, et ensuite on ira vivre avec ton papa. Avec Ferdinand."

L'enfant revient de son souvenir. Blandine lui demande ce qu'il a vu, mais il dit qu'il ne préfère pas lui répondre. Les deux femmes se lèvent, l'enfant prend la main de Blandine, et il s'accroche à la jupe d'Anicette, et tous trois ils quittent la forêt, ils marchent dans la neige.

L'enfant tourne une derrière fois la tête vers la forêt.

Entre les arbres, au sol. L'éclat d'un miroir.


Retour des joueurs

Joueur d'Anicette :
+ Choses dues au jeu en ligne : quand Blandine a perdu son oeil, j'étais en pleurs, ça ne serait pas arrivé si j'avais été physiquement avec vous.
+ Chose due au jeu en ligne : on ne voit pas l'approbation des gens, ce qui crée une difficulté [Note de Thomas : le silence est une forme d'approbation dans le jeu de rôle en ligne]
+ Le jeu permet des émotions fortes, mais ça dépend de l'inspiration des joueurs, de leur connaissance de l'univers aussi.
+ Il faudrait créer à l'avance une liste de choses dont le personnage veut se rappeler, pour avoir une amorce. C'est d'ailleurs ce que j'ai fait.
+ Une fois qu'on avait solutionné une première question, pour passer à d'autres souvenirs c'était pas forcément évident
+ Je me suis inspiré d'une nouvelle de Barjavel : Les mains d'Anicette et ça a bien marché. Pour une fois qu'un auteur francophone écrit de la science fiction autant lui rendre hommage ;-). Au passage son roman Ravage raconte une apocalypse assez intéressante et réaliste.
[note de Thomas : c'est marrant, j'ai jamais lu Barjavel, mais mon père en a lu beaucoup, et je crois que de Barjavel à Millevaux, il y a une filiation, héritées de lecture de quatrième de couvertures, sur lesquelles je me suis fait mon trip, étant enfant. Impressions que j'ai amalgamées avec des pages de Bernard Clavel lues en diagonales, dessinant dans ma tête le territoire d'une science-fiction rurale et sauvage.]
+ A l'intérieur de mes souvenirs, je vais voir la cartomancienne qui me fait entrer dans un souvenir [note de Thomas utilisant les mêmes règles sur la remémorance] : les souvenirs imbriqués, c'était bien. En revanche, j'aurais voulu pouvoir remonter dans mon souvenir initial, mais je n'en ai pas eu l'occasion. [note de Thomas : j'ai en effet arrêté le souvenir de la cartomancienne pour ensuite revenir au présent. J'aurais pu remonter, mais ça aurait été excluant pour la joueuse de Blandine de jouer trois souvenirs d'Anicette de suite. Je suis plutôt parti du principe qu'Anicette retournerait dans son souvenir initial lors de son prochain tour de remémorance, mais entretemps elle a eu envie d'autre chose.]
+ Lors de la dernière scène, c'est l'enfant, un figurant contrôlé par la Grande Forêt, qui a fait une remémorance, et tu as nous permis d'interpréter des figurants (ce qu'on n'a pas fait), et tu as lancé le dé à la fin pour savoir si la forêt lui arrachait des constituants. Mais en fait, on aurait pu jouer la Grande Forêt pour toi, on était prêts.
+ Je n'ai pas bien compris "quelles seront les conséquences du départ" [de la communauté]. J'ai interprété ça comme une question qu'il fallait que je résolve par un souvenir. [Note de Thomas : moi, je pensais que ces conséquences, c'était ce qui s'était passé pour la communauté entre le départ du personnage de la communauté et son arrivée à la Grande Forêt. La joueuse de Blandine a émis une hypothèse qui ludiquement est bien plus forte : ces conséquences, c'est ce qui va se passer si le rémémorant ne revient pas dans sa communauté une fois qu'il en aura fini avec la Grande Forêt. Dans le cas d'Anicette, cette question aurait été très riche en dilemmes moraux ! Si elle ne revenait pas, la communauté aurait été privée de ses soins et de ses "prédictions" ! Aurait-elle alors décidé de s'arracher les mains ? Aurait-elle alors décidé de partir vivre avec Blandine avec l'enfant ?]
+ Les Remémorants seraient parfaits pour jouer le climax d'une campagne d'Arbre.


Joueuse de Blandine :
+ Le scène de l'œil était très forte
+ Quand un remémorant doute de son souvenir, ça n'a pas de réel impact mécanique sur la suite de la fiction. [Note de Thomas : dans cette partie, c'est arrivé une seule fois qu'un remémorant doute : quand Blandine a douté de savoir si elle avait sauvé la fillette rousses des décombres ou si elle l'avait abandonnée. J'avais prévu de remettre ça sur le tapis, je l'ai un peu fait en faisant intervenir la fillette plus tard, mais c'était léger. Entretemps, on a eu d'autres chats à fouetter. Ceci dit, pour abonder dans le sens de la joueuse de Blandine, on peut dire que la conséquence narrative d'un doute dépend uniquement de la vigilance de la Grande Forêt pour utiliser ce doute contre le personnage.]
+ J'ai pensé que tu confondais le tatouage d'Anicette (Ferdinand) et mon mari / compagnon. [note de Thomas : je ne les confondais pas, je tentais d'insinuer qu'ils étaient la même personne à des époques différentes. Intéressant de voir que mes tentatives de connexions entre des figurants et des époques ont été interprétées comme des erreurs par les joueur.se.s. Je ne veux pas considérer ça comme un défaut, au contraire ça entraîne une réflexion sur la fiabilité, et de la mémoire, et de la Grande Forêt.]
+ Les jets de dés, c'est presque dommage, ça peut interrompre le récit sans impact, si le jet est réussi. [note de Thomas : pour autant, ne serait-ce pas arbitraire si la Grande Forêt décidait à coup sûr de transformer un souvenir ou d'arracher des constituants ? Peut-être y a-t-il moyen de rendre la mécanique juste plus "silencieuse", soit par exemple en jetant le dé sans verbaliser l'acte de jeter le dé : ne pas dire "je lance le dé" ou "j'ai fait tel résultat", le remplacer par des phrases-clé. Ou alors donner à la Grande Forêt une bourse de jetons blancs ou noir à piocher dans un sac, ou à gérer comme bon lui semble, mais en cachette des joueurs.]
+ Le résultat des dés est trop binaire. Il faudrait plus de nuances. [note de Thomas : avec un d6, on peut obtenir une gradation de "non et" à "oui et", comme dans le système FU.]
+ La question "est-ce que tu en es sûr.e ?" est cool !
+ Sur la fin, j'aurais fait durer beaucoup moins longtemps, c'est-à-dire sans jouer la rémémorance de l'enfant qui donnait des explications resserrées [l'autre joueur aussi]. Mais tu as émis la demande de jouer ce passage par le roleplay de l'enfant, et on t'a laissé faire pour que tu puisses toi aussi jouer.
- Thomas : est-ce que j'aurais dû demander de faire jouer cette remémorance de l'enfant en méta ? Dans ma tête, ce qui était intéressant, c'était de soumettre un nouveau choix douloureux aux personnages : rester dans le flou ou autoriser l'enfant à se remémorer, quitte à ce que la Grande Forêt le blesse ou que les révélations soient trop dures à supporter. La fin où ils auraient empêché l'enfant de se remémorer aurait été tout aussi intéressante pour moi. Si j'avais négocié ça en méta plutôt qu'en jeu, est-ce que les joueur.se.s auraient mieux compris ça ?
- Joueuse de Blandine : ça dépend de la question. Si tu nous avais demandé « Voulez-vous qu'on arrête là ?», je pense qu'on aurait dit oui. Mais si tu nous avais demandé « Êtes-vous d'accord pour que l'enfant se rappelle quelque chose à son tour ? » Je pense que ça aurait été pareil : on aurait privilégié ton plaisir supposé de joueur avant de penser à la fiction.
+ Je serais tentée de dire que le jeu devrait être plus méchant, que les probabilités de victoire de la Grande Forêt aux dés soient plus élevées. [note de Thomas : je ne sais pas. C'est vrai que j'ai pas eu de chance aux dés, les victoires de la Grande Forêt ont été rares, mais toujours lourdes de conséquence.]

Notes de Thomas :
+ On a fait 3/4 h d'échauffement (on a joué deux remémorances en speed avec des faux personnages) et de concertation sur le jeu, puis 2 h de jeu.
+ Comme on jouait en ligne, on a fait l'impasse sur l'usage de post-it pour représenter les figurants. Et ça ne nous a pas manqué du tout : une règle superflue ?
- Joueur d'Anicette : Je pense que ça permet aux joueurs de s'emparer d'un personnage avec moins d'hésitation.
+ Les remémorants arrivent-ils groupés à la Grande Forêt ? J'ai pris le parti de proposer aux joueurs plusieurs options pour l'arrivée :
a. arrivée groupée
b. arrivée et rencontre au même point mais en partant de routes différentes
c. arrivée séparées, à des points d'entrée différents.
d. arrivée séparée à la même saison [ce qui laissait le doute sur une simultanéité de l'arrivée]
e. arrivée séparée, à une saison différente.
On a choisi d., et en jeu on a découvert que c'était une arrivée simultanée à des points d'entrées différents, et les personnages se sont rejoints.]
+ Faut-il jouer des scènes dans le présent ? On a pris le parti de le faire, et c'était payant, même si ça a empiété sur le temps à jouer les remémorances. En revanche, c'est risqué dans le sens que le jeu ne fournit pas de règles pour le gérer. On a pris le parti d'utiliser le même partage de narration pour les scènes du présent que pour les scènes du passé, mais sans les jets de dés (pas de doute, pas d'arrachement de constituants).
C'est risqué mais obligatoire, finalement : comment donner un impact à l'arrachement des constituants sans cela ?
+ "Fragments" ou "parties" pourrait être plus élégant que "constituant".
+ A plusieurs reprises, je me suis permis d'interpréter des figurants qui venaient d'être introduit par le rémomérant. D'après les règles, la Grande Forêt ne peut interpréter que des figurants qu'elle crée de toutes pièces, mais nous nous sommes mis d'accord pour qu'elle ait plus de latitude.
+ Quand la forêt arrache les constituants d'un personnage, qui narre quoi ? Est-ce en corrélation avec le souvenir ? J'ai opté pour lier l'arrachement à ce qui avait été narré précédemment et je me suis limité à une phrase pour l'arrachement, volontairement floue, et laissé le joueur compléter (ainsi j'ai dit : "jamais plus tu n'auras tes mains", et c'est le joueur qui a décidé qu'Anicette s'arrache elle-même les mains. Je ne serais pas allé aussi loin si j'avais tout décrit, et elle ne serait pas allée aussi loin si ce n'avait été en relation avec le souvenir (Anicette réalise que ses mains font du mal aux gens), donc j'aurais tendance à penser que j'ai fait la meilleure interprétation.
+ Partant sur la proposition du joueur d'Anicette qui aurait pu jouer la Grande Forêt pour l'enfant, je pense que ce jeu peut se jouer en MJ tournant sans problème.
+ Dans l'ensemble, le jeu prête merveilleusement le flanc au hacking !
+ C'est une question diptérophile, mais à la lecture du jeu, je ne savais pas quelle était l'intention du jeu. On a joué avec des joueurs immergés dans leurs personnages, ne jouant pas eux-mêmes leur propre adversité, et moi j'ai proposé des dilemmes moraux qui s'adressaient bien aux joueurs, pas aux personnages (bref, qui n'étaient pas cosmétiques). Partant de là, je pense que c'est un pour que les joueurs ressentent des dilemmes moraux). Néanmoins, je ne suis pas certain que le jeu encourage tant que ça les dilemmes moraux : certains, comme le dilemme de l'oeil, venaient de techniques de maîtrise que j'importais d'Inflorenza minima, un jeu où la résistance est formulée en tant que dilemmes moraux ou choix mortels.
+ J'ai tenté des paradoxes temporels : la fille rousse qui apparaît alors qu'on la pense morte sous les décombres à ce moment-là, et qui fait mine de ne pas reconnaître Blandine, et je prévoyais plus tard de faire attaquer la communauté d'Anicette par les écorcheurs, poussés par le compagnon. Ils auraient réduit le village en ruines, enfouie la fille rousse sous les décombres du dispensaire d'Anicette.
- Joueuse de Blandine : cette intention mettait trop Blandine au centre de la scène alors qu'on était dans le souvenir d'Anicette. J'ai fait s'évanouir Blandine parce que je ne voulais pas prendre cette place.
+ Mais ce que je voyais comme des paradoxes temporels, les joueurs l'ont vu comme des incohérences. Mais finalement, ce n'était pas un défaut. Les souvenirs ne sont pas toujours cohérents. La mémoire n'est pas fiable, que ce soit la mémoire de l'homme où les archives qu'il consulte (la grande forêt n'est finalement qu'une archive magique). En fait, ce jeu permet de reproduire les paradoxes temporels de "Chroniques d'une mort annoncée" de Gabriel Garcia Marquez, autant dire l'un de mes dix romans préférés de tous les temps. Avec le recul, Les Remémorants est un petit jeu, mais il a tout d'un grand. C'est un enfant des théories du maelstrom : il permet d'être infidèle, de jouer avec la cohérence, de se jouer de la cohérence. Pour ne les avoir pas lus, je ne sais pas si les autres jeux sur la mémoire, comme Mnémosyne ou Patient 13, en arrivent là, mais ce jeu, en tout cas, y parvient.
- Joueuse de Blandine : Patient 13 n'est pas un jeu sur la mémoire, l'amnésie y est en réalité un simple prétexte pour justifier le huis clos et l'absence de repères. Le vrai propos du jeu, c'est l'enfermement.
+ En en discutant avec les joueurs, ils auraient compris et accepté plus de paradoxes temporels si on en avait discuté en briefing.
- Joueuse de Blandine : plutôt : si nous avions plus appuyé sur des éléments de paradoxes pendant les scènes.
+ Mais je me pose la question : en discuter en briefing ne casse-t-il pas justement cette magie de l'incohérence ?
+ Pour raccorder plus simplement Les Remémorants sur un autre jeu, on peut aisément remplacer la Grande Forêt par une autre technique mémorielle, qui ne soit pas un lieu mais un objet : tarots de l'oubli, sérums de mémoire cellulaire, rituels de remembrance...
+ Ce jeu m'inspire un projet de créer un groupe de 6 nano-jeux : Les Remémorants + 5 autres qui resteraient à écrire. Chaque jeu simulerait un des marqueurs principaux de Millevaux : la forêt, les ruines, l'oubli, l'emprise, l'égrégore, les horlas.
- Joueur d'Anicette : J'adorerais jouer un horla
+ Ces jeux seraient conçus pour pouvoir être joués séparément, être raccordés sur un autre jeu dans l'univers de Millevaux, ou être combinés entre eux pour en faire un jeu à campagne.
Énergie créative. Univers artisanaux.
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Thomas Munier
 
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