[Systèmes Millevaux : Innommable] Dar-El-Aswad

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[Systèmes Millevaux : Innommable] Dar-El-Aswad

Message par Thomas Munier » 26 Jan 2016, 17:32

DAR-EL-ASWAD

Débauche organique, métaphysique et mémorielle pour un commando familial à la recherche de la souche parfaite.

Jeu : Innommable, horreur métaphysique par Christoph Boeckle

Joué le 26/09/2015 à la Convention Scorfel
Personnages : Joseph Emerson, Javier Emerson, Jonas Emerson


Image
crédits : augustusoz, chaley420, extraviam, silverbat, swamibu, licence cc-by-nc, galeries sur flickr.com


Contexte :

La Casa Negra, ville engluée dans les algues au large de l'Atlantique, battue par des vents chargés de spores.
La Casa Negra, cité des mystères et des mosquées, cité des assassins mystiques et caches des hérétiques
La Casa Negra, cœur grouillant de l'Entre-deux-zones, déversoir de toutes les cames du mondes, aventuriers drogués jusqu'à l'os

La Casa Negra, dernière beauté de l'orient, le parfum des dattes, la voix douce de la prière et le chuintement du singe-vampire.

La Casa Negra, dont on ne revient pas.


L'histoire :

Les garçons de la famille Emerson sont les descendants d'une vieille lignée post-raciale américaine, et travaillent tous pour la firme Monsanto. Jonas, le grand-père, est logisticien. A six mois de la retraite, on lui colle une mission de terrain : infiltrer le territoire interdit de Millevaux, par-delà le Mur de la Honte, précisément à Dar-el-Aswad, pour dénicher une souche végétale qui aurait la bienveillance de pousser sans eau, sans terre, sans engrais, d'être résistante à toutes formes de ravageurs, et si possible pouvoir accepter un gène de stérilité afin que Monsanto en fasse la nouvelle nourriture de l'Amérique, la seule qui pourrait remplacer le Soleil Vert depuis que les yankees ont détruit leur environnement.

Pour cette dangereuse expédition, il a choisi les deux seules personnes en qui il a confiance : Javier Emerson, son fils, commando militaire de l'armée privée de Monsanto ; et Joseph Emerson, son petit-fils surdoué de vingt ans, botaniste chez Monsanto.

Javier a une dévotion aveugle envers Monsanto, et surtout envers la bannière étoilée. Jonas est encore bercé par les illusions de sa jeunesse.

La première difficulté, c'est de franchir le Mur de la Honte. Les trois commandos voyagent léger, un petit sac avec des habits de rechange, des armes de poing, un médikit, des téléphones à ondes courtes, une caisse d’échantillonnage pour la souche. Et pour négocier avec les autochtones, des choses qui ne valent rien aux USA et cher derrière le Mur : des composants électroniques et des figurines à collectionner. Et, pour les transactions vraiment sérieuses, quatre diamants.

Ils embarquent à bord d'un cargo mauritanien, une embarcation rouillée jusqu'à l'os construit en Inde il y a des décennies. Le cargo cabote le long de l'Atlantique, il est sensé faire une pause du Mur, et de là un sous-marin peut les emmener de l'autre côté par un tunnel de contrebande.

Dans le cargo cohabitent plusieurs tribus qui s'en disputent le contrôle. Ils croisent notamment Mama Samba, prêtresse vaudou avec une tête de mort peinte sur le visage. Elle porte en sautoir une masse de colifichets et de trophées organiques qui défient les connaissances de Joseph : assurément Mama Samba doit faire des passages en Al-Milval. Ils croisent aussi des américains, certains sont des safarimen arrogants et armés jusqu'aux dents, d'autres sont des narcoterroristes attirés par les rumeurs folles au sujet des substances qu'on peut consommer à Dar-El-Aswad : orgones, jus de scolopendre, viande noire... D'autres encore sont des migrants qui regrettent déjà leur départ. Une femme américaine va les voir, elle dit s'être faite dépouiller, elle leur demande un peu d'aide ou d'argent, ils l'éconduisent sans ménagement.

Aux postes de vigie, c'est l'effervescence. La famille va voir de quoi il retourne. La vigie est un jeune mauritanien efflanqué et nerveux, il colle tout le temps ses yeux sur une paire de jumelles customisées. A ses côtés, le chef de la tribu dominante, coller d'oreilles et cartouchière en bandoulière. Ils disent qu'un navire de garde-côtes, une dizaine de personnes à son bord, patrouille aux abords du Mur de la Honte. Il faut renoncer à franchir le Mur car si les gardes-côtes voient le cargo s'approcher davantage, ils vont appeler des renforts, un porte-avions par exemple.

Joseph leur dit de prétexter une avarie mais ils refusent le stratagème. Javier et Joseph descendent en douce saboter la dérive du cargo à coups de barre à mine. Le cargo dérive alors vers le Mur. Les gardes-côtes arraisonnent le navire, ils demandent à monter sur le pont pour procéder à une inspection, on les laisse faire.

Javier part dans les soutes. Il trouve le sous-marin, un petit submersible jaune d'exploration scientifique tenu par Loïs, la pilote, une noire africaine avec des cheveux tressés qui lui descendent jusqu'aux genoux. Il lui dit que le chef de la tribu dominante a ordonné un départ du sous-marin. Loïs gobe le baratin, elle monte sur le cockpit et actionne des commandes à main pour faire descendre le sous-marin dans l'eau.

Sur le pont, Jonas et Joseph organisent une émeute contre les gardes-côtes ; ils excitent les migrants contre eux, ils expliquent à Mama Samba qu'ils peuvent franchir le Mur ensemble si elle coopère, alors elle soulève aussi sa tribu.

Jonas et Joseph profitent de cette panique qui occupe à la fois les gardes-côtes (certains sont blessés ou tués) et la tribu dominante. Ils descendent aux soutes avec Mama Samba et deux de ses hommes. Javier pousse Loïs sur le quai et Jonas, qui a fait un stage en océanographie, s'installe aux commandes. Avec Mama Samba et ses hommes, ils s'entassent dans le submersible et partent vers le Mur. A l'intérieur, l'équipement a connu des jours meilleurs, tout est rafistolé, recouvert de graisse et de chatterton. Jonas donne un diamant à Mama Samba en paiement de sa collaboration, qu'elle fiche sous une dent factice.

1. Un océan de verdure

Les phares du sous-marin éclairent le Mur. Ils repèrent l'entrée du tunnel de contrebande. Des algues vertes en rayonnent et commencent à couvrir le Mur à l'extérieur. En passant dans le tunnel, ils constatent que les algues ont tellement colonisé la paroi que le passage sera bientôt impraticable. Déjà, le sous-marin est frôlé par des filaments verts. Joseph manipule les pinces du submersible pour placer un câble de télécommunication le long de la paroi.

Alors qu'ils arrivent à l'autre bout du tunnel, un spectacle inédit s'offre à eux : ils entrent dans une véritable Mer des Sargasses, où naviguent des bancs de poissons. Une telle biomasse marine a tout pour les surprendre, quand il ne reste plus que des méduses et des sacs plastiques dans le reste de l'Océan Atlantique.

2. Fougères

Le sous-marin suit les balises de contrebande et refait surface dans une rade de Dar-El-Aswad aux pontons vermoulus et couverts de moules immenses. En arrière-plan, on aperçoit la masse végétale de Dar-El-Aswad, seuls les minarets et les terrasses émergent de la canopée, noirs de moisissures. La ville est quasiment enfouie sous la jungle. Joseph reconnaît des variétés sub-tropicales qui n'ont rien à voir avec la flore réputée locale, et des espèces de fougères arborescentes disparues depuis l'Ere du Crétacé !

Le sous-marin s'engage dans le quai d'accueil tenu par des trafiquants berbères armés de longues carabines. Leur chef est installé derrière une table, sous un auvent. Il a un drôle de strabisme. Au-dessus de sa tête, une trentaine de papiers tue-mouches crépis d'insectes, et il en vient d'autres que le chef écrase du plat de la main dès qu'il en a l'occasion. Le chef réclame un paiement pour la traversée. Jonas, qui est le seul Emerson à parler arabe, lui donne des figurines et des composants électroniques. Le chef ricane un "Choukran !" ironique, en teste un en le cassant avec ses dents. Il écarte toutes ses bricoles d'un revers de main : "Vous devez me payer !", et ses hommes braquent Jonas avec leurs carabines. Jonas répond que c'est à Mama Samba de payer, Mama Samba prétend que ce n'est pas ce qui était prévu, elle dit au chef des trafiquants qu'ils ont des diamants. Jonas riposte : il précise que Mama Samba a un diamant dans une dent creuse. Mama Samba se retrouve obligée de le céder aux trafiquants, puis elle s'éloigne avec ses hommes, drapée dans sa fierté. Les Emerson viennent de se faire une ennemie.

Jonas demande aux berbères s'ils peuvent lui indiquer une auberge à moins de dix minutes d'ici. Tahar, l'un des berbères, grand et mince, barbu, avec de grands yeux noirs, lui dit qu'il a un cousin en ville qui tient une auberge, et qu'il peut les y conduire. Jonas le prévient que ça a intérêt à moins de dix minutes, comme il a demandé. Les berbères rigolent. "Ici, on ne compte pas en minutes.", précise Tahar.

3. L'autobus

Suivant leur guide, les Emerson longent la ville par la côte. C'est une grande plage avec du sable comme de la cendre où s'échouent de gigantesques méduses. Tahar leur dit de ne pas s'en approcher, mais Joseph ne peut s'empêcher de prélever un échantillon de venin de méduse dans une pipette.

Ils passent devant une longue jetée de bois putréfié. Au bout de la jetée, il y a un autobus jaune. Joseph le reconnaît avec stupeur : c'est l’autobus qui l'amenait à l'école quand il était enfant. Tahar leur dit ne pas s'en approcher non plus.

Ils s'enfoncent à nouveau dans la jungle, évitant de gros crabes mous à la carapace blanchâtre et translucide. Ils avancent sous les palmes et quand ils voient du linge à pendre tendu au-dessus de leurs têtes, ils comprennent qu'ils sont dans une rue. Il y a une femme agenouillée devant sa maison, qui vend des insectes vivants dans des pots en terre, grouillant de cafards et de gros scolopendres enroulés comme du boudin. Joseph est tenté de goûter mais Javier et Jonas l'en dissuadent. Ils montent une série de rues et de terrasses indéchiffrables sous la végétation, en fait ils progressent dans la ville végétaliser pendant des heures avant d'atteindre une courelle où jappe un chien à trois pattes, très maigre. Il est attaché au mur et devant lui, une gamelle désespérément vide.

Tahar montre l'entrée obscure d'une casbah aux murs ocres. Ils sont arrivés. Une odeur de cuisine en émane, à la fois agréable et écœurante, et pas du tout familière pour les Emerson qui n'ont connu que le Soleil Vert de toutes leurs vies.

Javier entre le premier. Planquée de l'autre côté, une vieille berbère au crâne recouvert d'un foulard noir abat un couteau de boucher sur sa poitrine. Jonas tente d'agir, Tahar lui tire une balle de plomb dans le bras. Jonas crie à Javier de se défendre, de tirer comme quand il était petit, qu'il avait joué avec une carabine à plombs pour tirer sur le chat des voisins. Il l'avait manqué, mais il n'avait pas manqué le voisin ! Javier se ressaisit, il donne un coup de crosse à la vieille pour la neutraliser. Il voit une bête sauter dans les escaliers en feulant. C'est un chat. Le chat des voisins ?

Joseph ceinture Tahar d'un bras et lui cale la pipette de venin de méduse sous la gorge. Il a cassé l'extrémité pour que la pipette devienne une lame. Tahar dit à la vieille, qui est sa mère, de rendre les armes. Il explique leur geste par le fait qu'il fallait bien manger ! La garniture du couscous est prête, mais il manque de la viande. Joseph leur dit qu'ils n'avaient qu'à manger le chien, Tahar répond qu'il ne faut surtout pas manger le chien. Jonas, dans la fougue de sa jeunesse, se comporte comme il a vu dans les films. Avec sa pipette ébréchée, il sectionne l'oreille de Tahar et la jette à la vieille : "Tu n'as qu'à faire çà à manger !". Tout le monde est sous le choc. Jonas lui dit de lâcher Tahar.

4. Le couscous

Aussi étrange que cela puisse paraître, Tahar considère que comme ils l'ont épargné, il leur doit la vie, et par conséquent qu'il a une dette d'honneur envers eux. Les Emerson demandent à manger, et la vieille leur sert le couscous. La semoule est un mélange de boulghour et d'autres céréales. Ce sont les "légumes" qui sont spéciaux. On dirait des étoiles de mer spongieuses, de teintes différentes. Les Emerson mangent cette nourriture étrange, c'est la première fois qu'ils mangent quelque chose qui a du goût (le Soleil Vert n'en a aucun). Quand ils les mâchent, les étoiles de mer semblent prendre vie. Et une fois dans leur estomac, elles semblent interagir avec leur métabolisme.

Ils décident de rester dormir là. Mais Javier pense à sa grand-mère (la mère de Jonas). Il la voit dans sa maison, elle est vieille, autour de quatre-vingt ans, elle est attablée à son bureau, elle tient dans sa main un formulaire et un stylo. C'est un formulaire pour l'accession au pensionnat de fin de vie. On raconte que les personnes âgées y coulent leurs derniers jours heureuses, peut-être qu'elles sont dans des rêves narcotiques. La grand-mère hésite, elle s'apprête à signer. Javier s'agite, et alors tout le monde voit la grand-mère, elle est dans la casbah avec son bureau, son formulaire et son stylo. Jonas explique à Javier ce que signifie le pensionnat de fin de vie : en fait les vieux finissent en Soleil Vert ! Javier se rue sur le stylo et l'arrache de la main de la grand-mère. Il vient de la sauver ! Comme la vision est terminée, la grand-mère et son bureau tombent en cendres. Pas une cendre gris, fine, homogène, mais une vraie cendre d'incinération, avec des teintes différentes, des grumeaux, des morceaux d'os, une odeur.

5. Tout se mange

Le chien aboie toujours. Tahar lui jette des cailloux pour qu'il se taise. Joseph demande à Tahar pourquoi il ne le nourrit pas. Tahar répond qu'il ne faut surtout pas le nourrir. Les Emerson lui demandent d'où viennent tous ces prodiges : l'autobus, le chat, la grand-mère, les étoiles de mer qui interagissent avec le métabolisme.

Tahar est sur le pas de la porte, il les regarde et dans la nuit on voit presque plus que ses yeux. Il dit : "C'est l'emprise, la transformation. Ici, tout ce que tu manges finit par te manger. Et tout se mange, ici." Il démontre ses dires en grattant un peu du mur ocre de sa casba et en le mangeant sous leurs yeux. Joseph essaye à son tour. C'est comme un biscuit rance, mais ça se mange.

Jonas demande auprès de qui ils peuvent en savoir plus sur ce phénomène, que Tahar appelle l'emprise. Il leur dit que les sheitanites en savent long sur le sujet, mais qu'ils sont corrompus, impurs. Sinon, ils peuvent aller voir la doyenne de la ville, celle qui a absorbé le plus d'emprise dans sa vie. Elle vit dans le harem.

Le chien à trois pattes aboie toujours. Joseph, poussé par sa curiosité, lui donne les cendres du souvenir de son arrière-grand-mère à manger. Le chien se met alors à gonfler, gonfler, pas sa tête, seulement son corps. Ses trois pattes grandissent et se désarticulent comme celles d'une araignée, et il se rue sur Joseph la gueule grande ouverte ! Il lui vomit les cendres sur le visage. Tahar les admoneste pour avoir ignoré son avertissement.

Joseph demande à Tahar de les conduire à la doyenne. Guidés par leur hôte, ils partent dans la nuit. Il n'y a plus de rues que la jungle n'ait rendue impraticable ou dangereuse. Tahar leur fait escalader les toits, traverser des casbas, monter de terrasse en terrasse. Ils aperçoivent les cimes de la ville sous les étoiles, comme une cité inca perdue dans la jungle. A l'ouest, l'océan ondule et soupire comme une chevelure.

Sur une terrasse, ils croisent un mendiant assis par terre. Mendier ici, à cette heure. Autre bizarrerie de Dar-El-Aswad.

Ils montent encore, et soudain, arrivés sur une nouvelle terrasse, voient des points rouges glisser sur leurs fronts. Ils se jettent à couvert ! Une voix leur dit de jeter leurs armes dans la rue en contrebas. Ils s'exécutent pour ce qui concerne leurs flingues, mais Javier garde son couteau, bien planqué. ça discute en chinois depuis le parapet d'où viennent les snipers. Ils tirent un filin vers la terrasse des Emerson, et une chinoise s'en sert pour descendre en tyrolienne jusqu'à eux. Elle est vêtue d'une combinaison noire, elle a un visage très pur. Elle se présente comme faisant partie de la firme Corail, le concurrent asiatique de Monsanto. Elle leur demande de lui confier tous leurs échantillons et de leur relater tout ce qu'ils ont appris depuis leur arrivée. Joseph leur confie son échantillon de venin de méduse, elle ouvre sa combinaison et en sort une capsule pour ranger ça. Ils repensent à Tahar. Il a été empoisonné quand Joseph lui a tranché l'oreille. Peut-être est-il un mort en sursis ?

Quand les Emerson relatent qu'ils ont mangé de la nourriture locale, la chinoise semble abasourdie par leur amateurisme. "Nous avons amené notre nourriture de Chine. Hors de question de manger local, c'est bien trop risqué !". Elle leur explique que l'emprise est partout en Al-Milval, elle rayonne, c'est une particule qui peut altérer l'ADN, un peu comme un virus, mais elle peut traverser la chair, comme une radiation. Quoiqu'il en soit, c'est par la nourriture qu'elle se transmet le plus. Javier commence à douter de son patriotisme. Les USA l'auraient-ils mandaté pour une mission-suicide ?

Javier profite que la chinoise soit surprise pour la ceinturer et lui plaquer son couteau sous la gorge. ça s'affole, ça tire dans tous les sens. Jonas se prend une balle dans le genou ! Il voit la perspective de sa retraite s'éloigner. Lui qui voulait tant retrouver sa cabane de pêche dans l'Oregon... Même s'il n'y avait rien à pêcher ! Ce sera quand même bon de faire semblant.

Alors, dans un bruissement, sortant des fenêtres sur le parapet des snipers, navigant entre des palmes, passent des carpes.

Les snipers crient en chinois : "Chef, permission de vous tuer ?", une langue que connaît Joseph. La chinoise répond par la négative, elle laisse les Emerson dicter leurs conditions. Ils demandent que les snipers leur confient leurs fusils en échange de la chinoise, ce qu'ils font, puis les deux groupes se séparent, Monsanto et Corail partent chacun de leur côté.

Tahar peut donc finir de conduire les Emerson au harem. C'est un édifice qui est dans les sommets de la ville, un palais arabe à l'architecture complexe et audacieuse. Les Emerson négocient l'entrée avec les eunuques en promettant de laisser leurs fusils de sniper en paiement.

A l'intérieur, ce sont des colonnes ouvragées et des rosaces arabes aux détails somptueux, des plafonds hauts en fractales démentes. C'est au final moins un harem qu'un gynécée : on ne voit pas l'homme qui serait le maître des lieux, on ne voit pas non plus d'eunuques. Ce sont de grands bains environnés de vapeurs. Ils croisent des femmes uniquement vêtues de bijoux. Certaines sont sublimes, d'autres, entraperçues à travers les vapeurs, sont beaucoup moins regardables.

On les conduit au cœur du harem, une très grande salle au plafond très haut, une vraie nef soutenue par un entrelacs de poutres blanches qui forment une rosace.

Installée sur les poutres, la doyenne. Son corps occupe presque toute la surface de la salle, elle n'est qu'une masse de bourrelets et de cheveux blancs qui pendent jusqu'au sol comme des lianes. Les Emerson prient pour que les poutres soient solides.

Au centre de la salle, un grand bassin, et flottant sur le bassin, ce que la doyenne leur nommera "le Lotus", une énorme fleur vivante, comme faite de peau et de mycélium, avec en son centre un sphincter qui pulse.

La doyenne leur parle, et c'est comme une multitude de voix différentes sortaient de ses bourrelets, toutes très douces et très calmes, et elles s'expriment dans une langue que les Emerson comprennent d'instinct, car c'est la mère de toutes les langues. La Langue Putride.

Ils lui demandent de leur expliquer comment trouver la Souche, elle leur demande de leur offrir un souvenir chacun, elle en a besoin pour se nourrir. Jonas raconte la fois où Javier a voulu tirer sur le chat, et il oublie le souvenir à mesure qu'il le raconte, alors que la doyenne l'absorbe. Une forme poilue et humide remonte à la surface du bassin. C'est le chat des voisins, mort.

Joseph raconte la tarte aux citrons que lui faisait son arrière-grand-mère, la mère de Jonas. Remontent à la surface des yeux de crème au citron et des morceaux de pâte imbibée.

Javier raconte un moment qu'il avait passé avec sa grand-mère, la mère de Jonas. A la surface du bassin remontent un formulaire et un stylo, puis une masse de cheveux blancs. C'est la grand-mère. Javier la sort de l'eau. Elle est nue.

La doyenne exulte. Elle leur dit que la Souche est là, au cœur de la ville, au cœur de l'emprise. La Souche, c'est le Lotus.

Joseph coupe une feuille de lotus et la place dans sa caisse d'échantillonnage. Mais le métal de la caisse fond comme du plastique. La doyenne jubile. Ce n'est pas comme ça qu'on transporte le Lotus. La boîte, c'est eux. Ils doivent manger du Lotus.

Tahar se met à tousser. Il recrache de l'eau de mer. Un tentacule de méduse lui sort de la bouche, puis un autre des narines, un autre de l'oreille ! Le venin fait son effet ! Tahar vomit des méduses, son visage est enflé par le venin, il s'écroule et tombe dans le bassin, raide mort.

Des coups de feu, étouffés par des silencieux. Surgissent alors les snipers et la chinois de Corail. Ils se sont ré-équipés et les ont suivis jusqu'ici, se frayant un chemin par les armes. La chinoise leur hurle de ne pas toucher au Lotus, mais Joseph a le temps d'en croquer un pistil.

Il offre à la doyenne toutes ses connaissances en biologie afin d'obtenir de la puissance en échange. Les Emerson s'emparent des fusils qu'ils ont extorqués aux chinois. Le combat s'engage. L'emprise est à son comble dans la salle. Une fleur de chair ensanglantée pousse sur la blessure de Javier. Jonas crache du sang mélangé à des caillots nécrosés. Il se fait blesser à la colonne vertébrale. Devenu paraplégique sous le choc, il tombe dans le bassin. Il sent la perspective de sa retraite s'éloigner de plus en plus. Dans le bassin, il y a des carpes, il y a sa femme, nue, elle n'aimait pas pêcher avec lui, elle avait peur de monter en barque, elle avait peur de tomber à l'eau, elle ne savait pas nager. Jonas fait ce qu'il peut pour la récupérer, Javier les tire tous les deux hors de l'eau.

Ils ont neutralisé les snipers et Joseph a capturé la chinoise de nouveau. Il lui demande de manger du Lotus. Elle servira de réceptacle, il l'épousera, elle sera sa femme, ils auront un enfant. Joseph sent comme des dizaines de petites explosions dans son crâne. La chinoise refuse de toutes ses forces. Joseph mange une feuille de Lotus. C'est comme manger un gros concombre de mer, ça a le même goût de mollusque, ça remue pareil.

Il est temps de partir. Mais que faire de la femme de Jonas et de sa mère ? Ils comprennent qu'elles ne sont pas des illusions, elles se sont vraiment matérialisées ici, il faut les ramener. Javier se dit : "Heureusement que je n'ai pas pensé à ma femme !". Alors des cheveux noirs remontent à la surface du bassin. Javier est écœuré. Il se prend la tête dans ses mains : ne pas penser à ma femme, ne pas penser à ma femme, ne pas penser à ma femme...

Joseph tente de participer à l'effort de concentration pour ne pas se souvenir. Des taches de sang éclatent dans son champ de vision. Toute sa jeunesse lui repasse devant les yeux. C'en est fini des illusions de ses vingt ans. Javier s'exclame : "Monsanto, ils savaient ! Ils avaient prévu dès le départ qu'on serait le réceptacle ! Les salauds ! Le pays nous a sacrifié !". C'en est fini de sa foi en la patrie.

Jonas regarde sa femme et sa mère, nues, ruisselantes. Elles l'entraînent dans le fond du bassin, il se laisse faire. La voilà, sa retraite. Javier a un flash. Il se voit en écrivain. La chinoise, c'est son éditrice, il lui remet un manuscrit qui raconte cette histoire.

La réalité
se délite

complètem en t !

"Vous ne comprenez pas", exulte la doyenne. "Oubli, emprise, égrégore, tout ça c'est la même chose !". Des fleurs de Lotus poussent sur tout le corps de Joseph.

Javier regarde le bassin, impuissant.

Il en sort une belle femme

nue

aux longs cheveux noirs

c'est sa femme


Outrages infligés aux personnages :

Joseph Emerson :
Perte de ses connaissances
Explosions dans le crâne
Tâches de sang dans la vue
Fleurs de lotus qui poussent sur le corps

Illusions de la jeunesse (attache) :
Sacrifiée

Javier Emerson
Hachoir dans la poitrine
Fleur-Blessure

Patriotisme (attache)
C'est une mission-suicide
Monsanto nous a trahis
Monsanto nous a sacrifiés

Jonas Emerson
Blessé à l'épaule
Balle dans le genou
Necro-hemorragie
Colonne vertébrale paralysée

Retraite (attache)
Hallucination de carpes
Maman dans l'eau
Mère et femme qui l'entraînent au fond du bassin


Retour des joueurs

Joueur de Javier :
+ Très agréable
+ Il faut être réactif (don de dés)
+ Un débutant aurait du mal
+ Mais pour un joueur confirmé, la feuille de perso, ce serait la pire chose qui soit.
+ Il faut un bon échange au niveau des idées

Joueur de Jonas :
+ Cela faisait penser à une version moins technologie d'eXistEnZ, et encore plus au Festin Nu.
+ Peut-être que la progression est prévisible et linéaire. C'est intéressant pour les premiers one-shot. Quand on découvre l'équilibrage du système, on va jouer différemment.
+ Le côté métaphysique, c'était bien (les souvenirs...).
+ Sacrifier son attache, c'est faible en terme d'attrition narrative si on le joue pas.
- Réponse de Thomas : Mais c'est fort en terme d'attrition mécanique.
- Joueur de Jonas : Il faudrait une conséquence narrative.

Joueuse de Joseph :
+ Le côté illusion en joker, c'est bien.


Retour personnel :

Mes trois joueur.se.s étaient plus à l'aise avec le partage de narration que les joueur.se.s de Jérusalem.
Et le contexte de Dar-El-Aswad prêtait au foisonnement d'horreur organique là où le contexte de Jérusalem était sec. Cela a donné un résultat beaucoup plus baroque et mind fuck.
L'écrit ne rend pas forcément la sensation de tempêtes sous des crânes qu'il y a eu lors du climax.

De ce que j'ai compris des règles, la prise directe de dés au cours d'une confrontation est interdite, mais un.e joueur.se pouvait prendre un dé dans le bol (et alors se faire inscrire sur la liste du sort) et le donner à un.e autre joueur.se en lui faisant une suggestion de monologue. Donc il y en a eu beaucoup, et elles étaient beaucoup plus étoffées que dans Jérusalem.

J'ai eu du mal à présenter le contexte, vu l'absence de scénario par scène (ne connaissant pas à l'avance les objectifs des personnages, je n'avais pas préparé mes Symptômes ou mes Antagonistes à l'avance, juste ma Source, qui était l'emprise). Et j'avais aussi le trac, ne sachant pas si je saurais improviser. Pourtant, j'ai été en forme au-delà de mes espérances, je pense que c'est grâce à la structure, et surtout à l'agenda (symptômes, agissements des antagonistes...) que propose le jeu. J'ai créé tous les symptômes à la volée, mais au moins, je savais où j'allais, c'est-à-dire vers un empilement des révélations, un emballement de l'adversité. Y'a juste un moment où j'ai eu un coup de mou, alors j'ai juste posé quelques questions aux joueur.se.s : ce que leurs personnages craignaient le plus, les questions qu'ils se posaient... et je suis reparti avec ça.

J'ai même créé de l'adversité en rab, puisque Mama Samba n'a pas resservie, et je n'ai pas exploité les drogues ou les sheitanites. Les chinois de Corail étaient des antagonistes intéressants, dans la mesure où je les ai joués plus prudents, plus conscients des risques de la Source que l'étaient les personnages.

C'est agréable de jouer en 4h, au lieu de 2h pour Jérusalem. Cela nous a laissé le temps de bien développer. On s'est même permis une intro très axée mission commando, qui a potentialisé l'horreur métaphysique qui survient juste après (le premier symptôme n'apparaît qu'au bout d'une heure de jeu).

J'ignore si Innommable permet systématiquement d'aborder la métaphysique d'un univers fictionnel, je trouve en tout cas qu'il nous inspire, qu'il nous motive à le faire. Ainsi, c'est la première fois dans une partie de Millevaux que j'aborde aussi frontalement le concept qu'oubli, emprise et égrégore sont trois facettes d'une même force.

J'ai eu l'impression que les joueur.se.s ont eu plaisir à créer le groupe de personnages, je suis très peu intervenu là-dessus. Le fait qu'ils aient choisi un lien de famille entre eux trois a été très fertile pour le jeu, notamment parce que les trois personnages étaient forcément impliqués dès qu'il arrivait quelque chose à l'un d'eux, et aussi parce que ça ramenait le thème de la mémoire en contrebande.
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Re: [Systèmes Millevaux : Innommable] Dar-El-Aswad

Message par Christoph » 13 Fév 2016, 01:44

Hey Thomas!

Je suis content que ton expérience se soit encore améliorée. Juste en vitesse, pour une éventuelle future partie, deux réflexions sur les règles, afin d'ouvrir des pistes d'expérimentation (c'est peut-être le vrai intérêt de ce jeu, plus qu'une éventuelle forme.finale.et définitive qui m'échappe de toute manière).

Dans les versions non-publiées du jeu, on peut sans autre faire un monologue dans l'espoir d'améliorer un lancer de dé. En revanche, j'ai purement et simplement supprimé la règle de la suggestion, dont je n'ai que trop rarement tiré quelque chose de satisfaisant et de cohérent avec mes envies pour le jeu. Mais si ça roule pour vous, tant mieux!
Les Petites choses oubliées, avec Sylvie Guillaume, c'est arrivé !
.ınnommable: cuvées 2008-2010 en téléchargement gratuit.
Zombie Cinema, en français dans le texte.
Christoph
 
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Re: [Systèmes Millevaux : Innommable] Dar-El-Aswad

Message par Thomas Munier » 13 Fév 2016, 10:00

Disons que de ma petite expérience et de mon feeling, la règle de la suggestion fonctionne avec des joueur.se.s qui sont bien en harmonie, sinon je peux voir à quels "couacs" ça peut mener en effet.
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Thomas Munier
 
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