[Les Remémorants] Le coeur de la forêt ensorcelée

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[Les Remémorants] Le coeur de la forêt ensorcelée

Message par Thomas Munier » 31 Jan 2016, 11:09

LE CŒUR DE LA FORET ENSORCELÉE

Les Remémorants en table ouverte, pour un voyage dans la tristesse, les histoires croisées, les souvenirs cruels et apaisants

Jeu : Les Remémorants, chasseurs de souvenirs dans le monde sans passé de Millevaux, par Steve Jakoubovitch

Joué le 10/10/15 au Festival du jeu à Noyal-Pontivy
Personnages : Cerbère, Dragen, Heart, Elrich, Sanka, Kalika, Igor, l'ami, le brûlé, le père, le bûcheron, le charpentier.


Image
crédits : arsen guschin, publienergy, road less trvled, licence cc-by-nc, galeries sur flickr.com


Personnages :

Cerbère, communautaire
Rôle dans la communauté : protecteur
Ce qui se passera s'il ne revient pas : il y aura des morts

Dragen, vagabond
Blessure : une malédiction, les gens ont peur de lui.
Étincelle de vie : volonté de conjurer la malédiction

Heart, vagabonde
Blessure : je porte le deuil de ma famille
Étincelle de vie : Kit-kat, mon chat noir posé sur mon épaule
Jamais plus son chat ne bougera

Elrich, vagabond
Blessure : cicatrices bras droit
Étincelle de vie : un doudou ayant appartenu à ma fille Fiona
Jamais plus il n'entendra les enfants
Jamais plus il ne pourra s'approcher du feu
Jamais plus il ne verra sa fille

Sanka, vagabonde
Blessure : cicatrices sur le visage
Étincelle de vie : Réa, ma sœur jumelle qui m'accompagne

Fléo, vagabond
Blessure : dents pourries
Étincelle de vie : se transforme en loutre

Kalika, vagabonde :
Blessure : addict au jeu
Étincelle de vie : je porte bonheur

Igor, vagabond
Blessure : une seule personnalité, mais deux têtes
Étincelle de vie : veut sauver le monde

L'ami, communautaire
rôle dans sa communauté : tout le monde l'aime
ce qu'il se passera s'il ne revient pas : ils le rechercheront

Le brûlé, vagabond
Blessure : visage brûlé
Étincelle de vie : recherche sa famille
Jamais plus il n'aura d'argent
Jamais plus il ne pourra utiliser son poignet droit

Le père, vagabond
Blessure : balafre
Étincelle de vie : à la recherche de son fils aîné.

Le bûcheron, vagabond
Blessure : un bras en moins
Étincelle de vie : souvenir d'un foyer
Jamais plus il ne reverra son père
Jamais plus il ne reverra ses frères et sœurs
Jamais plus il ne reverra sa mère

Le charpentier, vagabond
Blessure : une balafre
Étincelle de vie : il veut se souvenir d'où il vient
Jamais plus il ne reverra sa femme
Jamais plus il ne reverra son aîné


L'Histoire :

Cerbère et Dragen arrivent dans la forêt ensorcelée. Le monde est en ruines, la forêt a tout envahi, et comme beaucoup de gens, ils ont perdu leurs souvenirs. C'est la forêt ensorcelée qui les a volés. Ils y sont allés pour les retrouver.
Il y a tellement d'arbres qu'on ne voit rien à cent mètres, cinquante mètres, hormis des lueurs grosses comme des têtes d'épingles. Entre les racines des arbres, pendus dans leurs branches, il y a des feux follets, des souvenirs.

Cerbère prend un feu-follet dans ses mains. Le protecteur prononce la phrase magique : "Je veux me rappeler... de mon enfant."

Dragen souhaite se rappeler de pourquoi il a été maudit. Avant, il était mercenaire. Il a persécuté une caravane de gitans. Il était venu pour exercer une vengeance. Il a torturé le chef des gitans, un vieillard, celui-ci l'a supplié d'épargner sa famille, mais Dragen n'a rien entendu. Il a tué tous les gitans qu'il a pu. Mais certains se sont échappés. Il voit une fille gitane, dans ses rêves, elle a le visage très pâle. Elle dit qu'elle le maudit pour ses crimes, que plus personne ne pourra plus le regarder dans les yeux. Qu'il ne sera délivré que le jour de sa mort.
Dragen se tient le cœur. Il tombe, raide mort. Son visage est enfin apaisé.

Cerbère est reparti quand les autres arrivent. Il ne pouvait pas s'arrêter, sa communauté était en danger sans son protecteur.
Ceux qui trouvent le corps de Dragen, ce sont quatre vagabonds : Heart, qui porte le deuil de sa famille, un deuil si lourd qu'il se voit sur elle, avec un chat raide planté sur son épaule : Kit-kat. Elrich, avec son bras droit barbelé de cicatrices. Et les plus jeune, les jumelles Sanka et Réa. Réa ne dit rien, ne fait rien, elle observe sa sœur prendre les feux-follets et se rappeler.

Sanka veut se rappeler de son chat qui a disparu. Elle le cherchait, lui il a grimpé au bord d'un précipice. Il suivait un oiseau, une perruche bleue, animal exotique qui le fascinait.

Elrich est venu pour se rappeler de Fiona, sa fille. Mais la forêt ne l'entend pas de cette oreille. Il se rappelle de son fils, Bastien. Ils étaient saltimbanques, il allait de ville en ville avec lui. Arrivés à l'entrée d'une ville, ils n'avaient pas les moyens de payer le garde. Alors le garde a exigé de garder Bastien en caution pour laisser rentrer Elrich. Il le lui rendrait si Elrich gagnait en ville de quoi rembourser le prix d'entrée. Mais Elrich sait bien qu'il n'a pas pu récupérer Bastien. Alors qu'il reprend ses esprits, il n'entend pas la voix des jumelles qui lui demandent s'il va bien. Jamais plus il n'entendra la voix des enfants.

Quand Heart attrape un feu-follet, c'est pour se rappeler de l'incendie où elle a perdu sa famille. Elle revit les flammes qui dévorent leur maison, elle entend leurs cris. Elle se revoit, se tenant devant la maison, avec son chat sur l'épaule. Elle se voit observer sans intervenir, puis partir.

Sanka veut se rappelle d'une chose, mais au lieu de ça, elle se rappelle de la petite fille qui voulait jouer avec elle. Cette petite fille avait fugué de chez ses parents pour la rejoindre. Sanka a essayé de la convaincre de rentrer chez ses parents, mais elle ne se souvient plus si elle y est parvenue.

Heart se rappelle de Bastien, elle s'en rappelle parce qu'elle l'a connu, plus tard. Son père n'était jamais venu le chercher, il avait survécu, certes, mais il était aigri et violent. Heart a connu une romance avec Bastien, mais pour exprimer toute sa colère, il la battait. Heart a essayé de le fuir, mais elle n'est plus sûre de savoir si elle y est parvenue, ni même si elle a réussi à prendre cette décision.

Trois nouvelles personnes les rejoignent dans la forêt ensorcelée, des vagabonds également, eux aussi venus glaner leurs souvenirs dans les feux-follets.
Il y a Igor, un homme avec deux têtes. Il pense d'une seule âme, mais ses deux cerveaux, le rendent deux fois plus intelligent, et aussi deux fois plus effrayant. Il y a Fléo, l'homme aux dents pourries qui peut se transformer en loutre, et Kalika, qui ne pense qu'aux jeux d'argent.

Igor est venu pour se rappeler de son enfance, mais encore une fois la forêt est joueuse. Il se rappelle d'avoir assisté à un incendie. Il y avait toute une famille dans la maison, mais il ne se souvient plus s'il est intervenu pour les aider, si c'était seulement possible, ou même s'il est responsable ou non de l'incendie. Il se souvient seulement d'avoir vu une femme avec un chat sur l'épaule se tenir au dehors, et observer la scène.

Kalika est venue pour se rappeler d'un grand tournoi de poker. Elle avait gagné gros, pas le premier prix, mais pas mal quand même. L'un des hommes qui l'a battu, un homme au chapeau noir dont l'ombre lui dissimule le visage, l'a accusé de tricherie et l'a menacée de mort.
Elle a caché son butin dans les toilettes et elle a fui le tournoi pour lui échapper.

Fléo est venu se rappeler de pourquoi ses dents sont pourries, mais à la place il se rappelle qu'il était aussi dans ce tournoi. Il a aussi été menacé par l'homme au chapeau noir. De peur, il s'est transformé en loutre et a fui vers les toilettes.

Heart était aussi à ce tournoi de poker. Elle aussi a gagné gros et a caché son butin dans son chat, elle sen rappelle maintenant, son chat est mort ce soir là et s'en rendant compte, elle comprend que jamais plus son chat ne bougera. Mais elle n'a pas voulu rester jusqu'à la fin. Elle est allée vers les toilettes, elle se rappelle avoir aperçu une queue de loutre ou d'un autre animal s'y faufilé, et elle a fui par la fenêtre des toilettes. Elle a vu l'homme au chapeau noir qui recherchait l'autre gagnante du tournoi de poker. Elle aurait juré avoir vu son visage, ou plutôt les deux bosses qui formaient son visage.

Elrich veut toujours se rappeler de sa fille, mais la forêt, cruelle lui impose un autre souvenir. Il était dans la maison avant l'incendie. Il n'avait pas gagné d'argent en faisant le saltimbanque, et il lui en fallait absolument pour racheter Bastien au garde, alors il est entré dans cette maison pour la cambrioler, et une personne l'a surpris, un homme, il lui semble, et il y avait d'autres personnes dans la maison, il a entendu des cris, et dans la panique il a mis le feu et il s'est enfui. Il n'a jamais pu récupérer Bastien. C'est dans cette maison en feu qu'il s'est fait cette blessure au bras, dont il garde la cicatrice. Et quand il reprend ses esprit, il réalise qu'il ne pourra plus jamais oser s'approcher du feu, de la moindre flamme de bougie, de braise ou de briquet. Il ne peut plus s'approcher que de la flamme froide et vénéneuse des feux-follets.

Heart se rappelle son entrée dans la ville. Le garde, avait-il un chapeau ?

Kalika se rappelle avoir couru dans la forêt, elle se rappelle de l'homme au chapeau noir qui la pourchasse. Il la rattrape enfin, un couteau à la main. Que s'est-il passé ensuite ?

Igor veut toujours se rappeler de son enfance, mais au lieu de ça il se rappelle comment ses parents ont dû, pour cause de misère, le confier à son oncle. Il est persuadé que ses parents l'ont élevé dans la bonté. Son oncle était forain, il l'a emmené pour le montrer comme une bête de spectacle, il lui a appris des tours aussi, il lui a appris des tours de poker. Il lui a enseigné l'aigreur et la méchanceté. Que tout le monde détestait les forains, et que tout le monde détestait les monstres. Qu'il devrait se montrer impitoyable. Et s'il perdait au jeu, il devrait toujours accuser son adversaire de tricherie et le menacer de mort.

Kalika frémit. Qui est cet homme qui l'a rejointe dans cette forêt ?

Elrich se rappelle enfin de sa fille, Fiona, sa fille adorée. Il jouait à la balançoire avec elle, elle riait. Ce qu'il ne voyait pas, c'était Bastien, dans l'ombre, entre les arbres, qui les épiait. Bastien, son beau-fils, le fils de sa femme, pour qui il n'a jamais éprouvé d'affection. Bastien pleurait, esseulé.

Sanka s'en souvient, de cette fille. Elle lui avait dit de rentrer chez ses parents, de ne pas fuguer au nom de leur amitié. Réa l'avait encouragé à le faire, peut-être ne voulait-elle pas que Sanka ait une amie ? Mais apparemment la fille n'est pas retourné chez ses parents, il y a eu une battue. Sanka l'a recherché également, et finalement c'est elle qui l'a trouvée. Elle jouait au bord du ravin, avec le chat de Sanka dans ses bras. Elle a dit à Sanka : "Je vais me jeter dans le ravin, comme ça mon père n'aura plus que mon frère, il sera bien obligé de faire attention à lui, maintenant.". Sanka pense l'en avoir dissuadé. Alors la fille aurait dit : "D'accord, je ne saute pas, mais dans ce cas, je vais fuir, le résultat sera le même. Donne-moi ton chat pour me tenir compagnie." Sanka a refusé, elle a dit : "Prends plutôt celui qui passe par là". Alors, la fille lui a fait un regard tout drôle, et elle a dit : "Voilà ce que j'en fais de ton chat, puisque tu ne veux pas me le donner". Et elle a lancé le chat de Sanka dans le ravin !

A ce moment là, Elrich a voulu se rappeler de ce soir la. Il s'est alors rappelé qu'il cherchait sa fille désespérément et qu'il l'a finalement trouvée au bord du ravin. Mais quand il voulut s'approcher, il vit alors Bastien avancer vers elle. De loin, il les a vu discuter, voire s'engueuler, puis après il a cru le voir la pousser dans le ravin (il n'est plus sûr de ce qu'il a vu). Sa fille serait donc tombée et morte sur le coup. C'est à partir de cet événement qu'il a commencé à perdre ses souvenirs.

Et quand Elrich reprend ses esprit, c'est pour être assiégé par une terrible douleur morale : la certitude que c'est la dernière fois qu'il voit sa fille, qu'il ne le reverra jamais.

Suite à ce souvenir retrouvé, il quitte la forêt le cœur lourd pour aller se recueillir sur la tombe de ma fille... L'histoire ne dis pas s'il a eu le courage de rester en vie. Il a juste demandé à partir, il n'avait plus rien à faire ici. Alors Heart et Sanka l'ont accompagné, au dehors de la forêt ensorcelée.

Igor s'est rappelé du moment où il est devenu adulte. Son oncle lui a laissé le choix entre rester parmi les forains, mais alors il devrait selon leur code, être impitoyable et sans cœur, ou alors il pouvait partir de la caravane. Alors il pourrait vivre selon sa propre morale, mais les forains le considéreraient alors comme un étranger, un ennemi. Igor a choisi de partir. Il a pris son chapeau noir qui couvre sa tête double, et il est parti.
Quand il a participé et perdu à ce tournoi de poker, les vieux réflexes inculqués par son oncle sont revenus. C'est pour cela qu'il a menacé Kalika et l'a pourchassée dans la forêt. Mais quand il est arrivé face à elle, il s'est rappelé de son enfance, des valeurs de ses parents, et il a laissé tombé son arme.

Igor n'est pas comme ça. Il regarde Kalika, dans le présent. Le fait qu'elle soit toujours vivante prouve qu'il n'est pas comme ça. Il n'est pas un monstre. Alors, une de ses têtes meurt et se nécrose. Jamais plus il n'aura deux têtes.

Il y eut un homme pour les rejoindre, on l'appelait l'Ami. Il venait d'une communauté, mais quand on lui demandait son rôle, il n'en avait aucun, il n'avait aucun métier. Mais tout le monde l'aimait. C'était sûrement ça son rôle. Il savait que s'il s'absentait trop longtemps, tout le monde partirait à sa recherche. Et finalement, à voir les ravages que faisaient les souvenirs sur les autres, il a préféré rentrer les retrouver, et maintenir ce statu quo.

Quand le brûlé et le père arrivent dans la forêt ensorcelée, les autres sont partis, il ne reste que le cadavre de Dragen. Les souvenirs ne sont plus dans des feux-follets. Il faut se blesser le doigt à des ronces et les souvenirs sont dans le sang qui coule de la blessure.

Le brûlé a un visage déformé par la marque du feu, c'est ça chez lui qui faisait peur aux autres. Il recherche sa famille, et il est venu pécher des feux-follets de souvenirs pour retrouver sa réponse. Il se rappelle de la troupe de mercenaires qui attaque son village. Il se rappelle d'avoir été encerclé par des mercenaires, de leur avoir vendu sa famille pour sauver sa peau, pour quelques sous. Il reprend ses esprit et tâte les pièces dans ses poches. Les trente deniers de Judas. Et ces pièces se mettent à pourrir. Il comprend qu'il ne pourra plus jamais toucher d'argent sans qu'il ne tombe en moisissure. Il devra vivre le reste de sa vie sans argent.

Le père voulait se rappeler de son fils aîné. Il s'est surtout rappelé de comment il a eu cette balafre, alors qu'avec son fils ils ont été attaqués par trois mercenaires. A leur tête, c'était l'Artificier, un fou furieux au visage brûlé. Il a tué deux mercenaires mais l'Artificier s'est enfui en emportant son fils.
Le père a compris alors que les souvenirs de la forêt ensorcelée ne lui sauraient d'aucun secours pour retrouver son fils, qu'ils ne lui causeraient que du mal, alors il est reparti d'où il est venu.

Ensuite, le brûlé s'est rappelé avoir traqué la bande de l'Artificier, les avoir vu attaquer un autre village pour y capturer des esclaves. Il a suivi la caravane des mercenaires, il s'est approché de la roulotte où étaient emprisonnés les membres de sa famille. Il a forcé la serrure et il est entré, il les a retrouvés... Mais sa femme et ses enfants ne voulaient pas l'accompagner. Comme il les avaient vendus comme esclave, ils n'avaient plus confiance en lui.

Plus tard, plus loin, en plein centre de la forêt ensorcelée. Le bûcheron et le charpentier sont arrivés au cœur battant de la forêt, un entrelacs de branches et de ronces gros comme une maison, vivant.

Le bûcheron et le charpentier sont deux vagabonds, qui tout deux ont l'air d'avoir tout perdu. Le bûcheron a perdu un bras, le charpentier a une grande balafre qui lui déforme le torse.

Le bûcheron est venu pour se rappeler de son foyer, il lui semble qu'il est venu pour ça. Il commence par se rappeler de sa mère. De son beau visage. C'était une femme courageuse et indépendante. Il voit son père, un bûcheron, entrer dans la maison, et demander à sa mère qui elle est. Il ne la reconnaît pas. Il l'a interrogé pour comprendre ce qui a pu arriver, et le père a dit qu'il s'est blessé dans la forêt en allant bûcheronner pour nourrir la famille.

Le charpentier veut commencer par se rappeler quelles ont été les prémisses de la fin du monde. Alors il se rappelle d'un médecin qui lui confie, anxieux, l'existence d'une nouvelle maladie qu'il vient de constater. Les personnes qui se blessent au contact d'un végétal ou d'un animal perdent la mémoire. Elles perdraient un souvenir par blessure. C'est comme ça que la fin du monde a commencé.

Le bûcheron s'est rappelé avoir refait le parcours avec son père dans la forêt, pour comprendre ce qu'il se passait. Le père lui a montré l'endroit où il s'est blessé. Il lui a dit : "Je ne me rappelle pas ce qu'il y avait avant, les vingt ans de mariage avec cette femme que vous m'avez expliqué. Je me rappelle juste que quand j'ai été blessé, je me suis senti beaucoup plus léger. Comme si des années d'aigreur, de mensonges et de disputes s'étaient envolés de mon dos." Et il a poursuivi : "tu sais, j'ai eu des joies de vous avoir élevé, les enfants, mais aussi beaucoup de peines. Les responsabilités, les cris... ça aussi ça pèse très lourd sur moi." Et il a fait signe de se blesser à nouveau dans les épines. Et son fils l'a laissé faire, parce qu'ainsi, il serait plus heureux. Une fois blessé, son père l'a regardé et lui a demandé : "Qui êtes-vous ?". C'est vrai qu'il avait l'air plus léger. Mais plus jamais il ne reverra son père.

Le charpentier se rappelle que le médecin est revenu le voir. Il lui a dit : "Vous devriez abandonner votre profession de charpentier. Vous risquez de vous blesser à tout moment, et ce sera une blessure végétale, vous allez oublier. Peut-être oublier votre femme, ou vos enfants." Mais le charpentier a ignoré cet avertissement. Il fallait bien qu'il travaille pour nourrir sa famille.
En reprenant ses esprits, il sait déjà qu'il ne reverra jamais plus sa femme.

Le fils se rappelle être revenu voir sa mère, et quand elle lui a expliqué que le père les avait oublié et était parti, et le rôle qu'il a joué dans cette histoire, sa mère a été catastrophée. "Pourquoi l'as-tu laissé faire ? De quel droit t'es-tu permis ça ? J'avais l'occasion de tout redémarrer de zéro avec lui ! ". "Et son libre arbitre, tu y as pensé ?", a-t-il répondu. "Mais maintenant, qui va nous nourrir ?". "J'irai dans la forêt, je me ferai bûcheron comme mon père, et je vous nourrirai." "C'est très dangereux, tu le sais, reviens-nous vite. Dès qu'on pourra se débrouiller sans ça, tu abandonneras la carrière de bûcheron." Et le fils est parti dans la forêt, avec la hache de son père sur l'épaule.
Il sait qu'il n'a jamais plus revu ses frères et sœurs depuis.

Le charpentier s'est en effet blessé en travaillant. Il s'est entaillé en rabotant une poutre. Il a commencé à oublier le visage de sa femme.

Le bûcheron a continué longtemps à couper des arbres dans la forêt. Il a fini par rencontrer un charpentier. Un médecin est venu les voir. Il leur a dit que la seule façon d'enrayer l'épidémie d'oubli, c'était d'aller au cœur de la forêt ensorcelée, celle qui capture les souvenirs, et de détruire ce cœur. Les souvenirs volés seraient perdus à jamais, mais au moins les gens arrêteraient peut-être d'oublier. Il comptait sur les capacités du bûcheron et du charpentier pour réussir cette mission, alors ils ont pris la route tous les deux.

Le charpentier se rappelle que le médecin lui a aussi donné une méthode pour enrayer une blessure végétale ou animale : il fallait qu'il aggrave volontairement sa blessure avec une lame forgée, pour que la blessure redevienne une blessure minérale et non végétale ou animale. Alors sur le chemin, il a emprunté la hache du bûcheron et il a creusé sa blessure, en profondeur, pour que le visage de sa femme ne s'efface pas de son esprit.
Mais maintenant, il sait qu'il ne la reverra plus jamais.

Le bûcheron se rappelle être allé voir une dernière fois sa mère avant de partir vers le cœur de la forêt. Il a demandé ce souvenir pour avoir une chance de savoir où la retrouver quand il reviendrait de sa mission. Mais il s'est juste rappelé qu'il s'est disputé avec elle, car elle ne voulait pas qu'il prenne ce risque d'aller au cœur de la forêt. Elle lui a fermé la porte au nez, et elle lui a dit qu'elle déménagerait le lendemain pour aller chercher du travail pour nourrir ses frères et sœurs. Il ne sait pas où elle est allé. Jamais plus il ne la reverra.

Le charpentier sait déjà qu'il ne reverra pas son aîné. Il a perdu son visage. Il se rappelle avoir dit au revoir à son enfant cadet avant de partir vers le cœur de la forêt ensorcelé. L'enfant était triste à l'idée que son père parte. Il serrait fort contre lui le chat de la maison, ce chat qui avait tendance à sortir les griffes quand l'enfant jouait avec lui. Alors le soir avant son départ, le charpentier a dit à son fils cadet : "le chat veut faire un tour dehors", il a sorti avec le chat dehors, et comme l'enfant était resté dans la maison, il a tué le chat, pour qu'il ne griffe pas son enfant, pour que son enfant se souvienne de lui.

Et la douleur de ce souvenir lui a fait très, très mal, le charpentier a senti la vie le quitter à toute vitesse, comme l'eau d'une baignoire quand on retire la bonde. Il a dit au bûcheron : "Arrête de te souvenir, tu dois fuir d'ici !", et il est mort.

Le charpentier a écouté cet avertissement. Mais avant de partir, il a soulevé sa hache, et frappé le cœur de la forêt.

Frappé,

frappé,

frappé !


Commentaires sur le jeu :

Quand je suis arrivé au festival du jeu de Noyal Pontivy, dont c'est la première édition, j'ai eu peur de ne pas réussir à recruter une table fixe de joueurs sur tout l'après-midi. Alors j'ai décidé de plutôt jouer en table ouverte. Je me suis fait violence, et je suis allé voir toutes les personnes qui étaient debout sans jouer, pour savoir si elles voulaient faire du jeu de rôle, sans durée imposée. Quand on a commencé à jouer et que des personnes tournaient autour de la table, je les invitais à rentrer dans le jeu. Et quand ma table se retrouvait vide, je repartais à la recherche de joueur.se.s. Au final, j'ai dû jouer cinq heures d'affilée, avec 13 personnes en tout, 6 en simultané à un moment.

On a raconté beaucoup de choses et c'est sûr que je ne me rappelle pas tout. Un comble pour un jeu sur la mémoire ! Si c'était à refaire, j'aurais pris des notes sur l'histoire dès que j'avais un instant de libre, plutôt que de repartir aussitôt à la pèche aux joueur.se.s

J'ai eu le sentiment de jouer un peu plus dans l'esprit du jeu que lors de mes deux premiers tests. Notamment, j'ai assez peu intervenu dans les souvenirs, en n'interprétant pas trop de figurants, en posant beaucoup de questions à la place. Les joueur.se.s n'ont pas forcément toujours beaucoup posé de questions au remémorant.e, ou interprété beaucoup de figurants, mais quand même c'était plus équilibré. Surtout, j'ai très très peu narré au présent, j'ai juste dit à quoi ressemblait la forêt, donc a joué des souvenirs 95 % du temps. Finalement, mes principaux outils pour influer sur la narration a été le contrôle du souvenir en début de souvenir, et le "jamais plus" en fin de souvenir pour poser des enjeux, une tension.

Le joueur du père n'a pas adhéré à la proposition du jeu, qui était de jouer dans le passé, d'explorer des souvenirs, sans réel enjeu dans le présent. On peut pas séduire à tous les coups ! Je pense que lui comme moi avions compris la proposition du jeu, mais il n'était simplement pas client, ce qui est quelque chose que je peux comprendre tout à fait.
Énergie créative. Univers artisanaux.
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Thomas Munier
 
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