[Inflorenza] N'ayez pas peur

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[Inflorenza] N'ayez pas peur

Message par Thomas Munier » 16 Avr 2016, 09:19

N'AYEZ PAS PEUR

Retour à l'Autoroute des Larmes, du difficile équilibre entre ambiance et tension.

Jeu : Inflorenza, héros, salauds et martyrs dans l'enfer forestier de Millevaux

Joué le 24/09/2015 sur google hangout
Personnages : Eyota Creek, Allison Blake

Enregistrement de la partie disponible sur ma chaîne youtube


Image
Source : Museum of Photographic Arts, domaine public


Le théâtre :

L'Autoroute des Larmes
À travers la forêt canadienne, une route qui n'en finit pas. De jeunes amérindiens font du stop. Disparitions. Un road-movie triste et chamanique dans les forêts immenses du Grand Nord.

Qu'est-il arrivé aux disparus ? Les retrouvera-t-on ? Qui est responsable ?
Que vous soyez le proche d'un des disparus, un usager de la route, un membre de la police qui fait des recherches, un bénévole qui organise des battues, un auto-stoppeur, un habitant de la forêt, un indien qui survit dans la misère ou encore une de ces personnes infréquentables qui rôdent dans la région... la route ne vous épargnera pas.

Si les aventures d'Inflorenza ont lieu dans un futur post-apocalyptique, ce scénario a lieu de nos jours. On joue les prémisses de cet avenir sombre, les premières manifestations de l'oubli, de l'emprise, de l'égrégore et des horlas.

Ce théâtre a été publié dans le magazine Di6Dent


Personnages :

Eyota Creek, adjointe aux Affaires Autochtones.
Objectif : enquêter sur les disparitions de l'Autoroute des Larmes

Allison Blake, étudiante en dernière année de journalisme
Objectif : réaliser un reportage-choc sur les disparitions de l'Autoroute des Larmes


L'histoire :

Allison Blake est une pimpante étudiante en journalisme à Vancouver. Blonde, en tailleur, elle rêve de se faire une place chez les grands. Pour son sujet de fin d'études, elle a décidé de couvrir les drames de l'Autoroute des Larmes. Elle se réserve le rôle de la présentatrice, et s'est adjointe comme binôme à la caméra un autre étudiant, Matthew Washington, qui est afro-américain. Elle savait qu'il ne pouvait pas refuser ce service pour la bonne et simple raison qu'il est amoureux d'elle.

Cela fait trois jours qu'ils pérégrinent dans les contrées sauvages de la Colombie-Britannique. Ils sont arrivés à la "dernière station-service avant la fin du monde". Le gérant, un type a l'air dégueulasse, une tête de pervers, leur a dit qu'ils auraient un max d'infos s'ils poursuivaient jusqu'à la réserve indienne de Camp du Lac, à 3H de route de là... avec bien sûr plus aucune station entre les deux. Les deux journalistes poussent donc jusqu'à Camp du Lac avec leur van bourré à craquer de matériel "de survie". Le pompiste leur a parlé du chamane Chayton Creek, qui aurait sûrement beaucoup de choses à leur dire sur le sujet. Ce chamane prétend que les malheurs qui arrivent aux natifs sont des punitions de la forêt pour l'avoir abandonnée aux mains des colons blancs. Pour l'approcher, ils devraient passer par sa fille, Eyota Creek, adjointe aux Affaires Autochtones.

Quand ils arrivent à Camp du Lac, Allison et Matthew foncent vers le bureau de la police autochtone, un bâtiment en préfabriqué de taille modeste. Matthew filme. Contre le mur du bureau, un clochard natif fait la manche, à l'insu des autorités. Allison y va de son commentaire misérabiliste.

L'accueil est tenu par une agente auxiliaire, Abey Leoni, une jeune italo-indienne en uniforme (ses collègues la chambrent en disant qu'elle est une taupe de la mafia). Il y a beaucoup d'affiches vantant les actions du Gouvernement, et notamment sur la campagne de formulaires pour faire reconnaître son statut de natif sur les papiers d'identité. Il y a aussi un grand panneau de bois sur lequel sont affichés une trentaine de portraits de disparus. Le lieu sert de chapelle ardente. Des bougies et des pièges à rêves sont déposés au pied. L'affaire commence à devenir réelle, aux yeux de la jeune étudiante.

Le rouge monte aux joues d'Allison. Elle a même une petite larme à l’œil. Washington la filme. Il y a un natif cinquantenaire, qui porte une doudoune et de grosses chaussures. C'est Bill. Ils le filment. Bill demande : "Pourquoi vous filmez ?". Allison demande à Washington de couper la camera mais lui fait le geste convenu pour qu'il bascule en caméra cachée.

Bill demande à Leoni s'ils ont des nouvelles de son fils, elle répond que non. Il se laisser interroger devant le panneau d'affiches. Il montre l'affiche de son fils, on voit que sa disparition date d'il y a sept ans. "Je viens ici tous les jours au cas où il y aurait du nouveau. Mon fils faisait les meilleurs home run de tout le Comté. Il devait intégrer une équipe à Vancouver. Il a fait du stop pour y aller et c'est comme ça que..." Bill a du mal à retenir ses larmes.

Leoni vient les chercher : Eyota Creek peut les recevoir. C'est une indienne mais elle ne porte pas de fioritures traditionnelles. Elle est en uniforme. Son bureau est sobre.
"On souhaitait vous parler en tant que sheriff adjointe.
- Je ne suis pas sheriff. Appelez-moi juste adjointe. Coupez la caméra, s'il vous plaît."
Matthew passe en camera cachée, Allison lui fait signe que non. Matthew lui passe un mot : "On se fait un dîner ce soir, sinon je coupe pas." mais il se fait griller par Eyota, il est contraint de couper.

Allison explique l'objet de son reportage, elle insiste sur le fait que c'est injuste que personne ne s'intéresse à ces drames. Eyota lui dit qu'une journaliste est venue il y a quatre ans et qu'elle a disparu elle aussi. Cela sonne comme un avertissement. Allison voulait parler de Chayton (elle ne sait pas qu'il est en froid avec sa fille, qui rejette la tradition et le chamanisme) mais elle n'en aura pas l'occasion.

Leoni fait irruption dans le bureau sans frapper. La gérante du drugstore lui signale une bagarre impliquant un policier du Comté. Eyota se lève pour aller sur les lieux. Leoni demande à l'assister, elle brûle de faire ses preuves, mais Eyota lui dit qu'une personne doit rester au bureau.

Il n'y a qu'à traverser la route pour rejoindre le drugstore. Allison et Matthew suivent Eyota, caméra au poing. Eyota arrive dans l'arrière-cour du drugstore, à côté des distributeurs de boissons. Il y a là Gordon, un policier du Comté, au visage rond, ventripotent. Il y a une femme indienne à terre, les cheveux longs avec un frange, maquillée, en jupe et talons hauts. Gordon lui donne des coups de pieds dans le ventre et l'insulte : "Sale connard !".

A la vue d'Eyota, il se calme aussitôt. Eyota s'assure d'abord que la femme n'est pas en danger de mort, puis elle prend rapidement Gordon à part. Gordon est en panique, il explique que ce "trans" l'aurait "dragué". Il lui demande de passer l'éponge, il est venu dans le cadre d'une enquête. C'est lui qui enquête sur la disparition de la journaliste il y a quatre ans, ça Eyota le sait, il a accumulé un gros dossier maintenant, et il vient à la réserve car il a de nouveaux éléments et qu'il veut interroger des personnes.

Eyota lui dit d'espérer que la jeune personne ne porte pas plainte, et pour ce qui est de l'enquête, il n'est pas dans sa juridiction. Elle lui dit de revenir avec une autorisation. Ensuite, Eyota amène la jeune personne au dispensaire pour la faire soigner. Elle a le visage tuméfié et une lèvre éclatée, des bleus au corps, mais heureusement pas de côte cassée. La personne dit s'appeler Angeni. Angeni Leoni. Eyota comprend que c'est le grand-frère d'Abey. Eyota lui demande ses papiers, elle dit qu'elle les a brûlés. Angeni lui explique que ça fait un an que sa grande soeur, Rose, a disparu. Depuis, Angeni a compris qui elle était vraiment au fond d'elle. Eyota la met en garde : "C'est risqué de s'habiller comme ça dans la réserve." Angeni se brusque facilement, elle suppose qu'Eyota veut la brimer, alors Eyota doit constamment revenir sur ce qu'elle a dit, elle essaye de professer la prudence sans passer pour une transphobe et sans chercher à la culpabiliser. Angeni raconte sa version des faits. Gordon cherchait à parler à des locaux, Angeni a engagé la conversation, elle a eu l'impression qu'il l'écoutait vraiment et de fil en aiguille, ils se sont embrassés. Gordon a caressé son cou de sa main, et c'est là qu'il a vu qu'Angeni avait une pomme d'Adam, et qu'il est entré en furie.

Elle propose de la ramener chez ses parents à Bois-Rouge, la réserve à une heure de route d'ici, loin de l'Autoroute des Larmes. Angeni accepte à condition qu'elle ne la ramène pas directement chez ses parents. Angeni lui fait une confidence, un truc qu'elle n'avait pas raconté à la police il y a un an car ils ne "comprenaient rien" : le soir de sa disparition, Rose l'a appelée. Elle lui a dit qu'elle avait été prise en stop par un gentil monsieur, mais qu'ils étaient tombés en panne d'essence. Mais qu'il n'y avait pas de souci à se faire, qu'un dépanneur arrivait."

Quand Eyota a séparé Angeni et Gordon, Allison et Matthew sont retournés au bureau de la police indienne interroger Abey Leoni en caméra cachée. Elle veut faire ses preuves, elle veut qu'Eyota la remarque. Elle est la petite sœur d'Angeni. Elle dit qu'il a changé depuis la disparition de leur grande sœur, Lune (elle l'appelle Lune alors qu'Angeni l'appelle Rose). La disparition de Lune est la raison de son engagement dans la police. Allison lui propose d'en reparler plus tard, en privé, par exemple ce soir lors d'un dîner. Washington la prend à part. Et leur dîner en tête à tête ? Allison le prie de se "la mettre sur l'oreille quelques temps", leur carrière doit avoir la priorité. Washington négocie de pouvoir interviewer Bill lui-même, en échange du report de ce dîner.

Eyota amène Angeni au bureau pour enregistrer sa plante. C'est là qu'elles retrouvent Leoni. Elles annoncent qu'elles vont à Bois Rouge, la réserve indienne enfoncée dans la forêt à une heure de route de là. Eyota a appris qu'il y avait une battue organisée par la cheffe du bureau, alors elle y participe aussi dans la foulée. Allison a très envie de les accompagner à Bois Rouge, ça pourrait être l'occasion d'y rencontrer le chamane Chayton, le père d'Eyota. Et filmer la battue l'intéresse également au plus haut point. Elle n'a pas de mal à convaincre Leoni de les y accompagner, elle aussi a envie de participer à la battue. Eyota part avec Angeni dans son 4 x 4.

Washington renâcle. Il voit toutes les perspective de confort de sa soirée s'amenuir. Il dit qu'il n'a pas prévu de bottes, Allison lui intime d'aller en chercher vite fait au drugstore, puis ils partent dans le van avec Leoni, pour prendre la route de forêt vers Bois Rouge.

En démarrant, Washington a un sourire niais sur le visage. Allison suppose qu'il a récupéré le numéro d'une fille et elle le charrie autant qu'elle le rabroue. Alors que le van s'éloigne, elle voit un groupe de routiers en train de rire derrière la vitre du drugstore. Parmi eux, il y a une femme, une caucasienne avec une chemise à carreaux, des cheveux longs avec des plumes dedans. C'est sans doute la fille qui a laissé son numéro de téléphone à Washington.

La route de forêt est vraiment une route de forêt, elle n'est pas carrossée. Le van de Washington est à la peine. Et à mi-trajet, c'est la crevaison. Ils joignent Eyota par la CB, mais elle les laisse se débrouiller. Ils appellent la dépanneuse avec le téléphone tribandes de Leoni, la dépanneuse de Camp du Lac car c'est la seule à des lieues à la ronde. Elle arrive. C'est une remorque qui a connu des jours meilleurs. Aux commandes, un natif qui répond au nom de Comanche. Il a un syndrome d'alcoolisation foetale, qui lui donne un faciès proche d'une personne qui aurait une trisomie. Il est visiblement alcoolique, son visage est rouge, il sent le gingembre. Il essuie souvent ses mains pleines de cambouis sur sa salopette. Quand il parle, il bégaie légèrement. Il leur demande où il faut les remorquer, Allison répond Bois Rouge, malgré les récriminations de Washington qui voudrait être rapatrié à Camp du Lac. Le dépanneur peut prendre deux personnes dans sa cabine, mais du coup au moins une personne devra rester dans le van qui est remorqué. Allison monte dans la dépanneuse avec Leoni, elle relègue Washington dans le van...

Eyota est arrivée à Bois Rouge. Elle a déposé Angeni dans un endroit discret, pour qu'on ne sache pas que la police l'a ramenée. Puis elle s'est rendue en forêt pour participer à la battue. Elle y retrouve la cheffe de la police indienne de Camp du Lac, mais aussi Chayton... et Gordon.
La cheffe de la police indienne est une native d'une cinquantaine d'années. Elle a pris beaucoup de poids depuis quelques années qu'elle ne mange plus que de la junk food. Elle a les cheveux courts. ça et l'uniforme, ça lui donne un air très occidentalisé.

Chayton participe à la battue en tant que volontaire. Il est vêtu d'un blouson et d'un pantalon en jeans à franges, il a des plumes dans les cheveux. La cheffe s'entretient avec Eyota. Elle lui confie que ce n'est pas normal de faire une battue si loin de l'Autoroute des Larmes. Mais des gens de Bois Rouge auraient entendu des cris, ils auraient aperçu le Wendigo, alors ils ont insisté pour qu'il y ait une fouille des lieux. "Entre nous, tout ça c'est de la connerie.", conclut la cheffe.

Mais l'un des volontaire les appelle. Ils trouvent un corps. Le squelette d'une femme que des prédateurs ont dû déterrer. Elle porte un reste de tailleur et un badge avec le logo d'une station de télé. C'est sûrement la journaliste disparue il y a quatre ans. Son crâne est fendu, la cause de la mort doit être un objet tranchant. Eyota fait interrompre la battue. Maintenant, c'est une scène de crime.

Gordon redemande à Eyota si Angeni a déposé plainte contre lui. Avec la découverte du corps, l'enquête sur la disparition de la journaliste va progresser à grands pas. C'est Gordon qui a constitué tout le dossier. Si son honneur est entaché, l'enquête va forcément en pâtir. Eyota sous-entend qu'il n'a rien à craindre pour le moment. Mais elle a la plainte d'Angeni dans sa poche et compte la déposer dès le lendemain.

Quand la dépanneuse dépose Leoni et les journalistes en herbe à Bois Rouge, il est trop tard pour participer à la battue. Pour autant, Leoni interroge Allison : doit-elle rester avec eux pour le dîner promis ou aller voir Eyota pour se rendre utile ? Comprenant que Leoni a toujours besoin de faire ses preuves, Allison l'enjoint à rejoindre Eyota.

Allison et Washington vont voir Chayton qui accepte de leur parler. Il leur propose de le suivre dans la forêt, maintenant, au milieu de la nuit, pour collecter des "indices". Washington refuse, au prétexte que ses bottes sont déjà foutues. Allison accepte, elle veut montre à Washington à quoi il faut être prêt pour faire une grande carrière. Washington dit qu'il aurait mieux fait de faire binôme avec celui qui faisait un reportage sur les plages de Vancouver.

Chayton propose à Allison de fumer le calumet pour se purifier et rester hors d'atteinte du Wendigo. Mais elle doit savoir qu'elle sera alors incapable de retourner en arrière. Allison accepte le calumet. En toussant des bouffées de fumée, elle explique la vie à Washington, qui lui répond : "Demain, on rentre à Camp du Lac et de là, je retourne à Vancouver. Tu n'as qu'à continuer toute seule."

Allison suit Chayton dans la forêt. Nuit. Elle se sent en effet incapable de rebrousser chemin. Elle a récupéré la caméra de Washington, elle filme en mode nuit. Ils arrivent jusqu'à une petite hutte en terre avec une seule ouverture bouchée par une toile. Ils entrent, c'est si petit qu'ils sont obligés de s'y tenir à genoux, face à face.

Une créature gratte dehors. Alors qu'Allison panique, Chayton a le visage grave. Il lui met sa main devant la bouche et murmure : "Shhh..." Dehors, des grognements. Bestiaux.

Derrière Chayton, accroché à la paroi de la hutte, un tomahawk. Très aiguisé.

Chayton bouche la caméra. Fondu au noir.

Eyota est de retour à Camp du Lac. Elle va voir Comanche le dépanneur dans son garage, demande le registre. Comanche l'amène dans l'aquarium, son petit bureau vitré d'où on voit tout l'espace du garage. Sur son bureau, il y a une bouteille de sky entamé et le registre. Comanche essuie ses mains sur sa salopette et prend le registre. C'est un vieux cahier avec la couverture qui porte une publicité pour une marque de camion. Le cahier est très usé et sale, les pages sont jaunies. A l'intérieur, il n'y a pas de dates et de noms comme on pourrait s'y attendre avec un registre de dépanneur. Mais des photos des disparus. Des polaroïds. Il lui montre la journaliste. Et il lui montre Lune-Rose. Eyota lui demande ce que ça signifie. Elle regarde par la vitre, effarée, et derrière il n'y a plus le garage, mais la forêt, la nuit.

Comanche lui dit : "N'a... N'ayez pas peur." Elle veut sortir son arme, mais s'abstient de peur qu'il ne se ferme. Elle lui demande de lui donner le registre. Il lui donne.

Elle fixe son visage.

Son visage lunaire.

Fondu au noir.


Règles utilisées :

Inflorenza minima, en mode Carte Blanche.


Commentaires sur le jeu :

J'avais trois joueurs de prévu, tous avaient lu le théâtre et les règles. On a eu un souci technique. Le troisième joueur a annoncé qu'il se loguerait en retard, et finalement il n'a pas pu se loguer du tout. Ce qui fait qu'on a eu une heure et demie de battement avant de commencer à jouer.

Nous avons mis ce temps à profit pour préparer la session. Parmi les ambiances listées dans le théâtre, j'ai demandé aux joueurs laquelle ils préféraient. Les joueurs étaient unanimes sur Onirisme / Chamanisme. Le joueur d'Allison a ajouté Enquête et celui d'Eyota Tranches de vie. On a convenu qu'on jouerait d'abord Enquête / Tranche de vie et qu'on basculerait progressivement vers Onirisme / Chamanisme.

Puis on a fait une création de perso et j'ai demandé à chaque joueur de décrire un lieu et un figurant. Le joueur d'Allison a décrit la station service et son gérant à demi-redneck, et elle a aussi décrit Washington. Le joueur d'Eyota a décrit Bois Rouge et Chayton.

On n'a pas fait de minute de silence, parce qu'on avait déjà pas beaucoup de temps. On a joué 1h3/4, puis j'ai fait une petite pause pour demander à chaque joueur une dernière chose que le personnage voulait faire pour le climax, et on a joué ce climax en une demi-heure (Chayton 1/4 h, Comanche 10 mn).


Retour des joueurs :

Joueur d'Allison :
J'ai été dedans du début à la fin.

Joueur d'Eyota :
Cela manquait de rythme et de tension sur les deux premières heures. Le système de résolution n'était pas assez visible.


Mon retour personnel :

J'ai eu des difficultés à improviser durant la première grosse moitié de la partie (les 1h3/4), et mon ressenti est le même que le joueur d'Eyota sur le manque de tension et de rythme.
Je pense que j'étais en manque d'énergie et j'ai eu des difficultés à amener des situations avec des enjeux forts, et à couper les scènes quand elles traînaient trop en longueur.

Explication :

+ Quand j'ai demandé les ambiances, j'ai laissé les joueurs énumérer les ambiances qu'ils aimaient, sans pour autant trancher sur une. Au final, je me suis retrouvé avec un agenda à trois ambiances : Enquête, Tranches de vie, Onirisme / Chamanisme. En quelque sorte, je ne savais pas où me fixer.

+ Les joueurs ont choisi des personnage (une enquêtrice, un journaliste) taillés pour explorer et récupérer les perches que je leur tendais. Mais ils ne prenaient pas d'initiatives, il n'y avait pas de ping pong.

+ Assez curieusement, sans doute à cause de mon manque d'énergie, je n'ai pas utilisé les nombreux outils d'impro que j'avais à ma disposition et qui m'auraient permis de faire monter la mayonnaise sans grand effort :
A. J'avais un tableau des thèmes pour le théâtre : 1 route 2 forêt 3 autochtones 4 police 5 chamanisme 6 prédateurs
B. J'avais les symboles des personnages. D'ailleurs, j'ai eu un rebond quand le joueur d'Allison a changé son symbole Modernité en Détermination. Le simple fait que je ne me rappelle plus des deux symboles initiaux des personnages est symptomatique.
C. J'avais les tours invisibles. D'ordinaire à Arbre, je joue en tours invisibles : je m'intéresse alternativement à chaque joueur.se en tentant de lui proposer un dilemme moral ou un choix mortel. C'est une technique que j'ai transposée depuis à Inflorenza en Carte Blanche (cf CR Al-Andalus) et qui fonctionne car elle motive à impulser de la tension, elle donne un agenda. Sous prétexte que je n'avais que deux joueurs, j'ai omis de le faire dans cette partie. Certes, j'ai alterné les focales, mais sans me préoccuper d'amener un dilemme moral ou un choix mortel à chaque focale. C'est ce qui a le plus manqué, avec l'application des symboles
D. Les pauses / questions aux joueurs. J'ai maîtrisé pour ainsi dire sans reprendre mon souffle. Sans doute parce que je m'étais mis la pression par rapport au temps réduit de jeu (je savais qu'on ne pourrait pas dépasser 2h1/4) et à l'agenda complexe que je m'étais fixé. Faire des pauses amène une respiration bienvenue dans le jeu. En hangout, il n'est pas évident de faire une vraie pause. Mais on peu au moins arrêter la fiction, passer un peu en méta, pour demander aux joueur.se.s ce qu'ils attendent, vérifier l'approbation (quand on joue en hangout, on n'a pas les signaux visuels) et aussi poser quelques questions aux personnages qui sont très fertiles comme :
"Qu'est-ce que tu crains le plus en ce moment ?"
"Qu'est-ce qui a la priorité pour toi en ce moment ?"
"Qu'est-ce que tu penses de la situation ?"
C'est le genre de pause que j'ai fait au bout d'1h3/4 de jeu et ça nous a permis de jouer ensuite un climax qui nous a satisfaits.
E. Les signes +,=,- (ou pouces vers le haut ou vers le bas) nous auraient peut-être été utiles dans cette partie, notamment pour détecter les attentes des joueurs par rapport à la tension. Quand on lit l'histoire, rien n'indique si les joueurs sont satisfaits ou non. C'est pareil en jeu. Pour le savoir, il faut employer un outil méta. D'où l'importance de recueillir régulièrement les impressions des joueurs, ne serait-ce que par un "ça va ?"
Et garder à l'esprit que chaque joueur.se a des attentes différentes et que certaines personnes peuvent être plus gâtées que d'autres, comme dans cette partie où j'ai trouvé quelques moyens pour challenger Allison, mais pas assez pour challenger Eyota.

+ J'étais venu avec deux idées de figurants au départ : Angeni et Comanche. Peut-être qu'ils ont pris trop de place dans le développement.

+ Tout ceci, ce sont des approches possibles. Ce qui est primordial, c'est le dialogue avec les joueur.se.s, et ce régulièrement pendant le jeu, pas seulement au début, à la fin ou une fois au milieu.

+ Parfois aussi, je me demande si je ne me gâche pas nos souvenirs de parties en voulant tout décortiquer. Ce peut être important de chercher à améliorer ses pratiques, mais c'est aussi important de lâcher prise de l'obligation de qualité, au moins pendant qu'on joue. Peut-être aussi que je veux changer la façon dont on debriefe une partie, qui me laisse un goût amer en bouche une fois sur deux. C'est important que les joueur.se.s puissent déballer leur ressenti, y compris moi, mais j'aimerais qu'on le fasse d'une façon plus détachée, bienveillante, y compris envers nous-mêmes. Quand j'entends une personne dire "J'ai mal joué." à la fin d'une partie, ça me navre parce que je ne crois pas qu'il y ait un bon ou un mauvais jeu. Et du coup, quand je m'entends dire "J'ai mal maîtrisé.", ça me navre pour les mêmes raisons. J'aspire à ce qu'on reformule le débriefing d'une façon plus charitable telle que : "Je m'attendais à --------------, c'est arrivé à X%, et par rapport à ça, j'ai été [sentiment], ou je ne m'attendais pas à cela, et du coup j'ai été [sentiment] parce que je voulais [attente]."


Retour du joueur d'Eyota après relecture du compte-rendu :

Je l'ai lu rapidement mais je trouve qu'il met bien en évidence le fait que l'histoire a été assez peu ponctuée d'enjeux et de dilemmes. Les seuls vrais dilemmes entre Allison et Washington sont mis en avant mais sincèrement en partie je trouvais qu'Allison s'en sortait à chaque fois sans vraiment devoir sacrifier quelque chose. Effectivement avec Eyota, je n'ai croisé aucun réel dilemme.

Bref, je ne reviens pas sur le fait que le système, plus utilisé, aurait sans doute permis à la partie de décoller plus vite. La pause qui a amené les climax a été en cela bienvenue.

Concernant ta dernière remarque, je te rappelle juste que malgré les petits soucis "techniques", le joueur d'Allison et moi avons beaucoup apprécié la partie, notamment en raison de l'ambiance qui se dégageait, La partie n'était certes pas parfaite, mais rares sont les parties parfaites; l'important est que nous y avons -toi aussi j'espère- trouvé du plaisir de jeu et que ce n'était pas du temps perdu.


Réponse de Thomas :

Bien sûr que non, ce n'était pas du temps perdu, et j'étais pour ma part satisfait, dans la mesure où une carence d'adversité est somme toute un problème qui concerne les joueur.se.s et moins le MJ (dans le sens où en temps que MJ, je trouve autant mon plaisir à décrire qu'à incarner une adversité).

Je me demande si le fait qu'on ait eu un théâtre contemporain, de surcroît assorti d'un agenda « tranches de vie » n'a pas contribué à la faiblesse de l'adversité, dans le sens où d'ordinaire à Inflorenza, j'utilise le surnaturel ou le réalisme pour m'aider à définir des prix à payer intéressants, et je suis moins familier à le faire dans un contexte plus réaliste. J'ai moins rencontré le problème dans mes autres tests de l'Autoroute des Larmes, car on mettait le surnaturel en jeu bien plus rapidement.


Retour du joueur d'Allison après lecture du compte-rendu :

Je confirme que j'étais dedans du début à la fin. J'ai passé un bon moment et je trouve que le système de choix/sacrifice est pas mal du tout. Pour revenir sur le cas d’Alison et Washington, en effet aux premiers abords cela ne semblaient pas être des sacrifices importants. Je pense néanmoins que tout se joue dans "jouer le jeu" de la part du joueur. Je m'explique. 

Lorsque Thomas me fait comprendre qu'Alison doit accepter le dîner en tête à tête avec son comparse en échange de son aide, je comprend qu'il applique la règle du choix/sacrifice. A partir de là je me dois aussi de comprendre l'orientation subtile que Thomas donne au problème : "accepter ce RDV est un sacrifice donc cela doit être voire devenir problématique rétroactivement pour Alison". C'est ainsi tout naturellement qu'en tant que joueur je dois modifier le comportement de mon personnage pour refléter cette évolution. Soudain ça devient vraiment problématique pour Alison d'accepter ce dîner. 

En conclusion un sacrifice n'est pas obligatoirement basé sur une donnée a priori problématique mais il peut générer une telle donnée a fortiori.


Réponse du joueur d'Eyota :

Yeeeees! :)
C'est très bien vu cette distinction entre d'une part l'émergence d'une problématique pour le personnage et d'autre part la création d'une problématique a priori, par le joueur pour le personnage. L'influence sur l'arc narratif du perso est dans les deux cas présentes en effet.


Réponse de Thomas :

Je t'avoue que je ne m'attendais pas à cet angle de vue, je te remercie Christophe pour me l'avoir signalé !

J'ai conçu pour impliquer les joueurs qui jouent en plaidant pour leur personnage (i.e., une fois qu'ils ont créé leur perso, ils évitent de raconter des choses qui nuisent à leur personnage ou le dévalorisent). Dans mes idées, je proposais une suite de prix à payer jusqu'à trouver le truc qui embête bien le personnage / le joueur, et par exemple quand j'ai proposé le dîner, je l'ai fait parce que je pensais que c'était quelque chose d'embêtant / source de tension pour le personnage / le joueur (pas hyper embêtant, mais je me chauffais, après j'ai enchéri, surtout vers la fin avec la défection de Washington).

Le fait que tu t'impliques volontairement en créant un problème pour ton personnage parce que tu veux répondre aux signaux que je t'envoie en tant que MJ, c'est une belle preuve de fair play, et ça me montre que le jeu a quelque chose à offrir à ceux qui jouent en posture d'auteur (i.e. qui n'hésitent pas à raconter des choses qui nuisent à leur personnage ou le dévalorisent, si ça peut créer une plus belle aventure, ou favoriser le jeu collectif). C'est une autre face de la monnaie que je n'avais pas prévue mais je suis très heureux d'apprendre qu'elle existe, ça augmente les capacités du jeu. A moi de voir si je dois la formaliser, ou si c'est aussi bien que ça reste un truc non écrit, émergent.
Énergie créative. Univers artisanaux.
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Thomas Munier
 
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