[Inflorenza Minima] La photographie

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[Inflorenza Minima] La photographie

Message par Thomas Munier » 11 Mai 2016, 13:54

LA PHOTOGRAPHIE

Deux frères, un retour dramatique vers une ville radioactive, une séance intense à partir de rien.

Jeu : Inflorenza minima, le jeu de rôle des contes cruels dans la forêt de Millevaux

Joué le 24/04/2016 avec l'équipe du podcast de la Cellule

Personnages : Karl, Mallory

Image
crédit : skippy13, licence cc-by-nc, galerie sur flickr.com


L'histoire :

Mallory s'entraîne au base-ball en tapant des balles contre une vieille grille en fer rouillé devant les feuillages. Ce jeune homme blond vit pour deux choses : faire du sport et protéger son grand-frère Karl. Un enfant s'approche. Son visage est ridé comme s'il était très vieux. Il demande à Mallory de lui apprendre à jouer au base-ball. Mallory lui tend son gant tout fripé et lui envoie quelques balles très douces. L'enfant peine, mais finit par en rattraper une.

Mallory fouille dans sa mémoire pour savoir à quelle occasion il aurait déjà vu un enfant atteint d'une telle maladie. Il se rappelle le jour où avec son frère, ils ont fui la ville de Priax à cause de la radioactivité. Il était en combinaison anti-radiations, il attendait son frère resté dans leur maison pour récupérer des affaires. Il a vu un enfant avec une jambe coincée dans les décombres, il voulait de l'aide. Mallory l'a libéré, mais il n'a rien pu faire de plus, il n'avait aucune combinaison à lui donner. Alors, à cause de la radioactivité, l'enfant s'est mis à vieillir sous ses yeux.

Retour au présent. Mallory va chercher de l'eau pour l'enfant. Il va dans leur cabane. Le groupe électrogène turbine pour faire tourner le purificateur d'eau. Boc, boc, boc. Il rapporte de l'eau à l'enfant.

Karl est équipé de pied en cap. Il a enfin trouvé une carte. Il est prêt pour retourner à Priax. Il veut y retrouver une photographie de leur famille, car c'est le dernier souvenir qu'il en a. Son souvenir est resté dans la photographie, alors il veut la récupérer pour s'en rappeler. Mallory a prévu de l'accompagner, pour le protéger.

Arrive l'Anglaise. C'est la fille qui répare leur matériel, elle vient parce que le groupe électrogène fait des siennes. Elle est rousse, toujours en salopette pleine de cambouis et chargée d'outils, dont cette grosse clé anglaise qui lui vaut son surnom. Mallory est amoureux d'elle, mais il s'est gardé de l'avouer pour l'instant.

L'Anglaise veut partir avec eux, car sinon elle va rester toute seule et va devoir se trouver une autre communauté. Mallory insiste pour qu'elle les accompagne. Elle leur demande s'ils comptent passer par la rivière, plus praticable mais surveillée par les pillards, ou par la forêt, plus mystérieuse.

L'enfant insiste pour aller avec eux. Karl dit qu'il est impotent, qu'il va les ralentir, il ne comprend pas pourquoi l'enfant voudrait retourner à Priax. L'enfant dit qu'il connaît le chemin. Il est venu par la forêt. Karl demande comment il a pu trouver le chemin. L'enfant dit qu'il a accepté une infortune, et ainsi il a chargé son cœur, ce qui lui a permis de faire le chemin tout seul. Ils l'acceptent dans le groupe.

Il leur faudra des combinaisons anti-radiations pour eux quatre. Cela tombe bien, ils en ont juste assez. Ils n'en avaient que deux quand ils ont fui Priax, mais depuis, Mallory a fait ce qu'il faut pour s'équiper.

Flash-back. Quand Mallory s'est procuré les combinaisons. Il se rend à la péniche du vendeur de reliques, une embarcation déglinguée qui glisse le long du fleuve, avec des enfants en capuche qui montent la garde, armés de longs fusils couverts de bandages. A l'intérieur, celui qui tient la boutique porte un énorme œdème sur le visage. Il vend des outils et des objets de première nécessité, mais aussi beaucoup d'objets-souvenirs : montres, horloges, alliances, photos. Dans ce monde, la mémoire vaut de l'or. Il peut céder deux combinaisons à Mallory, mais en échange, il veut la médaille de Saint-Christophe qu'il sait que Karl porte en sautoir. Il donne un savon à Mallory pour qu'il fasse une empreinte de la médaille, ensuite le boutiquier lui pressera une copie sans pouvoir, et il pourra l'interchanger avec la vraie médaille. Mais si cette médaille intéresse le boutiquier, c'est bien pour ses pouvoirs. C'est une médaille qui protège sur la route. Sans la médaille, ils risquent de perdre une personne pendant l'expédition. Alors Mallory tente de lui proposer un autre troc. Il lui confie sa casquette de base-ball. Le boutiquier croque dans la casquette pour voir si c'est un objet-souvenir truqué.

Mais c'est un vrai. Cette casquette lui a été confiée par ses parents. Il contient le souvenir de ses parents. Mallory est prêt à s'en séparer car il pense que ses parents sont morts.

Soudain, ses parents entrent dans la péniche. Sa mère se précipite dans ses bras. Elle veut le dissuader de donner la casquette, de les oublier. Il dit qu'il les perdrait une deuxième fois. Mais Mallory a besoin de ses combinaisons, pour la bonne cause. Alors il donne la casquette. Sa mère retient ses larmes, son père n'ose rien dire. Ils font leurs adieux en silence et redescendent dans les eaux. Mallory voit encore les cheveux de sa mère émerger de l'eau. Puis plus rien. Mais il a pu récupérer les combinaisons.

Ils partent dans la forêt vers Priax, guidés par l'enfant-vieux. Ils lui ont demandé son nom, il a dit qu'il s'appelait Feuille.

C'est l'heure du bivouac. Autour du feu, Feuille réclame une histoire. Mallory pense qu'il a intérêt à charger son cœur pour la suite. Alors, il va raconter plus en détail comment il a abandonné Feuille. Il fait alors même qu'il sait que cela aura un impact négatif sur les sentiments que l'Anglaise pourrait avoir pour lui.

Flash-back. Ils sont en train d'évacuer Priax. Mallory a une combinaison, mais il ne peut la donner à l'enfant qui vieillit. Il lui dit d'attendre là, qu'il va revenir. Il lui confie son gant de base-ball. L'enfant lui demande de promettre que le jour où il reviendra, ils feront ensemble un match dans le grand stade de Priax. Mallory promet. Il rejoint son frère dans leur maison. La maison est remplie des reliques qu'a collectées son frère au fil du temps. Des cafetières, des horloges, des photos, des ustensiles. Une myriade d'objets-souvenirs. Un trésor. Mallory lui confie sa combinaison. Il faut partir maintenant ! Karl hésite, il n'y a que très peu de place dans la poche de sa combinaison. Il prend quelques objets, mais il se résigne à laisser sur place la photographie de sa famille. Il se promet de revenir la chercher.

Mallory a fini de raconter son histoire. De l'autre côté du feu, Mallory le fixe, puis détourne le regard. Elle sera désormais incapable de l'aimer.

Monde parallèle.
Dans ce monde, Mallory a donné sa combinaison à l'enfant, et Karl a pu faire tirer par Mallory un chariot rempli de reliques. Dans ce monde, c'est Karl qui tient la péniche aux reliques. Leurs parents sont avec eux, ils tiennent la boutique avec Karl. Mallory est sur le toit de la péniche, en fauteuil roulant. Son corps est perclus de vieillesse. Feuille, a ses côtés, a gardé sa jeunesse. Il demande à Feuille d'aller chercher l'Anglaise. "Tu sais qu'elle viendra, mais ce sera par pitié.", répond Feuille. Mallory insiste, alors l'Anglaise vient les visiter. Tous les trois, ils jouent au base-ball. Feuille place le gant élimé dans la main de Mallory. L'Anglaise lui lance des balles toutes douces pour qu'il puisse lui rattrapper sans qu'elles tombent dans l'eau.

Retour au présent.
Le groupe a progressé dans la forêt. Le compteur Geiger de l'Anglaise s'est mis à crachoter, alors ils ont enfilé les combinaisons. Ils arrivent à un endroit où une vieille femme aux longs cheveux gris a le pied pris dans un piège à loups. Karl dit que c'est un fantôme, un horla, elle devrait être morte, sans combinaison. Mais Mallory s'approche. La dame dit s'appeler Érable. Elle vient de Priax. Elle a perdu sa combinaison plus loin, dans les ronces vivantes. Et là, elle s'est prise dans ce piège à loup posé par les braconniers qui rôdent dans le secteur. Elle dit qu'elle est partie de Priax parce que son mari est mort, et maintenant elle est à la recherche de ses enfants.

Mallory la libère et la soigne. Il comprend qu'elle est en danger si elle reste seule et sans combinaison. Érable dit qu'elle connaît l'emplacement d'un trésor à Priax et qu'elle peut les y conduire en échange de leur escorte. Karl précise son intention à propos du trésor : il ne veut pas devenir un usurier de péniche. Il veut utiliser ce trésor, soit le vendre, soit utiliser la mémoire qu'il contient, pour fonder une communauté solide. Karl précise ainsi qu'il n'est pas motivé par l'appât du gain mais pas l'intérêt du plus grand nombre.
Il reste le problème qu'Érable a perdu sa combinaison. Mallory lui confie la sienne. Il décharge son cœur pour gagner la chance d'en retrouver une à Priax, celle du mari d'Érable.

Mais sur le chemin vers Priax, Mallory vieillit à chaque pas, et chaque pas est douloureux. Quand ils arrivent, son visage s'est creusé d'un large sillon de rides.

Priax. Les arbre qui ressortent des fenêtres des immeubles. Les grandes avenues soviétiques. Le parc d'enfant, avec son tourniquet rouillé. La fête foraine abandonnée. Grande roue couverte de lierre, auto-tamponneuses en décrépitude, figées dans une dernière collision.

Érable confie à Mallory la combinaison de son mari. Comme promis, Mallory amène l'enfant au stade de base-ball. Le stade est immense, couvert de feuilles. Cela fait longtemps qu'ils n'ont pas vu un endroit aussi vaste sans couvert d'arbres. Qu'ils n'ont pas autant vu le ciel. Le stade est comme baigné de lumière. C'est comme si on était dans l'au-delà. Et Mallory a toujours été fasciné par la lumière, par ce qu'elle signifiait. Il est temps de se faire quelques home-runs.

L'Anglaise, Karl et Érable se rendent sur les gradins, au loin. L'Anglaise les acclame, mais le cœur n'y est pas. Érable serre la main de Karl. Elle lui dit : "Je suis heureuse".

Alors qu'ils se frappent ces balles promises depuis longtemps, Feuille dit à Mallory : "Je ne t'ai pas expliqué comment j'ai fait pour charger mon cœur. J'ai troqué mon espérance de vie. Ce soir, je vais mourir. J'aurais pu confier ma combinaison à Érable, cela n'aurait rien changé pour moi. Mais je t'ai laissé faire à ma place. Je voulais que tu comprennes ce que ça fait."

Mallory s'arrête un instant.

Il enlève sa combinaison. Fini pour lui d'être un petit-frère. Il est temps pour lui d'être grand-frère. Il prend Feuille dans ses bras. Puis il lui relance la balle. Ils continuent le match.

Karl hésite. Il pourrait encore courir, forcer son frère à remettre sa combinaison. Mais il préfère charger son cœur, pour les épreuves qui l'attendent encore. Est-ce pour respecter la volonté de son frère, pour l'intérêt de sa future communauté, ou par égoïsme ? La chose n'est pas tranchée.

Érable le conduit à la maison où se trouve le trésor. Karl reconnaît tout : les cafetières, les pendules, les ustensiles, les portefeuilles chargés de photos. C'est à sa propre maison qu'Érable l'a conduit. Il y a un jerrycan d'essence au sol. Érable sort un briquet et une photographie. La photographie de la famille de Karl. Elle lui demande de choisir entre le trésor et la photo. S'il prend le trésor, elle brûlera la photo. Elle lui dit de renoncer à ses cafetières, de choisir sa famille. Karl lui dit qu'elle n'est qu'un horla, qu'elle brûle la photo !

Érable allume le briquet et met le feu à la photographie.

Flash-back. Karl est dans sa maison, en train de prendre les quelques objets qui tiennent dans ses poches de combinaison. C'est le moment où il renonce à prendre sa photo. Mallory le presse de partir. Ses parents sont au fond de la maison. Ils disent qu'ils vont garder le trésor jusqu'à son retour. Karl promet de revenir. Mais la maison brûle, parce que ce souvenir est à l'intérieur de la photo. La maison brûle, et Karl est persuadé qu'Érable va brûler avec elle.

Retour au présent. Érable s'asperge d'essence. Elle dit : "Je sors de la maison, pour ne pas abîmer ton trésor".

Elle sort, et elle allume son briquet à nouveau.


Les personnages :

Karl
Quête : retourner à Priax retrouver la photographie de sa famille
Symboles : "médaillon", "fraternité", puis "nord"

Mallory
Quête : protéger son frère durant la traversée
Symboles : "sport", "lumière"


Commentaires :

Durée :
1h1h/2

Règles utilisées :
Inflorenza minima, avec moi en MJ, sans aucune préparation préalable, et sans aucun matériel (j'aurais pu utiliser la playlist Millevaux mais me suis abstenu pour démontrer le potentiel du jeu en brut)

Profils des joueurs :
Expérimentés. Le joueur de Karl avait déjà joué quatre fois avec moi dans l'univers de Millevaux, mais le joueur de Mallory, jamais.

Brainstorm initial :
Limité à la création des personnages.

Défis :
+ C'était une séance spéciale puisque c'était une démo en préambule d'une émission One-Shot pour le podcast de la Cellule.
+ Je voulais faire tourner le jeu en brut : zéro matériel, zéro préparation. Le plus proche du jeu brut que j'avais fait jusqu'à présent, ce fut une séance avec une préparation limitée à six mots (L'inconnu) et une autre sans préparation mais avec utilisation de la playlist Millevaux (Orchidée, CR à venir).
+ Je voulais mobiliser la majeure partie des règles : codes de sécurité, prix à payer, symboles, charger son cœur, flash-backs, flash-forwards, obole...

Debriefing :

+ Je vais éviter de m'étendre pour laisser la primeur au podcast de la Cellule.

+ De mon point de vue, les défis ont été relevés.

+ Le joueur de Mallory et moi avons rencontré une sacrée émotion de jeu.

+ Les joueurs ont été très proactifs et ont pris en main le système, réclamant notamment à charger son cœur, genre de comportement pro-actif que je vois rarement. J'ai toujours tendance à dire que le jeu fonctionne mais si seul le MJ comprend les règles, néanmoins quand les joueurs s'y mettent, ça crée encore une tension supplémentaire.

+ Le joueur de Karl a eu le sentiment que dans Inflorenza Minima, et dans plusieurs autres jeux moraux, on faisait de grands sacrifices pour atteindre au final un objectif minime. Je comprend cette impression, pour autant je vois les choses différemment. L'économie du jeu, basée sur les prix à payer, offre vraiment au personnage l'opportunité d'atteindre son objectif. Si l'objectif atteint est décevant, c'est peut-être qu'il était décevant au départ. Le personnage de Karl a manqué son objectif puisqu'il a perdu la photographie, mais il avait depuis longtemps bifurqué vers un nouvel objectif (récupérer le trésor pour financer et instruire une communauté) et surtout il a manqué la vraie opportunité que les règles lui offraient d'avoir le beurre et l'argent du beurre : il lui suffisait de décharger son cœur (chargé en acceptant rien moins que la mort de son frère) pour avoir le trésor ET la photographie. Je comprends qu'un jeu où il est obligatoire de perdre ou de gagner une chose minuscule après des immenses sacrifices peut apporter comme frustration. J'estime qu'Inflorenza minima propose une expérience différente : il est possible de gagner de grandes choses, c'est juste que c'est cher en sacrifices. Après chacun analyse comme il veut l'ironie que ça comporte. Cela comporte une certaine violence et c'est légitime de ressentir de l'inconfort et de préférer jouer à autre chose. Ces remarques que ce joueur nous a faites au sujet de son inconfort sont très utiles pour moi, pour continuer à penser le jeu de rôle moral, à évoluer.

+ L'utilisation concentrée des règles a entraîné un train de conséquences très complexes, une pelote qu'on pourrait détricoter à l'infini. Dans le podcast, le joueur de Mallory essaye de résumer une scène et cela l'oblige à expliquer toutes les autres scènes tellement elles sont imbriquées.

+ Cela, et la réaction d'inconfort du joueur de Karl me fait penser qu'avec Inflorenza minima, on atteint une expérience de jeu moral vraiment radicale, plus encore que ses modèles.

+ Je suis conscient d'être allé très loin dans le climax, que ce soit celui de Mallory ou celui de Karl (notamment avec l'immolation d'Érable, parti du fait que le joueur de Karl avait suggéré qu'Érable allait brûler avec la photo). L'inconfort du joueur de Karl s'en est trouvé renforcé. C'était un de ses inconforts où il devenait pour lui douloureux de jouer, alors que notre inconfort au joueur de Mallory et à moi était au contraire fertile en intensité de jeu. Le joueur de Karl sous-entend dans le podcast que les codes de sécurité sont inefficaces, car il n'osait pas les invoquer de peur de ruiner notre plaisir. Je crois pour ma part que les codes de sécurité ne peuvent être efficaces que si on veut bien croire en leur efficacité. Dès lors qu'on les aborde avec scepticisme et qu'on refuse de les utiliser, ils sont en effet caduques. En revanche, pour donner raison au joueur de Karl, je crois que si j'avais de temps à autres demandé aux joueurs si ça allait, ou si je leur avais demandé les pouces, il aurait pu se sentir autorisé à signaler son inconfort, et je suis certain qu'on aurait amendé le jeu pour le meilleur.
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Thomas Munier
 
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