[Dragonfly Motel] Échafaudages

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[Dragonfly Motel] Échafaudages

Message par Thomas Munier » 03 Juin 2016, 15:52

ÉCHAFAUDAGES

Quand la réalité s'écroule, souffrances et vérités se libèrent. Test enthousiasmant d'une prise de parole plus fluide.

Jeu : Dragonfly Motel, quête surréaliste pour voyageurs imprudents
http://outsider.rolepod.net/catalogue/dragonfly-motel/

Joué le 13/12/2015
Personnages : Léa, Charlie, la petite fille, le mari

Image
crédits : National Museum of the U.S. Navy, domaine public


L'histoire :

Un motel en perpétuels travaux. Façades couvertes d'échafaudages. Ouvriers casqués. Bruit du marteau piqueur. La piscine n'est encore qu'un trou dans la vase environné de bâches.

Le réceptionniste a l'air très fatigué. Ses cernes sont noirs. Le dallage de l'entrée est un carrelage noir et blanc translucide. Dessous, on aperçoit une surface liquide. On n'en discerne pas la couleur, juste que c'est fluide, en mouvement.

La seule chose finie du motel, c'est l'enseigne Dragonfly Motel, avec ses lettres et sa libellule de néons.

Une petite fille capricieuse avec une robe et des cheveux blonds bouclés insiste auprès du réceptionniste pour aller à la piscine, mais celui-ci lui explique qu'elle est encore en phase en creusement. Un homme avec un chapeau haut-de-forme et des vêtements bariolés s'approche de la petite fille et lui dit qu'il sait où on peut trouver une piscine et qu'il peut l'y conduire. L'homme a un ours en peluche vivant greffé à sa poitrine droite et un chat greffé à sa poitrine gauche. Il les présente à la petite fille : l'ours s'appelle Bubba et le chat Théo. "J'avais aussi un chat qui s'appelait Théo", précise la petite fille.

Léa a dix-huit ans. Elle travaille au room service. C'est un travail pénible, mais ça lui paye ses études. Elle rencontre un jeune homme qui erre dans les couloirs, il a juste une valise en carton comme s'il était parti à la hâte en rassemblant le strict minimum. Il lui dit qu'il ne trouve pas sa chambre, alors elle l'y conduit. Chambre 453. Ils sont dans sa chambre. Le motel a beau être en construction, la chambre est vieillotte. Il lui dit qu'elle doit absolument conserver la discrétion sur son numéro de chambre. Il dit qu'il va lui montrer quelque chose qui lui convaincra de la nécessité d'être discrète. Il déboutonne sa chemise. Sur son torse, il y a des traces de brûlure de cigarette et l'empreinte d'un fer à repasser. Sa cicatrice de l'opération de l'appendicite semble s'être rouverte récemment. "Je me suis enfui parce que ma femme me bat. Elle est à ma recherche.".
Léa promet qu'elle ne dira à personne dans quelle chambre il se trouve. Elle ira trouver le réceptionniste pour s'assurer de sa discrétion également.

La petite fille sort de la salle de bains. Elle appelle le mari : "Papa". Elle demande à Léa comment elle s'appelle. Comme Léa répond, la petite fille dit que sa poupée s'appelle pareil. Elle demande à Léa si elle veut être sa maman, Léa refuse. Vexée, la petite fille change le nom de sa poupée.
Léa s'en va trouver le réceptionniste. Quand le mari referme la porte de la chambre, le numéro de la chambre a changé. C'est maintenant écrit 354.

La petite fille est dans le couloir. Elle voit le chat Théo, qui monte les escaliers. Elle le suit. Ils traversent un grenier encombré de matelas défoncés et de meubles bâchés. Le chat passe par une porte, et sort au dehors. Il y a des échafaudages partout, des grues, des bâches, des structures de béton en face, un chantier colossal. Théo s'avance sur une poutrelle suspendue au-dessus du vide par dessus une grue. Un vide de cinquante étages. Le bruit des marteaux-piqueurs. Théo qui miaule. La petite fille n'ose pas s'avancer sur la poutrelle pour récupérer le chat.

Au bord de la piscine en travaux, trou dans la vase qui semble sans fond, il y a une femme allongée sur un transat. Elle est en maillot de bain, elle a un chapeau à larges bords et des lunettes de soleil qui lui couvrent tout le visage. Elle fume une cigarette. Puis l'écrase sur l'accoudoir du transat, comme on écraserait une cigarette sur le bras d'un homme. Tschhhh...

Tschhhh...

Le bruit du fer à repasser

qu'on appuie

sur une chemise.

La même femme, dans sa maison, en train de repasser le linge. Elle n'est pas son chapeau, mais toujours ses lunettes de soleil. Elle fume tout en repassant. Elle est en jupe et tailleur, noir et blanc, grande classe. La petite fille joue à ses pieds. La femme lui dit qu'elle a encore laissé sortir le chat. Elle lui dit de regarder par la fenêtre pour voir ce qui est arrivé au chat.
Par la fenêtre, on voit un tonneau qui recueille les eaux de la gouttière. A la surface, il y a le chat Théo qui flotte, inanimé. La femme dit à la petite fille qu'elle va punir son père pour ce qu'elle a fait.

La petite fille court dehors. Elle trouve l'homme au chapeau près du tonneau. Il lui dit : "Ne t'inquiète pas, ton chat est bien vivant.". Elle le sort du tonneau, et en effet, il est trempé, mais en forme. Elle demande à l'homme au chapeau comment il s'appelle. Il répond : "Je m'appelle Charlie, petite fille."

Par la fenêtre, la petite fille voit l'intérieur de la maison, comme irradiant de lumière. Le mari rentre du travail. Elle voit tout mais n'entend rien. Elle voit que la femme dispute le mari. Elle lui donne un ordre. Le mari déboutonne sa chemise et lui présente son torse. La femme empoigne son fer à repasser.

La nuit. Il pleut à verse. Il vente, c'est la tempête. La femme reste allongée sur son transat au bord de la piscine, impassible, alors que la piscine se remplit à gros bouillons. Charlie se promène autour du motel. Il est complètement sec.
Le mari sait que la femme est tout près. Il dit à Léa qu'il doit fuir. Il se poste à la porte, il regarde Léa une dernière fois, avec un sourire. Ses yeux sont vairons : il a un œil bleu, un œil noir. Puis il court dans la nuit, sous la pluie et le vent. La petite fille veut le suivre. Charlie lui offre son chapeau pour qu'elle ne soit pas mouillée. Le chapeau est trop grand pour elle, elle est obligée de le tenir à deux mains pour qu'il ne recouvre pas ses yeux. Léa offre un parapluie à Charlie, mais il n'en a pas besoin.
La petite fille court dehors, sous les échafaudages, pour retrouver le mari. Mais le chapeau est trop grand, il finit par lui tomber dessus et la recouvrir tout à fait, et la petite fille disparaît.

Le mari et Léa sont sur le toit du motel, penchés au-dessus des échafaudages. Le mari demande à Léa de la protéger.
Charlie arrive, et leur propose des sucreries pour apaiser leurs peines.
Le mari pousse Charlie dans le vide. Charlie est dangereux ! Sous l'effort, la cicatrice de l'appendicite s'est rouvert. La chemise du mari est bientôt trempée de sang.

Le mari est alité. Léa le soigne. La petite fille lui tient la main. Il meurt. Son oeil bleu devient noir à son tour.

Le réceptionniste a convié Léa dans l'arrière-boutique pour fin un point à l'heure de la fin de son contrat. C'est un petit local avec une table et des étagères où sont entassés des draps qui sentent la vapeur. Le réceptionniste se sert un whisky. On dirait du caramel. Il en propose à Léa, qui décline. Le réceptionniste a l'air très fatigué, ses cernes sont toujours aussi noirs. Il dit à Léa qu'on a besoin d'une personne comme elle ici à temps plein, pour s'occuper des clients. Léa décline, c'était juste un job d'été pour elle, elle veut suivre des études de physique, pour avoir un jour le Prix Nobel. Elle dit qu'ils vont s'en sortir sans elle, ce sera plus simple quand ce ne sera plus en construction. Le réceptionniste : "Ce sera toujours en construction. C'est parce que le motel est à l'image des clients. Et les clients sont en construction. Ils ont besoin de toi, ils ont besoin que tu prennes soin d'eux."
La petite fille est dans le local. Elle dit au réceptionniste : "Mais papa, pour que ça aille mieux, il te suffit de prendre des sucreries."
Le réceptionniste se transforme, c'est le mari maintenant. Il répond : "Les sucreries sont néfastes. Charlie veut te faire croire qu'elles sont bonnes, mais elles te masquent la réalité, et je vais te montrer comment."

La petite fille et Léa sont devant un stand de barbe à papa. C'est dans une grande fête foraine, tout en travaux. La grande roue est bardée d'échafaudages. Le béton est coloré en noir et blanc, comme un damier. Le mari montre une trappe près du stand à barbe à papa. Ensemble, ils descendent un escalier. Ils arrivent à une rivière de caramel. Charlie est là pour les accueillir, ici c'est son domaine. Charlie offre des sucreries à Léa et à la petite fille. Le mari tombe dans la rivière de caramel, il est emporté par le courant, mais les filles n'y prêtent pas attention, trop occupées à dévorer des sucreries.

La petite fille est devenue une marchande de glaces, c'était son rêve. Elle a un stand ambulant, au bord de la piscine du motel, toujours en creusement. La femme se présente à son stand. Elle lui dit qu'il est temps qu'elle oublie les sucreries et goûte au monde des adultes. Elle lui tend une cigarette. La petite fille refuse. Alors la femme veut la frapper avec un fer à repasser, le fer est relié par un gros câble à un des groupes électrogènes du chantier. La petite fille la pousse dans la piscine, la femme tombe comme si de rien n'était, elle s'allume une cigarette avant de s'écraser dans l'eau noire au fond du précipice. La petite fille jette le fer à repasser et le gros câble électrique au fond de la piscine, l'électrocution tue la femme, immense arc électrique, les échafaudages s'effondrent dans l'abîme, puis les façades du motel, comme siphonnées, s'écroulent aussi dans l'abîme, dans un vaste tremblement.

Le mari est alité. Léa et la petite fille sont à son chevet. Sur la petite commode, il y a une seringue. Le mari dit qu'il souffre trop. Il demande à Léa de faire chauffer de la poudre dans une cuillère jusqu'à ce que ça devienne comme du caramel, et de lui injecter dans les veines.
Léa refuse d'abord, mais le mari a tellement l'air de souffrir, alors elle se résigne à lui faire l'injection. Le mari crie : "La lumière ! Pourquoi toute cette lumière ?"

Clac. Clac. Clac !

Toutes les ampoules s'éteignent. D'abord celles de la chambre, puis en chaîne, toutes celles du motel, et toutes les lumières du chantier.

Le mari est la petite fille sont sur le toit du motel. En face d'eux, toutes les lumières du chantier brillent dans la nuit. Il lui tient la main, il lui sourit.
Ensemble, ils sautent.

Ils tombent, tombent, dans la nuit, au milieu des échafaudages, d'étage en étage en étage. Le mari regarde la petite fille. Il lui tient les mains et lui demande : "Pourquoi vivre ?"

Charlie tombe à leur niveau. Le mari continue à tomber, Charlie prend les mains de la petite fille et lui dit : "Pour toi, il est temps de remonter.". Et ensemble, ils tombent à rebours, ils remontent sur le toit du motel.

Le mari tient Léa par la main. Ensemble, ils sortent du motel. Le mari se retourne, il regarde la petite fille restée à l'accueil. Il a ce regard fascinant, un œil bleu, un œil noir.

Il lui sourit

et lui dit :

"Survis !"


Playlist :

Microfilm : Stéréodrama (post-rock avec des samples de films de Hitchcock et de la Nouvelle Vague)
Kreng : L'autopsie phénoménale de Dieu (dark ambient orchestral aussi beau que flippant)
Mogwai : Ten Rapid (post-rock radieux)
Anathema : Alternative 4 (doom rock magnifique)
et d'autres pistes que le joueur de Charlie a lancé sur son ordinateur, dont j'ai omis de noter les artistes.


Règles utilisées :

J'ai utilisé une règle de la Variante Khelren :

C'est-à-dire qu'avant de commencer à jouer, chacun a rédigé ses six papiers, et on les a distribué aux autres à l'avance.

En cours de jeu, pour prendre la parole, il n'y avait plus besoin d'offrir un papier (comme dans une de mes variantes). Pour signaler dans quelle posture en était, il y avait un code gestuel :
- Enfoncé dans le canapé : en touche
- Le corps en avant : dans le personnage
- Si on fait un "O" avec une main : décor ordinaire
- Si on fait un "E" avec une main : décor étrange

En procédant de la sorte, le jeu était beaucoup plus fluide. On a dû jouer 1h1/2 après la création de personnage. Il y a eu quelques remarques meta au début, j'ai rappelé qu'on devait rester dans le roleplay au maximum, et ça s'est vite calmé. C'était la partie la plus fluide de ce jeu que j'ai jamais faite. Notamment parce que la prise de parole était moins codifiée. Le joueur de la petite fille jouait ici sa toute première jeu de rôle, et il a été très à l'aise, je pense que ça aurait été moins facile pour lui si on avait joué avec l'obligation de demander la parole à l'avance. Je vais sortir prochainement Dragonfly Motel en version libre, et à cette occasion je changerai la règle pour qu'on joue comme dans cette partie. En revanche, je laisserai le choix entre écrire tous les papiers à l'avance (variante Khelren) ou le faire au fur et à mesure.
Énergie créative. Univers artisanaux.
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Thomas Munier
 
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