[Le Témoignage] Emile Zola à la recherche du vide fertile.

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[Le Témoignage] Emile Zola à la recherche du vide fertile.

Message par Thomas Munier » 19 Déc 2016, 16:38

Premier test du Témoignage pour cette partie solo tutoriel où un concept de jeu de rôle devient le prétexte à une quête étrange et hallucinée

Jeu : Le Témoignage, personnes confrontées à une beauté, un horreur ou un mystère qui les dépasse

Joué en solo le 12/12/2016

partie enregistrée sur ce podcast

Image
photo par Nadar, domaine public


Conditions de jeu :

Cette partie a été jouée en solo à l'occasion de l'enregistrement du Podcast Outsider Magneto consacré au Témoignage. C'était à la fois mon premier test du jeu, et un tutoriel audio des règles. J'avais préparé la partie à l'avance, en faisant quelques recherches et en jouant des embryons de scènes dans ma tête.


Le contexte / Avertissement :

J'incarne ici trois joueuses imaginaires qui se sont mis d'accord pour que le phénomène dont leurs personnages seront témoin soit un mystère. Le mystère en question sera le vide fertile, un concept de jeu de rôle que je vais ici traiter sous l'angle à la fois de la satire, de l'hommage et sous l'angle de la fiction hallucinatoire propre à ce qui est recherché dans ce jeu. J'ai eu un retour privé où on me disait que je traitais le vide fertile comme si c'était le Monolithe dans 2001, l'Odyssée de l'Espace. C'est tout à fait ça, mais c'est le jeu "Le Témoignage" qui veut ça. Cela n'a rien d'une analyse théorique du concept. Je me suis juste permis un délire, j'aurais pu faire pareil avec un mystère scientifique riche en fantasmes (le boson de Higgs), avec de la pseudoscience (les orgones de Wilhelm Reich) ou de l'ufologie.

Le contexte doit ensuite être brossé par mes joueuses imaginaires. On choisit ici un dix-neuvième siècle uchronique où ce sont les grands artistes français de ce siècle qui ont inventé et popularisé le jeu de rôle. On va suivre trois personnages : Émile Zola, Paul Cézanne et George Sand, tous créent des jeux de rôles dans ce dix-neuvième siècle uchronique. Ce sont des personnages de papier bien différents de leur alter ego réels. Satire et fantaisie à nouveau.


Les personnages :

Émile Zola
Ce qu'il paraît : Il connaît le succès tout en restant intègre. Se montre condescendant à l'égard de ses paris.
Ce qu'il est : Il est obsédé par le vide fertile, il aime profondément ses amis malgré ses désaccord artistiques.
Ce qu'il va perdre : ses amis
Ce qu'il va sauver : son succès.
L’événement bouleversant qu'il va connaître avec un autre personnage : sa rupture avec Paul Cézanne.

Paul Cézanne
Ce qu'il paraît : frustre et singulier.
Ce qu'il est : persuadé d'être un génie incompris, incapable de communiquer ses émotions.
Ce qu'il va perdre : sa raison
Ce qu'il va sauver : son art connaîtra la postérité.
L’événement bouleversant qu'il va connaître avec un autre personnage : va voir le vide fertile dans un de ses jeux en y jouant avec Émile Zola.

George Sand
Ce qu'elle paraît : Une femme forte et indépendante, une grande écrivaine.
Ce qu'elle est : Souffre d'être une femme dans un monde d'hommes, se venge des personnes qui l'ont blessée en les remettant en scène dans ses jeux de rôles
Ce qu'elle va perdre : indéterminé
Ce qu'il va sauver : indéterminé
L’événement bouleversant qu'elle va connaître avec un autre personnage : Émile Zola va la demander en mariage.


L'histoire :

Paris. C'est l'enterrement d'Honoré de Balzac, mort d'une crise cardiaque. Émile Zola, George Sand et Paul Cézanne se retrouvent sur le perron de l'eglise. Sand est habillée en homme, complet-veston noir, elle fume un cigare pour se détendre. Cézanne porte le hâle de sa Provence natale, on voit qu'il s'est fait violence pour se rendre à ce genre de mondanités, il a mis une veste noire très simple.

Émile Zola agite un exemplaire de la gazette Casus Belli. Un caricaturiste y a reproduit un croquis retrouvé sur le bureau de Balzac le jour de sa mort : quelques bandeaux symbolisant les règles entourent un tourbillon. Le vide fertile, la formule suprême pour concevoir un bon jeu de rôle, un ensemble de règles discrètes qui contraignent l'aventure de façon à attendre l'essence de la volonté de son auteur. Zola pense que Balzac l'avait atteint dans au moins un de ses jeux : Le Père Goriot.

Zola est enthousiaste. Avec Sand et Cézanne, ils s'imaginent en train de fouiller l'atelier de Balzac, alors que le corps du grand homme, encore chaud, étreint le croquis du vide fertile. L'endroit est dans un désordre incommensurable, il y a des reliefs de repas, des figurines, des petits paravents, des dés aux formes bizarres taillés dans du bois.

Sand éteint son cigare dans le cendrier de Balzac. Elle dit que le vide fertile n'est qu'une plaisanterie posthume du grand homme. Cézanne ne comprend rien au vide fertile, il plaisante en disant que c'est un canular, qu'il est l'auteur du croquis. Zola comprend en quoi consiste le vide fertile, un cercle vertueux et discret, mais il est incapable de l'expliquer.

Le temps passe.

George Sand se fait à l'idée qu'il n'y a aucun vide fertile dans ces jeux.
Zola passe des nuits entières à étudier les papiers de Balzac. Sand l'incite à venir se changer les idées, faire la fête, boire du vin et du champagne.
Gustave Flaubert dans les salons de George Sand. Il anime son jeu de rôle Carthage, qui permet de revivre une époque barbare et baroque. Zola espionne ces parties, il voit des personnes en uniformes et tuniques d'époque défiler. Il essaye de voir si le besogneux Flaubert aurait atteint le vide fertile dans son jeu.
Cézanne fuit les mondanités. Il s'enferme dans son atelier pour fuir dans le travail l'impossibilité d'atteindre le vide fertile.
Zola fait jouer Cézanne à l'Assommoir, son jeu où on incarne une famille d'alcoolique. Zola et Cézanne errent dans cette aventures parmi les décors des rues de Paris et des alambics monstrueux, ivres. Zola voit des coulisses et des cordages mystérieux. Il explique à Cézanne que le vide fertile réside dans son jeu. Cézanne s'en va, fâché des prétentions de Zola.

Sand convie les artistes dans son manoir du Berry. Zola et Cézanne ont fait le déplacement à titre exceptionnel. Le salon est grand, Sand est en complet-veston, il y a un feu de cheminée, du vin, des cigares, des chandeliers. Il y a Gustave Flaubert, l'auteur, Charles Baudelaire le critique assassin qui incendie Sand à chacune de ses publications. George Sand a écrit un jeu dans la nuit, elle leur distribue des cartes de tarot impressionnistes et des parchemins de personnages avec des plumes. Chopin joue du piano pour sonoriser l'aventure. Le jeu s'appelle La Mare au Diable, il propose de jouer des aventures paysannes faites de passion, de révolte et de fantastique. Flaubert sourit : "Ma grosse vache...". C'est le mot affectueux qu'il a pour désigner sa capacité à créer autant de jeux, quand lui-même consacre dix ans à chacune de ses œuvres. Alors qu'ils commencent à joueur, les murs tombent, faisant place à des paysages de marais, de forêts, de champs et de villages. A l'issue de l'aventure, Sand prend Zola à témoin : "Tu vois, il y a du vide fertile dans mon jeu !" Zola s'emporte. Il dit qu'il n'y aucun vide fertile, c'est impossible qu'il y en ait parce que le jeu est sans mystère et qu'elle ne l'a jamais testé auparavant.

Le Salon des Indépendants, aussi nommé le Salon des Refusés, où s'entassent les stands consacrés aux jeux de rôles dont les auteurs ont manqué ou décliné la protection d'un éditeur. Beaucoup de monde pour ce grand rendez-vous dominical parisien. Des dames de bonne famille, des ouvriers amateurs de feuilletons de jeux de rôles populaires, des dormeurs cachés derrière les tableaux en triptyque qui servent normalement à cacher les maîtres de jeux. Zola a joué de ses relations pour que Cézanne y ait un stand. Il explore le salon à la recherche du stand et le trouve dans une petite salle. Mais Cézanne n'a pas daigné venir. Il y a juste une table avec trois petits triptyques et des notes griffonnées à la hâte, pas de dés (Cézanne croit à l'absence de filtre entre la joueuse et son personnage, quand Zola professe l'intermédiaire du dé comme symbolisant à la fois la liberté d'action de la joueuse et l'épée du personnage). Personne ne va voir le stand. A la vue du matériel, Zola réalise que Cézanne est un génie incompris.

Cézanne est à ses côtés, mais c'est un Cézanne métaphorique, celui avec qui Zola est en train de parler après le Salon. Zola l'engueule : "Cochon ! Bouge-toi pour faire quelque chose de mieux !"

Zola demande Sand en mariage. Sand lui avoue qu'elle est malheureuse avec Frédéric Chopin parce que ce dernier est possessif alors que Sand est un esprit libre. Mais pour autant, elle repousse la proposition de Zola. Elle pense que Zola l'aime à la fois pour ses jeux (notamment ses jeux épistolaires auxquels elle a fait jouer Zola) mais aussi pour le sentiment de supériorité qu'il a sur elle, et elle ne veut ni de l'un ni de l'autre.

Zola invite Cézanne dans sa villa, il le reçoit en costume d'académicien. Avec ses domestiques grimés en figurants, il le fait jouer à son dernier jeu de rôle : L'Oeuvre, où on incarne des artistes maudits. Les domestiques jouent des peintres sans le sou claquemurés dans des ateliers sans chauffage. L'un d'eux voit mourir son jeune enfant, de misère et de négligence, et il peint le portrait de son cadavre. Zola vante à Cézanne la présence du vide fertile dans son jeu, et dit que le jeu est un hommage à Cézanne. Cézanne lui dit : "Alors, c'est comme ça que tu me vois ? Tu veux me faire passer pour un raté aux yeux de tout le monde !
- Qu'est-ce que les gens en ont à foutre de ta petite vie de merde !"
Cézanne frappe Zola au village et quitte la villa avec fracas.

Zola est convié à l'Opéra de Paris par Victor Hugo. Le vieux maître a reçu un financement de deux cent familles aristocrates pour réaliser un jeu de rôle à gros budget : La Légende des Siècles. Il dit que c'est l'avenir. Finis les jeux en feuilleton dans les revues populaires tirées à des milliers d'exemplaires. Avec cette nouvelle manne, Hugo peut enfin réaliser ses rêves. L'opéra bruisse de centaines de figurants déguisés avec des costumes de toutes les époques. Soldats, reines et manants. Victor Hugo embauche tous les jeunes de l'avant-garde : Delacroix pour peindre les décors, Chopin pour composer des musiques... Il veut Zola dans son écurie.
Zola traite Hugo de vendu. Il s'en va.

Plus tard, il envoie quand même un petit billet pour demander à Hugo de trouver un petit travail pour Cézanne. Hugo enverra un mot à Cézanne, mais celui-ci ne répondra jamais.

Cézanne fait jouer Zola à son jeu de rôle : La Montagne Sainte-Victoire, où on joue des personnes qui font une randonnée. Il utilise beaucoup de minuscules tableaux presque abstraits représentant cette montagne, sous tous les angles, tous les temps, toutes les époques.
Zola voit le vide fertile dans son jeu mais il n'ose pas le dire. Il bafouille un "c'est bien, mais on dirait que le jeu ne saurait fonctionner sans toi", et prend congé.

Montmartre et ses peintres, là où jadis Cézanne s'exerçait avec les autres. Charles Baudelaire, qui a délaissé la critique pour se lancer dans l'écriture de jeu de rôle (ses Fleurs du Mal lui valent un procès pour obscénité) écoute Zola avec religion et prend note de tout. Sand est là aussi. Zola leur fait jouer son dernier jeu, Germinal.

Ils sont enfermés dans un puits de mine après une grève générale qui a mal tourné et un coup de grisou qui les a bloqués là. Le personnage de Baudelaire est mort, celui de Sand est mourant. Zola leur dit : "Voyez, il est là le vide fertile, dans ce coup de grisou. Nous avons joué cette grève de mineurs pour ainsi dire malgré nous, guidés par le vide fertile."

Sand proteste. Elle montre des hommes vêtus de collants noirs qui s'activent dans les coulisses derrières les galeries. Elle dit qu'elle voit les ficelles. Que Zola essaye de leur faire prendre des vessies pour des lanternes.

Sand joue avec Frédéric Chopin, à son dernier jeu où l'on joue des amours paysannes. Chopin joue du piano en même temps. Sand se revoit en train de danser avec Alfred de Musset à la première de son jeu de rôle Lorenzaccio. Elle est consciente de se rappeler de lui pour la dernière fois. Musset lui demande de profiter de l'instant. Sand comprend que son jeu génère un vide fertile, un vide fertile qui amène les joueuses à réinvestir leurs souvenirs les plus intimes en jeu.
Que va perdre Sand ? Au final, elle perd tout. Elle va vieillir. Mais ce qu'elle sauve, c'est le souvenir de cette danse avec Alfred de Musset, ce souvenir qu'ensemble ils ont été les amants du siècle.

Cézanne est dans le train. Il repart définitivement en Provence. Par la vitre, il voit un homme qui court pour lui dire au revoir. Zola.

Le train continue. Cézanne voit des figurants de ces futurs jeux et des jeux qui seront inspirés des siens : des arlequins, des demoiselles d'Avignon au visage éparpillé. Et par les vitre, il voit des décors peints à grands traits furieux, des boules de feu électriques, le vide fertile ! C'est ainsi que Cézanne perd la raison.

Zola est au faîte de sa gloire artistique et politique. Il est dans son lit avec sa femme et ne trouve pas le sommeil. Il rêve à son futur jeu, un jeu où l'on joue des personnalités politiques avides de justice sociale. Et il voit dans la cheminée, il voit ce qu'il a cherché toute sa vie, sans savoir qu'en réalité sa cheminée est bouchée et que lui et sa femme sont en train de s'empoisonner au monoxyde de carbone, il voit... ce tourbillon noir... Le vide fertile !

Cézanne est seul en Provence. Il peint des Montagnes Saint-Victoire. Sur son dernier tableau, il rajoute un petit détail au pied de la montagne. Deux hommes côte à côte.


Durée :

1h30


Commentaires :

+ C'est un tout petit jeu par le format, mais il est important dans mon parcours personnel. J'espère le démontrer par quelques comptes-rendus de partie qui puissent éveiller l'intérêt.
+ Pour le besoin du tutoriel, j'ai énoncé une série d'exemples d'utilisations des verbes. Cela a donné une succession de saynètes riches.
+ J'ai oublié de caser une scène que j'avais préparée, ou Gustave Flaubert annonçait son vœu de réussir à écrire un jeu de rôle sur rien, un jeu de rôle sans aventure, qui ne repose que sur le style.
+ J'étais partie sur 2x2 jetons, mais en fait j'ai pris beaucoup moins de jetons que ce que j'aurais pu en prendre. Cela me laisse à penser qu'il faut éviter de prendre des jetons trop souvent, il ne faut le faire que lorsqu'on veut vraiment marquer le coup.
+ Le jeu a produit exactement ce que je voulais. A ce titre, le commentaire en privé me disant que j'ai traité le vide fertile comme le Monolithe de 2001, l'Odyssée de l'Espace, me laisse à penser que j'ai touché à mon but. Tout est dans la tagline du jeu en fait : comme on joue des personnes confrontées à un phénomène qui les dépasse, on lâche prise d'expliciter le phénomène : il ne fait que se dérober tout au long de l'aventure.
+ Je voulais qu'on joue des témoins et pour autant que leur vécu soit étoffé. Réussite à nouveau, je trouve que mes trois personnages ont une vraie histoire, quand bien même j'ai joué sans chercher à défendre leurs luttes personnelles.
+ Je joue sans doute beaucoup en mode auteur dans cette partie, vu que je suis à l'aise dans cette posture et qu'en solo, c'est difficile de faire autrement. Je suis vraiment curieux de tester le jeu à plusieurs pour voir s'il peut en être autrement.
+ Bien sûr, il me tarde aussi de jouer les beautés et les horreurs :)
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Thomas Munier
 
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