[Game Design] Concevoir un jeu à partir des modes

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Re: [Game Design] Concevoir un jeu à partir des modes

Message par Thomas Munier » 23 Mars 2015, 14:14

Mangelune a écrit :J'adore incarner un perso, mais j'aime aussi qu'il lui arrive des événements ayant du sens - et pas du sens pour le seul MJ, si j'incarne une aventurière que je vois bien devoir choisir entre l'amour et le devoir, je n'ai pas forcément envie que le MJ m'impose un autre sort.


Tu peux m'expliquer cet exemple s'il te plait ?
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Re: [Game Design] Concevoir un jeu à partir des modes

Message par Jiceno » 23 Mars 2015, 15:05

J'abonde dans le sens de Vivien. J'aime les jeux qui demandent au MJ de prendre en compte le désir du joueur quant à son personnage, sans pour autant le placer en posture d'auteur. Les jeux "serial", en somme, où la campagne se fonde sur plusieurs arcs narratifs (arc des personnage,arc du groupe), pas gravés dans le marbre, mais légèrement esquissés à l'avance. C'est effectivement le cas de Tenga, où l'on prend plaisir à forger un destin sans jamais cesser d'être le défenseur de son personnage.

A ce stade de mes lectures théoriques, je ne saurais dire si la proposition créative de Tenga est narrativiste ou simulationniste. Est-il la parfaite simulation d'un genre littéraire où les choix moraux sont légions, ou un jeu à proposition narrativiste qui se trouve être une bonne simulation? Une chose est sûre, il n'appartiendrait (à mon sens) à aucun des modes que tu cites, Thomas. Mais cette discussion n'en est pas moins intéressante!


JC
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Re: [Game Design] Concevoir un jeu à partir des modes

Message par Gaël Sacré » 23 Mars 2015, 15:46

Thomas Munier a écrit :Le cœur de ma démarche c'est de partir du ressenti du joueur au lieu de partir de la dynamique sociale. Si je dois sacrifier la GNS ou m'en servir seulement comme un outil, ça me convient.


Effectivement, le Big Model part du principe qu'un jeu de rôle c'est un ensemble d'interactions entre joueurs. En prenant seulement les ressenti du joueur, tu oblitère toute la dimension sociale du jeu de rôle qui fait sa spécificité. En séparant ce que tu appelles les modes, tu enlèves tout ce qui fait la richesse du jeu de rôle à mon avis :

- en mode personnage : le joueur ne fait qu'interpréter son personnage de façon à ce que ses décisions aient un impact particulier dans la fiction, quelque soit ses propres intérêts de joueurs. Ça crée une distanciation qui va simplement faire que tu t'en fiches de ton personnage, parce que tu ne partages aucun intérêt parallèle avec lui.

- en mode auteur : tu ne fais que décrire une belle fiction

- en mode pion : tu ne fais que jouer à un jeu de plateau en plaquant de la fiction par dessus (le fameux syndrome du jeu de dames)

En réalité, les trois modes que tu décris c'est ce que nous on appelle d'une seule manière : "jouer en mode auteur", à c'est dire "jouer sans jamais vraiment défendre les intérêts d'un personnage".

Après, comme je le disais, il n'y a aucun soucis à prendre du plaisir à jouer à ce genre de jeux et heureusement beaucoup le font déjà. Mais ce n'est simplement pas la vision du jeu de rôle que je défends personnellement.

Le principe des interactions riches entre les modes que tu décris, c'est de pouvoir faire des aller-retours constants entre les règles du jeu et le contenu fictionnel malléable. C'est ce qui permet notamment de créer des moments de synesthésie, où les enjeux fictionnels du personnage rejoignent les enjeux réels du joueur.

En séparant ces trois modes, tu rends totalement impossible ces points de contacts et retirent à mon sens toute la spécificité du jeu de rôle.

Pour reprendre ton exemple, dans Dogs in the Vineyard, toute la force du jeu réside dans le fait que le système crée des points d'interactions continuels entre les enjeux fictionnels et les enjeux réels. L'exemple le plus frappant étant celui de l'escalade. Les règles encouragent à escalader pour pouvoir défendre son point de vue / Dans la fiction, l'escalade signifie changer de mode d'attaque et donc amène forcément à de la violence. Ça crée des moments de jeux particulièrement forts parce qu'en tant que joueur on ressens des intérêts mécaniques ET fictionnels qui renforcent les choix que l'on fait en tant que joueur. On est investis parce que le choix que je vais prendre pour mon personnage, il me fait aussi prendre un risque dans le jeu réel. Ça ce n'est pas spécifique à Dogs in the Vineyard ou aux jeux à démarche créative narrativiste, mais à tous les jeux dits "fonctionnels" selon le Big Model.



Thomas Munier a écrit :C'est évident que mes hypothèses ne valent pas un clou si je ne peux mesurer leur intérêt en playtest, c'est donc ce que je vais faire.


Ce sera effectivement plus facile et surtout moins abstrait en partant d'exemples concrets de moments de parties choisis, en observant bien ce qui se joue entre les joueurs et le système, et pas seulement la fiction.
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Re: [Game Design] Concevoir un jeu à partir des modes

Message par Thomas Munier » 23 Mars 2015, 16:03

Gaël Sacré a écrit :Pour reprendre ton exemple, dans Dogs in the Vineyard, toute la force du jeu réside dans le fait que le système crée des points d'interactions continuels entre les enjeux fictionnels et les enjeux réels. L'exemple le plus frappant étant celui de l'escalade. Les règles encouragent à escalader pour pouvoir défendre son point de vue / Dans la fiction, l'escalade signifie changer de mode d'attaque et donc amène forcément à de la violence. Ça crée des moments de jeux particulièrement forts parce qu'en tant que joueur on ressens des intérêts mécaniques ET fictionnels qui renforcent les choix que l'on fait en tant que joueur. On est investis parce que le choix que je vais prendre pour mon personnage, il me fait aussi prendre un risque dans le jeu réel. Ça ce n'est pas spécifique à Dogs in the Vineyard ou aux jeux à démarche créative narrativiste, mais à tous les jeux dits "fonctionnels" selon le Big Model.

Mais c'est ça que j'appelle le mode personnage ! Tu te sers de ton personnage pour défendre ton jugement moral (et/ou un jugement moral dont tu veux tester la validité dans le jeu).

Mais peut-être que ce que j'appelle les modes n'ont rien à voir avec ce que vous envisagez, après tout, j'en sais rien !


Je ne vois pas pourquoi jouer un mode auteur soit absolument associé à des jeux à positionnement faible. Quand je joue à Prosopopée, je suis en mode auteur tout le temps. Je crois pas que le jeu présente de problèmes de positionnement.

Idem, supposons que je joue une petite mémé qui résout des enquêtes dans un jeu de rôle d'enquête (i.e. un jeu ou on joue une enquête, pas un jeu ou on joue des enquêteurs). J'y joue en mode pion : ce qui m'intéresse c'est de résoudre l'enquête pour le challenge intellectuel qu'elle représente. Je vais tenter plein de trucs que le MJ a pas prévu (espionner un suspect, fouiller dans des affaires, poser des questions, prendre le thé pour passer pour une mémé inoffensive...), et pour cela j'ai besoin d'un jeu à positionnement fort, qui récompense mes tentatives dans la fiction par un résultat. Pourtant, je joue en mode pion. Je ne fais que des choix tactiques, je ne fais pas de choix moraux. Et je pourrais penser que les choix moraux ou les choix esthétiques viennent parasiter le jeu. Qu'on ne me parle pas d'avoir des billes morales dans l'enquête en cours parce que l'assassin serait mon gendre ou ce genre de conneries, de toute façon si c'est le cas, le gendre ira en tôle si je le démasque et basta. Qu'importe qu'il fasse le bonheur de ma fille, je joue pour l'enquête. Qu'on ne me parle surtout pas d'inventer les indices ou les suspects que je découvre ! Je peux pas enquêter et inventer ces trucs en même temps : c'est le boulot du MJ ou du scénario !
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Re: [Game Design] Concevoir un jeu à partir des modes

Message par Gaël Sacré » 23 Mars 2015, 16:46

Thomas Munier a écrit : Mais c'est ça que j'appelle le mode personnage ! Tu te sers de ton personnage pour défendre ton jugement moral (et/ou un jugement moral dont tu veux tester la validité dans le jeu).


Justement ce que je dis c'est : ce que je décris, c'est valable pour TOUS les jeux de rôle, quelque soit la démarche créative.

Thomas Munier a écrit :Je ne vois pas pourquoi jouer un mode auteur soit absolument associé à des jeux à positionnement faible. Quand je joue à Prosopopée, je suis en mode auteur tout le temps. Je crois pas que le jeu présente de problèmes de positionnement.


Je vais reprendre ta définition de ton "mode auteur" :

Thomas Munier a écrit :Si je suis en mode auteur, je me moque que les décisions du personnage aient des conséquences prédictibles. Ce qui compte, c'est de pouvoir utiliser les informations qu'on me donne, de raconter des choses sur mon personnage en relation avec ces informations. Mon plaisir vient de ce que les autres joueurs acceptent ce que je dis comme faisant partie de la fiction, et le reprennent à leur compte, et faire la même chose en retour.


Ce qui fait justement la grande qualité de Prosopopée, tout comme Dogs, ce sont les interactions permanentes entre les mécaniques et la fiction. Le but de Prosopopée ce n'est pas simplement de raconter une belle histoire. En tant que medium tu as des enjeux fictionnels qui vont dans le sens de résoudre les problèmes du monde. En parallèle en tant que joueur, le système propose une façon de résoudre les problème de façon mécaniques : en accumulant des dés et les lancer pour résoudre les dés de problèmes. Tu noteras qu'on ne peut résoudre les problèmes qu'en utilisant une de ses couleurs de sa fiche de personnage. Ses couleurs encouragent les joueurs à régler les problèmes de façon pacifiques, poétiques, empathiques etc. Il y a une corrélation entre les enjeux fictionnels (résoudre le problème dans le monde des medium) et les enjeux réels (résoudre les dés de problèmes). Donc non, on ne joue pas en mode auteur selon ta définition. On ne se moque pas des décisions que les joueurs vont faire prendre à ses personnages. Il faut qu'il y ait des conséquences prédictibles pour pouvoir réellement faire l'expérience de la résolution des problèmes. Des conséquences qui sont à la fois fictionnelles et mécaniques : si je foire mon jet de dé, le problème n'est pas résolu.


Même chose pour Monostatos. En tant que joueur on est encouragés à gagner des dés de puissance en racontant de la fiction, mais surtout de la fiction qui raconte comment son personnage s'oppose à Monostatos. Il y a également une interraction forte entre les enjeux fictionnels (les héros flamboyants qui s'opposent à la tyrannie de Monostatos) et les enjeux réels (gagner des dés de puissance et faire des conflits pour tenter de gagner de la liberté).

Quelque soit la démarche, défendre les intérêts de son personnage est primordial, sans quoi il n'y a pas de positionnement (comme tu le dis toi-même).
S'il n'y a pas de positionnement, ce n'est pas un drame. Mais au sens du Big Model, ça fait simplement des jeux moins profonds et qui passent à côté de la force du jeu de rôle.



Thomas Munier a écrit :Idem, supposons que je joue une petite mémé qui résout des enquêtes dans un jeu de rôle d'enquête (i.e. un jeu ou on joue une enquête, pas un jeu ou on joue des enquêteurs). J'y joue en mode pion : ce qui m'intéresse c'est de résoudre l'enquête pour le challenge intellectuel qu'elle représente. Je vais tenter plein de trucs que le MJ a pas prévu (espionner un suspect, fouiller dans des affaires, poser des questions, prendre le thé pour passer pour une mémé inoffensive...), et pour cela j'ai besoin d'un jeu à positionnement fort, qui récompense mes tentatives dans la fiction par un résultat. Pourtant, je joue en mode pion. Je ne fais que des choix tactiques, je ne fais pas de choix moraux. Et je pourrais penser que les choix moraux ou les choix esthétiques viennent parasiter le jeu. Qu'on ne me parle pas d'avoir des billes morales dans l'enquête en cours parce que l'assassin serait mon gendre ou ce genre de conneries, de toute façon si c'est le cas, le gendre ira en tôle si je le démasque et basta. Qu'importe qu'il fasse le bonheur de ma fille, je joue pour l'enquête. Qu'on ne me parle surtout pas d'inventer les indices ou les suspects que je découvre ! Je peux pas enquêter et inventer ces trucs en même temps : c'est le boulot du MJ ou du scénario !


Là tu fais clairement l'amalgame entre les démarches créatives et tes modes. Si tu veux que ton jeu d'enquête soit vraiment intéressant, il est important que tu épouses les intérêts de ta mémé enquêtrice. Pour ça, il faut à la fois que tu ressentes les potentialités de conséquences dans la fiction aussi bien que les potentalités que tu as en tant que joueur. Si tu fais l'un sans l'autre, soit ça donnera un jeu de plateau, ou bien ça donnera un jeu pour raconter des histoires. Pour que ce soit un jeu de rôle au sens du Big Model, il faut que tu es un intérêt en tant que joueur qui soit parallèle à l'enquête de ta mémé. Et ça, ça n'a rien à voir directement avec les démarches créatives.
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Re: [Game Design] Concevoir un jeu à partir des modes

Message par Frédéric » 23 Mars 2015, 16:58

Sauf que depuis les débuts du jdR, on défend les intérêts de nos personnages aussi quand on fait des choix tactiques. Tout ce qui consiste à essayer d'interroger les bonnes personnes, essayer de comprendre une situation avant le combat ou même pendant, se faire des alliés etc. Ça peut se faire uniquement dans la fiction. Si les enjeux pour le joueur sont alignés avec ceux du personnage, on défend les intérêts du personnage.
Le mode pion est une caricature de ludisme. À ce stade, sans synesthésie, le jeu s'apparente généralement à un jeu de plateau avec un peu de fiction (plutôt gérée par le MJ) dedans.

Et l'on respecte et teste les limites d'un canon esthétique êgalement en défendant les intérêts de nos personnages. Parce que prendre des décisions pour notre personnage de manière idéale vis à vis de la logique interne à la fiction est tout à fait compatible av le fait de défendre ses intérêts (accomplir sa mission divine dans Prosopopée ou botter le cul de Myphos dans Sens).
Le mode auteur n'est également qu'un extrême.

Enfin, attention à l'amalgame entre Joueur-auteur et les postures de Ron Edwards : acteur, auteur et metteur en scène. Ces postures sont toutes les trois présentes dans toutes les pratiques où l'on défend les intérêts de nos personnages (je ne sais pas ce qu'il en est du jeu en mode auteur, mais je pense qu'elle pèche au niveau de la posture d'acteur et en fait je n'en suis pas sûr).
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Re: [Game Design] Concevoir un jeu à partir des modes

Message par Steve J » 23 Mars 2015, 17:06

Gaël Sacré a écrit :Ce qui fait justement la grande qualité de Prosopopée, tout comme Dogs, ce sont les interactions permanentes entre les mécaniques et la fiction. Le but de Prosopopée ce n'est pas simplement de raconter une belle histoire.

Une remarque sur Prosopopée : le jeu a un rapport très particulier avec les postures parce qu'il intègre, dans son univers, les deux postures.
Les personnages joueurs de Prosopopée sont des Peintres et, à ce titre, ils sont intéressés -en tant que personnage- à la qualité de leur histoire.
On est dans un cas similaire à Explo[nar]rateur où l'on incarne des personnages qui ont pour objectif de donner vie à une intrigue de qualité.

Dans les deux cas ont est face dans un cas où la posture d'acteur équivaut à la posture d'auteur, mais la solution trouvée -aussi élégante soit elle- ne peut pas vraiment se reproduire (à moins de ne jouer qu'à des JDR développant un discours méta dans leur univers...ce qui est vite limité).
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Re: [Game Design] Concevoir un jeu à partir des modes

Message par Thomas Munier » 23 Mars 2015, 17:35

J'ai le sentiment d'avoir employé à mauvais escient des termes du glossaire au lieu d'inventer mes propres termes. Il est possible que je ne parle pas vraiment de la même chose.

C'est pas grave, entendu que je ne cherche à convaincre personne. Si ces hypothèses ne servent qu'à moi-même, ça me suffit. Je suis heureux de vous voir réagir, mais ne croyez pas que je cherche à vous faire changer d'avis.

Ce que j'essaye de différencier, c'est comment je me sers de mon personnage :
+ je choisis (je suis immergé dans le personnage)
+ je raconte (je suis immergé dans l'univers)
+ j'expérimente (je suis immergé dans la résolution des problèmes)

Moi, perso de chez perso, je m'amuse mieux si je peux être dans un de ces modes sur un long temps, de préférence le temps de la partie, ou au moins le temps d'une scène, et si en me demande en même temps de choisir (je veux dire, faire un vrai choix, pas un truc hyper logique au vu de mon personnage), raconter (autrement que faire une description purement informative à fin de requête ou de réponse) et expérimenter (autrement que de faire les actions minimales nécessaires pour valider les choix du personnage ou raconter ce que fait mon personnage), ça va dissoner pour moi. Je pense que je peux accéder à des émotions fortes dans chaque mode, mais ça ne va pas monopoliser les mêmes parties de mon cerveau au départ. Mais en me plaçant dans le ressenti, un ressenti par rapport aux enjeux, aux situations et aux mécaniques, j'ai beaucoup de mal à en donner des exemples. Une fiction ne retranscrit pas fidèlement quels sont les enjeux pour moi en tant que joueur. Je crois aussi que le fait de corréler les enjeux fictionnels et les enjeux ludiques (les héros luttent contre Monostatos, ainsi fait le système, les Peintres réparent les défaut de leur toile, ainsi fait le système, etc...) est vertueux dans la plupart des cas, et ne me dit rien sur quel mode je joue. Je veux dire, bien sûr que mon perso Peintre est motivé pour faire ce qu'il fait. Sauf que moi joueur, c'est vraiment un pinceau, pas un peintre. Je le vois plus comme un outil que comme un alter ego. Mais après tout, peut-être que je restreins volontairement ma façon de jouer à Prosopopée.
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Re: [Game Design] Concevoir un jeu à partir des modes

Message par Frédéric » 23 Mars 2015, 17:42

C'est fort possible pour Prosop (et je soutiens la vision de Gaël et Steve, bien que l'on puisse défendre les intérêts des persos également quand on joue sans expliquer l'idée des Peintres, mais je pense que ça compte quand même).

Je t'encourage vivement à définir ton propre vocabulaire si tu veux t'éloigner des concepts de départ, ce sera plus clair pour tout le monde.
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Re: [Game Design] Concevoir un jeu à partir des modes

Message par Thomas Munier » 23 Mars 2015, 18:08

Oui, c'est ce que je vais faire.

Pour récapituler,

Selon comment je me sers de mon personnage :
+ je choisis (je suis immergé dans le personnage)
+ je raconte (je suis immergé dans l'univers)
+ j'expérimente (je suis immergé dans la résolution des problèmes)

Moi, Thomas, voici mes préférences :

+ Si je suis en mode "je choisis", je veux que le système m'invite à faire des choix compliqués en tant que personnage, et me fasse jouer les conséquences. Je ne veux pas que le système me dise quoi penser, quand changer d'avis, comment me comporter. Ces choix-là, je veux les faire en dehors du système. Je suis d'accord pour inventer des choses à la création de personnage, parce que ça ne fait pas encore partie du jeu pour moi. Une fois que le perso est créé, je suis centré sur un espace de narration serré. Je peux jouer un personnage aux antipodes de mes valeurs morales mais je lui trouverai toujours des excuses. Au final, je me joue toujours moi-même dans un contexte différent, en essayant de comprendre ce qui m'a poussé à faire certain choix par le passé, et en essayant d'échapper à ce que je vois comme une spirale négative, d'après mes valeurs de joueur. Je veux que ce système implique avec moi les autres personnages dans ces choix compliqués. Je ne veux pas des descriptions ou des scènes d'action verbeuses, je veux des faits que je peux utiliser pour savoir quelles décisions prendre. Si mon perso meurt, j'espère que ça en aura valu la peine. Je serai triste comme si j'étais personnellement meurtri.

+ Si je suis en mode "je raconte", je veux que le système me donne un ton à suivre, des inspirations, m'invite à être créatif, et je veux pouvoir le faire au détriment de mon personnage, je veux me sentir libre de faire faire à mon personnage des trucs risqués ou stupides si moi en tant que joueur je veux voir le résultat. Je veux bien que mon personnage ait des difficultés morales si ça me donne l'occasion de faire évoluer sa personnalité, qui est un jouet dans mes mains. Je veux bien faire en sorte que mon personnage réussisse à atteindre ses objectifs si ça correspond à l'idée que je me fais d'une bonne histoire. Mais jouer son échec m'intéresse tout autant. Je veux aussi que le système cadre ma liberté créative en me proposant des contraintes et des interdits, et qu'il me donne les filets de sécurité nécessaires pour rester dans le style voulu. Je peux jouer avec conviction un personnage aux antipodes de mes valeurs morales, je le vois comme un exercice de style. Je veux enfin que le système me permette de faire une création collective avec les autres joueurs. Je suis prêt à perdre mon personnage s'il a une mort mémorable et dans le style promis par le jeu. Je serai triste si justement la scène de sa mort est émouvante, comme une chouette scène de film peut m'émouvoir.

+ Si je suis en mode "j'expérimente", je veux que le système me donne du fil à retordre, qu'il me fasse résoudre des énigmes, des combats, des labyrinthes. Je veux que ces problèmes soient "en dur", je ne veux pas raconter comment je les résous, je veux les résoudre. Je veux que le jeu me dise clairement ce qui est un problème et ce qui est du décor, ou plutôt que tout décor soit susceptible de constituer un problème (telle une salle piégée ou je devrai deviner l'existence du piège à partir de la description), et qu'il me récompense quand je m'attaque aux problèmes, en me donnant de nouvelles ressources et/ou en m'offrant de nouveaux problèmes plus compliqués. Je veux que les règles stimulent mes compétences de joueur (logique, adresse, calcul, mémoire...), et aussi mes compétences à créer et me servir d'un personnage. Je veux des aides de jeu si elles me permettent d'affronter des challenges plus compliqués. Je veux que l'issue de mon aventure soit incertaine, que le MJ ne pourra ni me sauver ni me sacquer au final, seul le hasard, les éléments préconstruits (ou tirés au hasard), les bonnes décisions du MJ et mes propres erreurs doivent justifier mes échecs. Le MJ peut improviser ou préparer une arène sans se soucier de l'équilibre de jeu (à condition que j'ai une chance de fuir, de me déplacer vers des zones plus safe), mais en suivant une méthodologie qui ne le pousse pas à commettre des "chutes de cathédrale". Je veux que pour chaque problème, il y ait des bonnes et des mauvaises solutions (prévues ou non par le MJ), je ne veux pas que toutes les solutions se valent. Je ne cherche pas à définir la psychologie de mon personnage. Je suis d'accord que le système m'impose de lui en définir une, si cela sert de ressource ou de handicap, bref si ça fait partie du "sport", mais le système a intérêt à encadrer cette psychologie en permanence par un je de bâton et de carotte, sinon je l'ignorerai purement et simplement. , si je le perds, je serai triste, mais à cause du temps que j'aurai passé à le développer. Je serai triste comme un bricoleur perd son marteau favori.



Sachant que :

ça ne me dérange pas qu'un système me prenne au piège. Par exemple que j'arrive avec l'idée d'expérimenter, et que la situation, le système me pousse en "je choisis" (je pense à ce joueur là). Dès que j'ai compris ça, je prends le pli. En revanche, ça m'ennuie si le système m'envoie des signaux contradictoires, ou si jouer dans l'un des modes permet de "cracker" le système (tout comme à une époque,on pouvait cracker le système d'Arbre si on jouait en mode "je choisis" ou "j'expérimente", car le système était basé sur le bon vouloir du joueur à jouer des personnages auto-destructeurs, sans contre-pouvoir pour empêcher ceux qui ne voulaient pas mettre jouer les persos comme ça de transformer le jeu en parcours de santé).
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Re: [Game Design] Concevoir un jeu à partir des modes

Message par Thomas Munier » 25 Mars 2015, 11:06

Or donc, je poursuis mes réflexions sur ces modes j'expérimente / je choisis / je raconte.

Quand j'expérimente, je vis le jeu de rôle comme un sport.
Quand je choisis, je vis le jeu de rôle comme la guerre.
Quand je raconte, je vis le jeu de rôle comme un film.

Ou encore :

Quand j'expérimente, je joue pour que mon personnage triomphe de l'adversité (quelqu'en soit le prix).
Quand je choisis, je joue pour défendre ma ligne de conduite (quelqu'en soit le prix).
Quand je raconte, je joue pour interpréter un personnage mémorable (quelqu'en soit le prix).

On peut lire une convergence possible de ces trois façons de jouer, mais elle sera forcément conflictuelle. Un conflit qui peut être fertile, générer du jeu (exemple du joueur qui joue pour triompher de l'adversité à Dogs in the Vineyard), elle peut être problématique si le jeu ne protège pas les trois.


Quelles sont mes priorités ?

Quand j'expérimente, je joue/protège avant tout la réussite de mon personnage.
Quand je choisis, je joue/protège avant tout la volonté de mon personnage.
Quand je raconte, je joue/protège avant tout l'image de mon personnage.

J'attends d'un jeu qu'il me propose avant tout de jouer et de protéger soit la réussite, soit la volonté, soit l'image de mon personnage. Cela ne signifie pas qu'il n'attaque jamais ce qu'il est censé protéger, cela signifie qu'il donne la possibilité (plus ou moins difficile selon la difficulté du jeu) ou la probabilité (plus ou moins forte selon la difficulté du jeu) au joueur de protéger ce qui est le plus important, c'est-à-dire soit la réussite, soit la volonté, soit l'image, selon le jeu.


Un jeu qui protège la réussite de mon personnage me laisse faire les choix tactiques que je veux, il se contente d'en informer et gérer les conséquences. Il peut être plus directif sur les choix moraux et esthétiques, m'en imposant certains, ou les soumettant à des coûts / récompenses. La création de personnage m'amène en premier lieu à définir ou acheter des ressources. Tout handicap doit être imposé ou me rapporter des points, je n'en choisirai moi-même gratuitement.

Un jeu qui protège ma volonté de mon personnage me laisse faire les choix moraux que je veux, il se contente d'en informer et gérer les conséquences. Il peut être plus directif sur les choix tactiques et esthétiques, m'en imposant certains, ou les soumettant à des coûts / récompenses. La création de personnage m'amène en premier lieu à définir ou acheter des ressources. Tout handicap doit être imposé ou me rapporter des points, je n'en choisirai moi-même gratuitement. Elle m'amène aussi à définir le background de mon personnage, le terreau qui va justifier mes choix moraux futurs. Elle peut m'imposer un background ou me proposer de décrire un background négatif, mais seulement si ça me rapporte des points.

Un jeu qui protège l'image de mon personnage me laisse faire les choix esthétiques que je veux, il se contente d'en informer et gérer les conséquences. Il peut être plus directif sur les choix tactiques et moraux, m'en imposant certains, ou les soumettant à des coûts / récompenses. La création de personnage peut me proposer d'acheter des ressources et un historique, mais avant tout elle me propose de définir l'esthétique du personnage, éventuellement dans un espace de narration large (avoir l'opportunité de décrire le pays d'où l'on vient...).


Il est préférable qu'un jeu protège avant tout la réussite, ou l'image ou la volonté. Mais je préfère qu'il ne sacrifie pas l'un au détriment de l'autre. Il doit sanctuariser l'une de ces trois choses et proposer au joueur de malmener lui-même les deux autres de s'en servir comme monnaie d'échange. Il doit encourager un des trois modes sans faire des deux autres des martingales qui transformeraient le jeu en parcours de santé.


Dans sa version actuelle, Inflorenza protège avant tout l'image du personnage. Tous les choix esthétiques sont à la discrétion du joueur. Le jeu lui donne des sources d'inspiration esthétique (les symboles, le théâtre, l'univers...) mais aucun n'est véritablement imposé (pour préserver la volonté du personnage). Les mécaniques de résolution précisent si un joueur gagne ou échoue, et lui imposent des retombées, positives ou négatives. Mais c'est le joueur qui a défini à l'avance ce qu'il pouvait gagner (voir même, en Carte Rouge, ce qu'il pouvait perdre), et c'est lui qui décrit ses retombées. Décrire ses retombées, c'est souvent pour le joueur une proposition pour altérer la volonté de son personnage, ou ses chances de réussite. On peut chercher à protéger sa volonté ou ses chances de réussite, et le faire efficacement, mais ce n'est pas l'enjeu majeur du jeu. L'action n'est jamais scriptée, pour préserver la volonté et les chances de réussite du personnage.

Dans sa version actuelle, Arbre protège avant tout l'image du personnage. Tous les choix esthétiques sont à la discrétion du joueur. Le jeu lui donne des sources d'inspiration esthétique (les branches) mais aucun n'est véritablement imposé (pour préserver la volonté du personnage). Les mécaniques de résolution demandent au joueur de préciser s'il réussit ou s'il échoue, mais toute réussite est contrebalancée par une retombée négative décrite par un joueur tiers, et tout échec est contrebalancé par une retombée positive, décrite par un joueur tiers. Tout l'enjeu esthétique est dans cette balance. On peut chercher à protéger sa volonté ou ses chances de réussite, et le faire efficacement en jouant avec cette balance, mais ce n'est pas l'enjeu majeur du jeu. L'action n'est jamais scriptée, pour préserver la volonté et les chances de réussite du personnage.

D'après cette analyse, les deux jeux me paraissent également vertueux, mais ce qui me perturbe, c'est qu'on pourrait avoir envie d'y jouer, chacun d'eux, plus en mode "je choisis".
C'est possible de le faire, puisque les deux jeux ne l'interdisent pas et n'en font pas une martingale non plus. J'envisage donc de proposer pour chacun de ces jeux une variante à jouer en mode "je choisis".

Pour passer Inflorenza en "je choisis", il faut limiter les choix externes à la volonté du personnage. En d'autres termes, le joueur ne doit pas pouvoir décrire ses échecs ou les retombées du conflit. Je vais faire une version où l'échec et les retombées positives sont décrites par le MJ, les retombées négatives sont décrites par un "joueur-rival". Je supprime aussi le mode Carte Rouge, car il propose de jouer de façon trop externe à la volonté du personnage.

Le grand avantage du système de résolution d'Inflorenza, c'est qu'il propose des choix informés concernant à la fois les chances de réussite, la volonté et l'image du personnage. (en version diceless, on a le choix entre un trio gain/risque/forfait, chacun équilibré par des retombées positives ou négatives ; en version diceful, ce choix existe toujours - on peut choisir le risque ou le forfait sans lancer les dés -, mais obtenir le gain nécessite une mise de ressources et un lancer de dés). J'ai donc seulement à modifier les droits sur la narration, à réduire l'espace de narration du joueur, et ça passe.


Pour passer Arbre en mode "je choisis", je dois entièrement revoir la mécanique de résolution. L'économie actuelle n'est pas assez fiable pour satisfaire pleinement un joueur en "je choisis". Je lui substitue donc la mécanique de résolution d'Inflorenza en mode diceless +"je choisis". Pour obtenir ce qu'il veut, un joueur doit présenter des déclarations, demander un gain (il peut présenter jusqu'à trois déclaration : 1 motivation + 1 ressource + 1 handicap, chaque déclaration permet d'obtenir une chose), le jeu lui propose ensuite de choisir entre gain, risque et forfait, chacun équilibré par des coûts ou des contreparties annoncées à l'avance (coûts annoncés par le goupil, contrepartie annoncée par le MJ).
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Thomas Munier
 
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