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[Les 8 zéros] Zéro Charge

Message Publié : 28 Jan 2016, 18:37
par Thomas Munier
Après un grand délai, qui m'a vu passer auteur à temps plein, je poursuis l'exposé de mon modèle d'indépendance (les huit zéros), avec ce Zéro Charge. J'y aborde le nerf de la guerre : l'argent. Ou comment éviter d'en dépenser pour mon activité d'auteur.


Pour se lancer en tant qu'auteur indépendant, j'avais une crainte à surmonter : je savais que mon activité serait très peu lucrative, mais je souhaitais surtout éviter qu'elle me coûte plus d'argent qu'elle ne m'en rapporte. La solution, toujours valable aujourd'hui que je suis auteur à temps plein, c'était de limiter les coûts autant que possible.

+ Suite logicielle :

Écrire un jeu de rôle, c'est, encore aujourd'hui, écrire un livre. Qui plus est avec une mise en page plus exigeante que celle d'un roman.
Pour l'informatique, je me suis doté d'outils aussi performants que gratuits : les logiciels libres.
Mon système d'exploitation est Ubuntu. J'utilise la suite Libre Office pour les traitements de texte et les tableurs, Evolution pour mon client lourd de messagerie, Gimp pour mes photomontages et ma mise en page (une page = un fichier Gimp) et Scribus, logiciel de PAO, pour l'assemblage final des pages mises en forme sous Gimp.
Je rappelle que pour les jeux les plus simples, un logiciel de traitement de texte est largement suffisant.
On peut trouver des solutions logicielles en ligne, qui ont l'avantage de permettre de pouvoir travailler sur plusieurs ordinateurs. Mais comme j'ai privilégié un travail en mono-poste, j'ai peu exploré dans cette direction.

+ Illustration :

Rien n'oblige un jeu de rôle à être illustré, mais beaucoup d'entre nous sommes attachés au visuel, j'en fais partie pour la majorité de mes travaux. Dans ce domaine aussi, la gratuité me tient à cœur.

J'utilise en priorité des photos en licence Creative Commons / Paternité / Pas d'utilisation commerciale, glanée sur flickr.com. J'ai choisi cette licence malgré ses restrictions car les photos qui y sont rassemblées correspondent au standard de qualité que je recherche (ni trop médiocres, ni trop élaborées). En revanche, c'est une contrainte qui m'a décidé à rendre mes jeux non-commerciaux.

De façon beaucoup moins restrictive, le vaste monde du domaine public, des images libres de droits et du Creative Commons Zero s'offrent à vous, et ont permis de magnifiques jeux, comme la version amateur de Terra Incognita par Julien Clément, les jeux de Snorri, Polaris de Ben Lehman ou encore White Books par Eric Nieudan. Le domaine public, c'est notamment Gustave Doré, Caspar Friedrich, ou le monde vertigineux des enluminures médiévales.

Les illustrations gratuites, c'est aussi illustrer soi-même. La beauté de Prosopopée de Frédéric Sintes ou les maquettes racées des publications d'Acritarche parlent d'elles-mêmes. Osez vous mettre au dessin, votre sincérité vous défendra.

Pour ma part, avant de franchir ce pas (j'ai prévu d'essayer pour Arbre), je me suis autoformé au photomontage. Je travaille sous Gimp avec un éventail de techniques très restreint : c'est essentiellement du découpage-collage, et le résultat diffère de tout ce que j'aurais pu demander à un illustrateur tiers, car j'ai vraiment exprimé ma vision, sans intermédiaire.

Dans la mesure où mon activité de publication de jeux est bénévole et que je peux me passer d'illustrateurs extérieurs, j'évite de les solliciter. J'ai cependant l'honneur de recevoir des demandes de collaboration, j'accepte autant que je peux, mais je précise à la personne qu'elle sera bénévole elle aussi. J'ai jadis rémunéré des illustrateurs, mais c'était dans le cadre d'un modèle économique aujourd'hui obsolète. Actuellement, je prépare deux livres, Odyssea et Perdus dans les forêts Zéro, qui auront été intégralement illustrés par Thibault Boube, de façon bénévole.


+ Internet

Internet est une vitrine presque indispensable pour diffuser son jeu et dialoguer avec la communauté rôliste. La voie royale semblait être de casser sa tirelire et de payer un hébergeur pour obtenir un site pérenne et sans publicité.
J'ai cependant à nouveau choisi la gratuité.

Les réseaux sociaux sont aujourd'hui incontournables. Tous sont gratuits et proposent d'héberger des pages personnelles. Je suis moi-même sur Google+, Facebook et Twitter. Une gratuité à double tranchant puisqu'elle implique une marchandisation de mes données personnelles, un contrôle faible sur la visibilité de mes publications, et une très faible durée de vie du contenu publié (essayez de scroller sur plus d'une semaine sur un réseau social, la tâche vous sera malaisée). Je réfléchis à des solutions de réseaux plus éthiques, comme Framasphère.

Le dialogue par forum me semble encore le moyen le plus abouti pour échanger avec la communauté. J'ai eu la chance d'être hébergé par le forum de Terres Étranges, Les Ateliers Imaginaires et Casus No gracieusement, ce qui m'offre un luxueux espace de ressources et d'échange, et je pense que quiconque propose du contenu avec assiduité n'aura aucun mal à obtenir un espace sur tel ou tel forum.

Enfin, le noyau dur, pour peu qu'on soit assez prolifique, c'est le site internet. J'ai opté pour un blog plutôt qu'un site classique car j'ai voulu commencer simple et souhaite le rester. Souhaitant un blog gratuit et sans publicité, j'ai d'abord hébergé Outsider sur 000webhost, mais au bout de six mois, des pages de pub sont apparues. J'ai envisagé un temps de déménager sur Wordpress.com, utilisant déjà Wordpress comme solution informatique de bloguage, puisqu'il est libre et gratuit. Il me semble que l'hébergement d'un blog sur Wordpress.com est gratuit et sans publicité, mais j'ignore sous quelles conditions et restrictions. Alors j'ai plutôt fait un appel public : j'ai demandé aux personnes qui me suivent si quelqu'un possédait un espace sur le net et acceptait de m'héberger gracieusement. Une personne m'a offert ce service. Elle souhaite garder l'anonymat, mais je souhaite la saluer ici. Outre le fait de m'héberger gracieusement, elle effectue des actions de maintenance et de sécurité qui me rendent la vie plus facile et me permettent de développer un blog déjà ambitieux dans la sérénité.

Le deal avec cette personne, c'était que le blog soit modeste en mémoire demandée. D'autre part, j'avais cette problématique pour publier des PDF, images et podcasts sur des forums. Il me fallait donc un autre hébergement pour les images et le son, ils seraient relayés sur le blog et les forums par hyperlien, le blog restant ainsi très modeste en taille, puisqu'il est seulement composé de texte et de code.

Pour les images, j'ai opté pour flickr.com qui offre gratuitement un espace-disque très confortable (un téra-octet) et permet d'affiche le type de licence souhaitée pour chaque image, et les trier par album et par tag. Certes, il y a un bandeau-publicitaire sur la facade administrateur, mais aucun sur la facade publique. Toutes les images que je poste sur mon site ou les forums sont des hyperliens en provenance de mon compte flickr. Le compte constitue également ma galerie personnelle, qui permet de parcourir mes photomontages. J'envisage de l'approvisionner avec mes travaux anciens pour constituer un véritable book.

YouTube héberge les enregistrements de mes podcasts et parties de jeu de rôles effectués sur le chat Google Hangout. C'est brut, mais tout y est, notamment toutes mes parties jouées en ligne, une vingtaine à ce jour.

J'ai retravaillé une partie de ces enregistrements, pour en faire des mp3 découpés en sections (les podcasts Outsider), et j'avais besoin de les héberger ailleurs que sur YouTube. Pour mes pdf et mes mp3, j'ai opté pour Archive.org. Il s'agit d'un site américain qui a pour vocation d'héberger autant de créations sous licence Creative Commons ou du domaine public que possible. La création d'un compte est gratuite et l'on dispose d'un espace de stockage illimité. Illimité.

Cela m'est d'un grand secours maintenant que je mets mon travail, édité ou en progrès, a disposition en téléchargement libre. J'avais autrefois un compte sur Dropbox, mais Archive.org est beaucoup plus élégant.

Enfin, j'ai aussi un compte Wiki consacré à Millevaux, que je compte remplir au fur et à mesure avec l'aide de la communauté. A nouveau, c'est une tierce personne qui l'a codé et hébergé gratuitement. Un grand merci à elle.


+ L'impression

L'optique du Zéro Charge m'interdisait de recourir à un imprimeur classique, c'est pourquoi j'ai opté pour l'impression à la demande, via le bien connu lulu.com. Si c'était à refaire, je le referais, tellement la formule est souple. J'ai eu quelques déconvenues au départ (j'avais choisi le paiement par chèque et je recevais des versements en dollars, je perdais beaucoup en frais de change) mais aujourd'hui je maîtrise la formule. Il n'est plus nécessaire de demander un bon à tirer, aussi je peux déposer un nouveau livre très facilement et vraiment sans aucun frais. Je n'ai cure de posséder mon propre exemplaire de chaque jeu.

En parallèle, je reproduis tout mon catalogue en livre artisanal. C'est une entorse au zéro charge dans la mesure où j'ai acheté une imprimante (500 euros) et une presse (25 €), et ça me coûte du papier, de l'encre, du fil de lin, du scotch, des fleurs séchées, des enveloppes et des frais postaux. Pour tempérer, je dois dire que l'imprimante a été remboursée par les marges des livres déjà vendus. Pour ce qui est des consommables, j'évite d'acheter du stock en avance, je travaille en flux tendu, car je n'exclus jamais qu'un changement de technique ou d'envie fasse que mon stock me reste sru les bras. Pour ce qui est des décorations et autres éléments des livres artisanaux, je privilégie la récup : rebuts d'impression, emballages divers, feuilles et insectes...


Les conventions :

Certains auteurs, dont Johan Scipion (Sombre), Stéphane Gallay (Tigres Volants), Florent Moragas (Insectopia) ont fait des déplacements en convention le fer de lance de leur communication. Pour ma part, je privilégie la communication sur internet et je cantonne mes déplacements à ma région, la Bretagne.

Certains auteurs, comme Johan Scipion, évitent de se déplacer en l'absence de défraiement. Pour ma part, j'apprécie d'être défrayé, mais je peux accepter de m'en passer, épisodiquement, sur de courtes distances.

J'ai commencé à compléter mes déplacements en convention par des tournées. Je passe un gros week-end dans une grande ville où j'alterne les animations dans des endroits divers. C'est un temps fort de rencontre avec le public. Sur le principe, je peux faire une tournée à ma charge, mais je préfère solliciter la générosité de mes hébergeurs. Lors de ma dernière tournée, un hébergeur a remboursé mes frais de déplacement. Un grand merci à lui.


+ La réciprocité

Dans mon cas, le zéro charge s'est progressivement justifié par une logique de réciprocité. Mon activité d'auteur ne me coûte pour ainsi dire rien. En contrepartie, je souhaite pouvoir donner un maximum. En basculant mes PDF en gratuit et mes impressions à la demande en prix coûtant, je mets mes jeux sur le même niveau de gratuité et d'accessibilité que mes articles de blog ou de forum. Je milite ainsi pour une culture ouverte à toutes et tous.
En contrepartie, la réciprocité peut à nouveau s'exercer dans l'autre sens, puisque je sollicite un soutien de la part de la communauté, qui, s'il est financier, me permettra de prolonger l'aventure d'une créativité en toute liberté, vraiment indépendante parce que dissociée du besoin financier.


N'espérant rien de plus qu'un volume de dons modeste, j'étends le principe du Zéro Charge à ma vie quotidienne : simplicité volontaire et vœu de pauvreté sont mes armes pour rester, le plus longtemps possible, indépendant.

Re: [Les 8 zéros] Zéro Charge

Message Publié : 28 Jan 2016, 23:56
par Frédéric
Merci pour ce retour, Thomas.
Je trouve ta démarche radicale particulièrement intéressante. Pour ma part j'ai abandonné l'idée d'utiliser seulement des logiciels libres, notamment pour illustrer Démiurges, LCS et Space Rônin, car je ressens le besoin d'explorer de nouvelles directions dans mon travail visuel, qui sont possibles grâce à des logiciels payants (mais pas chers).

Je me retrouve dans ce que tu dis à propos du besoin de faire un maximum de choses seul. Si ça me coûte beaucoup en temps et en énergie (et en délai de publication), ça m'offre une totale indépendance et responsabilité quant à mon travail. Je n'ai de comptes à rendre à personne d'autre qu'à moi-même et personne n'a à m'en rendre également (sauf pour les relectures et les playtests que je considère comme un échange de services bénévoles que je paye en rendant un service similaire à d'autres).

Je comprends également mieux la raison pour laquelle tu mets tes créations à disposition gratuitement : parce que toi-même tu construits tout avec du gratuit. C'est une manière, j'imagine, de participer à ce cycle vertueux, d'être un maillon de la chaîne.

En tout cas bravo pour cette cohérence ! Je ne sais pas à quel point elle est viable, mais j'ai l'impression que ce n'est pas ce qui compte fondamentalement.

Re: [Les 8 zéros] Zéro Charge

Message Publié : 29 Jan 2016, 09:15
par Thomas Munier
Merci pour cette échange, Frédéric !

Comme je disais, le zéro est un absolu, un idéal, en réalité on est forcément toujours dans les relatifs. Toi, tu payes des logiciels, moi je fais des compromis ailleurs.

J'ignore si la démarche de la gratuité va me mener loin, j'espère juste qu'elle va me mener assez loin pour conclure mon œuvre principale, qui est l'univers de Millevaux.

Re: [Les 8 zéros] Zéro Charge

Message Publié : 29 Jan 2016, 14:08
par KcoQuidam
Merci pour le retour Thomas.

Je n'ai pas grand chose à dire ni annoncer, je voulais surtout saluer la démarche et le courage. C'est aussi en partie ton exemple qui a fait que dernièrement j'ai repensé ma manière de distribuer Yokai et mes prochaines créations (je ne parle pas beaucoup mais je te lis pas mal).

J'espère que tu pourra aller aussi loin que possible dans ta démarche ! Si un jour tes tournées te mène sur Lille sache qu'il y a une porte qui t'es ouverte pour dormir/manger et que ça me dérange pas de t'aider au défraiement de transport, hésite pas à demander.

avec tout mes encouragements et pleins de bonnes ondes o/.

Re: [Les 8 zéros] Zéro Charge

Message Publié : 29 Jan 2016, 14:33
par angeldust (Simon)
Bravo à toi !

Je me permets de "plussoyer" l'utilisation de Gimp qui est un outil ultra pour les gens qui sont incapables de créer à partir de zéro comme moi (et ça n'engage qui moi :D ) D'ailleurs si tu as besoin d'un coup de main, hésite pas ^^

Bon courage.

Cordialement.

Simon

Re: [Les 8 zéros] Zéro Charge

Message Publié : 29 Jan 2016, 16:46
par Thomas Munier
A. Merci KCO, je suis touché d'apprendre que tu lis des trucs que je fais :)
B. J'ai beaucoup apprécié d'apprendre la libération de Yokai en PDF gratuit, comme je te l'avais dit, et il ne me manque qu'un peu de temps pour le lire.
C. Merci beaucoup pour ton invitation à Lille. J'y repenserai le jour où je monterai une tournée sur Lille pour aller à la rencontre de mes contacts lillois et belges.
D. En attendant, si cela t'intéresse, sache que je serai en tournée sur Paris le 17-18-19-20 mars (tu peux m'envoyer un MP si tu souhaites approfondir ce sujet).

E. Simon, je te rejoins complètement sur Gimp. J'ai entendu des utilisateurs de Photoshop le décrier quelque peu, mais le passage de Photoshop vers Gimp s'est fait pour moi sans perte de qualité, il m'a juste fallu un temps pour m'adapter, car l'interface fonctionne différemment sur quelques aspects. Si par hasard Photoshop possède des qualités que Gimp ne possèderait pas (même avec les scripts), j'avoue que mon niveau d'utilisation est en-deça de ce possible plafond.
F. Tu viens déjà de me donner un fier coup de main en créant cette feuille de personnage pour Arbre.

Re: [Les 8 zéros] Zéro Charge

Message Publié : 01 Fév 2016, 08:39
par Gaël Sacré
J'ai beaucoup d'admiration pour te démarche qui me fait beaucoup réfléchir.
J'ai également la volonté de devenir auteur indépendant à temps plein (de jeux de rôle, mais aussi de photographies, de vidéos...). Ça fait plusieurs années que je crée beaucoup de choses, en particulier des photographies et plus récemment des jeux de rôle et que je touche quasiment rien de ce travail alors que je me lève le matin avec mes créations en tête et la même au moment de me coucher. Je ne sais pas dans quelle mesure ton modèle est viable, mais je dois t'avouer qu'il est très tentant dans la mesure où il correspond pas mal à mes idées. J'aimerai en parler en privé avec toi prochainement si tu as un moment!

Merci en tout cas de partager tout ça avec nous.

Re: [Les 8 zéros] Zéro Charge

Message Publié : 01 Fév 2016, 11:22
par Thomas Munier
Bien sûr, je suis à ta disposition pour en parler !

Re: [Les 8 zéros] Zéro Charge

Message Publié : 11 Fév 2016, 21:17
par KcoQuidam
Pour Paris je suis malheureusement vendue au Grand Capital qui mange pas mal mon temps et qui pour le moment ne m'offre que peut de temps de congés à ma convenance (et en fait il faut l'avouer je suis extrêmement casanière). Je regarderai pour d'autres occasions o/.

Re: [Les 8 zéros] Zéro Charge

Message Publié : 11 Fév 2016, 23:25
par Brisecous (Mathieu)
Bonjour Thomas,

Mon message peut paraître polémique bien que ce ne soit pas mon objectif. Il correspond surtout à mes propres préoccupations, à ma situation actuelle et à mes interrogations tant "philosophiques" que concrètes. Si néanmoins le message te heurte ou te dérange, n'hésite pas à le retirer de ce sujet.

Tout d'abord, les compliments sincères ne faisant jamais de mal, je tiens à te dire que j'admire moi aussi beaucoup ta démarche. Je trouve ton positionnement admirable, bien qu'empreint de ce que j'appellerai "naïveté" à défaut de trouver le mot juste. Ta gestion des choses est probablement meilleure que la mienne puisque pointe à travers ton blog, une sérénité que je suis loin de ressentir moi-même. En tout cas, tes articles sur la créativité m'ont amené à questionner ma démarche, à réfléchir à mon avenir, à ce que je voulais faire de ma vie. Ils sont au moins pour partie responsables de mes choix, dans le bon sens du terme.

J'ai perdu mon emploi en fin d'année dernière. J'y ai vu l'opportunité de me lancer en tant que créatif, de travailler à temps plein sur mes projets. Ce chômage tombait presque bien, puisque j'ai eu dans le même temps l'opportunité (ou du moins un début d'opportunité) de faire publier mon jeu pédagogique sur l'archéologie, en développement depuis 3 ans.

Me lancer a été difficile, je vis les choses avec peu de sérénité et je lutte au quotidien pour parvenir à avancer. Là n'est cependant pas le sujet de mon message. Ces derniers temps, je me suis placé en face du constat que je ne parviendrais probablement jamais à finir mon jeu sur l'archéologie. Pas, en tout cas, si je conservais mon niveau d'exigence vis-à-vis de mon propre travail. Tout simplement parce que ce projet était très ambitieux, et qu'un projet ambitieux nécessite beaucoup de temps. J'avais donc trois solutions qui s'ouvraient à moi : abandonner le projet, m'y consacrer à temps plein, ou sacrifier mes autres activités, mes amis, ma famille, bref beaucoup de choses importantes pour moi afin de le terminer. Je n'étais pas prêt à abandonner le projet, je n'étais pas prêt à tout lui sacrifier. Restait une solution : en faire mon activité principale. Le chômage est arrivé en plein milieu de ces réflexions comme un chien dans un jeu de quilles, et j'ai saisi la balle au vol. Après tout, je n'avais plus rien à perdre.

L'issue de ma réflexion, ma certitude, c'est que pour avoir des projets créatifs ambitieux, il faut soit leur sacrifier beaucoup de choses, soit en faire une activité à temps plein. Et comme il faut se nourrir, se vêtir, s'assurer une vie digne ainsi qu'à ses proches, cette activité à temps plein doit devenir une activité professionnelle. Car finalement, travailler à temps plein sans faire de ces projets une activité professionnelle, correspond à leur sacrifier beaucoup de choses.

Je suis très admiratif de vos diverses démarches à tous sur ce forum, et notamment de la tienne. La tienne en particulier car tu es l'un de ceux qui communique le plus (et tu le fais bien) sur ta démarche (et j'espère que les autres le feront aussi, ou que vous me transmettrez les liens où ils l'on fait). Je ne peux cependant pas m'empêcher de me demander s'il n'y a pas une forme de déni, de naïveté ou autre dans l'image que nous nous créons de l'indépendance. Pour moi, être réellement indépendant, c'est également avoir l'indépendance financière : être capable de vivre décemment de son activité, la pérenniser sur le long terme et donc s'assurer de pouvoir poursuivre ses créations. Travailler bénévolement, n'est-ce pas s'empêcher d'obtenir l'indépendance financière ? N'est-ce pas s'empêcher de pérenniser ses projets créatifs ? N'est-ce pas finalement l'exact contraire de l'indépendance ?

Malgré diverses expérimentations, j'ai le sentiment qu'aucun des membres de ce forum n'est parvenu à trouver un schéma économique viable. Ta démarche de zéro charge est géniale car effectivement, elle rend possible l'émergence d'un modèle économique qui semble impossible dans un cadre classique : il est impensable de vivre de JDR ou même de littérature en touchant 7% de droits d'auteur. Néanmoins, dès le moment que tu n'espères plus vivre de ton activité, ou en tout cas que tu ne comptes plus la rentabiliser, comment espères-tu en faire une activité à temps plein ? Cela signifie-t-il que tu comptes explorer un autre modèle économique (auquel cas tu es dans une démarche de professionnaliser ton activité) ? Cela signifie-t-il que tu fais le sacrifice d'un mode de vie "décent" ? Ou bien cela signifie-t-il que tu considères ton activité d'auteur à temps plein, comme quelque chose de transitoire ?

En ce qui me concerne, je nourris des espoirs fous. Avec la terreur de la déception. Je suis auteur à temps plein parce que je n'ai rien à perdre, mais il me semble impossible de pérenniser mon activité - et donc ma créativité - sans la professionnaliser. Ce qui passe par un schéma économique viable. Schéma économique que je n'ai pas encore trouvé...

Re: [Les 8 zéros] Zéro Charge

Message Publié : 12 Fév 2016, 11:19
par Thomas Munier
Au contraire, je te remercie beaucoup de ton retour. Tu nous livre tes doutes et c'est courageux. Cela me pousse à éclaircir mon propos, et c'est exprès pour cela que je viens d'écrire cet article : Créer sans revenu, que tu peux considérer comme ma réponse.

Re: [Les 8 zéros] Zéro Charge

Message Publié : 12 Fév 2016, 13:12
par Brisecous (Mathieu)
Merci pour ton retour, qui répond à mes questions. Je tiens à souligner un point qui me semble vital et qui différencie nos approches : je me soucie de l'avenir alors que tu vis dans le présent. L’important effectivement n’est pas de savoir si l’on sera créatif dans 2 ans, mais de savoir qu’on peut l’être pendant 2 ans. Je pense que ton approche est la bonne et je vais m'efforcer de l'adopter à l'avenir... enfin, au jour le jour je voulais dire. ;)

Edit : ceci étant, après réflexion, selon moi le débat de fond "philosophique" persiste : tant qu'un auteur indépendant ne vivra pas grâce à sa créativité, en trouvant un schéma économique viable (mécénat, vente de produits, abonnement...), l'indépendance reste dans le mode de création de l'oeuvre mais ne peut s'attacher à un statut. L'activité d'auteur peut-elle être indépendante si elle est conditionnée à un emploi tiers permettant de vivre, à des allocations ou à des économies personnelles ?

Je suis conscient que c'est une question de définition et que cette définition m'est très personnelle. Dans ma vision de l'indépendance, je me considèrerai véritablement indépendant si j'arrive à en vivre. J'espère que quelqu'un me prouvera que c'est possible. J'espère que tu me prouveras d'ici 4 ans, ou Romaric, ou quelqu'un d'autre qu'on peut trouver un schéma économique viable pour une activité créative indépendante à temps complet.

Re: [Les 8 zéros] Zéro Charge

Message Publié : 12 Fév 2016, 16:19
par Mangelune
Brisecous (Mathieu) a écrit :Edit : ceci étant, après réflexion, selon moi le débat de fond "philosophique" persiste : tant qu'un auteur indépendant ne vivra pas grâce à sa créativité, en trouvant un schéma économique viable (mécénat, vente de produits, abonnement...), l'indépendance reste dans le mode de création de l'oeuvre mais ne peut s'attacher à un statut. L'activité d'auteur peut-être être indépendante si elle est conditionnée à un emploi tiers permettant de vivre, à des allocations ou à des économies personnelles ?

Je suis conscient que c'est une question de définition et que cette définition m'est très personnelle. Dans ma vision de l'indépendance, je me considèrerai véritablement indépendant si j'arrive à en vivre. J'espère que quelqu'un me prouvera que c'est possible. J'espère que tu me prouveras d'ici 4 ans, ou Romaric, ou quelqu'un d'autre qu'on peut trouver un schéma économique viable pour une activité créative indépendante à temps complet.


Pour aller plus loin, l'indépendant qui vit de son travail est-il encore indépendant ? Si il dépend entièrement des ventes de ses écrits ou d'un mécène, peut-il encore se dire indépendant ?

Je me sens au moins aussi indépendant comme auteur, sinon beaucoup plus, en donnant des cours pour assurer la partie financière, et en passant mon temps libre sur mon jeu. Si j'en ai marre d'écrire, si on exige de moi que je bosse sur un truc qui ne m'intéresse pas, je n'ai pas l'obligation de continuer.

Re: [Les 8 zéros] Zéro Charge

Message Publié : 12 Fév 2016, 17:00
par Thomas Munier
La question de l'indépendance créatrice fait partie des choses qui m'ont poussé à chercher à remplacer le revenu-droit d'auteur du revenu-don : il me semble qu'une économie de récriprocité respecte davantage l'indépendance créatrice qu'une économie de vente.

Ceci dit, la question de savoir si un auteur de jeu de rôle indépendant peut vivre uniquement sur son revenu créatif reste en effet à trancher. Dans mon cas, c'est en effet impossible aujourd'hui. Romaric Briand annonce des revenus de 800 € mais des fois il dit que c'est par mois, des fois il dit que c'est par trimestre, et j'ignore s'il parle de bénéfices ou de chiffres d'affaire (deux choses différentes car Romaric est loin du zéro charge : il paie un imprimeur).

Je pense qu'il y a des musiciens indépendants, et peut-être quelques écrivains indépendants qui en vivent ; aujourd'hui le marché-jeu de rôle ne le permet pas, d'une parce que les auteurs spécialisés dans le jeu de rôle indépendant ne sont pas assez connus ou prolifiques, de deux parce que la taille globale du marché est faible.

Mais là où je rejoins Vivien, c'est que se demander si un créatif peut vivre de son revenu créatif, c'est une question rhétorique, et surtout c'est une question qui paralyse l'esprit. La vraie question, c'est : comment un créatif peut-il satisfaire ses besoins primaires tout en maintenant un équilibre entre temps passé avec ses proches / temps créatif / temps non créatif ? Cette question ouvre bien plus de portes.

Re: [Les 8 zéros] Zéro Charge

Message Publié : 12 Fév 2016, 17:24
par Brisecous (Mathieu)
Il est vrai que mes réflexions sont liées à ma problématique personnelle : celle de gagner de l'argent. A l'heure actuelle, je suis au chômage et je dépense plus d'argent que je n'en gagne. Et je suis dans une profession de niche, en régression, avec des débouchés saturés. Je ne parvenais par ailleurs pas, en ayant un boulot de 35 heures par semaine, à trouver un équilibre satisfaisant entre vie professionnelle, vie créative et "tout le reste". Je n'aime pas la frustration, notamment professionnelle. Ma créativité s'en ressentait beaucoup.

Pour rebondir sur le message de Vivien, je pense que la véritable indépendance est un idéal. Et un idéal n'est jamais atteint. Nous en avons tous une image différente (il me semble) qui correspond aux multiples facettes de cet idéal. A défaut de pouvoir atteindre l'idéal, nous nous focalisons sur certaines facettes qui nous semblent plus importantes, plus vitales, selon un paradigme qui dépend de nos valeurs et de notre éducation.

Mais je suis d'accord avec toi en ce qui concerne "la vraie question". L'avantage, c'est que la réponse est individuelle, ce qui veut dire qu'elle est adaptée à chacun d'entre nous.