Parler pro-féminin

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Message par Sildoenfein » 19 Oct 2016, 01:31

Bonjour Thomas,

En écoutant tes derniers podcasts sur les atomes du jeu - que je trouve très intéressants -, j'entends que tu parle essentiellement au féminin : meneuse, joueuse. Ce que j'apprécie énormément. Est-ce que tu as eu d'autres retours sur cette démarche ?

Je cherche de mon côté comment parler en podcast en accord avec mes valeurs et comment - aussi par l'expression orale - promouvoir une égalité femmes-hommes, comment faire prendre conscience aux personnes du sexisme ambiant et rôliste, comment rendre le milieu plus accueillant, plus juste. Et l'expression orale est encore plus difficile à traiter que l'écrit. Après avoir envisagé diverses solutions, je pense adopter ta méthode, malgré de nombreuses réactions négatives a priori lorsque j'évoque cette proposition (c'est ridicule, inutile, du mauvais français, cela me choque, tu risques d'antagoniser les auditeurs).

Je serai très heureux de connaître ton opinion sur ces questions. Es-tu satisfait de cette approche ?

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Re: Parler pro-féminin

Message par Thomas Munier » 19 Oct 2016, 10:33

Merci pour ton compliment sur les podcasts sur les atomes du jeu, de ma part et de celle des autres participant.e.s !

Je dis une joueuse ou des joueuses, et un MJ. Je m'inspire de la méthode de Coralie David dans sa thèse sur le jeu de rôle (1200 pages où elle dit joueuses !), et de la méthode de Coralie David et Jérôme Larré dans leurs articles sur Mener des parties des jeux de rôle. Je dis que je m'en inspire, après je suppose que mes raisons peuvent être différentes, mes problématiques toutes autres, déjà parce que je ne suis pas éditeur et que je suis non-profit : n'avoir rien à vendre, cela minimalise la prise de risque. Quand on me demande pourquoi je dis joueuses, je réponds que c'est pour refléter la mixité au sein du loisir. Comme Jérôme Larré et Coralie David, je dis un MJ parce que "le MJ est une joueuse comme les autres" et je dis "un personnage" parce que changer le genre d'un mot, c'est déjà bien, et garder le neutre masculin sur personnage et figurant permet de bien les distinguer des joueuses (plutôt que le terme PJ devenu très confusant).
Après, c'est de l'oral, donc des fois il m'échappe des "la MJ" ou "le joueur" ou "le joueur, la joueuse", mais à la rigueur, ça ne fait que renforcer l'évocation de la mixité. A l'écrit, je suis plus rigoureux et quand je peux, je vouvoie la personne censée être MJ pour éviter d'avoir à évoquer son genre.

Si je devais répondre aux objections que tu suggères :

C'est ridicule : si le ridicule tuait, cela ferait longtemps que je serais mort.
Inutile : je suis seul juge de l'utilité de mes actes et de mes paroles.
du mauvais français : le neutre masculin est une invention récente (400 ans) et en tant qu'écrivain, il m'appartient de réformer la langue à mon gré.
cela me choque : demande-toi pourquoi tu es choqué.e
tu risques d'antagoniser les auditeurs : oui, je risque de me mettre des personnes intolérantes à dos, et c'est un risque assumé. Cependant, mon objectif n'est ni de convaincre ou de rejeter, mais de montrer l'évolution de mon propre état d'esprit sur la question de la mixité. Je laisse aux femmes le soin de prendre la parole de façon plus active sur les questions de féminisme.

Donc voilà, c'est une approche qui me satisfait.
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Re: Parler pro-féminin

Message par Brisecous (Mathieu) » 19 Oct 2016, 11:02

Pour ma part, je me reconnais dans la liste des objections :
cela me choque : demande-toi pourquoi tu es choqué.e

Parce que mon cerveau le perçoit comme une faute de français. Ca contredit ce que j'ai appris et les règles de syntaxe que mon cerveau analyse comme "bonnes" et "à respecter absolument". Lorsque tu dis "les joueuses", je comprends que les joueurs sont forcément des femmes, ce qui ne me semble pas être le sens de ton propos. Idem avec "choqué.e" que tu utilises dans ton message précédent : l'utilisation d'une ponctuation comme séparateur de genre me choque également. Je suis moins choqué par l'utilisation du terme "les joueur(se)s" ou "choqué(e)", car c'est une terminologie qui existe déjà, notamment dans certains formulaires administratifs.

Je suis favorable à trouver une solution par rapport au neutre masculin de manière à retrouver une mixité dans l'écrit. Les solutions que tu as trouvées s'apparentent dans mon esprit de lecteur à un bricolage, ce qui ne saurait de mon point de vue être une bonne solution. Je ne sais pas s'il existe une bonne solution lorsque la langue est structurée de manière à privilégier systématiquement le masculin dans ses règles de grammaire. Avoir une solution, c'est déjà un pas en avant.

Un avantage à être choqué par ton texte, c'est que cela donne de la visibilité à cette problématique et nous oblige à y réfléchir, en adéquation ou en opposition. L'inconvénient, c'est que je pense que certaines personnes ne l'acceptent pas et que cela réduit l'accessibilité à tes textes, qui ne peuvent certes pas se réduire à ton militantisme pour une égalité de genre dans la littérature.
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Re: Parler pro-féminin

Message par Sildoenfein » 20 Oct 2016, 23:51

Merci Thomas pour cet éclairage. Je pense que, pour le moment en tous cas, je vais également adopter cette pratique-technique. Au moins. Comme toi, je n'ai pas vraiment le problème que peuvent avoir Coralie et Jérôme de perdre du public. Mes raisons sont de cesser de nier implicitement la présence, voire l'existence des femmes au sein du jdr, pour être en accord avec mes valeurs d'égalité et de justice. Avec l'espoir de choquer suffisamment mon public, aussi maigre soit-il, pour le faire réfléchir, pas pour le faire fuir. Là où cela ne me suffit pas, c'est que cela ne parle que du jdr, là où le problème est général. Ce n'est pas grand chose, c'est même très peu, mais ce n'est pas rien non plus. C'est un début.

Choquer le public avec la peur d'en perdre une partie, mais le public qui hypothétiquement partirait n'est sans doute pas celui que j'aurais pu attirer à moi sur ces questions, de toutes façon. Et ne pas choquer, ne pas remettre en question, c'est prêcher uniquement aux convaincus, pas très productif.

Cette pratique, au moins... je vais tenter de varier les choses, utiliser plusieurs techniques, alterner (j'ai eu de bons conseils sur un autre canal). Je reste toutefois tenté par une mesure plus extrême : passer au neutre féminin. (Je hackerais bien encore plus loin la langue, mais il faut que je reste je voudrais rester compréhensible. Bien que l'aspect geek / décalé / original reste tentant.)

Et sur les atomes, et bien je n'avais pas encore fait de compliments, juste indiquer mon appréciation, mais à défaut de flatterie je peux être simplement honnête : bien qu'un peu long et un épisode un peu confus (le jeu esthétique chez les Voix d'Altaride), je trouve cela très bon, tant dans la forme que dans le fond. C'est une belle manière de sortir le LNS de sa révolte adolescente pour l'amener vers plus de maturité, moins d'abstraction absconse et prétentieuse et plus de justesse.


Mathieu, je regrette souvent la rigidité des locuteurs francophones par rapport à leur langue, accrochés à des règles arbitraires qui servent beaucoup trop souvent à mon goût de critère de ségrégation sociale. Je rève d'un lange fransaize flexible, que l'on pourè adapté a l'oral come a l'écri sans chocé, ou chacun ferè preuve de lecture charitable pluto ce de se référé imédiatemen aus règles. Hacé le lange fransaize è osi un manière de fèr réfléchir a sela.

Sincèrement j'ai cherché - et je ne suis pas le seul, loin de là - des solutions plus élégantes, qui ne demandaient pas de rérfomette de la langue, mais je n'en ai pas trouvées.


Philippe
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Re: Parler pro-féminin

Message par Thomas Munier » 21 Oct 2016, 07:54

Si, quelque chose qui marche bien aussi, sans avoir besoin de réformer la langue, c'est d'employer le terme "la personne". Mais ça devient long quand tu veux dire "la personne qui joue" ou "la personne qui maîtrise". Et d'employer des termes neutres, comme "l'arbitre" pour dire "MJ".
Mais pour faire une référence à 1984, si la langue est une prison, il faut s'en libérer.

Merci pour le développement sur les atomes du jeu de rôle. C'est tout à fait possible que ça soit confus par moment, les concepts sont assez jeunes dans nos têtes, parfois juste élaborés au moment de la discussion.
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Re: Parler pro-féminin

Message par Brisecous (Mathieu) » 21 Oct 2016, 11:25

De mon point de vue, même l'utilisation du féminin est sexiste en français : le féminin se rajoute au masculin, comme s'il en était un satellite plutôt qu'une entité à part entière. Je comprends vos choix d'impacter sur le langage et je pense qu'ils ont des effets positifs. Je ne parviens pas à m'y résoudre dans mes propres jeux.

Pour ma part, j'essaie d'apporter ma pierre à l'édifice en travaillant sur le rôle social de la femme au sein de mes jeux. Dans mon jeu de société coopératif sur l'archéologie, j'ai placé une femme dans le rôle de chef d'équipe et 50% des personnages sont des femmes. Je placerai une personne noire dans le rôle de l'universitaire pour des raisons similaires.

Je pense que les choses changent dans le bon sens, notamment chez les jeunes. J'ai fait jouer 17 enfants à mon jeu dans un établissement scolaire catholique, dont une grande majorité de garçons. Aucun n'a été choqué de jouer un personnage féminin, aucun n'a été choqué que le chef d'équipe soit une femme.
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Re: Parler pro-féminin

Message par Thomas Munier » 21 Oct 2016, 11:37

Oui, réfléchir à la parité des personnages et au brisage des stéréotypes est aussi une façon de faire. Pour revenir à la problématique de Sildoenfein qui est celle du podcast, on peut aussi y réfléchir quand on présente des exemples de jeu (dans le podcast tactique, j'invente un exemple à la volée : "les personnages flics décident de manquer de respect à la gouverneuse")
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Re: Parler pro-féminin

Message par Sildoenfein » 21 Oct 2016, 15:07

Puisque l’on est parti pour faire le tour des approches, voici celles que j’avais isolées.

- Les formulations d’un langage épicène en utilisant le plus possible des mots dits neutres comme « personne » sont souvent très lourdes en effet et ne permettent pas beaucoup de variation dans la manière d’exprimer les choses, ce qui rend le discours monoterne.

- Les raccourcis qui fonctionnent à l’écrit type joueur.euse ne fonctionnent pas à l’oral, à moins de parler des joueureuses, mais cela ne fonctionne qu’avec quelques rares mots et pose problème dès qu’il faut accorder quelque chose : des joueureuses proactifives heureuxeuses ? pourquoi pas, mais c’est tout de même important comme adaptation, difficile à réaliser au vol et cela fait plus louchebem qu’autre chose.

- L’alternance parfois prônée, avec alternance de l’ordre d’alternance (dire « les joueuses proactives et les joueurs proactifs sont heureux, mais cela rend parfois les meneurs et le meneuses stressées », avec une règle d’accord de proximité) : je m’y suis essayé à l’écrit, c’est très contraignant et le résultat est vraiment lourd. À l’oral c’est pour moi irréalisable et inécoutable.

- Remplacer la 3e personne par la 2e n’est pas toujours possible (aisé) et ne fonctionne plus dès qu’il y a un accord de genre à faire (« vous devez être proacti…fs ? …ves ? »). Il faut faire des pirouettes et se passer des adjectifs et participes passés, c’est possible mais c’est tout de même fort appauvrir sa palette d’expression (non je n’ai pas besoin de cette contrainte créative là, merci).

Au-delà de la question de la langue, il y a la question de la représentation. En parlant des personnes à la table de jeu, on mêle les deux.

– J’avais pensé pour un ancien projet de jeu utiliser des exemples de jeu uniquement avec des prénoms épicènes et faire le jeu de langage oulipien nécessaire pour éviter les accords révélateurs (adjectifs, participes passés, et… pronoms ; les articles heureusement ne s’accordent pas en genre à la 3e personne du pluriel). Alex peut-être formidable et Dominique enthousiaste sans problème. Mais mon opinion actuelle est que cela ne va pas assez loin, est trop discret. Pour faire réfléchir à la question, il faut la montrer.

– la méthode White Wolf de parler d’une meneuse et de ses joueurs est un peu trop timorée, avec trop d’hommes, bien qu’elle place la femme dans la position traditionnellement dominante.

– La méthode Lapin Marteau est mieux, mais elle conserve l’homme dans ladite position dominante. Et je ne sais pas quoi faire des créatrices et créateurs de jeu, des maquettistes, artistes graphiques, …

– N’imaginer que des femmes, pourquoi pas ? C’est peut-être un peu extrême mais cela a l’avantage d’être très simple, et à l’oral je peux compter sur des erreurs occasionnelles pour redresser cela.

– Guylène Le Mignot me propose une technique qui me semble excellente : personnifier ses exemples, ne plus trop parler de meneuse/joueuse/parcipantes/personnes qui… mais parler de Léonore, Pierre, Yasmina, Cidrak et Chen, chacun avec leur rôle, pj, caractère, … Les pj peuvent être détaillés également. Cela demande beaucoup de reformulation pour moi qui ait tendance à parler en généralités, mais c’est très tentant comme méthode. Se créer une table imaginaire (je ne crois pas que cela soit étranger à Thomas), la construire de manière à contrer les stéréotypes (pas évident car les stéréotypes, malgré leur nocivité, simplifient la communication). Guylène suggère astucieusement de panacher cela avec une ou plusieurs autres méthodes pour rendre les choses plus vivantes, plus attrayantes, plus naturelles. (En plus cela me permettrait d’utiliser des prénoms de diverses cultures et d’aller plus loin que le féminisme et de toucher un peu au racisme.)



Mathieu, sur la représentativité, j’ai une technique que j’utilise en partie, mais n’ouvririons nous pas un nouveau sujet pour l’aborder ? C’est court, mais si on commence à discuter…
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Re: Parler pro-féminin

Message par Brisecous (Mathieu) » 21 Oct 2016, 16:42

Merci pour ta réponse complète, Philippe. Ce récapitulatif m'est utile.

Ta technique m'intéresse, l'endroit où tu la publies m'importe peu. J'aimerais que tu la partages avec moi dans l'endroit qui te semblera le plus adapté.
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Re: Parler pro-féminin

Message par Thomas Munier » 21 Oct 2016, 16:54

La méthode de Guylène est cool, je la pratique sur mes exemples de partie dans mes jeux, en revanche j'ai jamais essayé à l'oral. Il faut tenter.

Sur les exemples de partie écrits, on pourrait même aller encore plus loin avec des personnes imaginaires qui aient des handicaps : du genre "Cédric explique en langage des signes que son barbare frappe" ou "Aïcha, déficiente visuelle, décrit un figurant avec des cheveux de la couleur de la pluie".
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Re: Parler pro-féminin

Message par Sildoenfein » 25 Oct 2016, 01:40

Mathieu, j'ai publié le truc ici : Techniques basiques d'inclusivité. J'espère que cela t'interressera.

Thomas, si le lieu ou le contenu de la publication pose problème, je comprendrai très bien et n'hésite pas une seconde à effacer ou rediriger.
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Re: Parler pro-féminin

Message par Luke » 08 Nov 2016, 17:45

J'interviens bien tard sur ce thread et pour exprimer mon incompréhension sur tes justifications, Thomas. J'avoue avoir été déçu par le fait que tu partes du principe qu'une personne qui serait choqué ou antagoniser par tes propos serait forcement quelqu'un d’intolérant, voir pire.
Mais bon tu es un génie, j'imagine que ça te laisse des libertés de jugé ton prochain (sans aucune ironie). N'étant pas un intolérant, bien au contraire, je monte aux créneaux

Je suis un peu comme Mathieu, mon formatage français provoque une dissonance cognitive quand je lis des choses qui veulent dire autre chose que ce que la règles laisserait entendre. Pour moi la langue est un outil pour se comprendre, si on n'utilise pas le même outils on ne se comprends plus...
Mais par principe de charité j'imagine que tu as une bonne raison de faire ça (autre que je suis un écrivain, si vous n’êtes pas content allez voir ailleurs) et j'aimerais comprendre et donc je pose des questions :

- est-ce que ta volonté de changer de règle et de considérer le neutre pluriel comme féminin au lieu de masculin est valable pour tous les mots de la langue française ou est-ce que tu fais juste une exception pour joueur?
- est-ce que tu peux m'expliquer en quoi cette dissonance précise vis à vis des règles de communications communément admises apporte à la cause féministe? En quoi cette "faute" de français fait progresser les inégalités que subissent les femmes dans le milieu du jeux de rôle?
- Tu balaies de la main l'antagonisation de l'auditoire comme si ce n'était pas important. Pourtant si tu réduis ton auditoire à ceux qui pensent comme toi est-ce que tu ne pense pas que ça nuit à ton action ?

Merci pour m'aider à comprendre cette nouvelle mode qui fait régulièrement vriller mon cerveau qui se noie dans cette belle dissonance.
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Re: Parler pro-féminin

Message par Thomas Munier » 08 Nov 2016, 18:47

Je peux me tromper quand j'émets une évaluation générale sur les réactions négatives des gens à la lecture du terme "joueuse". Juger, c'est se tromper.

- Concernant ma volonté de contourner le neutre masculin, elle s'incarne de la façon la plus visible dans l'emploi du terme "joueuse" en effet. Mais également dans l'emploi du terme "arbitre" pour MJ, interpellé à la deuxième personne du pluriel dans mes parutions à venir (je considère ce vouvoiement comme un neutre strict). Mais en règle générale, j'essaye de généraliser l'emploi du terme "personne" en préférence au neutre masculin quand il s'agit de mentionner des exemples ou des spéculations ou la mention du genre n'a aucun intérêt.

- Quand je contourne le neutre masculin, je raisonne moins en terme de faire progresser une cause qu'en terme d'exprimer mes valeurs. Puisqu'on parle d'appliquer des règles, voilà la règle que j'applique. C'est une règle républicain et humaniste qui dit : "Si une règle me paraît injuste, j'y déroges si je suis prêt à accepter les conséquences." Je trouve le neutre masculin injuste. A l'époque de Rabelais, le neutre était masculin ou féminin au choix, toutes les professions étaient déclinées dans les deux genres, etc... L'apparition du neutre masculin comme règle dans la langue française a été faite au nom d'une prétendue supériorité de l'homme sur la femme. Je trouve ça injuste, alors je refuse d'appliquer cette règle. J'assume les conséquences, qui pourraient être notamment de choquer mon lectorat. Pour autant, je pense qu'on parle toujours la même langue et qu'on peut se comprendre. Je suis sûr que mes photomontages agressent bien davantage l’œil que l'emploi du terme joueuse :)
- Je peux comprendre qu'on puisse ressentir un choc à la lecture du neutre féminin et être pourtant partisan de l'égalité entre hommes et femmes, pardon si j'ai pu dire ou laisser entendre autre chose. Pour autant, si le langage a pour fonction de communiquer, il a aussi pour fonction de formater les pensées. En employant le terme joueuse, j'attire l'attention sur la violence intrinsèque à la langue française. Ou plus humblement, je sous-entend qu'après tout, ça pourrait être possible de dire joueuse au lieu de joueur, avec tout l'effet de ricochet que cela implique. Je vous prie de voir ça comme une agression amicale, une invitation à réfléchir, à échanger, comme on le fait en ce moment. Cela m'intéresse beaucoup plus que de prêcher des personnes converties. Je veux offrir le même choc de conscience que Coralie David m'a offert quand elle a employé le terme joueuse au Colloque des 40 ans du jeu de rôle (sans entrer dans les détails, elle allait encore plus loin, car elle employait indifféremment le terme joueuses pour désigner MJ et joueuses, donc en plus en un simple mot il y a une profondeur de réflexion sur le game design et la notion d'équipe en jeu de rôle).
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Re: Parler pro-féminin

Message par Sildoenfein » 15 Nov 2016, 13:26

Je poursuis ma réflexion sur le language que je désire adopter. Luke, dans un autre canal et suite à ma réflexion sur G+ sur comment parler des jeux, m’a fait plusieurs remarques très pertinentes.

La première est que lorsque je parle d’aspect négatifs, style « les joueuses sont des connes, elle ne comprennent rien, ce sont des paresseuses inertes qui attende du meneur qu’il les serve », ça passe bizarrement. Cela parait sexiste ? Ou est-ce que cela l’est ? Ou est-ce sexiste de penser que cela semble l’être ? Je n’en sais rien. Même habillé de conditionnel, de circonstances et précautions oratoires diverses. Même avec l’habitude de lire « joueuse » à la place de « joueur », les vieux automatismes reprennent le-dessus et on se demande pourquoi spécifiquement les joueuses et pas les joueurs. Alors si je m’adresse en plus à des personnes qui n’ont pas cette habitude… (Points bonus si on je me frotte ainsi un stéréotype genré.)

La seconde observation concernait les aspects distanciateurs et aliénants d’un parlé différent. J’ai l’habitude de parler en cercles restreints de spécialistes, des groupes avec leurs jeux, leurs codes, leurs préoccupations. Entre un interlocuteur potentiel extérieur à ces cercles et moi, chacun de ces éléments met une barrière, une distance. Ou plus exactement, je mets moi-même une barrière en pensant la communication uniquement à partir de mon point de vue : mon message, mes valeurs, mon intégrité. Toutes ces petites barrières peuvent tout simplement couper la communication, rebuter a priori sans pour autant choquer-questionner. Faire croire que mon propos ne peut être pertinent.

Et c’est pourquoi je penche à nouveau plus, pour m’exprimer urbi et orbi, vers l’alternance, vers le « les joueuses et les joueurs », qui paradoxalement est plus lourd mais plus naturel.
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Re: Parler pro-féminin

Message par Arjuna Khan (Fabric) » 15 Nov 2016, 16:02

Merci pour ces retours très intéressant.

Pour ton premier point, je dirais un vocabulaire plus représentatif n'est qu'une pierre à l'édifice et qui si l'on veut que cela fonctionne il faut aussi revoir tout le langage autour. Féminisé ces expressions c'est bien mais hélas la langue française étant éminemment sexiste dans ses expressions, se contenter de ces artifices c'est s'assurer un langage bancal. Je pense qu'on arrivera à rien si on ne s'impose pas un vocabulaire plus tolérant. C'est juste un soucis de cohérence.

Quand au deuxième point (féminiser à tout va ça en devient inefficace), une technique que j’expérimente en ce moment c'est l'alternance. Je faisais ça à une époque sur la demande de mon amoureuse qui était bigenre. Il voulait que j'alterne d'une phrase à l'autre, pas forcément de manière équivalente mais que cette alternance existe. C'étais important pour lui. Et au final, une fois que tu as pris l'habitude cela devient très naturel contrairement aux apparences. Bon le hic c'est qu'au bout de moment j'avais tendance à bigenré d'autres personnes sans faire gaffe même quand j'étais pas avec elle. Voila my two cents.
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