Débat autour du Podcast Méta-Théorie

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Débat autour du Podcast Méta-Théorie

Message par Thomas Munier » 10 Jan 2017, 11:40

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Valentin a écrit :

Critique du podcast Méta-théorie

- Je suis très heureux de voir que mon travail t'a inspiré en partie cette réflexion. Je trouve que tu retranscris bien mes idées (sauf quelques broutilles), et j'ai beaucoup apprécié le podcast dans son ensemble. Quelques remarques :

- Je milite pour une relecture critique, pas seulement une relecture. Le mot critique est important, c'est à dire que tant que tout le monde n'est pas satisfait, l'auteur doit retravailler son article. On a un cycle de relecture -> réécriture -> relecture -> réécriture etc... A la fin du processus, tout le monde est satisfait, ou alors l'auteur se positionne contre certaines critiques en conscience et publiquement.

- A la question de qui doit relire, je pense que la critique doit être publique et doit être disponible même après la publication de l'article.

- L'idée d'avoir une relecture à la fois théorique et de compréhension va parfaitement dans mon sens.

- Le fait d'utiliser des liens hypertextes pose problème à cause de l'accessibilité des sources sur le long terme. Il faut s'assurer que la page à l'autre bout du lien restera accessible, et ce n'est pas du tout garanti sur internet. Il est donc recommandé d'ajouter une liste bibliographique détaillée à la fin de l'article afin de retrouver la source précise si besoin.

- Tu parles de l'école de théorie rôliste comme construction subjective du monde. C'est ce que j'entends quand je dis que toutes nos représentations du monde sont sous-tendues par des théories implicites et subjective. Donc lorsque MacBeth dis que toute critique est subjective, je ne peux qu'abonder dans ce sens. De plus, lorsque tu évoques le fait de situer son discours, c'est également ma conception, mais il faut 1) le faire le plus clairement possible, 2) bien se rendre compte que c'est un travail sans fin.

- Tu évoque les théorie rôliste descriptive (qui énoncent comment le jeu de rôle fonctionne) face aux théories prescriptive (qui énonce comment le jeu de rôle devrait être). Je pense que ce point est crucial et qu'on mérite qu'on s'y arrête. La façon dont tu utilise le mot "valeur" est très étrange. Cela m'a rendu confus, et j'utiliserais plutôt le mot "goût". Sinon, je te rejoinds totalement lorsque tu proposes d’expliciter totalement nos "goûts" en matière de jeu de rôle lorsque l'on fait un article de théorie, afin de situer le discours.

- Par contre, je pense qu'on peut être prescriptif et qu'on peut sortir de cette histoire de "goût". Il est possible de faire des théories qui s'attachent à faire des prédictions concernant un type de jeux de rôle et un type de mécanisme, indépendamment des goûts du théoricien. Il faut cependant substituer la prescription ayant implicitement certaines expériences particulières comme objectif (celles qui sont du "goût" du théoricien), par une prescription ayant un objectif explicite.

- Je ne comprends pas ce que tu entends par "système de valeur infini". Ça me semble très fumeux.

- Pour faire une théorie, tu dis qu'il faut définir le jeu de rôle. Ce n'est pas nécessaire selon moi, à moins que tu fasse une théorie sur tout les jeux de rôles. Par contre, je pense qu'il faut définir au moins quelques objets sur lesquels s'applique la théorie, car une théorie peut tout à fait s'appliquer à un sous-ensemble particulier de jeux de rôles. Et ce n'est pas non plus pour cela qu'elle ne s'appliquera pas à d'autres jeux.

- Lorsque tu dis :"Tout le monde est légitime à parler de jeu de rôle", "Toutes les théories rôlistes se valent" et "Dès que tu parles de jeu de rôle tu théorises", je te suis. Par contre, ma position est de dire qu'il est possible de produire un travail méta-théorique qui permette de dégager des critères pour évaluer et améliorer un travail théorique. C'est ce que je fais lorsque j'encourage à soumettre à la critique publique, à citer ses sources, à clarifier son propos, etc... (Article en préparation).

- Tu dis qu'il est dangereux qu'un auteur théorise ses propres jeux, car il n'a plus de vision distanciée. Selon moi, le problème est plus profond: aucun observateur n'est distancié par rapport à son objet. Pour éventuellement s'en sortir, il faut considérer l'observation au sein de la théorie. Il faut une théorie conjointe de l'objet et de l'observation de l'objet. C'est un des principes des sciences humaines contemporaines.

- Le problème de ne pas jargonner et d'utiliser des mots non-consacrés est un gros risque de flou et d'incompréhension. Ce problème est central, je ne développe pas ici.



Mes réponses :

A. Sur tes réprécisions quant à ta vision de ce qu'est une relecture critique, je n'ai rien à ajouter. L'important est qu'elles soient mentionnées, ici.

B. Sur la liste bibliographiques, est-ce qu'une mention de ce type est suffisante ? :
Eugénie : C’est quoi le style d’une joueuse ? – 1 sur JenesuispasMJmais

C. Je dis que toute théorie du jeu de rôles s'appuie sur un système de valeurs défini par la théoricienne (de façon explicite ou non, consciente ou non). J'ai utilisé valeurs parce que ce système inclut à la fois des pratiques qui sont au goût de la théoricienne et d'autres qui sont moins à son goût.
Ainsi, Eero Tuovinen énonce son système de valeurs : "Advocacy is fun, authorship is work" (en français : plaider pour son personnage c'est du plaisir, être auteur de son personnage, c'est du travail". C'est ici un système à deux valeurs :
Valeur 1 : plaider pour son personnage c'est du plaisir
Valeur 2 : être auteur de son personnage, c'est du travail
Il en découle une école de game design qui vise à favoriser le fait de plaider pour son personnage et à limiter le fait d'être auteur de son personnage.

Référence :
Eero Tuovinen : The pitfalls of narrative technique in rpg play sur Game Design is about structure

Je trouve qu'en parlant de système de goûts, on est plus intelligible mais on perd une partie du sens : le fait que les théoriciennes théorisent aussi des choses qui leurs déplaisent. Ainsi Paul Czege quand il dit : "jouer un personnage et son adversité en même temps, c’est ennuyeux" (traduction par Frédéric Sintes)

Référence :
Frédéric Sintes : Centraliser ou partager l’adversité sur Limbic Systems

Autre raison qui me fait privilégier le terme "valeur" à celui de "goût", c'est que je veux pouvoir décrire un systèmes de valeurs qui puissent être positives (j'aime), négatives (j'aime pas) ou neutre (je n'ai aucun avis, je me contente de décrire la pratique). Ce que j'appelle l'esprit d'inventaire, c'est théoriser à partir d'un système de valeurs neutres. Autrement dit faire abstraction de ses goûts lorsqu'on théorise, ou encore sincèrement apprécier toutes les pratiques selon les circonstances (système composé entièrement de valeurs positives)

D. Oui, je suis d'accord sur le fait qu'on peut être prescriptif et qu'on peut sortir de cette histoire de "goût". On est alors prescriptif dans un système de valeurs neutres.

E. Je dis que le système de valeurs est infini dans le sens que :
+ De chacune de tes valeurs on peut inférer des sous-valeurs (ainsi de la valeur "plaider pour son personnage, c'est du plaisir", on peut en déduire la combativité et l'absorption de Frédéric Sintes, la posture d'acteur, le fait que "être auteur de son personnage c'est du travail", le fait qu'"incarner sa propre adversité est ennuyeux" et tout un tas d'autres choses).
+ La théoricienne est inconsciente de la totalité de ses valeurs et le système de valeurs est aussi vaste que l'est le champ d'étude, en l’occurrence infini. Tu pourrais rajouter des valeurs ad nauseam, au sujet de l'immersion, du roleplay, des référents culturels, de la narration, etc, etc... Du système de valeurs de la théoricienne on ne connaît que ce qui est ébauché à travers le contenu, fini, de ses communications. Cela fait que la majeure partie du système de valeurs de la théoricienne nous reste inconnu, ou soumis à conjecture.

F. Je suis d'accord avec toi quand tu dis que la théoricienne peut se borner à définir la sous-catégorie de jeu de rôle qui l'intéresse. Je suis d'accord aussi qu'on peut extrapoler vers un ensemble plus vaste de jeux de rôles, parfois oui, et parfois non quand justement la réflexion est spécifique (ainsi des réflexions sur le jeu où l'on plaide pour son personnage, j'ignore si elles sont extrapolables dans le jeu où on est plutôt en surplomb de son personnage)

G. Le problème quand tu crées un jargon, c'est que de facto tu te retrouves dépositaire d'un terme et les autres auront des scrupules à s'en emparer. Tu rends difficile l'appropriation de tes concepts. Tu fermes le débat, volontairement ou non. Tu crées une réalité irréfutable circonscrite à ton jargon. Ainsi, le Vide Fertile est irréfutable. On utilise l'idée ou on évite de l'utiliser, mais en revanche il est difficile de débattre à son sujet. Quand je parle de jeu intense et de jeu profond, j'évite volontairement le jargon pour que chaque personne puisse réemployer le terme avec sa propre vision des choses.

Références :
Thomas Munier : comment se crée le jargon du jeu de rôle, sur Les Ateliers Imaginaires
Frédéric Sintes : Vide Fertile : la spirale invisible sur Limbic Systems
Énergie créative. Univers artisanaux.
http://outsider.rolepod.net/
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Re: Débat autour du Podcast Méta-Théorie

Message par Valentin T. » 10 Jan 2017, 14:31

B. Je pense que c'est bien oui. Cela permet de contacter l'auteur en cas de besoin, ou de demander autours de soi.
(Remarque : Ce serait bien d'avoir un dépôt d'articles à la PtbPtg qui permette de faire doublon en cas de fermeture des sources originelles)

C. Je ne suis pas convaincu. Je trouve "goût" plus clair et tout aussi informatif, avec des équivalences :
A mon goût = Valeur positive
Pas à mon goût = Valeur négative
Indifférent, ou en faisant abstraction de ses goûts = Valeur neutre

Un théoricien a tout intérêt à théoriser ce qui n'est pas à son goût, pour savoir comment l'éviter.

D. Voir ci-dessus.

E. Ok je comprends.

G. L'appropriation des concepts est difficile uniquement s'ils ne sont pas clairs.
Je rappelle ce que je dis dans mon speech: la question de la clarté est différente de la question de la vérité. Il faut d'abord chercher à comprendre ce que dénote un concept (Etape 1) avant de chercher à savoir s' il reflète plus ou moins la réalité (Etape 2).

Pour le Fruitful Void, tel que le définit Vincent Baker sur anyway.
Etape 1 : Est-ce que le concept est clair ?
--> Pas vraiment. Il faut attendre Frédéric Sintes pour le clarifier, et proposer le Vide Fertile.

Pour le JdR traditionnel et le JdR à autorité partagée, tel que le définit Frédéric Sintes sur lymbic system.
Etape 1 : Est-ce que les 2 concepts sont clairs ?
--> Oui, en tout cas pour moi.
Etape 2 : A quel point ces concepts reflètent la réalité ?
--> La question n'est pas du tout tranchée. Personne n'est allé faire une étude formelle. On en reste au niveau de l'opinion pour le moment.

L'Etape 2 est souvent la plus complexe, je pardonne volontiers les théoriciens qui ne sont pas allé étudier la réalité en détail.

La théorie, c'est de donc de discuter avec des concepts définis dans l'Etape 1, et de voir s'ils sont clairs, s'ils s'agencent correctement, s'ils y a des contradictions, etc...
La pratique, c'est de tester la validité des concepts dans la réalité. La question de la réfutabilité, c'est l'Etape 2, donc je ne comprends pas ton point.
Valentin T.
 
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Re: Débat autour du Podcast Méta-Théorie

Message par Thomas Munier » 11 Jan 2017, 17:59

C. Je te propose la reformulation suivante :

Au lieu de dire que la théoricienne base ses idées sur un système de valeurs, on peut dire qu'elle base ses idées sur un système de goûts et de croyances. Cela me paraît important de rajouter les croyances.

Certaines fois, les croyances peuvent aussi être des goûts :
"cela demande un grand effort mental d'incarner son personnage et le décor autour en même temps" (la personne émet un goût : elle préfère éviter de faire les deux en même temps - et c'est assez largement un dérivé de "plaider pour son personnage c'est cool, être auteur de son personnage c'est du boulot") et une croyance : faire les deux choses en même temps demande un effort à tout le monde)

Référence :
Eero Tuovinen : The pitfalls of narrative technique in rpg play sur Game Design is about structure

Des fois, ce sont juste des croyances :
"Il est impossible de prévoir tous les coups possibles en jeu de rôle."
Référence :
Olivier Caira, Les Forges de la Fiction, CNRS Editions

(mes citations ne sont pas littérales, ce sont des reformulations)

G. Pour reprendre mon exemple sur le Vide Fertile, j'ai le sentiment que même si le concept de Vide Fertile est clair (en tout cas à mes yeux et visiblement aux tiens), c'est très difficile de se sentir légitime à venir dire : "tel jeu contient du vide fertile parce que bla bla bla" sans avoir au préalable fait valider cette affirmation par Frédéric Sintes ou Fabien Hildwein (je n'ai aucun mouchard pour savoir à quel point ils se sont concertés, mais force est de reconnaître qu'ils l'ont fait : conférence de Fabien sur le Vide Fertile, podcast en commun avec Frédéric sur le même sujet). Je suis loin de dire que Frédéric a annoncé ce genre de conditions. Je dis juste que dans la pratique, c'est comme ça que ça se passe. La seule fois où j'ai évoqué l'existence du Vide Fertile dans un jeu, c'était pour Sombre, jeu que je connais très bien pour en avoir fait 70 parties. Cela m'a paru étrange car je me sentais plus légitime à parler du Vide Fertile dans un jeu que j'ai joué 70 fois, alors que je pense que Fabien n'y a joué que peu de fois, voire jamais. Sans confondre les causes (il faut beaucoup de parties pour observer le Vide Fertile d'un jeu, puisqu'il est par essence discret) et les effets (jouer beaucoup à un jeu ne permet en aucun cas de créer un Vide Fertile, celui-ci est censé être pré-existant ou non). J'en déduis qu'on se retrouve prisonniers du jargon "Vide Fertile". Son emploi est réservé à des gardiens du Temple, parce que si tu n'as pas participé à sa définition, tu n'es pas légitime pour en parler. Je suis loin de blâmer Frédéric et Fabien sur ce fait, je pense que c'est le fait du jargon et non leur fait.

Référence :
Fabien Hildwein : Mettre le Vide fertile au service des créateurs, enregistrement d'une conférence pour le colloque des 40 ans du jeu de rôle, stockée sur Les Voix d'Altaride
Podcast de la Cellule : Le Vide Fertile

C'est d'ailleurs symptomatique dans ton rapport de partie sur Fantasmagorie. Tu mets des copyright sur des termes de jargon : un Jeu Moral (© Munier), l'absorption (© Sintes), la combativité (© Sintes). D'une je me mets en chagrin quand je vois un copyright associé à mon nom alors que je mets tout mon travail dans le domaine public, mais j'ai peur que ton lectorat croit que ces termes doivent être utilisés avec précaution et avec l'autorisation de leurs auteurs. Personnellement, j'ai forgé le terme "jeu moral" comme étant compréhensible sans avoir le définir, parce que c'est un terme commun. Il est entièrement ouvert à la discussion. Il est open source par nature. Combativité et Absorption me soulèvent un peu plus de problèmes. Je me sens moins autorisé à en parler parce que ce sont des termes de jargon. Je le fais quand même parce que ce sont des idées trop précieuses pour que je les laisses dans leur vitrine, mais je leur aurais préféré les terme de lutte et d'introspection, termes que je peux employer sans avoir à les définir.

Références :
Valentin T. : Fantasmagories, rapport de parties, sur le forum des Ateliers Imaginaires
Frédéric Sintes : Combativité & Absorption, sur Limbic Systems

H.
La théorie, c'est de donc de discuter avec des concepts définis dans l'Etape 1, et de voir s'ils sont clairs, s'ils s'agencent correctement, s'ils y a des contradictions, etc...
La pratique, c'est de tester la validité des concepts dans la réalité. La question de la réfutabilité, c'est l'Etape 2, donc je ne comprends pas ton point.


Est-ce que tu sous-entend qu'on ne peut faire de théorie sans mettre en pratique ? Si oui, quel usage fait-on de sa pratique pour étayer sa théorie ?
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Re: Débat autour du Podcast Méta-Théorie

Message par Valentin T. » 11 Jan 2017, 18:43

C. Oui, je trouve ça beaucoup plus clair. Le couple goût / croyance est exactement ma façon de voir.
Je souscris totalement.

G.
Thomas a écrit :Tu mets des copyright sur des termes de jargon
Le copyright était seulement une boutade par rapport aux débats sur les citations, je suis désolé de t'avoir chagriné. C'était une façon de tourner en dérision le fait de citer mes sources, vu que sur un rapport de partie je suis bien moins rigoureux que sur un article. Encore désolé. Le troll du troll est allé trop loin ^^

Thomas a écrit :c'est très difficile de se sentir légitime à venir dire : "tel jeu contient du vide fertile parce que bla bla bla" sans avoir au préalable fait valider cette affirmation par Frédéric Sintes ou Fabien Hildwein
Je crois qu'un nœud du problème se situe ici. Personnellement, la première chose que je fais quand je suis face à un nouveau concept, c'est d'essayer de le reformuler clairement et d'en dégager les limites conceptuelles. Schématiquement, le Vide Fertile dans ma tête c'est:
- Tout le système d'une partie de JdR (dialogues, imaginaires des joueurs, regards, livre de jeu, illustrations, règles, chips, scénario...) est un ensemble d'objets en interactions.
- Il est possible de créer un livre de jeu de rôle qui permette d'organiser les interactions entre ces objets de manière à ce qu'elles se répondent les unes aux autres.
- Si les interactions s'organisent en boucle, il est possible (mais pas nécessaire) d'obtenir des propriétés particulières.
- Ces propriétés sont: 1) jouer sans efforts 2) favoriser l'émergence de dynamiques sociales particulières et ainsi éviter la compensation.

Ça, c'est une construction mentale que j'ai personnellement à la suite de la lecture des articles, de l'écoute des podcasts, de la visualisation des vidéo, des lectures de posts de forum, des discussions IRL.
J'utilise très fréquemment le terme "Vide Fertile" pour référer à cette construction là, qui est claire pour moi. Elle m'est très utile pour construire mon jeu, car je la comprends et j'estime qu'elle se rapproche de la réalité.

Maintenant, imaginons que je dise "il y a du Vide Fertile dans Sombre". Si Frédéric ou Fabien viennent me voir et me disent que je me trompe et que "non, il n'y a pas de Vide Fertile dans Sombre", que faut-il comprendre?

1. Je me trompe, parce que ma conceptualisation du Vide Fertile est erronée par rapport à celle de l'article d'origine.
2. Je me trompe, parce que je crois que les interactions s'organisent en boucle dans Sombre, alors que ce n'est pas le cas. (par exemple)

Si je suis dans le cas n°1, alors la question est plutôt de savoir quel mot utiliser sur quel concept. On est dans une question de clarification, et Sombre n'a rien à voir là dedans.

Si je suis dans le cas n°2, alors il faut encore me montrer que les interactions ne s'organisent pas en boucle dans Sombre. Et ça, c'est très très loin d'être trivial, et ça dépend de plein de facteurs du fameux système, comme, au hasard, les joueurs à la table de jeu. C'est la fameuse Etape 2 évoquée plus haut.

Selon moi, si un utilisateur fait son maximum pour comprendre un concept, il est entièrement légitime à l'utiliser. S'il a fait son maximum et que l'auteur du concept estime qu'il se "trompe", la faute incombe à l'auteur, qui n'a pas été assez clair. Il doit alors reformuler, expliciter, préciser (d'où le post de Fabien, par exemple).

Personnellement, je n'utilise pas les concepts que je ne trouve pas clairement expliqués, comme "Narrativisme". Mais j'utilise très régulièrement "Jeu Moral", "Vide Fertile", ou "Combativité", sans demander la permission, et en me sentant légitime. Je crois que c'est comme ça qu'on peut espérer construire une grammaire commune.

Thomas a écrit :Est-ce que tu sous-entend qu'on ne peut faire de théorie sans mettre en pratique ? Si oui, quel usage fait-on de sa pratique pour étayer sa théorie ?
On peut créer des théories sans les mettre en pratique. La pratique permet de tester les théories, en les confrontant à la réalité.
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Re: Débat autour du Podcast Méta-Théorie

Message par Thomas Munier » 11 Jan 2017, 19:35

C. C'est cool, on avance.

G.
Tu n'as aucun raison d'être désolé pour mon (relatif) chagrun, je suis responsable de mes sentiments. Mais je te remercie d'avoir pointé un second degré qui m'était passé inaperçu.

Si je devais définir le Vide fertile dans un ascenseur, je dirais "un cercle vertueux de règles qui pousse discrètement les joueuses à explorer l'intention du jeu".

Dans notre exemple du débat sur la présence de Vide Fertile dans Sombre (ou de n'importe quel autre cas de l'observation d'un concept jargonneux par une autre personne que celle qui a inventé le concept), je pense qu'on peut avoir d'autres cas de figures :

3. C'est le théoricien qui se trompe parce que si sa maîtrise du concept est indiscutable (après tout, c'est sa théorie), sa connaissance du contexte peut être inférieure à celle de la personne qui observe. (dans notre exemple : j'ai joué 70 fois à Sombre, Fabien n'y a peu ou pas joué à ma connaissance, or le Vide Fertile est censé nécessité un grand nombre de tests pour être observé, puisqu'il est par essence discret).

4. L'observateur a extrapolé la notion dans un autre système de goût et de croyances que celui où il a été élaboré. Nous avons discuté précédemment que les concepts pouvaient être extrapolables hors de leur système de goûts et de croyances initiales. Par exemple, dans Sombre, il y a pas mal de mode auteur. Or, le Vide Fertile, du moins dans sa version francophone actuelle, a été pensé pour des jeux intenses ET à jouer en combativité. Quand j'identifie le Vide Fertile dans Sombre, je m'autorise à penser qu'il peut en exister qui encouragent des gameplays avec du mode auteur dedans (je sors le concept des jeux à combativité pour l'extrapoler aux jeux en mode auteur). De même que je m'autorise à penser que dans les jeux profonds, il puisse exister plusieurs Vides Fertiles, pour plusieurs gameplays (je sors le concept des jeux intenses pour l'extrapoler aux jeux profonds).

Référence :
Podcast Outsider : Intensité & Profondeur, sur le blog Outsider

I. Nous sommes d'accord pour dire que tu peux manipuler avec bonheur des néologismes forgés par d'autres, si tu les as compris. Cependant, ça freine le débat avec les personnes non informées. Si j'emploie jeu moral avec une personne non informée, j'estime qu'elle peut s'emparer de suite du concept et en débattre avec moi. Si j'emploie combativité ou absorption, il va falloir que je définisse les termes (qui je le rappelle ont droit à un article dans les 20 000 signes) et pour tout dire, la personne ne pourra me répondre avant d'avoir pu digérer ces définitions.
Si je reconnais un mérite à la personne qui invente un néologisme pour désigner simplement un concept complexe, j'apprécie encore davantage la personne qui parvient simplement à baser sa réflexion sur des objets qui existent déjà dans le langage.
Ma position sur les néologismes concerne aussi les néosémies (prendre un mot du dictionnaire mais lui inventer un autre sens, comme la Synesthésie de Frédéric Sintes)
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Re: Débat autour du Podcast Méta-Théorie

Message par Valentin T. » 12 Jan 2017, 00:37

G. Je souscris à ce qui est dit dans l'ensemble (il faudrait que je fasse moi-même un article pour clarifier mes remarques).

3. Ok dans l'idée, après on pourrait aller plus loin (en disant que la théorie doit également englober les conditions d'observation des phénomènes qu'elle postule). Mais là ça devient technique, c'est pas crucial, j'y reviendrai peut-être plus tard.

4. C'est exactement pour cette raison que, dans mon speech, j'invite vivement les théoriciens à clarifier leurs présupposés théoriques le plus possible (dans lesquels je mets les croyances et les postures de jeu pour lesquelles sont faites les théories).

I. Ok pour éviter les néologismes si possible. Par contre, me demander d'être à la fois rigoureux, succinct, non-jargonneux, n'utilisant pas les marqueurs scientifiques, accessible au profane... Faudra m'expliquer.
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Re: Débat autour du Podcast Méta-Théorie

Message par Steve J » 12 Jan 2017, 02:11

Est-ce qu'il n'y a pas un paradoxe à nous demander de pré-écouter ce méta-podcast qui discute notamment de la pertinence de pré-écouter tes podcasts ? En un sens accepter de critiquer la démarche oblige déjà à l'accepter.
Image

Mmmmh, ceci dit le podcast m'évoque pas mal de choses mais principalement le sentiment que l'on tombe dans le piège de la polysémie du mot "théorie" :
1) Une théorie artistique peut désigner n'importe quelle description ou commentaire d'une oeuvre d'art (ou d'un ensemble d’œuvres d'art). Le terme théorie n'écarte ici pas la subjectivité et n'est pas associé avec une méthodologie particulière.
2) La théorie scientifique est implicitement associé à l'idée de réfutabilité, une théorie devant être écartée si les faits observés ne sont pas cohérents. Il y a donc une façon objectif de commenter une théorie (en la rejetant) et le champ scientifique dispose de procédures de validations.

Ton analyse insiste sur la subjectivité de la théorie qui n'est jamais fausse mais n'est vraie que dans un système de valeur spécifique. Je trouve notamment très éclairant ton analyse qui regroupe Eero Tuovinen, Paul Czege et Frédéric sur le rapport au personnage et aux façons de plaider ou non pour lui.
Mais du coup on peine à voir quelle est l'intérêt de la relecture qui vient valider collectivement un texte (alors bien que tu valorises la subjectivité individuelle). D'autant plus que cette validation a priori vient figer l'état des discussions.

A mon sens il y a deux réflexions à mener avant de "scientifiser" ta démarche :
1) Qu'est ce que j'espère de mes productions ? De la théorie en général ?
2) Est-ce que ma démarche va dans cette direction ? Est-ce qu'elle a des conséquences négatives ?

Valentin T. a écrit :La théorie, c'est de donc de discuter avec des concepts définis dans l'Etape 1, et de voir s'ils sont clairs, s'ils s'agencent correctement, s'ils y a des contradictions, etc...
La pratique, c'est de tester la validité des concepts dans la réalité. La question de la réfutabilité, c'est l'Etape 2, donc je ne comprends pas ton point.

Mais du coup quel usage fais-tu de la théorie ? S'agit-il, comme en sciences, de la confronter à la pratique ?
Est-ce que tu as des exemples de propositions théoriques non-triviales pour lesquelles ont pourrait mettre en place des observations permettant d'éventuelles réfutation ?
Steve J
 
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Re: Débat autour du Podcast Méta-Théorie

Message par Valentin T. » 12 Jan 2017, 12:40

Steve J a écrit :Mais du coup quel usage fais-tu de la théorie ? S'agit-il, comme en sciences, de la confronter à la pratique ?
Je suis pas sur de comprendre la question.
On pourrait dire que la théorie permet de 1) clarifier nos idées 2) construire des édifices de pensées 3) utiliser ces édifices pour guider nos actions (créer des jeux, jouer différemment...). La pratique permet de 1) stimuler la construction théorique 2) évaluer la robustesse de ces constructions.
(Mais si je voulais détailler, je dirais que la différence entre la théorie et la pratique est arbitraire et infondée)

Steve J a écrit :Est-ce que tu as des exemples de propositions théoriques non-triviales pour lesquelles ont pourrait mettre en place des observations permettant d'éventuelles réfutation ?
Deux exemples:

Le Maëlstrom, une prédiction possible (je reformule à ma sauce) : Les fictions rapportées à la suite d'une partie de JdR par chacun des participants divergent sensiblement.
-> Si les fictions rapportées sont très proches, on aura tendance à rejeter la théorie du Maëlstrom.

Le GNS, une prédiction possible (je reformule à ma sauce) : Mélanger des dynamiques ludistes et des dynamiques narrativistes au sein d'un même jeu diminue la satisfaction des participants.
-> Si il s'avère que beaucoup de parties mélangent ces deux dynamiques et que cela ne diminue pas la satisfaction des participants, on aura tendance à rejet le GNS (c'est un peu ce qui s'est passé ces derniers temps).
Valentin T.
 
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Re: Débat autour du Podcast Méta-Théorie

Message par Thomas Munier » 12 Jan 2017, 18:52

G.

Sur les biais d'observation d'un phénomène, on peut aussi mentionner les goûts et les croyances de l'observateur : par exemple sur le Vide Fertile, tu auras plus envie de l'observer dans ton jeu favori que dans un jeu sur lequel tu as des a priori négatifs.

Je crois qu'on est complètement d'accord sur ce que ça peut nous apporter quand la personne mentionne ses goûts et ses croyances avant d'émettre une réflexion sur le jeu de rôle.

I. On peut dire que cette clarté est un voeu pieux. Le fameux "Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement". Après, je suis d'accord avec toi sur le fait que c'est un graal, sinon une chimère. Mais on peut procéder par niveaux. Faire des gros dossiers bien conceptuels par moments et des communications bien vulgarisantes par d'autres.

Référence :
Podcast Outsider : La Simplicité, sur Outsider (3h, pas mal de jargon)
Autour d'un thé : l'accessibilité, sur la chaine youtube de Mandala (12 minutes, du eye candy, du pratiquo-pratique)

J. Rah, Steve, tu as démasqué le piège logique dans lequel je voulais aspirer toute la réalité !

K. Tu pointes le fait que les auteurs sur lesquels je m'appuie, et moi-même, faisons surtout de la théorie artistique (qui du coût s'appuie sans complexe sur un système de goûts et de croyance) plutôt que de la théorie scientifique (qui, je suppose, dans un monde parfait, devrait s'affranchir des goûts de la personne et partir sur des axiomes prouvés et non des croyances). Et que si je fais de la théorie artistique, j'ai aucun besoin de chercher à me faire valider par des pairs. La pré-écoute avait un objectif différent, je pense : plutôt celui d'ouvrir un échange. Je dois dire que c'est mission réussie, car j'ai rarement eu autant de commentaires (en nombre de signes) sur un autre article ou podcast.

L. Ce que j'attends de la théorie ? Je dirais qu'elle me donne des outils pour faire des jeux comme j'ai envie de les faire, mais aussi qu'elle fasse évoluer mes envies (notamment dans le rapport entre le jeu et les joueuses). J'attends que ça se passe de façon plutôt indirecte : je prends des problèmes déconnectés de mes envies de game design du moment et ça enrichit mon palais mental. Plus tard, ça s'avère utile dans mon game design.

M. Les conséquences négatives de la théorie, j'en ai déjà vu plusieurs :
+ Cela m'est arrivé de rédiger des jeux avec du jargon théorique (ainsi : "ludiste" apparaît dans Millevaux Sombre) alors que ça aurait été beaucoup mieux d'y redire les choses simplement, en langage accessible à une joueuse débutante (et je dois dire que c'est mon meilleur argument pour dire que le jargon en théorie pose un problème : de toute façon, il faudra le retraduire un jour ou l'autre en langage ordinaire quand on écrira un jeu)
+ J'ai rédigé des jeux à partir d'un savoir théorique que je juge aujourd'hui obsolète : ainsi j'ai rédigé Inflorenza pour émuler l'idée que je me faisais du narrativisme... et bon... c'est sans doute pas, par exemple, le narrativisme de Frédéric Sintes (traduction en langage 2017 : j'ai voulu faire un jeu moral et sans le faire exprès j'ai fait un jeu esthétique).
+ Consommer et produire de la théorie m'aide beaucoup à commencer des jeux. Mais comme ça me consomme du temps et ça me fait multiplier les projets, ça m'empêche de les finir.
+ Et plus tu veux mettre de rigueur ou viser les marqueurs scientifiques dans ton travail théorique, plus ça consomme du temps, avec un effet de type Loi de Pareto : 20% de tes efforts permettent de produire du savoir utile, 80% des efforts supplémentaires sont juste de la pure mise en forme (peut-être ça sert à ton lectorat, mais quel retour sur investissement ?)

Si je suis hors-sujet dans ma réponse, merci de reformuler ta question, Steve

Références :
Frédéric Sintes, un petit retour sur le narrativisme, sur Limbic Systems

N.
Valentin, quand tu veux réfuter une affirmation théorique par la pratique (dans tes exemples sur les rapports de partie divergents ou sur la nécessité que tout le monde s'aligne sur une même démarche créative pour qu'on s'amuse), sur quelle qualité d'observation pratique tu te bases ?
Tu te contentes de sortir une généralité de ton chapeau, tu fais des entretiens, tu fais des analyses statistiques ?
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Re: Débat autour du Podcast Méta-Théorie

Message par Valentin T. » 12 Jan 2017, 19:16

G. Ok

I. Ok

N.
Thomas a écrit : Valentin, quand tu veux réfuter une affirmation théorique par la pratique (dans tes exemples sur les rapports de partie divergents ou sur la nécessité que tout le monde s'aligne sur une même démarche créative pour qu'on s'amuse), sur quelle qualité d'observation pratique tu te bases ?
Tu te contentes de sortir une généralité de ton chapeau, tu fais des entretiens, tu fais des analyses statistiques ?
Ça dépend à chaque fois de la théorie que l'on considère, et il n'y a pas de réponse unique dans l'absolu. Une partie du travail scientifique consiste à produire un protocole qui, en l'état actuel des connaissances, fait consensus dans la communauté pour estimer qu'il permet effectivement de tester la théorie.

D'où l'importance supplémentaire d'avoir une critique itérative: cela permet d'évaluer le protocole, et si tout le monde n'est pas satisfait, on le retravaille jusqu'à aboutir à un protocole consensuel.

Dans le cas du Maëlstrom par exemple, je proposerai le protocole suivant:

Phase 1: Parties de JdR
- Réaliser des parties de JdR variés.
- Demander aux joueurs, juste après la partie, de rédiger la fiction de la partie sans se concerter.

Phase 2: Films
- Faire visionner des films variés à des spectateurs, par groupes de même taille que les groupes de JdR précédents.
- Demander à ces spectateurs de rédiger la fiction des film visionnés sans se concerter.

Phase 3: Evaluation
- Demander à des lecteurs indépendants de lire les fictions des parties de JdR, et de noter de 1 à 5 la divergence entre les textes (1 étant très peu divergent, 5 étant très divergent)
- Demander à ces même lecteurs de lire les fictions de film, et noter de 1 à 5 la divergence entre les textes.

Phase 4: Tests statistiques
- Tester statistiquement si la divergence entre les textes des parties de JdR est plus grande que la divergence entre les textes des film.
(Il existe des tests pour ça)

Ensuite, je demanderai à de théoriciens d'évaluer mon protocole. Je le changerai itérativement jusqu'à ce que tout les théoriciens à qui je présente le protocole soient d'accord pour dire qu'il permet d'évaluer la théorie du Maëlstrom (il y a consensus).
Ensuite, je réaliserai ce protocole, et je rédigerai un article qui rende compte de mes résultats. Je soumettrai cet article à la critique (surtout pour des raisons de clarté), jusqu'à ce que tout les relecteurs à qui je présente l'article soient d'accord pour dire qu'il est clair (il y a consensus).
Je publie enfin officiellement mon article sur mon blog.

EDIT : Juste une remarque pour dire que mon protocole est à la fois clair (enfin je l'espère), et intègre largement la subjectivité du média.
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Re: Débat autour du Podcast Méta-Théorie

Message par Thomas Munier » 14 Jan 2017, 18:12

N. Si tu me permets, dans l'exemple que tu donnes, j'aurais privilégié l'argumentation logique au test statistique.

Permets-moi de reformuler ton hypothèse :

"Dans les films comme dans les parties de jeux de rôles, entre le message du média et la réception par le public, il existe plusieurs biais, qu'on constate lorsqu'on demande au récepteur de faire un récit de l'aventure :
+ erreur de compréhension
+ ajout de détails par interprétation
+ défaut de mémorisation
+ omission de détails dans le rapport

Ces biais sont spécifiques à chaque récepteur. Aussi, si on demande à chaque récepteur de faire un récit de l'aventure, tous ces récits seront différents.

La différence entre un film et une partie de jeu de rôle, c'est que le message est le fruit d'un émetteur unique dans le cas du film et le fruit d'émetteurs multiples dans une partie de jeu de rôle, qui doivent synchroniser leur vision des choses pour aboutir à un message commun (l'aventure de jeu de rôle fruit du consensus)"

Hypothèse : Lorsqu'il s'agit de faire un récit de l'aventure de jeu de rôle, il y a un biais supplémentaire lié aux défauts de la synchronisation.

Vérification de l'hypothèse par l'argumentation logique :
Supposons un groupe de rôlistes qui mettent en place un protocole pour supprimer tous les biais de compréhension / interprétation / mémorisation / omission. Le protocole est le suivant : chaque rôliste se munit d'un carnet de notes et note mot pour mot toutes les propositions qui ont fait l'objet d'un consensus. Pour éviter tous les biais précités, on s'assure que le consensus est parfait, quitte à faire verbaliser l'acceptation par chaque rôliste, et à parler lentement pour que la prise de notes soit parfaite.
Quand vient le moment de faire le récit de l'aventure, les rôlistes n'ont qu'à recopier leur prise de notes. Au vu du protocole, la prise de notes de chacun est identique, les récits sont identiques, mot pour mot.
Autrement dit, si l'on supprime les biais de compréhension / interprétation / mémorisation / omission, la retranscription de l'aventure est identique pour chaque rôliste.
Autrement dit, la synchronisation ne provoque aucun biais.

Quand on observe une différence entre deux récits d'aventure en jeu de rôle, cela est dû au même biais que dans le récit du visionnage d'un film : les biais de compréhension / interprétation / mémorisation / omission

Du particulier au général : il me semble que dans un certain nombre de cas, si l'on veut se donner les moyens de prouver une théorie rôliste, l'argumentation logique est plus aisée et plus robuste que le test statistique.
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Re: Débat autour du Podcast Méta-Théorie

Message par Steve J » 14 Jan 2017, 19:28

Je reviens au sujet tardivement désolé.

Valentin T. a écrit :
Steve J a écrit :Est-ce que tu as des exemples de propositions théoriques non-triviales pour lesquelles ont pourrait mettre en place des observations permettant d'éventuelles réfutation ?
Deux exemples:

Le Maëlstrom, une prédiction possible (je reformule à ma sauce) : Les fictions rapportées à la suite d'une partie de JdR par chacun des participants divergent sensiblement.
-> Si les fictions rapportées sont très proches, on aura tendance à rejeter la théorie du Maëlstrom.

Le GNS, une prédiction possible (je reformule à ma sauce) : Mélanger des dynamiques ludistes et des dynamiques narrativistes au sein d'un même jeu diminue la satisfaction des participants.
-> Si il s'avère que beaucoup de parties mélangent ces deux dynamiques et que cela ne diminue pas la satisfaction des participants, on aura tendance à rejet le GNS (c'est un peu ce qui s'est passé ces derniers temps).

Finalement la question est de savoir comment considérer les propositions théoriques. Est-ce vraiment intéressant de considérer la GNS comme un résultat général fort ?

Si on écoute Thomas dans son podcast il considérerait plutôt que le résultat du GNS c'est "pour un certain nombre de participants, mélanger des dynamiques à pu poser problème". Ce résultat très faible permet cependant à des théoriciens/auteurs/joueurs de préciser leur subjectivité et d'expliquer leur ressenti.
C'est une proposition qui s'avère de plus fertile car elle inspire des créateurs de jeu. Le résultat du GNS n'est sans doute pas vrai mais il est à l'origine de Dogs in the Vinyard ou de Prosopopée...heureusement qu'on a pas cherché à le réfuter avant la création de ces jeux !

Par contre ce résultat GNS me pose problème -et à mon avis à considérablement restreint la créativité du mouvement indie- si on le considère comme une proposition générale. Je militerai plus pour la considérer, au côté du Principe de Czegue ou de l'idée que les dés sont là pour faire du bruit derrière le paravent comme une prise de position qui invite à la réflexion, à changer son approche du média.
L'important est alors que les propositions soit justifiées pour qu'on comprendre quelles conclusions pratiques en tirent les auteurs (c'est ma grande critique avec le Maelstrom...on ne m'a toujours pas expliqué en quoi la proposition les fictions rapportées à la suite d'une partie de JdR par chacun des participants divergent sensiblement pouvait impacter mes pratiques créatrices ou ludiques). Au fond mon problème n'est pas la valeur de vérité de l'idée c'est que je ne la trouve pas fertile en pratique.

En fait je militerai pour considérer les théories comme des écoles artistiques.
Par exemple personne ne va tester l'idée à la base du surréalisme qui est de décrire le fonctionnement réel de la pensée. Par contre cette proposition aura des conséquences esthétiques importantes (et intéressantes).

Thomas a écrit :Tu pointes le fait que les auteurs sur lesquels je m'appuie, et moi-même, faisons surtout de la théorie artistique (qui du coût s'appuie sans complexe sur un système de goûts et de croyance) plutôt que de la théorie scientifique (qui, je suppose, dans un monde parfait, devrait s'affranchir des goûts de la personne et partir sur des axiomes prouvés et non des croyances). Et que si je fais de la théorie artistique, j'ai aucun besoin de chercher à me faire valider par des pairs. La pré-écoute avait un objectif différent, je pense : plutôt celui d'ouvrir un échange. Je dois dire que c'est mission réussie, car j'ai rarement eu autant de commentaires (en nombre de signes) sur un autre article ou podcast.

La logique de pré-écoute m'évoque en fait beaucoup la dynamique des discussions sur The Forge qui devaient se soumettre aux règles du forum et se construisaient autour du lexique forgien.
Discuter sur The Forge c'était accepter de voir son discours critiqué, validé et de répondre aux demandes de la communauté (notamment d'accepter son vocabulaire).

AMHA ce corsetage des productions théoriques complexifiait l'écriture de message et, surtout, venait considérablement appauvrir les discussions. Là où il s'agissait d'abord d'exprimer des ressentis, il fallait systématiquement s'inscrire dans l'existant, réutiliser les concepts et -même si on pouvait envisager de faire légèrement évoluer les théories- ces logiques venaient limiter les possibilités de penser en dehors du cadre (j'en dis du mal dans ton post sur le jargon).

La validation/discussion a priori à du sens dans le domaine scientifique parce que l'on souhaite uniformiser la production des savoirs et que les découvertes ne fonctionnent qu'assez rarement comme des révolutions. En JdR c'est beaucoup moins flagrant et je pense qu'adopter des démarches similaires en JdR ferait perdre beaucoup de temps et amènerait à limiter les évolutions de nos réflexions (exemple typique : le blog d'Eugénie qui arrive avec un regard neuf, qui suscite des réactions, mais qui aurait beaucoup perdu en acceptant des relectures a priori).
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Re: Débat autour du Podcast Méta-Théorie

Message par Valentin T. » 15 Jan 2017, 01:02

N. Je comprends l'idée de l'argument logique.

Ce qui vient de se passer c'est:
1) Je propose un protocole complexe, que je soumets à la critique ;
2) Tu proposes un protocole alternatif, basé sur la logique ;
3) Je comprends ton point de vue, et cela m'économise de nombreuses heures puisque mon protocole n'était pas vraiment un test de la théorie du Maëlstrom.

Du coup, mon propos est de dire que j'ai tout gagné à soumettre mon protocole à la critique, puisque avec nos 2 cerveaux j'ai gagné du temps et de la qualité de réflexion. (Mais dans l'idée, je ne suis pas d'accord à 100% avec ta proposition, donc je pourrais faire une contre-proposition, et ainsi de suite, jusqu'au consensus. Une fois que tout le monde est d'accord, y comprit les auteurs de la théorie, alors je réalise le protocole. Mes résultats permettrons d'en découdre "un fois pour toute").


Steve J a écrit :Finalement la question est de savoir comment considérer les propositions théoriques [...] je militerai pour considérer les théories comme des écoles artistiques
Mon objectif personnel est de comprendre la réalité rôliste. La création de jeu est une application ultérieure, qui peut d'ailleurs tout à fait utiliser autant les connaissances théoriques que les postures artistiques.
Je crois qu'il est totalement profitable de multiplier les manières de réfléchir. Quand j'invite à soumettre les théoriciens à la critique, c'est pour ceux étant dans une démarche similaire à la mienne. Je vois ça comme un service mutuel rendu par des gens qui partagent un même objectif. Je crois aussi que les différentes voies peuvent largement se renforcer mutuellement: les théories puiser leur inspiration dans les courants artistiques, et les courants artistiques se développer en se positionnant avec, ou contre, ou à côté des théories.
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Re: Débat autour du Podcast Méta-Théorie

Message par Thomas Munier » 15 Jan 2017, 11:29

N. Image

O. Steve : On pourrait rajouter que l'intérêt de la croyance "il faut que les jeux soient spécialisés G,N ou S" a amené par réaction des game designers à au contraire encourager les trois démarches à l'équilibre (ou les 4 si on rajoute le jeu social). Cf ta notion d'écoles artistiques.

P. Une théorie peut mettre du temps à conduire à une application pratique, pour autant elle a son intérêt. Concernant le Maelstrom, il y a eu quelques ébauches, comme cet article de Globo :

Globo, Système de résolution et système de jeu, article sur La Cellule

ou encore le renforcement :

Vivien Féasson, Pour une grammaire du jeu de rôle 5 : le renforcement, sur Contes et Histoires à vivre

Perso, j'en avais déduit une variante d'Inflorenza :
En conflit, on jette autant de dés que d'actions, d'inventaires de ressources, de motivations ou de handicap qu'on peut invoquer dans la situation. Si l'on crée une nouvelle ressource / motivation ou handicap pour l'occasion, elle ne rapporte aucun dé mais elle est retenue. Elle pourra rapporter un dé lors d'un prochain conflit.
(et c'est cool pour faire du cape et d'épées)

Thomas Munier, Al-Andalus, compte-rendu sur le forum de Terres Etranges

(ce sont des applications du Maelstrom, pas de la sous-hypothèse "les comptes-rendus de partie varient d'une joueuse à l'autre" (que d'ailleurs je considère comme non-pertinente suite à ce raisonnement :

Thomas Munier, N. Si tu me permets, dans l'exemple que tu donnes, j'aurais privilégié l'argumentation logique au test statistique. sur le forum des Ateliers Imaginaires

Q. D'après toi, Steve, sur The Forge, relecture critique impliquait uniformisation des termes et des idées. Quand je sollicite une pré-écoute, j'en suis loin.

R. Valentin, qu'est-ce que tu appelles la réalité rôliste ?
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Re: Débat autour du Podcast Méta-Théorie

Message par Valentin T. » 15 Jan 2017, 14:31

R. Ça dépend de ma position face à la question du réalisme.
- Soit je suis réaliste, et je cherche alors à construire un édifice intellectuel qui se rapproche le plus possible du monde extérieur et indépendant de mon esprit.
- Soit je suis anti-réaliste, et je cherche alors à construire un édifice intellectuel qui n'est qu'un outil me permettant de prédire au mieux mes observations.

Ainsi si je reprends ce que dit Steve :
Steve a écrit :Je militerai plus pour considérer [la GNS] au côté du Principe de Czegue ou de l'idée que les dés sont là pour faire du bruit derrière le paravent comme une prise de position qui invite à la réflexion, à changer son approche du média.
Que je sois réaliste ou non, mon approche est donc dans un plan différent de ce qu'appelle Steve. Mais encore une fois cela n'empêche pas les deux approche de se renforcer mutuellement.
Valentin T.
 
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