Thomas m’ayant confirmé qu’il était autant intéressé par la réponse de ceux qui n’ont pas diffusé leur(s) jeu(x), je me lance également.
En gros, si vous avez commencé par faire des jeux pour vos amis, qu'est-ce qui vous a poussé à les mettre à disposition pour un large public ?Je pense qu’en jdr, la frontière entre l’acte de jeu et la conception est assez floue est perméable. Joueur, meneur, créateur, auteur : c’est un continuum. Beaucoup plus que dans d’autres activités culturelles : la distance entre lecteur et auteur (ou éditeur), ou entre spectateur et un des nombreux métiers du cinéma est beaucoup plus vaste. Il m’est donc très naturel de créer un jeu.
Dans ce cadre, par
créer un jeu, j’entends concevoir quelque chose qui soit plus développé qu’un scénario ou une situation préparé pour un jeu existant. Quelque chose qui va au-delà de la règle ou de l’élément inventé pour une situation précise temporaire, mais dans une vision à plus long terme.
Oui, je fais des jeux pour mes amis. Pas de nombreux jeux. Par « pour mes amis », j’entends à la fois
créer un jeu pour leur faire jouer moi-même (surtout), et
créer un jeu pour que mes amis y jouent sans moi (un peu). Je ne fais pas des jdr pour moi tout seul, le but est toujours de les montrer, de les utiliser.
Et non, je ne les ai pas mis à disposition pour un large public.
Je compte deux réalisations que je trouve significatives et abouties.
La première,
AB•OVO•IN•ÆETERNUM est un jeu-campagne, c’est-à-dire un « scénario » et un système de jeu intimement liés aux intentions du jeu. Le « scénario » n’est pas achevé puisque la campagne, trop ambitieuse, s’est arrêtée après quelques années devant les assauts de la vraie-vie (celle où les gens déménagent, se disputent, divorcent, ont des enfants, …). J'ai dû mener une bonne quarantaine de séances d'une 10aine d'heures chacune. Et un peu plus de dix ans après l'arrêt, j'en suis encore fier et satisfait.
La seconde est un système de jeu (au minimum un ensemble de mécaniques), nommé au départ
14 Empereurs. J’en ai fait 3 ou 4 versions « majeures ». Au départ prévu pour une campagne bac-à-sable medfan (plus ou moins) dans un univers personnel qui n’a jamais démarré. La deuxième version correspond au moment où il fut cannibalisé pour motoriser une campagne medfan en co-maîtrise (deux meneurs dont moi, alternant ou menant simultanément). Il s’agissait de remettre un peu de règles dans notre pratique freeform, histoire de pouvoir accueillir de nouveaux joueurs qui avaient manifestement besoin d’un socle stable et envie de maîtriser un système. La dernière version date d’il y a à peu près 3 ans et résulte du murissement du système, mais seules quelques parties centrales furent considérées (création de personnage, mécanique de résolution de conflit et un brouillon sur les compteurs d’attrition), le reste fut élagué et remplacé par le retour à plus de freeform. Je nomme cette dernière itération
système « jette un dé », ou
J1D — ou
Jet indé ;) Et je n’en suis pas encore du tout satisfait, même si cela fait des années que nous jouons avec et autour.
Et puis, comme tous les meneurs, j’ai plein d’idées de jeu dans la tête, mais ça ça ne compte pas vraiment. (Pour le moment j’ai 3 jeux avec des intentions claires et abouties, l’un d’eux commence à avoir des idées de système qui commence à ressembler à quelque chose ; 1 jeu plutôt expérimental que j’ai envie de pousser un peu mais dont je ne suis finalement pas sûr de l’intérêt ; 1 jeu réduit à un système de création de personnage, qui serait un jeu en soi, mais je n'ai rien à y connecter ; et encore un ou deux machins qui ne rentrent pas bien dans la case jeu.)
Si vous ne le faites pas, quelles sont les raisons ou les obstacles ? (ça m'intéresse au moins autant que le reste)Tout d'abord il me semble qu'il me faut aborder la question de
pourquoi diffuser ais-je mes jeux ? Moi, je distribuerais mes jeux :
- Pour partager quelque chose d’intéressant,
- Pour affirmer ma manière de voir le jdr,
- Pour faire plaisir,
- Pour apprendre en le faisant,
- Pour satisfaire mon ego (de le faire, d’éventuels retours, de l’obtention d’un statu) .
Et je dois dire que c’est quelque chose qui me trotte en tête depuis longtemps.
Alors, pourquoi ne le fais-je pas ?
Le premier obstacle est d’être sûr d’avoir quelque chose d’intéressant à partager et d’arriver à l’exprimer comme tel. Suis-je capable de bien en évaluer la pertinence et l’intérêt ? Est-ce que je ne juge pas comme intéressant des choses ennuyeuses ou insignifiantes ? Est-ce que je ne laisse pas tomber sans le savoir des choses que les autres trouveraient intéressantes ? Même si j’identifie bien des choses intéressantes à partager, est-ce que d’autres ne le font pas déjà mieux — ou, même, aussi bien — que ce que je pourrais le faire ?
Le second obstacle est la gestion du temps et des priorités. Ma priorité première va à ma famille, c’est le plus important pour moi. Simplement jouer au jeu de rôle est une priorité pour le moment plus importante que d’écrire du jdr, et c’est déjà une lutte permanente pour dégager le temps et l’énergie nécessaire. La création et l’écriture de jdr peut prendre place à des moments où je ne peux pas jouer ni m’occuper de ma famille, donc hors de cette compétition. Par exemple, j’aurais pu y être occupé plutôt que de rédiger ce message (en doutant de va réelle valeur). Mais l’énergie, la période de temps de concentration et de disponibilité nécessaires ne sont pas du tout équivalents. Des moments adéquats, j’en ai trop peu et je ne vois pas comment en créer. Surtout en quantité suffisante. Pourtant c’est un combat que je mène depuis quelques années, depuis que mon temps libre s’est autant réduit.
Le troisième obstacle, étroitement lié à la gestion du temps et de l’énergie, c’est la quantité de travail nécessaire. Penser un jeu et jeter quelques notes suffisamment pour le faire jouer à ses amis, c’est facile. On peut parfaitement improviser quand il y a un problème. Les questions de communication se résolvent beaucoup facilement quand c’est une interaction directe plutôt qu’à travers un média fixé et à sens unique. (Question corolaire : peut-on diffuser un jeu publiquement simplement en en discutant ? Serait-ce un bon format ? Suffisamment accessible ? C’est certainement une piste à explorer et en l’écrivant je me rends compte que j’ai déjà essayé de le faire (et échoué) sans me rendre compte de ce que je faisais.) Il faut que le jeu soit beaucoup plus complet, testé, léché. De même pour la mise en forme. Et je suis bien conscient que le travail ne s’arrête pas là : il faut assurer la diffusion, se rendre réellement disponible, assurer un suivi, … Et s’attaquer à toutes les questions de couts, d’imposition, de légalité, … Une partie de ces tâches me plaît, une autre me rebute profondément. (Il y a bien sûr la « solution » éditeurs, mais…)
Le quatrième obstacle, c’est ma grande tendance à procrastiner.
Le cinquième obstacle est que je suis un papillon, tout m’intéresse — réellement. J’ai fait le compte dans mes priorités, juste derrière « jouer au jdr », il y a 12 autres centres d’intérêt auquels je voudrais bien pouvoir consacrer un temps correct, style 1 à 3 soirée par semaine (et que je ne trouve pas, tu m’étonnes, en première estimation j’aurais besoin de semaines de 52 jours). Seulement 12 parce que j’essayer de me limiter >_< C’est réellement une très grande frustration pour moi, à chaque instant. Je ne saurais me limiter à une-chose-une-seule, et pourtant je sais que cette concentration est à peu près le seul moyen « d’arriver » (quoi que cela veuille dire et quelle en est la valeur ?).
Quand vous le faites, pensez-vous à une diffusion gratuite ou une diffusion payante ? Qu'est-ce qui vous fait basculer de l'un à l'autre ?Je me suis souvent interrogé et je n’ai pas de réponse définitive à ce sujet. Les angles d’approche pertinents sont tellement nombreux sur cette question… Si la question de posait concrètement aujourd’hui, je crois que je tenterais un modèle mixte, avec des éléments fondamentaux gratuits et des bonus payants.
Est-ce que ça change quelque chose à votre façon de jouer ?Je ne pense pas. La frontière entre jouer et créer est tellement perméable !
Voilà, j’espère que vous tirerez quelque chose d’intérêt pour vous de ces réponses. N’hésitez pas à m’interroger si je n’ai pas été clair ou si un point vous interpelle.
Philippe