La bascule : pourquoi diffuser son jeu maison

Un endroit pour discuter autour d'une vieille table et d'alcools.

La bascule : pourquoi diffuser son jeu maison

Message par Thomas Munier » 25 Mars 2014, 14:34

Je suis en train de cogiter à un article sur ce qui pousse à passer de l'état d'esprit "1- je fais des création pour me faire plaisir à moi et à mes copains" à l'état d'esprit "2- je fais des créations pour le public" et j'aimerais beaucoup recenser vos opinions.

Comme on est sur les ateliers imaginaires, j'aimerais qu'on se concentre sur les jeux de rôles.

En gros, si vous avez commencé par faire des jeux pour vos amis, qu'est-ce qui vous a poussé à les mettre à disposition pour un large public ?

Si vous ne le faites pas, quelles sont les raisons ou les obstacles ? (ça m'intéresse au moins autant que le reste)

Quand vous le faites, pensez-vous à une diffusion gratuite ou une diffusion payante ? Qu'est-ce qui vous fait basculer de l'un à l'autre ?

Comment cela fait évoluer le développement de votre jeu ?

Est-ce que ça change quelque chose à votre façon de jouer ?

Les exemples personnels avec des vrais jeux sont préférés à des idées générales.
Énergie créative. Univers artisanaux.
http://outsider.rolepod.net/
Thomas Munier
 
Message(s) : 2003
Inscription : 30 Nov 2012, 12:04

Re: La bascule : pourquoi diffuser son jeu maison

Message par shiryu » 25 Mars 2014, 17:06

qu'est-ce qui vous a poussé à mettre vos jeux pour vos amis à disposition d'un large public ?
le sentiment d'équilibre. J'ai fait du badminton, ça m'a beaucoup apporté et puis à un moment, je me suis dit que c'était à mon tour de donner : j'ai été entraineur et arbitre. Pour le JdR, c'est pareil. A un moment, j'ai beaucoup utilisé ce qu'il y avait sur le net (aide de jeu, scéno, conseils, jeux...) et je me suis dit que c'était à mon tour de partager ce que j'avais. Je voulais mettre mes scénos ou mes aides de jeu. Et puis comme c'était pour des vieux jeux, j'ai laissé tomber en me disant que ça ne servirait à personne. Par contre, dans les petits jeux que je montais, je ne trouvais pas ça en retard car Apocalypse world m'avait bien influencé. Et puis c'était aussi l'occasion de mettre mes règles au propre, bien rédigée, que ça aurait un peu plus de gueule aussi pour moi quand je m'en servirai. Le fait que j'ai franchi ce pas en même temps que Jeronimo, ça aide.
exemple : dogs in rokugan, sacrifices (à venir), flashforward (à venir), un hack de Barbarians of lemuria pour du super-héros.

Si vous ne le faites pas, quelles sont les raisons ou les obstacles ?
en 1, le temps que ça prend. Et l'excuse de se dire que personne ne s'en servira est tellement facile que si on n'y trouve pas vraiment un intérêt pour soi, c'est dur d'aller au bout. Et si je ne joue plus à mon jeu, ça ne me sert plus. Et si j'y joue encore, je préfère passer du temps à écrire des scénos.
exemple : flashforward et le détails des règles du hack de super-héros (je n'y joue plus). Dogs et sacrifices (j'y joue encore et j'ai plein d'idées de scéno).
en 2, les droits d'auteur. Je ne suis pas sûr que tout le monde se pose cette question quand je vois ce qui traine sur le net mais au moment de mettre en ligne, j'ai toujours la trouille.
exemple : dogs in rokugan car sur silentdrift au départ, j'ai posté vraiment que ce qui était de moi, j'ai viré toutes les références à L5A ou DitV. J'ai la même appréhension pour flashforward qui utilise des images de films, idem pour sacrifices mais c'est encore pire puisque je souhaite le vendre (je vous rassure, j'ai résolu mon problème, en partie).

Quand vous le faites, pensez-vous à une diffusion gratuite ou une diffusion payante ? Qu'est-ce qui vous fait basculer de l'un à l'autre ?
Au départ gratuit. Maintenant, un peu payant pour les petits jeux (sacrifices sera le premier) et la raison sera de financer mon projet plus ambitieux et de me faire un peu connaître. Pour mon projet principal (nœuds gordiens), la raison tient en 1 mot : christoph.

Est-ce que ça change quelque chose dans le développement de votre jeu ?
Oui. J'imagine qu'il manque la question "et si oui, quoi ?".
Tout : la présentation, le droit sur les illustrations, la didactique dans l'explication des règles, le fait d'écrire le système complet et pas juste le système de résolution pour que d'autres puissent y jouer (si c'est payant, je considère que l'acheteur achète un jeu, il doit donc pouvoir y jouer. Si c'est gratuit, c'est du partage. Je partage une expérience de jeu, à l'autre d'en faire son propre jeu et d'en tirer sa propre expérience).

Est-ce que ça change quelque chose à votre façon de jouer ?
Des fois, j'ai l'impression de faire du playtest et pas de jouer à un jeu maison. Ca diminue le plaisir. Mais ça, c'est généralement quand je ponds un truc pour le jeu à diffuser. tant que je reste dans l'état d'esprit : "je me fais mon petit jeu à moi pour jouer avec mon potes et après on verra ce que j'en fais", je n'ai pas ce souci (même quand j'ai pondu des trucs branlants, au moins on se marrait, il suffisait d'appliquer la règle "on s'en fout du système, on fait comme on veut").
dernier article : mon premier jeu à venir
Force Céleste : 77
shiryu
 
Message(s) : 349
Inscription : 25 Juin 2012, 13:31

Re: La bascule : pourquoi diffuser son jeu maison

Message par Jeronimo » 26 Mars 2014, 16:29

Si vous avez commencé par faire des jeux pour vos amis, qu'est-ce qui vous a poussé à les mettre à disposition pour un large public ?
Je ne m'étais jamais vraiment posé la question...mais maintenant que j'y réfléchis, cela tient surtout à deux raisons :
- la première raison c'est qu'à l'époque de mes premières réalisations (je pense notamment à ma tentative d'adaptation de JRTM à GURPS (ne me demandez pas aujourd'hui pourquoi j'avais voulu faire ça à l'époque...)), je n'avais pas accès aussi facilement au net que maintenant ou durant ces dernières années, et j'étais nettement moins assidu aux forums de discussion sur le jeu de rôle ou aux autres sites rôlistes qu'à l'heure actuelle,
- la deuxième raison tient plus de la nature "indie" des jeux à partir desquels j'ai réalisé dernièrement des adaptations / "scénarios" / personnages pré-tirés; par exemple dans l'ordre d'ancienneté : Wushu, Dogs in the Vineyard, Sorcerer, et enfin Agôn. En mettant à disposition du public mes réalisations, je comptais faire en quelque sorte la promotion de ces jeux qui abordaient de manière originale ce que faisaient traditionnellement les jeux de rôles "grand public" depuis de nombreuses années. En présentant comment ces jeux "indies" peuvent être adaptés à des univers classiques et très connus (Pathfinder, Star Wars, Bloodlust, la Terre du Milieu de Tolkien) et comment ils permettent d'aborder bien mieux que les systèmes de jeu traditionnels un pan totalement négligé des thématiques présentes dans ces univers, j'espérais attirer l'attention et l'intérêt d'autres joueurs vers ces jeux "indies".

Si vous ne le faites pas, quelles sont les raisons ou les obstacles ?
Clairement comme Shiryu, c'est une question de temps...et de motivation. Entre la compilation d'idées dans un bête fichier word et la réalisation d'un document avec des idées organisées, une mise en page "non stalinienne", et des illustrations "chatoyantes", il y a une différence de travail importante. Je me fais peut être une fausse idée, mais de mon point de vue j'ai du mal à concevoir que quelqu'un prendra le temps de lire un document aride de plusieurs pages et mal "branlé". Lorsque je vois le retour inexistant ou presque que j'ai reçu en regard de mes réalisations, alors que mon adaptation "De Chair & d'Acier" a été téléchargé 300 fois depuis octobre 2012 et "Ar-Agôn : La Communauté" près de 200 fois depuis octobre 2013, et ce en comparaison du travail que cela a demandé (principalement en termes d'assimilation du texte en anglais pour mon adaptation de Sorcerer, et un important travail de mise en page pour Ar-Agôn), c'est parfois à se demander si le jeu en vaut la chandelle (même si ce n'est qu'un bout de chandelle).

Quand vous le faites, pensez-vous à une diffusion gratuite ou une diffusion payante ? Qu'est-ce qui vous fait basculer de l'un à l'autre ?
Je n'ai pas encore basculé du côté "diffusion payante". Je me suis déjà frotté aux problèmes d'obtenir l'autorisation d'ayants droits pour les concours Vieux Pots, Nouvelles Soupes; et clairement ce qui me freinerait en dernier lieu, c'est tout l'aspect "réglementaire" autour de la sortie d'un jeu en mode payant. Si je persévère dans ce travail de création ce n'est pas pour l'aspect pécunier mais bien pour l'aspect "créatif", aspect qui manque le plus dans mon boulot quotidien...
Du coup ce qui pourrait me faire basculer de l'un à l'autre...je ne sais pas...ou en tout je n'ai pas encore créé le jeu qui me fera franchir ce pas.

Comment cela fait évoluer le développement de votre jeu ?
Alors d'un point de vue purement spéculatif, je dirais que le résultat final devrait être encore plus irréprochable que dans mes réalisations actuelles (mise en page, clarté des propos, pédagogie, illustrations utiles et inspirantes, etc.). Mes principales réalisations l'étaient dans le cadre de concours, et cela imposait un calendrier et souvent des délais serrés pour rendre un document finalisé. Si je devais réaliser un jeu en-dehors de toute contrainte temporelle extérieure, il faudrait que je m'impose un planning de développement à la fois réaliste mais stricte pour éviter une dérive ad vitam eternam...et surtout que j'arrive à mettre mon côté pinailleur de côté en fin de réalisation pour enfin lâcher prise sur le jeu.

Est-ce que ça change quelque chose à votre façon de jouer ?
Le but premier d'une partie de jeu de rôle est qu'à la fin de la session tout le monde soit satisfait de l'expérience de jeu qu'il vient de vivre et que ça corresponde au mieux à ses attentes. Dans le cadre du développement d'un jeu et des playtests associés, j'imagine qu'il doit être plus difficile d'être à 100% dans le moment présent de la partie, sachant qu'on cherche à vérifier si tel ou tel mécanisme de jeu fonctionne dans le sens qu'on envisageait au moment de son élaboration.
You can roleplay and talk in funny voice with any RPG, but only a good RPG will talk back.
Luke Crane

Dernier article sur mon blog: Principes de la philosophie stoïcienne - Mise en place d'une routine
Jeronimo
 
Message(s) : 16
Inscription : 14 Nov 2012, 11:29

Re: La bascule : pourquoi diffuser son jeu maison

Message par Thomas Munier » 21 Juin 2014, 14:46

Je m'étais promis de répondre moi-même au questionnaire, et puis je passé sous un long tunnel de travail. Mais mieux vaut tard que jamais :

En gros, si vous avez commencé par faire des jeux pour vos amis, qu'est-ce qui vous a poussé à les mettre à disposition pour un large public ?

J'ai toujours préparé mes jeux par dessin ou par écrit, même quand j'étais enfant. J'ai des carnets entiers remplis de donjons pour Hero Quest, Warhammer Quest et l'Appel de Cthulhu dans la maison de mon père.

Image

Mais si j'ai commencé dès le lycée à écrire des romans dans l'optique de les publier, le jeu est longtemps resté pour moi dans la sphère du loisir, du privé. Je crois que j'ai eu le déclic d'abord en fréquentant les forums sur internet. En 2004, je participais pas mal au forum de tentacules.net, et j'avais créé un fil pour brainstormer sur un scénario de l'Appel de Cthulhu : Ce qui vient de la terre. J'ai rédigé mon scénario au propre et je l'ai soumis à la scénariothèque du site, en gage de gratitude pour ceux qui m'avaient aidé à brainstormer. C'était juste une dizaine de pages tapées sous word, avec une photo toute moche et un plan tout aussi moche.

Après, j'ai fait pas mal de conventions et je me suis impliqué dans l'associatif. C'est ce qui m'a donné envie de faire sortir ma pratique du jeu de rôle du cadre amical. Pour une convention, j'avais créé des wargames en légo (un remake post-apo d'Assaut ! de John Carpenter, puis "Le Choc des Armadas", un wargame de vaisseaux spatiaux en 3D l'année suivante).

Image

Puis un grand PMT d'initiation, mêlant plateaux de Cadwallon, figurines de Descent et règles de Barbarians of Lemuria, que j'avais appelé "Le Plus Grand Donjon du Monde". ça a eu un petit succès, mais rien de colossal, rien qui aurait pu me pousser à perséverer. Je crois que la passion de créer ou de hacker des jeux était en fait plus forte que la recherche de succès, sinon j'aurais laissé tomber.

En 2006, j'ai l'idée de Millevaux, mon univers post-apocalyptique forestier, je fais 6 campagnes avec mes copains et quelques one-shot en asso et en conv. En 2007, 2008, je découvre le forum Antonio Bay, et je m'amuse à présenter cet univers dans la section "Workshop". Là encore, quelques personnes s'y intéressent, sans plus, mais c'est surtout les encouragements de Johan Scipion qui me poussent à perséverer. Comme de toute façon, cet univers de Millevaux continue à me hanter, je continue à y consacrer mon temps libre, et forcément, l'envie de sortir des documents publics en découle. Et aujourd'hui, ça y est, c'est fait. Millevaux Sombre et Inflorenza sont parus. Et un autre jeu de rôle également.

Si vous ne le faites pas, quelles sont les raisons ou les obstacles ? (ça m'intéresse au moins autant que le reste)

J'ai toujours eu de la chance avec mes copains, mes jeux marchaient bien. Mais je n'ai jamais réussi à savoir si en dehors de mon cercle amical, ce que je faisais pouvait intéresser des gens. En réalité, y'en avait, un. Y'a des joueurs rencontrés en convention qui suivent ce que je fais depuis des années. Je les salue au passage, ils sont mon carburant. Aujourd'hui, je sais qu'il y en a que ça intéresse, bien assez pour que ça vaille le coup. L'essentiel, c'est de bosser sur eux et de ne pas se désoler pour ceux qu'on ne capte pas.

Quand vous le faites, pensez-vous à une diffusion gratuite ou une diffusion payante ? Qu'est-ce qui vous fait basculer de l'un à l'autre ?

Au départ, c'était tout gratuit, en PDF : le premier PDF de Millevaux (alors prévu comme un supplément pirate pour l'Appel de Cthulhu), le fanzine Putride N°1, le scénario Mildiou... C'était logique parce que je savais que je n'étais qu'un amateur et ça me convenait très bien. Puis j'ai réalisé que mon boulot sur le jeu de rôle pouvait cadrer dans mon envie de devenir créatif à plein temps. Pour devenir créatif à plein temps, comme le revenu de base inconditionnel n'existe encore pas, et comme je ne croyais pas aux dons à l'époque (et Patreon n'existait pas, à l'époque, et Ulule, je ne connaissais pas bien), il fallait trouver des revenus, ou au moins me prouver que c'était possible d'en trouver. Alors, je me suis dit que j'allais vendre mes bouquins. ça n'aurait pas été possible à l'époque sans l'impression à la demande, qui m'a permis de le faire vite (démarcher un éditeur aurait été trop long pour moi, et compliqué car ce que j'avais à proposer était sous licence d'un jeu indépendant, Sombre. Quant au livre artisanal, même si l'idée me hantait déjà, je n'avais pas les épaules pour m'y lancer à l'époque.). Mais la convivialité de la diffusion gratuite me plaisait trop pour que j'arrête tout à fait. Alors il y a les versions texte librement téléchargement.

Comment cela fait évoluer le développement de votre jeu ?


En matière de mécaniques, pas tellement. J'ai toujours mis les mains dans le cambouis, même au collège quand je jouais à Hero Quest, je bidouillais le jeu à l'extrême. Et je me suis intéressé au game design presque du moment que j'ai commencé à utiliser internet. En fait, j'écris les jeux comme j'aime y jouer. Des jeux outsider, étranges, un peu bordeliques, à la recherche de nouveauté, mais aussi d'efficacité ludique.

Est-ce que ça change quelque chose à votre façon de jouer ?

Sans doute que je playteste davantage, mais c'est plus le contact de Johan Scipion et des forums Silentdrift / les Ateliers Imaginaires qu'une visée professionnelle. En fait, l'expérience a plus de poids dans ma façon de jouer que la visée professionnelle. Je m'amuse toujours autant qu'avant. (sinon plus, maintenant que je suis meilleur MJ et game designer)
Énergie créative. Univers artisanaux.
http://outsider.rolepod.net/
Thomas Munier
 
Message(s) : 2003
Inscription : 30 Nov 2012, 12:04

Re: La bascule : pourquoi diffuser son jeu maison

Message par Sildoenfein » 11 Juil 2014, 11:43

Thomas m’ayant confirmé qu’il était autant intéressé par la réponse de ceux qui n’ont pas diffusé leur(s) jeu(x), je me lance également.

En gros, si vous avez commencé par faire des jeux pour vos amis, qu'est-ce qui vous a poussé à les mettre à disposition pour un large public ?

Je pense qu’en jdr, la frontière entre l’acte de jeu et la conception est assez floue est perméable. Joueur, meneur, créateur, auteur : c’est un continuum. Beaucoup plus que dans d’autres activités culturelles : la distance entre lecteur et auteur (ou éditeur), ou entre spectateur et un des nombreux métiers du cinéma est beaucoup plus vaste. Il m’est donc très naturel de créer un jeu.

Dans ce cadre, par créer un jeu, j’entends concevoir quelque chose qui soit plus développé qu’un scénario ou une situation préparé pour un jeu existant. Quelque chose qui va au-delà de la règle ou de l’élément inventé pour une situation précise temporaire, mais dans une vision à plus long terme.
Oui, je fais des jeux pour mes amis. Pas de nombreux jeux. Par « pour mes amis », j’entends à la fois créer un jeu pour leur faire jouer moi-même (surtout), et créer un jeu pour que mes amis y jouent sans moi (un peu). Je ne fais pas des jdr pour moi tout seul, le but est toujours de les montrer, de les utiliser.

Et non, je ne les ai pas mis à disposition pour un large public.

Je compte deux réalisations que je trouve significatives et abouties.

La première, AB•OVO•IN•ÆETERNUM est un jeu-campagne, c’est-à-dire un « scénario » et un système de jeu intimement liés aux intentions du jeu. Le « scénario » n’est pas achevé puisque la campagne, trop ambitieuse, s’est arrêtée après quelques années devant les assauts de la vraie-vie (celle où les gens déménagent, se disputent, divorcent, ont des enfants, …). J'ai dû mener une bonne quarantaine de séances d'une 10aine d'heures chacune. Et un peu plus de dix ans après l'arrêt, j'en suis encore fier et satisfait.

La seconde est un système de jeu (au minimum un ensemble de mécaniques), nommé au départ 14 Empereurs. J’en ai fait 3 ou 4 versions « majeures ». Au départ prévu pour une campagne bac-à-sable medfan (plus ou moins) dans un univers personnel qui n’a jamais démarré. La deuxième version correspond au moment où il fut cannibalisé pour motoriser une campagne medfan en co-maîtrise (deux meneurs dont moi, alternant ou menant simultanément). Il s’agissait de remettre un peu de règles dans notre pratique freeform, histoire de pouvoir accueillir de nouveaux joueurs qui avaient manifestement besoin d’un socle stable et envie de maîtriser un système. La dernière version date d’il y a à peu près 3 ans et résulte du murissement du système, mais seules quelques parties centrales furent considérées (création de personnage, mécanique de résolution de conflit et un brouillon sur les compteurs d’attrition), le reste fut élagué et remplacé par le retour à plus de freeform. Je nomme cette dernière itération système « jette un dé », ou J1D — ou Jet indé ;) Et je n’en suis pas encore du tout satisfait, même si cela fait des années que nous jouons avec et autour.

Et puis, comme tous les meneurs, j’ai plein d’idées de jeu dans la tête, mais ça ça ne compte pas vraiment. (Pour le moment j’ai 3 jeux avec des intentions claires et abouties, l’un d’eux commence à avoir des idées de système qui commence à ressembler à quelque chose ; 1 jeu plutôt expérimental que j’ai envie de pousser un peu mais dont je ne suis finalement pas sûr de l’intérêt ; 1 jeu réduit à un système de création de personnage, qui serait un jeu en soi, mais je n'ai rien à y connecter ; et encore un ou deux machins qui ne rentrent pas bien dans la case jeu.)


Si vous ne le faites pas, quelles sont les raisons ou les obstacles ? (ça m'intéresse au moins autant que le reste)

Tout d'abord il me semble qu'il me faut aborder la question de pourquoi diffuser ais-je mes jeux ? Moi, je distribuerais mes jeux :
  • Pour partager quelque chose d’intéressant,
  • Pour affirmer ma manière de voir le jdr,
  • Pour faire plaisir,
  • Pour apprendre en le faisant,
  • Pour satisfaire mon ego (de le faire, d’éventuels retours, de l’obtention d’un statu) .

Et je dois dire que c’est quelque chose qui me trotte en tête depuis longtemps.

Alors, pourquoi ne le fais-je pas ?

Le premier obstacle est d’être sûr d’avoir quelque chose d’intéressant à partager et d’arriver à l’exprimer comme tel. Suis-je capable de bien en évaluer la pertinence et l’intérêt ? Est-ce que je ne juge pas comme intéressant des choses ennuyeuses ou insignifiantes ? Est-ce que je ne laisse pas tomber sans le savoir des choses que les autres trouveraient intéressantes ? Même si j’identifie bien des choses intéressantes à partager, est-ce que d’autres ne le font pas déjà mieux — ou, même, aussi bien — que ce que je pourrais le faire ?

Le second obstacle est la gestion du temps et des priorités. Ma priorité première va à ma famille, c’est le plus important pour moi. Simplement jouer au jeu de rôle est une priorité pour le moment plus importante que d’écrire du jdr, et c’est déjà une lutte permanente pour dégager le temps et l’énergie nécessaire. La création et l’écriture de jdr peut prendre place à des moments où je ne peux pas jouer ni m’occuper de ma famille, donc hors de cette compétition. Par exemple, j’aurais pu y être occupé plutôt que de rédiger ce message (en doutant de va réelle valeur). Mais l’énergie, la période de temps de concentration et de disponibilité nécessaires ne sont pas du tout équivalents. Des moments adéquats, j’en ai trop peu et je ne vois pas comment en créer. Surtout en quantité suffisante. Pourtant c’est un combat que je mène depuis quelques années, depuis que mon temps libre s’est autant réduit.

Le troisième obstacle, étroitement lié à la gestion du temps et de l’énergie, c’est la quantité de travail nécessaire. Penser un jeu et jeter quelques notes suffisamment pour le faire jouer à ses amis, c’est facile. On peut parfaitement improviser quand il y a un problème. Les questions de communication se résolvent beaucoup facilement quand c’est une interaction directe plutôt qu’à travers un média fixé et à sens unique. (Question corolaire : peut-on diffuser un jeu publiquement simplement en en discutant ? Serait-ce un bon format ? Suffisamment accessible ? C’est certainement une piste à explorer et en l’écrivant je me rends compte que j’ai déjà essayé de le faire (et échoué) sans me rendre compte de ce que je faisais.) Il faut que le jeu soit beaucoup plus complet, testé, léché. De même pour la mise en forme. Et je suis bien conscient que le travail ne s’arrête pas là : il faut assurer la diffusion, se rendre réellement disponible, assurer un suivi, … Et s’attaquer à toutes les questions de couts, d’imposition, de légalité, … Une partie de ces tâches me plaît, une autre me rebute profondément. (Il y a bien sûr la « solution » éditeurs, mais…)

Le quatrième obstacle, c’est ma grande tendance à procrastiner.

Le cinquième obstacle est que je suis un papillon, tout m’intéresse — réellement. J’ai fait le compte dans mes priorités, juste derrière « jouer au jdr », il y a 12 autres centres d’intérêt auquels je voudrais bien pouvoir consacrer un temps correct, style 1 à 3 soirée par semaine (et que je ne trouve pas, tu m’étonnes, en première estimation j’aurais besoin de semaines de 52 jours). Seulement 12 parce que j’essayer de me limiter >_< C’est réellement une très grande frustration pour moi, à chaque instant. Je ne saurais me limiter à une-chose-une-seule, et pourtant je sais que cette concentration est à peu près le seul moyen « d’arriver » (quoi que cela veuille dire et quelle en est la valeur ?).


Quand vous le faites, pensez-vous à une diffusion gratuite ou une diffusion payante ? Qu'est-ce qui vous fait basculer de l'un à l'autre ?

Je me suis souvent interrogé et je n’ai pas de réponse définitive à ce sujet. Les angles d’approche pertinents sont tellement nombreux sur cette question… Si la question de posait concrètement aujourd’hui, je crois que je tenterais un modèle mixte, avec des éléments fondamentaux gratuits et des bonus payants.


Est-ce que ça change quelque chose à votre façon de jouer ?

Je ne pense pas. La frontière entre jouer et créer est tellement perméable !


Voilà, j’espère que vous tirerez quelque chose d’intérêt pour vous de ces réponses. N’hésitez pas à m’interroger si je n’ai pas été clair ou si un point vous interpelle.


Philippe
Philippe D. / Sildoenfein - [G+] Attention : intervenant à éclipses. Avertissement : incapacité chronique à clôturer une conversation. Bien agiter avant l'usage. Ne pas dépasser la dose prescrite. "Le belge, là."
Sildoenfein
 
Message(s) : 72
Inscription : 27 Mars 2014, 00:39
Localisation : Wallonie, Belgique

Re: La bascule : pourquoi diffuser son jeu maison

Message par Thomas Munier » 11 Juil 2014, 12:27

Merci à toi Philippe, c'est très intéressant !

Notamment ça :
Question corolaire : peut-on diffuser un jeu publiquement simplement en en discutant ? Serait-ce un bon format ? Suffisamment accessible ?]


Qui sait ? On pourrait par exemple envisager des jeux sous formes de vidéos ou de podcasts ? Il pourrait s'agir de laïus appris par coeur, ou de réflexions à haute voix.

De même que j'ai dit ça récemment :
Je pense aussi que les joueurs seront de plus en plus enclins à créer eux-mêmes leurs propres jeux de rôles. Dans vingt ans, il y aura peut-être autant de livres pour créer son jeu de rôle que de manuels de jeu de rôle.


Ainsi, présenter un jeu sous forme de brainstorming, n'est-ce pas déjà diffuser un jeu ?
Énergie créative. Univers artisanaux.
http://outsider.rolepod.net/
Thomas Munier
 
Message(s) : 2003
Inscription : 30 Nov 2012, 12:04

Re: La bascule : pourquoi diffuser son jeu maison

Message par Sildoenfein » 14 Juil 2014, 17:00

Ce qui évoque tout de suite la question sous-jacente, certainement conflictuelle et peut-être pas si intéressante que cela : qu'est-ce qu'un jeu ? :D

Je pense que diffuser un jeu en en discutant (je pensais sur un forum, via un blog, car je suis assez attaché à l'écrit qui permet un accès direct), c'est diffuser des petits bouts de jeu, qui arrivent séquentiellement avec de degrés de maturité différents, et donc pas parfaitement ajustés les uns aux autres. C'est peut-être ne jamais terminer son jeu (est-ce grave ?). C'est certainement, si l'on en discute réellement, accepter de perdre le contrôle de son jeu plus rapidement, peut-être même avant d'en avoir terminé la première réelle itération de conception. J'y vois trois problèmes potentiels. Premièrement, cela peut-être difficile à accepter et créer des tensions destructrices. Secondement, l'on risque de perdre la pureté du "un seul auteur, une seule vision, pas de compromis", de partir sur d'autres pistes à cause des pressions sociales, de ne jamais explorer ce que l'on aurait exploré seul. C'est le revers de la médaille d'un enrichissement par la collectivité. Troisièmement, le "public" ne reçoit pas "un jeu", mais des petit bouts, quand commence-t-on à y jouer ? À partir de quand respecte-t-on le jeu "par le livre" et quand le drifte-t-on ? J'y vois également des avantages certains : tâche moins intimidante car l'auteur peut commencer petit. Il est explicite qu'il livre des éléments non achevés, au minimum dans leur mise en forme, si ce n'est dans leur conception. La participation d'une communauté (existante ? à créer ? et à gérer) peut enrichier très fort le jeu, révéler les points qui demandent de l'attention et éviter que l'auteur ne se perde dans des considérations égoïstes.

Ne fut-ce pas de toute façon le mode de "diffusion" des théories de la Forge ? Les résultats sont-ils probants ? Sont-ils extrapolables à un jeu ?


Philippe
Philippe D. / Sildoenfein - [G+] Attention : intervenant à éclipses. Avertissement : incapacité chronique à clôturer une conversation. Bien agiter avant l'usage. Ne pas dépasser la dose prescrite. "Le belge, là."
Sildoenfein
 
Message(s) : 72
Inscription : 27 Mars 2014, 00:39
Localisation : Wallonie, Belgique

Re: La bascule : pourquoi diffuser son jeu maison

Message par Thomas Munier » 14 Juil 2014, 19:28

Disons que ce mode de diffusion, par "ashcans", permet à certains jeux de constituer une réputation et une base de playtesteurs longtemps avant leur achèvement potentiel : c'est le cas des Cordes Sensibles, de Frédéric Sintes.

Tu noteras qu'on pourra extrapoler tes questions à la traditionnelle suite livre de base + suppléments si fréquente en JDR : à partir de combien de livres le jeu est-il jouable ? (certains prétendent que Les Ombres d'Esteren n'est pas jouable tant qu'on n'a pas le livre des secrets... toujours loin des radars quand le livre de base 'est sorti il y a maintenant des années).

Quelle est la taille critique pour une gamme ?

Sous la Lumière des Etoiles d'Epidiah Ravachol est une gamme de jeu de rôle dont chaque tome a le format... d'une carte de visite !

Quand à ta question de la pureté de l'œuvre couvée loin du public contre la richesse d'une création en open source... C'est aussi un débat passionnant qui peut être extrapolé aux jeux professionnels... Et comme tout ceci est lié à internet, la limite entre jeu de rôle amateur et jeu professionnel en prend encore un coup.
Énergie créative. Univers artisanaux.
http://outsider.rolepod.net/
Thomas Munier
 
Message(s) : 2003
Inscription : 30 Nov 2012, 12:04


Retour vers Discutons game-design

LES JEUX DES ATELIERS IMAGINAIRES

cron