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sexisme / racisme et autre, on en parle?

27 Avr 2016, 12:40

Petit post rapide suite à un post sur un autre forum (Casus NO) ou un jeu de rôle en financement participatif a reçu une volée de bois vert car jugé "sexiste"
Pour moi je vois pas le problème, le propos c'est qu'on joue des 1%, frange minoritaire de bikers américains, mâles, blancs, cis genre et hétéros qui sont au final des beaux salauds.
Qu'en pensez vous d'une part ? D'autre part (et plus important / à sa place ici), croyez vous que les questions de sexisme / racisme et autre doivent être posées / discutées dans le cadre du game design du jeu ? Perso je crée un jeu maison de super héros (dont un compte rendu a été posté ici il y a déjà un moment et qui s'appelle SuperSix) et me suis pas posé la question. La pré tirée du kit de découverte, son costume est sexy, logique c'est pour moi "l'imaginaire" des comics

Re: sexisme / racisme et autre, on en parle?

27 Avr 2016, 16:23

OK, je vais essayer de clarifier ce qui pose ici problème, selon moi. Le sujet dont il est question dans le message précédent se trouve ici.
Rappelons d'abord que les réactions viennent d'abord des illustrations, on ne sait rien du texte du jeu et on ne sait pas quelles sont les intentions exactes de l'auteur (dans quelle mesure a-t-il voulu ces illustrations ? comme traite-t-il cette question dans son jeu ?), donc gardons tout ceci en perspective.

Faire vendre avec des femmes
Tout d'abord, le problème n'est pas de jouer des personnages sexistes, le problème ici c'est l'utilisation des femmes aux canons de beauté standardisés et en les hypersexualisant pour vendre, ce qu'on appelle le publisexisme. Ça n'a rien à voir avec la « réalité » de l'univers du jeu, sinon il faudrait aussi montrer le racisme des bikers américains ou leur nationalisme.
Ce n'est pas un cas isolé, c'est une utilisation répétée, à la fois dans le jeu de rôle et dans la publicité. Elle est systématisée et elle renforce le stéréotype des femmes objets, en les enfermant dans ce seul rôle et en rejetant hors de la féminité standard les femmes qui ne correspondent pas à certains canons.
Ce qu'on attaque ici, ce n'est pas l’œuvre « 1% », c'est le phénomène systématique de la représentation hypersexualisée et passive des femmes pour faire vendre, qui s'incarne dans ces illustrations.
Un bon bouquin sur la question du publisexisme: Contre les publicités sexistes de Petrucci, Vientiane et Vincent.

Stéréotypes sexistes
De plus, cette représentation de la femme ne correspond ni aux canons esthétiques, ni à la réalité des gangs de motards.
Comme le signalait un intervenant sur le fil de discussion, les femmes de Sons of Anarchy te foutent une beigne si tu les traites comme ça, et j'ajouterais que leurs physiques ne sont pas standardisés comme ça. Et la question d'être une femme dans un gang de motards réel est bien plus complexe que celle qui est décrite ici, voir ces quelques liens de recherche en sociologie pour se donner une idée: WOMEN IN OUTLAW MOTORCYCLE GANGS (Hoper & Moore 1990), Don't Call Me “Biker Chick”: Women Motorcyclists Redefining Deviant Identity (Thompson 2012), une critique de Bike Lust: Harleys, Women & American Society de Delany 2002, qui comme par « This book is about debunking stereotypes and its effective », càd « Ce livre cherche à en finir avec les stéréotype et ça marche. »

Donc l'argument de dire « oui mais dans la réalité c'est comme ça » ne fonctionne ici donc absolument pas.
Et j'avoue que justifier un choix sexiste en disant « oui, mais c'est dans les inspirations de base » me semble être une impasse, ou au pire de la mauvaise foi. Si le matériel de base était raciste, homophobe ou antisémite, on ferait pareil ? Et de toute façon, l'auteur est libre de prendre ses propres décisions et de choisir de laisser les comportements discriminatoires dans le passé plutôt que de les répéter et continuer à les faire vivre.
Quant à ceux qui prétendent être vraiment intéressés par ces comportements discriminatoires dans leur œuvre, qu'ils nous le montrent réellement ! A aucun moment de l'histoire les dominés n'ont été passifs face aux dominations, ils ont réagi, résisté, négocié, etc. Il y aurait par exemple des jeux formidables à écrire pour parler de la condition des esclaves noirs dans une plantation de coton au début du 19ème siècle.

Les conséquences de la représentation des femmes
On voit souvent l'argument « si vous n'aimez pas, n'achetez et n'en dégoûtez pas les autres » ou bien « oui, c'est un choix, c'est pas pour tout le monde ». Cet argument non plus ne marche pas parce que la question de la représentation des femmes n'est pas une question de goût. Cette représentation des femmes a des conséquences, pour elles et pour le jeu de rôle. Dit autrement: ce n'est pas une question d'esthétique, c'est une question d'éthique.

Les conséquences pour les individus sont nombreuses. Pour les femmes, c'est la multiplication de standards de beauté absurdes (qui peuvent mener à des choses graves comme l'anorexie 1, 2) et plus largement miner la confiance en soi; c'est aussi renforcer des rôles de genre comme l'idée que les femmes doivent être passives, ne peuvent pas être les protagonistes de leur histoire (la demoiselle en détresse et d'autres tropes du même genre).
Pour les hommes, c'est plus complexe, mais grosso modo, c'est la baisse de la sensibilité aux questions de sexisme. Les images que nous voyons et les mots que nous disons ne sont pas anodins ou neutres. Ils ont des conséquences sur les comportements (par exemple, les blagues sexistes tendent à augmenter la tolérance des hommes aux questions de viols: 1, 2). L'hypersexualisation des modèles féminins joue ici un rôle puisque ça renforce l'idée que le corps des femmes serait librement à la disposition des hommes hétéro.
Alors on peut dire « oui mais c'est un jeu de rôle, c'est à chacun de faire comme il veut ». OK, mais ce n'est pas le message que le jeu semble donner, il faut tordre l’œuvre pour en faire quelque chose de non-discriminatoire.

Concernant le média jeu de rôle soi-même, ça a des conséquences en termes de représentation et de population.
En étant sexiste on éloigne les femmes du jeu de rôle. On ne peut pas à la fois pleurer que le jeu de rôle serait en train de mourir, qu'il y a de moins en moins de gens qui jouent au jeu de rôle, et entretenir en même temps un environnement hostile (sexiste et/ou raciste et/ou homophobe, etc.) envers certaines catégories de personnes qui seront incitées à aller voir ailleurs.
Certains disent « oui mais je connais des femmes qui aiment les blagues sexistes ! » OK, mais d'une part ce n'est pas sûr que ce n'est pas pour s'intégrer à un milieu sexiste, c'est-à-dire pour ne pas être obligée de devoir être en conflit tout le temps, et d'autre part, je suis à peu près certain que ce pas vrai pour une vaste majorité de femmes !
Et plus largement, j'aimerais que le jeu de rôle soit considéré comme un médium majeur, au même titre que la littérature, le cinéma ou le jeu vidéo (lequel est encore jeune dans cette position). Ça suppose qu'il puisse répondre à des critiques complexes comme celles de la représentation des femmes, des questions de racisme, de représentation des groupes sociaux dominés, etc. (discussion enflammée ici par exemple) Se poser ces questions et y répondre, à la fois comme acheteur de jdr et comme auteurs de jdr, c'est faire progresser le média dans son ensemble.
Je terminerais cette partie en rappelant qu'on a le droit à la fois d'aimer une œuvre ou d'un média (par exemple le jeu de rôle) et en être critique. Ce n'est pas une question d'être pour ou contre (et pour être clair, je n'ai jamais joué à « 1% », je n'ai donc aucun avis dessus), c'est une question de connaître les limites de l’œuvre ou d'un média et de pouvoir les repousser. J'aurais même tendance à penser qu'être critique sur ce qu'on aime, c'est le meilleur service qu'on puisse lui rendre.

Des solutions ?
Ce qui est singulier dans ce cas-là, c'est qu'il pourrait être passionnant de jouer une femme dans cet univers social, justement parce que c'est un univers sexiste, où la masculinité toxique est puissante, et que ça exige des femmes qui y vivent
des arrangements, des négociations d'identité et d'espace, des comportements particuliers. Jouer une femme âgée, comme Gemma dans Sons of Anarchy, qui a passé sa vie dans un gang de bikers et qui doit continuer à se faire sa place, ça peut être une expérience géniale ! Il peut être très intéressant de jouer des dominés dans un milieu de dominants.
On peut parler de domination, mais il faut le faire de façon juste, en montrant que la réalité est complexe, sous peine de répéter passivement cette domination en faisant croire qu'elle est « naturelle », que les individus ne peuvent pas y résister ou la changer.

Je pense d'ailleurs que c'est une bien meilleure solution que vouloir faire des femmes fortes et indépendantes, ce qui n'est pas en soi émancipateur, puisqu'on peut très bien ainsi légitimer le regard hétérosexuel masculin et les canons de beauté standardisés (promis cette fois-ci, ce n'est pas un lien vers un article de recherche), et on s'en rend très bien compte quand on applique les poses et les vêtements "empowering" à des personnages masculins, comme dans le projet Hawkeye, à voir absolument !

La solution c'est des personnages féminins capables d'être les protagonistes de leurs histoires, capables de prendre un vaste ensemble de rôles, capables d'avoir des émotions larges, etc. Des personnages féminins comme ceux de J.K. Rowling ou Hayao Miyazaki sont exemplaires de ce point de vue: capables de déclencher des guerres, de les arrêter, capables de diriger une entreprise, capables de se battre, capables d'être faibles et désorientées, capables d'être tristes, capables d'être intelligentes, capables d'être le méchant de l'histoire, capables d'être moralement ambiguës, etc. Et surtout: elles ne sont JAMAIS réduites à l'un de ces rôles.
Et c'est aussi intégrer toutes les femmes: y compris celles qui sont racialisées, y compris celles qui sont petites, grandes, grosses, maigres, y compris celles qui sont transgenres, y compris celles qui sont malades ou handicapées, y compris celles qui ne correspondent pas aux canons de beauté standards, y compris celles qui ne sont pas hétéros, etc.

Et pour y parvenir il ne suffit pas de « ne rien faire », d'être « neutre », il faut le vouloir et y réfléchir parce que nous sommes porteurs de représentations et de comportements sexistes que nous reproduisons automatiquement si nous n'y prêtons pas attention. Ça demande du travail sur soi et dans nos œuvres et ça demande d'être critique les uns envers les autres.

[EDIT: supprimé quelques coquilles et tournures de phrases bizarres]
Dernière édition par Fabien | L'Alcyon le 27 Avr 2016, 23:07, édité 1 fois.

Re: sexisme / racisme et autre, on en parle?

27 Avr 2016, 17:14

[je supprime une partie du post, trop virulente]

C'est cool de jouer des gros bikers à fusil à canon scier qui dealent de la drogue et disent "fuck you" à la loi ? Pourquoi pas. Mais pourquoi on pourrait pas proposer la même chose pour les persos féminins ? Elles ont pas le droit d'avoir du bide ? Un fusil ? De refuser qu'on leur marche sur les pieds ? De diriger un gang ? Ca n'intéresse ni joueurs ni joueuses ? Les premiers veulent tous se rincer l’œil, les secondes aspirent toutes à un idéal véhiculé par Dorcel & co ? Est-ce que ce serait pas plus subversif de faire enfin un jeu où les persos féminins ont le droit d'être différents ?

Re: sexisme / racisme et autre, on en parle?

27 Avr 2016, 17:53

J'ajouterai que l'argument comme quoi "les tables feront ce qu'elles veulent et feront jouer des femmes si elles le veulent" est moisi.

Re: sexisme / racisme et autre, on en parle?

27 Avr 2016, 18:14

Mon petit grain de sel et avis modeste :

Quand j'ai vu ce projet, ma PREMIERE réaction a été "Et voilà, encore une nana à moitié à poil sur la couverture".

Je ne reviendrai pas sur tout ce que Fabien a dit, que je soutiens totalement, notamment sur l'objectification des femmes et l'évolution du regard sur le corps féminin que cela génère.

Le JDR peut (à mon humble avis) traiter d'à peu près toutes les thématiques.... Si c'est fait intelligement et s'il y a les avertissements nécessaires.
Jouer des loubards sexistes et racistes à moto, ok, je vois pas le problème. Mais pourquoi ces représentations? Quel lien avec la réalité du monde des biker que ces minettes sorties de comics qui se taillent toutes le même 34, le même 95D, et la même "snake spine"?

J'en ai assez des représentations faussées des femmes. Cela fait un mal fou, je le vois tous les jours, je l'ai vécu, je sais que voir des femmes de ce type dans TOUS les médias à 15 ans ça te fait culpabiliser sur ton pantalon taille 40. C'est un vrai gros travail que de se débarasser de ça, et ce travail passe par les supports de diffusions, qu'ils soient audio, vidéo ou... imprimés.

On est en plein dedans, le jeu de rôle a besoin de changer son illustration du corps féminin. (et le jeu vidéo, et la bande dessinée.... etc.) Il faut que ce média évolue et que les représentations féminines puissent s'affranchir des standards.

Je vous renvoie à deux tumblr instructifs, éclairants et rigolos :

http://repair-her-armor.tumblr.com/ Repair her armor, qui incite des artistse à modifier des illustrations de femmes en armures parce que NON, la "booby window" ne protège pas des flèches

http://eschergirls.tumblr.com/ Escher girls, qui dénonce les représentations complètement FAUSSEES et IRREALISTES des corps féminin, notamment dans les comics et manga.

Ces pratiques sont dangereuses, font du mal et doivent être dénoncées.


Autre problème : le problème n'est pas dans CE JEU en particulier, qui propose de jouer uniquement des hommes. c'est l'arbre qui cache la forêt. Le problème c'est que la forêt a sacrément tendance à proposer des jeux clairement orientés pour jouer des personnages masculins. Il n'y a qu'à regarder les ratios d'illustrations de personnages "actifs" et "passifs" dans les bouquins de jdr pour s'en rendre compte : les hommes sont principalement sur des illustration auxquelles ont peu s'identifier, un personnage isolé, dans l'action etc. Les femmes sont principalement "en décor" : mise en scène d'une situation, interaction entre des personnages... Et donc plus facilement assimilée au PNJ. Et surtout, elles sont souvent représentées en qualité de FEMME (avec des SEINS et un VAGIN et un FESSIER REBONDI) et non en qualité de PERSONNAGE.

alors qu'est-ce qu'on peut y faireen tant qu'auteur?

Personnellement, j'y fais attention dans mon travail d'auteur. Je dialogue avec mes éditeurs sur certains points.
Récemment, j'ai demandé s'il serait possible que les illustrations de mes personnages féminins ne soient pas inutilement sexualisées. J'ai demandé si je pouvais au final "changer le sexe de quelques PNJ pour rééquilibrer la quantité d'hommes et de femmes" après m'être rendue compte que les 3 quarts des pnj étaient des hommes.
Je n'ai rencontré aucun problème suite à ces demandes, bien au contraire. Ce sont souvent des process inconscients, qui une fois révélés, peuvent facilement être changés.

Le plus dur du boulot, c'est la prise de conscience de TOUS. Dénoncer les illustrations de ce jeu ça fait partie du boulot.

Re: sexisme / racisme et autre, on en parle?

27 Avr 2016, 21:49

Merci Fabien et Guylène pour ces développements !

Pour ma part, j'ai commencé à m'interroger sur ces questions avec les illustrations de Démiurges : quelle proportion de femmes ? de différences de couleurs de peau ?
Quelle apparence leur donner pour sortir des clichés ? Dans quelle situation les mettre (éviter les victimes et les situations passives et autres clichés) ?
Ce n'est pas parfait, j'ai encore beaucoup à apprendre, je ferai mieux sur mes prochains jeux, mais je crois que tout effort est louable.

Re: sexisme / racisme et autre, on en parle?

28 Avr 2016, 03:15

Salut,

Ca me rappelle un problème très bête et pourtant très concret que j'ai rencontré lorsque j'ai voulu mettre des avatars sur mes PNJ lors de mes parties de JDR : impossible de trouver des dessins de femmes moches ou vieilles. La proportion d'illus n'est même pas de 80/20, le stéréotype de la "bonnasse" est omniprésent niveau image. Je suppose que ça doit avoir un sens... En tout cas, le stéréotype appauvrit sacrément notre loisir commun de mon point de vue. Comment créer une histoire riche et subtile si tous les personnages ressemblent à des actrices porno ?

Je connais relativement mal les questions de féminisme, surtout vues au prisme des sciences humaines. Merci pour les infos, du coup. :)

PS : je joue souvent avec les stéréotypes en les inversant (par exemple en mettant en chef d'équipe une femme, que le perso costaud soit une femme et le perso minutieux plutôt un homme...). Mais je me demande si ça ne revient pas également à faire du sexisme...

PPS : je n'aime pas le mot féminisme, parce que je m'en sens exclu en tant qu'homme. Mais c'est un autre débat...

Re: sexisme / racisme et autre, on en parle?

28 Avr 2016, 08:53

Mon point de vue. Désolé, je paraphrase une partie de vos messages précédents.

+ Au terme de féminisme, on peut préférer humanisme, parce qu'il regroupe toutes les notions de respect dû à chaque être humain, quelque soit son sexe, son genre, son orientation sexuelle, son âge, ses racines, son poids, son handicap, son statut social, sa religion, sa moralité, etc...

+ Je suis certain qu'on peut être un homme et se revendiquer féministe.

+ Je tiens à saluer le travail que Fabien a entrepris de longue date pour sensibiliser le milieu rôliste aux inégalités de représentation. Fabien, je te prie de croire en ton influence.

+ Concernant les illustrations, j'essaye aussi de favoriser une diversité dans la représentation des genres (hommes, femmes, ambigus, agenre) et des racines. J'essaye de mettre en scène des enfants, personnes âgées, des personnes qui sortent des canons de beauté standards, des personnes de toutes racines. Cela nécessite une vigilance, mais on s'en sort.

Exemple 1 : la couverture que j'ai commandée à Kevin 'Netzach" Baussart pour Inflorenza : à gauche une personne blanche en surpoids en proie à une extase chrétienne hérétique, à droite une femme asiatique dans un rôle de bretteur et dans un costume ambigu, à droite une personne noire à la fois roi et mendiant
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Exemple 2 : photomontage, une jeune fille, un homme à la peau noire, une personne au genre masqué
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crédits : thomas hawk & Rama wikipedia commons & industriarts 500, licence cc-by-nc, galeries sur flickr.com

Exemple 3 : une personne âgée
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crédits : cquintin_ejorpin_foilistpeteer_warluzel_pratt_the.leafmaker_sheenyie_andra[bah! la realtà!], licence cc-by-nc, galeries sur flickr.com

+ Pour aller plus vite, dans la suite du message, je parlerai de diversité pour désigner les efforts à représenter les êtres humains dans leur variété (genre, âge, racines...)

+ Quand je joue, j'essaye d'avoir cette même vigilance de diversité. C'est d'autant plus important que j'enregistre mes parties et que je fais des comptes-rendus : leur contenu est prescriptif. Cette exigence de diversité dans les parties me vient de la lecture des CR de partie de Frédéric.

+ Concernant la rédaction, vigilance de diversité dans les rôles attribués aux personnages et figurants, mais aussi dans les joueurs et joueuses cités dans mes replays de partie imaginaires. Ils sont souvent limités à un simple prénom, mais j'alterne prénoms masculins, féminins, agenres (Camille, Dominique...), de racines françaises, régionales, européennes, asiatiques, africaines...

+ Le neutre est masculin depuis 400 ans. Finissons-en. J'essaye pour ma part de mixer neutres masculins et neutres féminins. J'écris "une meneuse" et "des joueurs", ou "des joueuses" quand le partage des autorités est hors du débat. Je favorise le terme "personne", qui rapporte un peu de neutre féminin.

+ Mettre en place des situations antihumanistes en jeu apporte une lourdeur que certaines personnes préféreraient éviter. Si en tant qu'auteur, il m'arrive de présenter des situations antihumanistes, c'est à la fois pour leur intérêt dramatique et pour inviter les joueuses à défendre l'humanisme. En général, je me fends d'une note d'intention ou d'un avertissement.

+ Dans Inflorenza, j'ai écrit un petit chapitre sur la discrimination, qui rappelle ça, et qui rappelle que sur un jeu post-apocalyptique, il est possible de gommer les discriminations en les sortant du débat. Quand la société contemporaine a disparu, la société post-apocalyptique juge moins les personnes à l'aulne de son être qu'à l'aulne de ses capacités de survie et de son rôle dans la communauté.

+ En résumé, si en tant qu'auteur ou autrice, vous voulez que les joueuses traitent des situations inégalitaires, mettez une note d'intention, sinon vous ouvrez la porte à la célébration des inégalités. Sinon, injectez de l'égalité de traitement à tous les niveaux. L'excuse du monde employé ne fonctionne jamais. Elle est caduque dans le cadre d'un monde imaginaire, et l'est tout autant pour les situations historiques ou contemporaines, puisque dans la réalité, on trouve un tas de contre-exemples sur les inégalités (des chevaliers noirs en France au Moyen-Âge, des femmes dominantes à toutes époques, etc...), et de toute façon, votre jeu n'est pas la réalité. Quand bien même il se passe à Bagneux en 2016, c'est un jeu et donc c'est un monde imaginaire.

Re: sexisme / racisme et autre, on en parle?

28 Avr 2016, 10:08

Je plussoie grandement une large partie de ce qui a été dit avant moi (mise a part les propos sur le féminisme masculin...).

Et je souhaite juste rajouter que l'un des principaux problème se retrouve peut être également dans la sous représentativité des femmes dans l'illustration ou la création de jeux. L'un découlant de l'autre et vise et versa.
Attention, je ne veux pas simplement parler de "quantité". Faire partie d'un groupe défini (dans ce poste ça parle de sexisme/racisme/homophobie) na jamais obligé a le défendre.

En tant qu'homme, la bonne approche est selon moi de simplement refuser ce genre de masculinisme rampant (chez les autres et chez soit) et de développer autres chose. Surtout dans le cadre du jeu de rôles de laisser aux autres la place d'y développer des comportement non sexiste si ils le souhaitent.
Dernière édition par mutos le 26 Oct 2016, 14:22, édité 2 fois.

Re: sexisme / racisme et autre, on en parle?

28 Avr 2016, 10:28

je vais me faire l'avocat du diable mais la représentativité (ça se dit ça?) c'est également une affaire de genre et de propos

@guylène a par exemple parlé d'un genre que j'affectionne plus particulièrement, celui des comics
alors oui les femmes sont représentées d'une manière pas réaliste ni forcément valorisante mais ça fait parti du genre et quelque part jouer le jeu des comics c'est accepter des muscles disproportionnées et quelques costumes parfois étranges (même si ça évolue quelque peu, y a encore des couvertures de spider woman au pif qui font débat)
bin en tant qu'auteur d'un jeu de rôle de super héros, ma chouette héroïne pré tirée est ptet bien une femme forte, qui n'a pas de complexe par rapport aux hommes et faut pas y voir du sexisme mal intentionné mais ouai son costume est particulier (bon un de mes persos hommes est torse nu, ça compense ?^^)
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pour revenir à one%, si le propos c'est on est des mâle salaud blanc cis genre hétéros violents macho and coe, ça ne me choque pas que les illustrations soient en rapport , après une fois encore, on ne sait pas tant de choses que ça (à part que l'équipe a l'air sympa)

Re: sexisme / racisme et autre, on en parle?

28 Avr 2016, 11:07

bin en tant qu'auteur d'un jeu de rôle de super héros, ma chouette héroïne pré tirée est ptet bien une femme forte, qui n'a pas de complexe par rapport aux hommes et faut pas y voir du sexisme mal intentionné mais ouai son costume est particulier


Erwik : Le problème n'est pas d'avoir un costume sexy. J'ai rien contre les costumes sexy. Le problème (de mon point de vue) vient
1/ de l'absurdité des costumes et des mises en scènes (cf les tumblr que j'ai mis dans mon premier post)
2/ de la banalisation et de l'omniprésence de ces images.

Qu'une héroïne ait un costume sexy, très bien j'ai aucun problème avec ça. Que TOUTES les héroïnes aient OBLIGATOIREMENT des costumes sexy (et absurdes), ça ça me pose un gros problème. Parce que dans les critères de représentation actuels (illustration ou juste textuelles, cinéma etc...), l' "empowerment" des femmes PASSE obligatoirement par le fait d'être sexy / standardisée selon des critères corporels. "Une femme ne peut être puissante que si elle est belle". Je force un peu le trait (quoi que...?) mais c'est le message qui est donné dans les comics (et dans les jeu vidéo etc...).

Je me suis vraiment beaucoup posé cette question du genre (dans le sens "genre comics/BD", pas "genre file/garçon/transgenre etc), et ma conclusion c'est qu'on ne peut pas se cacher derrière le genre indéfiniment.
"C'est du comics, donc je peux faire des représentations sexistes, ça va avec le genre" n'est plus, aujourd'hui et à mes yeux, un argument valable. C'est un peu pour moi une excuse de chat perché ("hop, je suis perché, j'ai dit que c'était le genre, on peut rien me dire")
La notion d'époque joue : je ne reprocherai pas à Hergé d'être raciste ou à Lovecraft d'être intolérant, car leurs productions s'ancrent dans des époques particulières ou la pensée s'orientait dans ses directions, et mon regard de jeune femme du 21e siècle ne me semble pas me donner le droit de critiquer des productions d'autres époques.

Mais en 2016, je pense qu'on peut dénoncer et lutter le sexisme dans les comics. On peut faire évoluer le genre "pour un monde meilleur", et je pense qu'il faut le faire.

Si je prends un exemple extrême et Godwin (volontairement, pour montrer et non pour assimiler), on pourrait dire "alors oui, Mein Kampf, c'est raciste et un peu borderline... Mais bon ça fait partie du genre de la littérature nazie alors pas de problème, je peux écrire des trucs racistes et antisémites si ça s'ancre dans la littérature nazie"

Un extrait d'interview qui permet de remettre certaines choses en perspectives et qui permet de voir à quel point le sexisme est banalisé :

https://www.youtube.com/watch?v=_eC26nvQgNo C'est sans doute l'une des vidéos qui m'a le plus fait prendre conscience de la banalisation du féminisme, elle est à voir absolument !!!


(bon un de mes persos hommes est torse nu, ça compense ?^^)
--> Non.
Une homme torse nu, on voit ses muscles qui montrent qu'il est FORT (c'est de l'empowerment). Une femme à moitié à poil, on montre qu'elle est DESIRABLE (c'est de l'objectification). Je te renvoie aux liens de Fabien pour plus d'info à ce sujet :p

Edit : une chose : observe les proportions du dessin que tu as mis. Est-ce que tu te rends compte qu'elles sont irréelles? Non, sans doute pas. Moi en tout cas, au premier coup d'oeil elles ne m'ont pas choquées. Et puis par curiosité j'ai pris ma règle pour mesurer.
Sa taille est plus fine que ses cuisses. Cette femme ne pourrait pas survivre si elle était réelle :p Et pourtant, cette image ne m'a pas choqué. Voilà à quel point l'irréalisme s'ancre dans nos rétines, et je trouve ça dangereux. Parce que ça ne choque pas.

Re: sexisme / racisme et autre, on en parle?

28 Avr 2016, 11:22

Salut Erwik,

Pour moi l'hypersexualisation de tes personnages de comics n'est pas sexiste et peut être considérée comme propre à ton genre (le comics super-héros), dès le moment que tes personnages masculins et féminins sont traités de la même façon : muscles disproportionnés et pantalon moule-entrejambe pour les hommes, poitrine généreuse pour les femmes...

Ceci étant, cela contribue qu'on le veuille ou non à la croyance que beauté/sexualité rime avec compétence, force, courage, honneur et valorisation sociale. Rien n'a jamais empêché de garder le genre et toute son ambiance tout en proposant une héroïne "petite grosse" ou un héros "vieil homme super-canne". Tout dépend de la manière de mettre en valeur ces personnages. Je pense que nous accolons à nos stéréotypes énormément de valeurs ou d'éléments qui sont totalement transposables en dehors de ces stéréotypes, et qui n'ont pas de rapport avec ces derniers (cf beauté et courage, honneur,...). Et que là commence l'instrumentalisation au service d'une discrimination. C'est quand nous nous persuadons que la petite grosse doit être forcément ridicule en super-héroïne que la discrimination commence, puisque nous accolons la notion de ridicule au fait d'être petit et gros. De là à dire que les super-héros véhiculent une forme d'idéologie eugéniste *, il n'y a qu'un pas. Etudier le mythe du sur-homme et le rapport au corps dans la société américaine donnerait probablement des résultats intéressants.

Le meilleur exemple que j'en ai c'est le film "Watchmen". On ne peut pas dire que le comédien ou encore Rorschach soient des exemples de super-héros beaux et équilibrés. Pourtant, ce film est pour moi une perle. Presque le seul film de super-héros qui trouve grâce à mes yeux.

PS : J'aime bien le terme humanisme car il me semble plus large que le droit des femmes. Je suis sensible à beaucoup de formes d'inégalités, dont le sexisme.

* Je ne t'accuse pas d'eugénisme, ni de vouloir réutiliser un genre qui a fortement imprégné la culture populaire. Il est intéressant cependant de comprendre comment et pourquoi ce genre s'est construit de cette façon-là.

Re: sexisme / racisme et autre, on en parle?

28 Avr 2016, 11:32

J'en profite pour rebondir sur ton exemple de Watchmen Mathieu !!

Une chose qui m'avait embêtée lors de l'adaptation au ciném : le personnage de Silk Spectre.

La voici dans les comics :
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La voici dans le film :

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Je la trouve hyper sexualisée dans l'adaptation cinématographique, alors que précisémment, je trouvais Watchmen assez exemplaire dans son rapport au corps et à la représentations des corps (masculin comme féminin), et je trouve que ça n'en donnait que plus de charisme au personnage !

Comme quoi c'est un travers qui marche dans les deux sens, et qui n'a pas de sens à mon avis. Le comics avait un traitement intelligent ... qui se perds dans les standards hollywoodiens.

Re: sexisme / racisme et autre, on en parle?

28 Avr 2016, 11:35

[Je voudrais faire juste une aparté sur le remplacement du "féminisme" par le terme "humanisme". Je trouve que ça pose vraiment problème.

Pour aller tout de suite au cœur du problème, je crois que l'argument le plus fort est celui de la dépossession. Les féministes ont été les premières à penser la convergence des luttes de classes, des luttes anti-racistes et des luttes féministes (avec le féminisme noir dans les années 1970, mais aussi le féminisme intersectionnel dans les années 1990). Elles ont aussi énormément œuvré pour les droits des personnes LGBT (voir le féminisme queer) ou encore pour la remise en cause de la masculinité toxique chez les hommes (voir le travail de quelqu'un comme RW Connell sur la masculinité, une chercheuse transgenre en plus). Ce sont également des cadres féministes qui ont permis la criminalisation de la pédophilie à la fin des années 1980 et au cours des années 1990, et ont donc contribué à la protection des enfants.
Certains définissent même la troisième vague de féminisme que nous traversons comme une volonté d'intégrer toutes les femmes dans le féminisme, quelque soit leur classe sociale, leur racialisation, leur identité de genre, leur orientation sexuelle, leur état de santé, la forme de leur corps, etc.

Bref, refuser d'utiliser « féminisme », c'est nier tout cet héritage et tout le travail que ces femmes ont fait pour aider un grand nombre d'autres catégories d'êtres humains. Puisqu'elles ont choisi de s'appeler "féministes", et rien d'autre, il me semble que c'est important de respecter leur choix, au moins par reconnaissance. Même à l'heure actuelle, les activistes les plus efficaces et les plus intègres se revendiquent féministes, même lorsqu'ils ne s'occupent pas directement de ces questions.
On peut parler de féminisme intersectionnel pour être précis, mais je pense que ça vaut la peine de ne pas les effacer.
Ce serait ironique que des activistes qui ont tant fait, notamment pour faire reconnaître la contribution des femmes dans l'histoire, soient effacées ainsi à leur tour, alors même qu'on cherche à intégrer tout le monde.
Pour résumer, se dire féministe à l'heure actuel c'est inclusif, c'est-à-dire que ça n'exclut pas d'autres formes de luttes, au contraire ça les intègre ! (Après il y a la question du féminisme blanc, mais je ne peux pas tout développer ici, envoyez-moi un message si ça vous intéresse)

Par ailleurs, les gens qui se sont revendiqués "humanistes" n'ont jamais fait grand chose pour la condition de la femme. Le 19ème siècle en particulier a beaucoup revendiqué le terme d'humanisme mais sans considérer sérieusement la place des femmes dans la société (à quelques exception, genre Stuart Mills). Donc là aussi, utiliser le terme "humanisme" c'est endosser un héritage qui n'est pas très féministe et a fait peu avancer la condition humaine, du moins de mon point de vue.
Il y a un problème similaire avec les gens qui veulent parler d'universalisme républicain ou de droit de l'homme, deux courants de pensée qui à force de nier les distinctions entre les êtres humains par égalitarisme, finissent pas ne plus pouvoir penser les inégalités sociales et à effacer les personnes qu'ils devaient à l'origine protéger. Fondamentalement je leur reproche de confondre deux d'inégalités: les inégalités de nature et les inégalités sociales. Ils ont voulu effacer les inégalités de nature (tous les hommes naissent libres et égaux en droit et en devoir, etc.) mais ils oublient de penser les inégalités sociales, qui elles peuvent être changées, pourvu qu'on en fasse l'effort.

Enfin, le mot féminisme a une portée critique forte, qu'il me semble très important de protéger et de continuer. Trop de gens refusent de l'utiliser parce qu'en réalité ils ont peur du changement et de la remise en cause d'un certain statu quo. Je n'en fais le reproche à personne ici, mais il me semble que c'est une idée qui est véhiculée dans ce refus et je trouve ça dommage.]

Re: sexisme / racisme et autre, on en parle?

28 Avr 2016, 11:40

Yep, personnellement je n'ai rien contre les héroïnes sexy, les bellaminettes, les femmes de Frazetta, etc. De même, je ne me fais pas d'illusion sur le caractère irréaliste des canons de beauté et des poses improbables. En effet on trouve aussi des canons absurdes chez les mecs. C'est le jeu de la représentation - et pour reprendre Paglia, du caractère foncièrement fasciste de l'art dit apollinien. Je ne suis pas Brad Pitt, je ne suis pas Conan non plus, ça ne m'empêche pas d'apprécier de les suivre dans des films ou des comics.

MAIS on peut remarquer la grande diversité des physiques de super-héros ou de super-méchants. Du côté des femmes, c'est globalement plus standardisé, à l'exception d'une sorcière horrible de temps en temps.

ET encore, au moins les super-héroïnes ont souvent une personnalité. Malgré leur hyper-sexualisation, elles ne prennent pas de poses lascives tournées directement vers le lecteur, elles ne lavent pas des bagnoles avec leurs seins. Elles ont un boulot à faire, elles sont pas juste là pour te servir de poupée gonflable. La fameuse couverture de Spider-Woman (http://data.techtimes.com/data/images/f ... manara.jpg) ne va pas jusque là par exemple. Alors que One% nous montre une fille qui jette un regard au lecteur en s'arrangeant pour lui montrer ET les seins ET le cul. Quant à l'écran, il se passe de commentaire...

ET enfin par dessus-tout je trouve les illustrations de One% pas super, sans âme véritable (désolé pour le concepteur s'il passe par là), du coup je trouve que ça renforce l'aspect ado-racole du tout.
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