Communauté de jeux de rôle indépendants
La dimension collaborative et la loi des trois auteurs
Il s'agit là sans doute d'une autre spécificité de la fiction rôliste. Elle est au confluent d'au moins trois agentivités, ou volontés auctoriales distinctes : celle de l'auteur (au sens large : celle de l'équipe qui a produit le jeu et/ou le matériau joué), celle du meneur de jeu (qui interprète à la fois le matériau joué et les signaux envoyés par les joueurs... dans le cas des jeux sans meneur, ce rôle peut être réparti au niveau des joueurs eux-mêmes, du jeu ou de l'auteur initial, selon les cas) et celle des joueurs. C'est ce qu'on appelle la loi des trois auteurs.
Les relations qu'entretiennent ces trois agentivités sont relativement complexes. Même si plusieurs de ces trois auteurs peuvent être regroupés en une seule et même personne, ces trois agentivités ne peuvent que difficilement exister les unes sans les autres. Et ceci est encore complexifié par le fait que les joueurs ont généralement presque tous des volontés auctoriales assez différentes, qu'il y a donc bien plus de trois auteurs, et, qu'une fois en partie, ces volontés ne peuvent que difficilement s'affirmer davantage sans que cela ne revienne à brimer quelqu'un d'autre. En économie, on parlerait volontiers d'équilibre de Pareto.
Aussi toute narration est immédiatement dépendante de l'approbation des autres personnes présentes, mais est également limitée et mise à mal par l'agentivité des autres intervenants. Ainsi, pour qu'un élément soit réellement validé dans la fiction, il doit être réincorporé et réutilisé par les autres personnes présentes, ou au moins ces dernières ne doivent pas s'opposer à ce que vous vous en resserviez. La création est donc à la fois coopérative et compétitive. De ce fait, à part le cas très particulier de joueurs très passifs, la seule volonté auctoriale qui peut être bafouée de façon relativement indolore une fois autour de la table de jeu est celle de l'auteur du matériau joué, mais cela pose d'autres soucis. En effet, celle-ci est souvent le postulat de base sur lequel la plupart des joueurs se mettent d'accord pour établir une fiction commune et partagée. Le jeu porte généralement les germes de son propre genre et, sans autre accord (le plus souvent explicite) préalable stipulant le contraire, en participant à la partie, tout le monde accepte de respecter cette base commune. D'un point de vue fictionnel, il s'agit, en quelques sortes du ciment de la future partie.
Cependant, dans un jeu de rôle, la fiction ne peut réellement commencer que lorsqu'on l'active et met en branle la situation qu'aide à générer le matériau de base. Le plus souvent par l'ajout des personnages et d'une situation initiale propulsant la suite des événements. Dit autrement, on ne peut jouer dans le cadre défini que si on le modifie et que, du fait du besoin de respecter la cohérence, on rajoute de nouvelles contraintes. Et, donc, de nouvelles règles. On revient alors sur le slogan anglo-saxon « Playing the game is hacking it. »
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