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Sujet verrouillé

[Shades] Sacrée soirée !

27 Sep 2014, 00:18

J'ai essayé de faire un CR compréhensible pour tout le monde mais j'ai eu beaucoup de mal à l'écrire. La principale difficulté est liée au fait que nous avons raconté une histoire difficilement compréhensible pendant notre partie (je pense qu'aucun joueur n'a compris la même chose que les autres), ce sujet est aussi l'occasion pour moi de mettre des mots sur des idées un peu confuses qui me tournent dans la tête depuis quelques temps. N'hésitez pas à me demander de préciser plein de trucs.

Salut Vivien,

Mercredi soir j'ai testé avec trois amis à moi Shades, le jeu de fantôme de Victor Gijsbers. Tu le sais : tu étais l'un d'eux et tu en parles même rapidement sur ici.

Parlons du jeu, puis de notre partie.

I)Le jeu

Dans ce jeu très court et à la présentation austère (le jeu est écrit en LaTeX !), on incarne des fantômes, des "ombres", qui hantent un lieu. Peu à peu ils prendraient conscience de leur être et, par leurs interactions avec le monde matériel, leurs souvenirs afflueront. Peu à peu ils se souviendront de bribes de leur passé, jusqu'à ce que la tragédie ayant menée à leur mort soit révélée.

Au delà de sa thématique que j'aime bien il y avait plusieurs choses qui m'intéressaient beaucoup en lisant ce jeu :
1) Les règles de langage : le jeu navigue entre le passé et le présent et se conjugue littéralement à tous les temps, on décrit les actions de notre esprit au présent et celle du personnage de son vivant au passé. A cette règle s'ajoute le fait qu'on commence par décrire son personnage sans en faire le sujet de la phrase (on préférera dire "Un froid intense" que "je ressens un froid intense" par exemple) et qu'on utilise la première personne pour parler de son personnage dans le passé et la troisième pour en parler dans le présent.
Que ce soit avec Polaris, avec Perdus sous la Pluie ou avec WITNESS THE MURDER OF YOUR FATHER AND BE ASHAMED, YOUNG PRINCE j'observe souvent l'efficacité des jeux qui instaurent des phrases rituelles. Les contraintes sur le langage peuvent apporter beaucoup à l'ambiance.
2) L'absence de discussions "méta" : le jeu est en fait un défi lancé aux joueurs qui doivent raconter une histoire sans préparation (il n'y a même pas de phase de création de personnage ou de lieu) et sans discuter de la fiction pendant la partie (pas de "ça serait cool de faire ça", de "bof je préférerai que tu amènes cet élément").
Je suis de plus en plus gêné par ces phases où l'on est obligé d'interrompre la narration et où, au lieu de raconter la fiction on en discute comme des scénaristes qui écriraient une histoire (j'ai fait une critique assez négative de Fiasco dans le dernier Radio Rôlisteà cause de ce défaut qui m'est devenu de plus en plus insupportable au fur et à mesure de mes parties). Ces phases sont naturellement plus présentes dans les jeux à narration partagée, dans le JDR traditionnel il n'y a presque qu'un joueur qui prend les décisions narratives et il n'y a pas besoin d'en discuter.
Mes jeux préférés sont ceux où la narration est fluide et découle directement des mécaniques de jeu et des interactions entre les narrations des différents joueurs (c'est pour ça que je trouve Prosopopée aussi précieux) et c'est vraiment un truc que j'ai envie d'explorer ces derniers temps.

Bref en ayant ça en tête, parlons de la partie.

II) La partie

En plus de nous deux il y avait à notre table Guylène et Chloé. Ça fait beaucoup de joueurs, d'autant que l'auteur explique que plus on est nombreux plus le jeu est difficile (il faut prendre en compte les apports de tous les joueurs).
Le jeu se déroule en trois phase, la phase de réveil où les ombres prennent conscience de leurs propres existence, la phase de souvenirs où elles explorent le passé et la phase d'action où l'on décide de la fin de l'histoire (notamment si les ombres se pardonne).
Je vais raconter l'histoire en mettant mes commentaires en italique.

Il n'y a pas eu de phase d'explications de la partie mais il me semble intéressant de dire que pendant la phase d'explication de règle Chloé était stressé à l'idée de devoir raconter sans filet. Elle n'est pas autant habitué à la narration partagée et le principe du jeu lui mettait une grosse pression sur les épaules.

Des sensations de froid. Une lumière éblouissante. Des reflets sur des structures métallique. Puis la douleur. Les ombres prennent conscience de leur corps, de leur intangibilité aussi. Une roue, qui tourne dans le vide. des débris. Un souvenir : cette roue apportait de l'électricité à la communauté. Cette roue est une roue de voiture.

Gros stress autour de cette roue. Vivien l'amène dans le récit en visualisant une roue de voiture. Chloé aussi. Guylène et moi imaginons une grande roue, une machine à elle toute seule. Du coup je précise qu'elle apporte de l'électricité à la communauté, que la communauté ne survit que parce que la roue tourne. Mais Chloé verbalise ensuite le fait qu'il s'agit d'une petite roue, une roue de voiture.
Aïe. A ce moment j'ai compris l'incompréhension et j'ai bien cru que notre partie, 5 minutes après son commencement, était foutue. Le principe du jeu c'est qu'on ne peut pas revenir en arrière pour se mettre d'accord. En fait ces contradictions furent fécondes et nous amenèrent à orienter l'intrigue vers une logique un peu SF. Le jeu, et notre narration, étaient bien plus robustes que ce que je pensais.


On comprends que la roue faisait partie d'une machine apportant l'électricité à une société souterraine. D'après les autorité l'extérieur est un territoire hostile balayé par des vents glacés et meurtriers. Un fantôme observe la roue, il comprend que son rôle était de son occupé. Un autre observe une scène, il comprend qu'une cérémonie allait avoir lieu pour annoncer une machine remplaçant la roue. Un autre observe des cadavres et se souvient d'avoir vu un homme mourir dans ses bras. Un autre observe la lanière sectionnée de la roue.

Nous avons mutuellement prise une décision esthétiquement cohérente mais rendant la partie vraiment difficile : ne pas citer de nom. Difficile de se rappeler qui était qui, qui faisait quoi et d'avoir une vision globale de la situation. Mon CR sera très imprécis parce qu'au fond la seule histoire que je parvenais à suivre concernait mon personnage et celui de Chloé.

Je me souviens de cette femme, persuadée que le froid dehors n'était qu'un mensonge. Elle m’amena finalement, par curiosité, par excitation et par amour à détruire la roue.

Les souvenirs ne formeront jamais une histoire linéaire et précise. Il y aura toujours un ensemble flou ce qui n'empéchera jamais l'histoire d'être intéressante et touchante. Une sensation que j'avais déjà ressenti en jouant à Les Petites Choses Oubliées.

Une ombre se souvient d'être resté fidèle à sa femme, mais les souvenirs d'une autre ombre ne concorde pas. Il faut du temps pour que les souvenirs finissent par concorder.
J'ai très mal suivi cette histoire qui concernait peu mon personnage (la preuve que 4 joueurs c'est déjà beaucoup pour jouer à ce jeu). Autre difficulté à suivre, le jeu repose sur le fait que les souvenirs sont d'abord discordants et qu'il faut finalement réconcilier deux visions des souvenirs pour terminer la partie (on se donne des jetons en cas de souvenirs discordants, puis d'autres quand les souvenirs changent).
C'est la seule mécanique "physique" du jeu (pas de dé, pas de don de jeton dans d'autres situation,...).


Après avoir compris un peu mieux la tragédie, mon ombre se tourne vers celle qu'il a aimé et qui l'a convaincu de saboter la machine (le personnage de Chloé). Il la traite de meurtrière, lui reproche de ne jamais avoir admis son erreur et de n'avoir jamais accepté de regarder la catastrophe en face.
Pas de pardon non plus du côté des deux autres ombres. Nous errerons pendant l'éternité en ce lieu dévasté.


III) Mes conclusions

La partie était étonnamment réussie pour une première partie. Je vais essayer de comprendre pourquoi.
*Le fait de radoter par bribe, sans se soucier de tout comprendre et d'établir une cohérence totale entre les récits, était très confortable pour nous et facilitait la tâche.
*Le jeu n'avait pas de système d'approbation/feedback, on se tend certes des jetons mais ils servent surtout à pointer des incohérences entre les souvenirs. Clairement le jeu manque d'un mécanisme à la Prosopopée (on se donne des jetons quand on apprécie quelque chose de raconté) où à la A Quiet Year (on se donne des jetons quand on est énervé parce ce qu'amène un autre joueur).
Nous avons cependant triché un peu et n'avons pas pu nous retenir de faire quelques courts commentaires sur les propositions des autres. Finalement on se rend compte que ces derniers sont naturels et ne cassent pas vraiment la fluidité de la narration.
J'en tire la conclusion que, s'il est intéressant de limiter les longues apartés méta, supprimer entièrement les commentaires sur la fiction est une démarche radicale et pas franchement nécessaire pour conserver une narration fluide et immersive.
*Il ne me semble pas que nous avons été brillantissimes et je pense que réussir une partie du même niveau que la nôtre est à la portée de n'importe qui. Par contre le simple fait d'être concentrés sur l'objectif de réussir à raconter une bonne histoire nous forçait a être attentif et a dû jouer sur la qualité de nos apports.
Nous nous autorisions quand même des moments de relâche, sans grande conséquence sur la qualité de la partie. Par exemple un fou rire quand Guylène commença une de ses interventions par "C'était une sacrée soirée !!!!!".

Re: [Shades] Sacrée soirée !

30 Sep 2014, 19:41

Pas grand chose à redire sur ce CR bien complet ! Chloé m'a accusé de faire des blagues tout le temps ou presque, elle avait pas tort :P

Re: [Shades] Sacrée soirée !

03 Oct 2014, 13:10

Hello

Super, un rapport de partie sur Shades, chouette chouette chouette !

Premièrement, ça me retourne le cerveau que vous ayez joué à quatre. Je pensais que le jeu était prévu pour deux ou trois joueurs, et vu l'effort et la densité des interactions entre deux personnages, je n'aurais pas osé jouer à plus que deux (allez, peut-être trois). Ça ne m'étonnerait d'ailleurs pas que ce soit pour cela que vous vous êtes effectivement retrouvés avec deux binômes de deux.

Deuxièmement, j'aimerais bien explorer plus ces contraintes sur le langage, surtout après avoir écouté ton intervention sur le freeform sur Radio Rôliste. Personnellement, c'est quelque chose que je trouve extrêmement séduisant sur le papier. Ensuite, j'ai énormément de peine à l'appliquer, en définitive, en tout cas pas de manière aussi carrée que suggéré dans le texte de Shades. En partie, ça vient naturellement du fait qu'on joue un personnage inconscient dans les premières scènes. On va faire gaffe, pour respecter cette contrainte. En revanche, se forcer à parler à la 3e personne du singulier est un exercice qui complique encore le jeu. C'est déjà difficile d'improviser des trucs et de les exprimer instantanément à l'oral, mais si en plus il y a des règles formelles sur la manière d'énoncer, ça devient dur pour moi. Je ne serais certainement pas un slammeur compétent. Est-ce que tu y vois le même parallèle ?
Pourtant, j'ai essayé des règles similaires pour .ınnommable (les monologues sont censés être narrés à la première personne), mais je dois avouer que je ne peux leur attribuer au mieux qu'un effet cosmétique, marginal de surcroît. Ça ne casse pas le jeu de parler à la troisième personne. Les petites choses oubliées induit automatiquement une narration différente quand on raconte la rencontre ou les souvenirs, mais c'est laissé assez libre.

En parlant de notre jeu, cela m'amène à une petite parenthèse : l'histoire non-linéaire et floue qui résulte du fait de se baser autant sur des souvenirs est une des inspirations majeures pour LPCO. Shades nous a vraiment bluffé sur ce point et sa manière de traiter les « résolutions ».

Troisièmement, je te rassure, nous aussi on n'a pas réussi à s'empêcher de faire quelques remarques et exclamations hors-jeu. Je crois que c'est impossible de le faire, et même dommageable quelque part. C'est justement un mécanisme, informel, d'approbation/feedback ! Je conçois cependant que Shades a un système de résolution qui fait aussi office de mécanisme d'approbation : pour convertir un jeton noir en jeton blanc, il faut faire un compromis, concéder des points (souvent des fautes commises par son personnage d'ailleurs, chez nous). La granularité de la résolution est toute autre que dans un Dogs in the Vineyard ou Les Cordes sensibles, mais à mon sens, elle est au moins possible. C'est possible qu'elle n'ait pas lieu, mais alors je ne vois pas comment les fantômes pourraient se pardonner et quitter leur misérable existence ectoplasmique. Ce qui me semble très cohérent avec le propos du jeu !

Re: [Shades] Sacrée soirée !

07 Oct 2014, 14:02

Pour le fait de jouer à quatre joueur je ne le conseille pas trop.
J'ai été enhardi par la lecture d'un CR de l'auteur qui disait avoir été surpris du bon fonctionnement de son jeu à quatre joueur.
Sauf que, bon, c'était l'auteur.
Ceci dit dans les faits cela s'est bien déroulé mais au final c'est surtout parce qu'on jouait presque plus deux parties à deux joueurs qu'une partie à quatre joueurs (disons que si le cadre initial et la catastrophe s'est construit sur les interactions entre nous quatre, les relations entre les personnages se jouaient par couple).

J'aime beaucoup ta comparaison entre les contraintes sur langage et le slam. En fait il y a une tension entre les deux effets de ces contraintes : elles participent à l'ambiance et à la qualité de ce que l'on raconte mais, dans un même temps, elles focalisent l'esprit des joueurs sur des points fondamentalement annexes ("comment conjuguer cette phrase ?"). Si je rejoue au jeu je supprimerai probablement l'alternance entre première et troisième personne (d'autant qu'elle est un peu étrange : dans la phase de réveil on joue la prise de conscience de soi en commençant sans pronom, puis en passant à la troisième personne et finalement à la première personne, dans la phase de souvenir on revient parfois à la troisième personne...pénible).

Sur les contraintes de language, j'avais été frappé par les phrases clefs de WITNESS THE MURDER OF YOUR FATHER AND BE ASHAMED, YOUNG PRINCE. Les joueurs interviennent en prononçant des phrases clefs (des trucs du genre "Moi, <Prenom>, je suis le plus <adjectif> des fils du roi et je vais vous raconter ce que j'ai vu de l'assassinat de mon père" avant que le joueur ne commence à raconter ce qu'il a vu).
Le jeu fonctionne a priori autour d'un système de jetons permettant d’interrompre le récit d'un autre joueur et d'en modifier des éléments. Sauf que ce système est un peu alambiqué, et -à notre avis- pas bien passionnant. Nous avions conclu que la super ambiance autour de la table venait presque exclusivement de ces phrases clefs qui nous incitaient à respecter une certaine ambiance et un certain niveau de langage. Il y a clairement quelque chose à explorer dans cette direction (quand j'y pense je le remarquais déjà il y a des années lors de mes parties de Dying Earth mais je n'en avais pas fait grand chose à l'époque).

Je vois un peu mieux le fonctionnement du système de jetons en tant que mécanisme d'approbation dans Shades. Même si c'est cohérent j'avoue trouvé ça à la fois un peu limité et trop contraignant : le jeu n'incite qu'à jouer le conflit entre deux versions d'une même histoire.
Sur les remarques hors-jeu (ou plutôt hors-fiction) je pense effectivement que cela n'est pas bien grave. Il reste intéressant de se limiter temporairement pour se rendre compte qu'il existe d'autres mécanismes permettant de construire collectivement une fiction (typiquement le fait de réintroduire un élément fictionnel amené par un autre joueur est déjà un mécanisme d'approbation). D'ailleurs, et alors que j'étais parti dans une logique puriste genre "je fais les gros yeux à quiconque fait une remarque hors-fiction", au final cela ne m'a pas gêné (je n'ai pas noté de niveau de blague particulièrement élevé chez Vivien notamment^^).
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