Pour ma part je trouve la plupart du temps assez désagréables les œuvres à message.
Ce qui m'intéresse avec une œuvre c'est généralement qu'elle exploite les spécificités de son médium. Je crois que c'était le réalisateur Samuel Fuller qui disait un truc du genre "si tu as quelque chose à dire, dis-le mais ne te sens pas obligé de réaliser un film pour le dire", j'avais bien aimé l'idée.
D'autant qu'utiliser la fiction comme un moyen d'argumentation c'est vraiment trop facile. On fait passer un message en inventant un contexte dont on maîtrise l'ensemble des faits. Il est notamment très facile de ridiculiser ses adversaires idéologiques (il suffit de voir le traitement des patrons dans les films de Ken Loach ou celui des progressistes dans South Park) ou tout simplement de manipuler les faits (par exemple créer un univers où le réchauffement climatique est produit par des terroristes écologistes et non par les rejets de CO2).
Je trouve qu'un jeu comme
Monostatos, dont je ne partage pas toutes les idées, évite une partie de mes critiques. D'abord parce qu'il ne ridiculise pas le culte de
Monostatos, le jeu invite certes à faire l'expérience d'une démarche subversive mais on pourrait parfaitement défendre le point de vue opposé (même si le jeu ne le propose pas).
J'ai toujours dans les cartons un projet de jeu inspiré de la philosophie libérale (un Monostatos écrit par Ayn Rand pour être précis^^), philosophie dont je ne partage pas non plus toutes les idées, parce qu'au fond je la trouve propice à créer un gameplay original. Si j'arrive à mener ça à terme je serai curieux de tester ça ne serait ce que parce que je sais que la plupart des joueurs, moi y compris, ne seraient pas en accord avec l'idéologie du jeu. Est-ce que cela rendrait la partie impossible ? Je ne le sais pas encore.
Pour en revenir à la fiction à message, je pense que le JDR à le potentiel pour être à part. Pour proposer du "propos comme question" pour reprendre ta belle expression. Ne serait ce que parce qu'il s'agit d'abord d'une conversation, viennent à la table des joueurs qui n'ont pas forcément la même sensibilité. Deux exemples :
*J'en parle un peu dans
le CR de notre dernière partie de Sphynx. Les ruines que l'on visite sont celle d'une culture ayant une idéologie particulière. Dans notre partie nous visitions les ruines d'une culture prônant la fusion de l'homme et de l'animal au nom d'une vision défendant la nature.
La partie a rapidement tourné à l'horreur et si on en faisait un film nous pourrions y voir une critique d'une certaine forme d'écologisme mythifiant la nature.
Peut-être qu'avec une autre table, ce même élément aurait donné une ambiance poétique. Mais à notre table nos interactions ont fait que nous avons implicitement, sans débat, donné une teinte horrifique à cette proposition politique.
* Je n'aime rien tant, dans
Dogs in the Vinyard, que sa mécanisation des conflits entre joueurs. Les débats se tranchant finalement par des conflits entre les personnages.
Le JDR est par nature une conversation et dans le cas de
Dogs elle est politique.
J'ai par contre deux critiques sur ton billet.
1) Je ne suis pas sûr d'être convaincu par ton analyse de la rupture amenée par The Forge qui ferait passer le message des scénarios aux mécanismes de jeu.
Je pense qu'il est utile, justement, d'être forgien et de remarquer que le système d'un JDR (ce qui influe sur la narration) c'est aussi son univers. A ce titre je ne vois pas de rupture radicale entre un
Shaan dont l'univers met les PJs face aux horreurs de la colonisation et un
Dogs Eat Dogs dont les mécanismes forcent toute tentative de colonisation à se terminer par la disparition de la culture des colonisés (par la violence ou par l'assimilation).
2) Je ne suis pas convaincu qu'on parle de la même chose en évoquant le côté très contraint des jeux Freeform.
J'en cite un,
Drunkpar Tobias Wrigstad que je viens de lire (malheureusement pas de tester). On y joue les derniers instants d'un alcoolique qui va mettre fin à ses jours. Des flashbacks qui commencer par sa première sortie de cure de réhabilitation vont raconter l'échec de sa lutte contre l'alcoolisme et ses conséquences sur sa famille (il y a trois personnages, le père alcoolique, sa femme et sa fille).
Chose intéressantes dans la présentation du jeu il est dit que le niveau de contrainte sur la narration est faible (alors qu'on connait la fin de l'histoire !).
Je ne pense pas qu'il s'agisse ici d'imposer une vision du monde. Je crois que les joueurs cherchent surtout à ressentir des sentiments qui ne sont pas les leurs et à faire l'expérience d'émotions fortes (ce que beaucoup, dont moi, ont pu chercher dans la pratique du théâtre).
On peut évidemment y voir une limitation de la liberté du joueur mais il me semble que le jeu ne me frustrerait pas (de la même façon que je n'étais pas frustré à la sortie de ton adaptation des
Hauts de Hurlevent).
J'y retrouve ce que je cherche en JDR le fait d'être en parallèle dans la création et dans la découverte. On est pas si éloigné d'un
Les Petites Choses Oubliées où l'on explore des souvenirs que l'on créé en même temps, on est surpris par notre création collective. Le fait de connaître la fin n'empêche pas cette surprise (de la même façon qu'on peut être surpris en allant voir une nouvelle mise en scène de Roméo et Juliette même en étant au courant qu'il s'agit d'une tragédie).