L'indépendance en boutique

Les autres jeux indés, ceux du commerce, le jeu de rôle en général

L'indépendance en boutique

Message par Steve J » 04 Déc 2014, 21:01

Mon message commencera par une constatation : mon intérêt pour les jeux indépendants m'a considérablement éloigné des boutiques.
J'ai toujours la curiosité de visiter les boutiques de JDR qui se trouvent sur ma route (récemment je me suis attardé dans le rayon JDR d'une boutique de jeux suisse-allemande qui proposait des JDR en anglais, en allemand et en français mais ne proposaient que les grosses machines : DD5, Pathfinder, Shadowrun et Cthulhu) mais j’achète presque la totalité de mes JDR sur internet (c'est beaucoup moins le cas pour les jeux de plateau).
Quand je discute JDR avec les gérants de boutique, les jeux qui m'intéressent sont trop pointus pour que les vendeurs puissent me conseiller. Et je ne parle même pas des jeux non disponibles en boutiques (enfin si justement je vais y venir).

Cependant je note que dans les boutiques spécialisées on y trouve des jeux indépendants américains.
C'est le cas à Starplayer (Paris) et à Trollune (Lyon). Dans ce dernier j'ai même pu trouver une édition de Do : Pilgrims of the Flying Temple a un prix qui me semble plutôt abordable (en général on subit un surcoût non négligeable en achetant des JDR indés en boutique française).
En demandant des détails au gérant j'apprends que les auteurs passait par un fournisseur, peut-être s'agit-il d'Indie Press Revolution. Bref la présence de ces livres n'était pas vraiment un hasard (et ne résultait pas non plus d'une passion démesuré du gérant du magasin pour le JDR indépendant).

J'avais eu l'occasion de poser la question à Jack Richmond, auteur de Tokyo Brain Pop qui m'avait dit avoir contacté directement Leisure Games (gros magasin anglais) et avoir été contacté directement par un vendeur italien. Maintenant il passe aussi par IPR.
Je n'ai pas posé la question des marges mais j'ai l'impression qu'il y a un rapport différent aux boutiques avec les auteurs américains (même si Ron Edward et -je crois- Vincent Baker s'est récemment désengagé d'IPR). Je sais qu'en France les boutiques traitent souvent avec des fournisseurs même pour des éditeurs un peu installés (Starplayer ne traite pas directement avec la Boite à Heuh par exemple, mais c'est peut-être l'exception).

Bref ces quelques faits étant posés je ne peux pas m'empêcher de poser quelques questions.
Serait-il possible de vendre de l'indépendant en boutique ? Avec quelles marges ? Y a-t-il eu des expériences allant dans ce sens ? Plus généralement pourquoi ne trouve-t-on pas de JDR indépendants français dans les boutiques françaises ?
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Re: L'indépendance en boutique

Message par Thomas Munier » 04 Déc 2014, 21:11

Je vois trois barrières :

+ tirer un certain nombre d'exemplaires (au moins deux cent)
+ contacter un distributeur
+ faire le deuil de tirer un revenu correct par livre. (l'imprimeur prend un tiers, le distributeur un tiers, la boutique un tiers... fais le calcul de ce qui te reste). Faire un tirage en boutique serait plus un acte de promo qu'une recherche de revenu. (je ne prétends pas que ça n'a pas d'intérêt).
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Re: L'indépendance en boutique

Message par Christoph » 05 Déc 2014, 13:25

Hello Steve

Fred Hicks préconise un prix de couverture qui est environ le quintuple du prix de fabrication, afin justement de pouvoir envisager la distribution en boutique. Vu le prix d'impression chez Lulu, et les prix de vente modestes pratiqués par les auteurs francophones, ça explique déjà en bonne partie l'absence des boutiques des auteurs des Ateliers Imaginaires. Sauf arrangements directs, ce que certaines boutiques refusent.

Mais avant de poser la question de la possibilité de vendre en boutique, il faudrait se poser la question de son intérêt. Le seul que je vois c'est de toucher un public qui ne vient pas spontanément dénicher des trucs obscurs sur internet, donc des ventes supplémentaires (avec une marge moindre, certes).
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Re: L'indépendance en boutique

Message par Mangelune » 05 Déc 2014, 20:23

Même constat que Steve, je vais de moins en moins en boutiques (et je lorgne plus sur les jeux de plateau que sur les jdr).

Cela dit j'ai peur que ce ne soit pas qu'une question de coûts mais aussi de changement de mentalités : je vais moins en boutiques pour beaucoup de choses, la plupart des vendeurs de jdr se foutent désormais pas mal de ce loisir et sont devenus plus calés en plateaux (et encore, ils sont dépassés par le nombre de sorties), les jeux sont bennés dans le fond, aucun ne ressort du lot exceptés quelques livres luxe tout couleur... à partir de là, l'intérêt de placer de l'indie en boutique est très limité : nos jeux sont plus sobres (limite peu engageants) et ne bénéficieront pas d'un coup de pouce de 95 % des vendeurs (au moins de nombreuses librairies ont mis en place un système de coups de cœur).
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Re: L'indépendance en boutique

Message par Thomas Munier » 06 Déc 2014, 08:52

Je me demande d'ailleurs s'il n'y aurait pas plus à faire avec les librairies indépendantes qu'avec les boutiques de jeux...
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Re: L'indépendance en boutique

Message par Fabien @ InMediasRes » 12 Déc 2014, 18:28

Le plus gros problème de diffusion pour les indépendants est la taille de leur catalogue, qui se limite souvent à un unique titre en lancement.
La vente directe avec les boutiques est très difficile du fait des frais de port. La valeur ajoutée d'un distributeur est de grouper facilement un produit isolé avec le réassort de plus gros éditeurs. Mais de la même façon, le coût de ce service ampute 20 à 30% de la marge selon le mode de distribution : achat sec ou dépôt vente.
En jeux de plateaux on voit pas mal de distributeurs se lancer dans l'édition (Asmodee, Iello, Intrafin) de par la facilité de diffuser leur production avec celles de leurs clients (et en se facturant certainement à prix d'ami !). En JdR, j'ai l'impression que seul Intrafin ait franchi le pas.

La difficulté est d'établir une stratégie de distribution selon la disponibilité et la visibilité que l'on veut donner à son jeu (ce qui influera sur le tirage). Car à l'ère de la vente à distance par le web, la présence physique en point de vente peut s'assimiler à de la publicité. Deux exemples (recueillis auprès des éditeurs) :

- le JdR City Hall de Ankama a été tiré en 3 000 ex et diffusé principalement dans les librairies en même temps que les réassorts de manga, puisque la cible visée était essentiellement les lecteurs de la série.

- au début des années 2000, les Humanoïdes Associés ont doublé les tirages normaux de leurs titres BD phares (donc entre 60 et 200 000 ex) et ont fait des présentoirs (TG) pour tenter de percer en grande distribution. Résultat malheureux : nombres de ces titres sont revenus invendus et se sont retrouvés chez les soldeurs ou mis au pilon... Wizard of the Coast avait également tenté le coup avec DD, qu'on trouvait alors en Fnac et Virgin, avant de faire machine arrière.

Si je cite ces exemples, c'est bien pour montrer qu'il faut avoir les reins solides pour adopter des modes de distributions agressifs. Or les indépendants et les petits éditeurs n'ont pas cette capacité financière et doivent se contenter de passer par un distributeur soit de faire du crowdfunding (qui permet pour 8-10% de frais de bénéficier d'une pub de lancement et d'une belle rentrée de trésorerie !).
Le problème caché du distributeur quand on est indépendant est le manque de visibilité dans son catalogue si l'on n'a qu'un titre et qu'on n'a pas fait sa propre pub auprès des boutiques ou dans les salons pour monter sa notoriété. Les distributeurs l'avouent parfois à demi-mot, mais ils ont peu d'intérêts à vendre un produit isolé du fait du coût administratif qui en découle. Certains ne prennent de nouveaux éditeurs qu'à condition qu'ils aient une gamme de 3-5 produits conséquents. Alors l'auteur indépendant...

Une solution pour les indépendants qui souhaiteraient bénéficier d'un distribution adaptée pourrait être de ce regrouper et fonder leur propre structure de distribution, mais là encore, sans un minimum de titres qui assurent un fond régulier de commande, la structure risque de ne pas être viable.

Sinon il reste le web et l'impression à la demande...
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Re: L'indépendance en boutique

Message par Christoph » 13 Déc 2014, 13:04

Hello

J'ouvre une parenthèse historique, un petit rappel que je fais périodiquement. Dans les années 2000, l'indépendance à la mode Forge est née pour se défaire du modèle créateur-éditeur-distributeur-boutique-rôliste, et d'en cherche d'autres (dont le modèle de la vente directe du créateur au rôliste n'est qu'une possibilité parmi d'autres, facilité entre temps par l'impression à la demande, les liseuses électroniques, etc.)

Une idée reçue très fréquente sur la Cellule en francophonie, c'est que l'indépendance c'est pour se débarrasser des éditeurs, ces méchants parasites amoraux... (second degré!) Cependant il faut savoir qu'Edwards avait une dent particulièrement acérée contre la distribution américaine, qui court-circuitait complètement le lien entre le créateur et les boutiques. Les maisons d'éditions ne savaient pas si ce que le distributeur leur prenait se vendait vraiment en boutiques, et le gérant de magasin devait se baser sur les recommandations des distributeurs pour essayer de deviner ce qui serait le prochain truc à la mode, sans accès aux éditeurs... Un bon jeu était un jeu intéressant pour les distributeurs ! (La question du catalogue, que nous présente Fabien, en est un exemple.)
Voici quelques articles sur le sujet : The Nuked Applecart (fr), What the industry needs (by me!), Poison pages et une réflexion pour aller de l'avant (hmm, en 2008...) Independence, Adept Press, and Indie Press Revolution.

Le contexte francophone de 2015 sera très différent de celui des États-Unis à la fin des années 90, début des années 2000. Évidemment, il faut réactualiser chaque élément. Cependant, l'histoire a montré un certain nombre de pièges et on peut donc tenter de s'assurer de ne pas être les victimes de leurs versions 2.0.

Je connais très mal la situation de la distribution pour les jeux de rôle en francophonie. Le fait que plusieurs pays soient impliqués complique évidemment encore la chose. Si ça se trouve, les distributeurs francophones sont une excellente solution pour certains auteurs indépendants, mais je n'en sais rien du tout. Si quelqu'un en sait plus, ça m'intéresse.

Une autre idée, évoquée dans les articles d'Edwards mis en lien, c'est le « fulfilment house » (la maison d'exécution?), c'est-à-dire des gens qui s'occupent de prendre les commandes puis livrer les jeux. Ils n'achètent pas les stocks de jeux pour les revendre plus loin, ils s'occupent juste des tâches chiantes et reçoivent une commission pour chaque jeu vendu. Pas vraiment un distributeur donc, mais sûrement un intermédiaire intéressant pour les boutiques, qui y retrouveraient un certain regroupement des titres. Je n'ai aucune idée si cela existe en francophonie.

Steve, je ne sais pas si ça répond à ta question, mais je pense que ça a le mérite de montrer que c'est une question très complexe, et que pour des auteurs avec un jeu et encore relativement peu d'expérience, la vente directe par internet représente de nombreux avantages, dont celui de l'économie de temps.
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Re: L'indépendance en boutique

Message par Steve J » 14 Déc 2014, 17:59

Merci à tous pour ces précisions.
Je trouve vraiment intéressant le commentaire historique sur l'indépendance forgienne qui cherchait d'abord à réinventer des modes de distributions (pour aboutir finalement à The Unstore, site qui permet de se procurer la plupart des indés US).

Finalement l'indépendance francophone fait, très majoritairement, le choix de se rapprocher du modèle forgien et pas d'autres modèles de l'indépendance.
Steve J
 
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Re: L'indépendance en boutique

Message par Christoph » 15 Déc 2014, 23:50

Hello Steve

Si mon texte fait penser que la plupart des indépendants autrefois actifs sur la Forge ont choisi la solution de l'Unstore, c'est une erreur de ma part. Par exemple, vous n'y trouverez pas les jeux de Paul Czege.
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Re: L'indépendance en boutique

Message par Pierre G. (Saladdin) » 15 Déc 2014, 23:55

Je trouve le principe de l'Unstore intéressant (même si le site n'est pas très attirant). J'ai toujours pensé qu'il manquait une vitrine comme celle-ci pour les jeux de rôles indépendants en France...
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Re: L'indépendance en boutique

Message par Frédéric » 16 Déc 2014, 00:42

Pierre : On a quelque chose en préparation. C'est pas tout à fait l'Unstore, mais chhhut, surprise.
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