Pratique à démarches créatives plurielles ?

Les autres jeux indés, ceux du commerce, le jeu de rôle en général

Pratique à démarches créatives plurielles ?

Message par Mangelune » 27 Fév 2015, 17:40

C'est une bonne question que je me posais aussi, mais je crois que je commence à comprendre ce que veut dire Frederic.

Il faut voir que la démarche créative est appelée en anglais "creative agenda". Un agenda, c'est un ordre du jour, un truc planifié en amont, pas une décision qu'on prend à l'inspi au dernier moment et dont on change d'une scène à l'autre. C'est quelque chose qui se construit, qui implique tous les joueurs dont l'objectif est d'élaborer peu à peu la partie de jeu de rôle. C'est parce que tout le monde est d'accord en amont pour aller dans la même direction créative que ça marche.

Du coup il est peut-être possible avec certains jeux de changer de creative agenda en fonction des scènes (scène de combat = ludism, puis scène d'exploration = simulationism, puis scène de drame = narrativism). Un peu comme le fait Robin D. Laws en séparant de façon très tranchée les différents types de scènes et en leur attribuant non seulement des règles mais aussi des paradigmes radicalement différents.

Le problème c'est qu'on se retrouve en fait non pas avec une partie mais avec plusieurs mini-parties ayant chacune leur creative agenda. Un peu comme dans Donjons & Dragons quand on passe en mode figurines pour le combat, avec des persos capables de prendre des dizaines de coups d'épées, puis quand on adopte de nouvelles règles pour gérer la romance qui occupe un PJ et un PNJ, ou quand on décide soudain que dans une scène dramatique un coup de dague peut tuer un roi sur le champ. Les paradoxes se multiplient, certains inventent des règles rustines pour compenser, et le risque devient grand de voir certains joueurs adopter la mauvaise démarche dans certaines scènes (planter une dague dans un orc en mode baston et croire que ça va le tuer, râler parce que le grand moment dramatique de la mort du roi empêche le prêtre du groupe de le soigner, etc.) Il est donc peut être absurde de parler véritablement d'instants GNS.

J'ai joué récemment à Star Wars (la dernière version de Edge avec les dés chelous) et il faut reconnaître que le contrat était tout sauf clair : impossible de savoir quel peut être vraiment l'angle d'attaque du jeu. Résultat on a des pouvoirs de baston qui donne envie de foncer dans le ludisme, on joue des jedi et on aperçoit des mécaniques de dilemmes moraux avec les points de moralité. Cela dit je suis peut-être méchant, c'est peut être du pur ludisme : les dialogues sont vus comme des obstacles à franchir (test de compétence), et la moralité peut n'être qu'une simple ressource à laquelle faire gaffe (ok si tu prends un point de côté obscur tu gagnes un bonus, mais si tu en prends trop tu finiras PNJ).
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Re: Pratique à démarches créatives plurielles ?

Message par Frédéric » 27 Fév 2015, 19:55

J'ai déplacé ce message ici avec l'accord de Vivien, il a originellement été publié dans ce fil : viewtopic.php?f=50&t=3438 et mérite son propre lieu d'échange.

À propos, j'ai mis un titre provisoire, n'hésite pas à le changer. ;)
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Re: Pratique à démarches créatives plurielles ?

Message par Thomas Munier » 27 Fév 2015, 20:18

J'ai tendance à penser que dans un jeu cohabitent tout un tas de mécaniques, qui prises à part, semblent encourager de démarches créatives différentes. Mais en général, il y a une de ces mécaniques qui justifie l'emploi de toutes les autres, et conditionne, à elle seule, l'agenda créatif. Par exemple, quand on introduit les alignements dans AD&D (neutre, loyal et chaotique existaient déjà dans D&D, mais pas bon, mauvais et neutre), le jeu devient... narrativiste ! Dans toutes les parties d'AD&D et de DD 3.5 que j'ai jouées, à moins d'ignorer complètement cette mécanique, le jeu se centrait sur des dilemmes moraux. Que les combats soient gérés en micro-tactique et le social en quasi-freeform n'y changait rien.

Par exemple, on est un groupe de bons et on arrive dans une ville corrompue par le mal. Alors que c'était absolument anti-optimisateur, on se met à enquêter contre cette corruption (la meilleure chose aurait été de fuir, tant nous étions en sous-nombre). Le paladin va jusqu'à se promener en ville sans retirer son tabard ! Autant peindre une cible sur son dos. On a fait ce choix, parce que c'était dans la mécanique des alignements, on n'était pas près à changer d'alignement pour adopter une tactique plus prudente, simplement parce qu'on aurait vu ça comme une sanction ludique.

Je me rappelle de discussions enfiévrées entre un perso bon et un perso neutre pour savoir si on pouvait piller les tombes, et aussi d'un paladin qui est allé à la mort pour protéger la veuve et l'orphelin d'une bande d'orques en surnombre, et nous on est allé à son secours parce qu'on était bons (pas assez loyaux pour y aller de notre plein chef, assez bons pour porter secours à notre camarade inconscient) : ça a coûté la vie au paladin et ça nous a laissé sur les rotules.

Mais peut-être que je me goure complètement et que tous ces exemples de jeu étaient des non-choix pour les joueurs que nous étions, une absence de liberté : le MJ se servant de nos alignements pour nous amener dans les arène de jeu qu'il avait prévues, pour lesquelles il avait préparé une adversité. Et alors en fait, les alignements sont un élément à part entière de l'agenda créatif ludiste. L'anecdote du MJ mettant en scène une veuve et un orphelin attaqué par un groupe d'orques : après tout, le joueur du paladin avait-il le moyen d'éviter de s'en mêler ? N'ayant jamais lu en détail sur le chapitre sur les alignements, je n'arrive pas à me prononcer.
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Re: Pratique à démarches créatives plurielles ?

Message par Mangelune » 28 Fév 2015, 10:59

Ah tiens c'est bien vu comme cas, effectivement les alignements à D&D ont toujours pris une importance démesurée dans mes parties. Mais là encore, c'est comme s'il y avait deux paradigmes qui se heurtaient, une espèce de malaise : d'un côté on sentait bien que le but des aventures c'était de tuer un max de monstres sans mourir, de l'autre on sentait aussi qu'il y avait cet élément contraire.

Du coup chacun se positionnait par rapport à ça, il n'y avait pas de vrai creative agenda (démarche/projet/dessein ?). Certains des conflits les plus pénibles que j'ai vécus en jdr tradi venaient de ce type de situations - je l'ai d'ailleurs revécu par moments durant ce Star Wars, où certains joueurs voulaient optimiser et d'autres voulaient jouer le dilemme moral à fond. Même quand tous les joueurs étaient d'accords pour jouer les alignements, ces derniers allaient dans tous les sens et souvent à l'encontre des scénarios (qui eux visaient simplement l'épique et le dézingage de monstres).
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Re: Pratique à démarches créatives plurielles ?

Message par Frédéric » 28 Fév 2015, 14:48

Comme Vivien, dans mon expérience, les différences d'alignement créaient des conflits qui court-circuitaient le reste du jeu.

Comme la fois où, jouant mon chaotique neutre (ou neutre mauvais, chai plus) dans un groupe de gentils héros, lorsque l'un des PJ s'est transformé en loup-garou, j'ai convaincu les autres de le tuer parce qu'il devenait un danger pour nous. Au final, j'ai baratiné tout le monde et l'autre PJ a été exécuté.
Au final, grosse frustration générale, alors que je me sentais dans mon bon droit de le jouer comme ça.

Le reste du scénario étant orienté résolution d'intrigue pour faire la peau à un grand méchant. Du coup le conflit que j'ai nourri était en parfaite rupture avec le reste.

Clairement, pour que les parties de D&D restent centrées sur l'épique et le challenge, il faut éviter les disparités en terme d'alignement et il vaut mieux que les objectifs des joueurs soient vraiment unifiés.

Si tout le jeu avait été orienté vers ce type de situations, alors on aurait peut-être joué avec une autre démarche créative (mais on aurait également pu jouer toute une partie comme ça de façon purement ludiste, à condition que tout le monde joue ludiste), car un jeu n'impose pas de démarche créative. Il soutient. Ça signifie qu'on peut jouer à D&D sim ou narr, alors qu'il soutient le ludisme. Mais chez de nombreux groupes, ça risque de créer des dissensions à la table. Et dans mon exemple et ceux de Vivien, c'est juste dysfonctionnel.
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Re: Pratique à démarches créatives plurielles ?

Message par Sildoenfein » 10 Mars 2015, 18:32

Ce message est plus une réponse au fil original (lui-même détaché de celui-ci), mais il n’y aurait pas sa place. Je vais essayer d’expliciter ma compréhension des choses, pour ne plus être accusé de raconter n’importe quoi… ou que vous m’ouvriez les yeux.

Je vous prie d’excuser le ton un peu professoral / « attends je t’explique la vie » de la suite, mais la profusion des interprétations de la théorie forgéenne rend nécessaire de repartir quasiment à zéro. Simplement pour être sûr que l’on parle bien de la même chose. Franchement ça m’énerve, mais je ne vois pas du tout comment faire autrement :/ J’essaye d’être didactique et que mon texte permette de distinguer facilement ce qui est ma restitution de la théorie forgéenne et ce qui est ma réflexion personnelle. N’hésitez pas à souligner là où votre compréhension diffère, là où vous pensez que je dérape ou les points qui m’auraient vraiment échappé. Les entrailles de la Forge sont profondes… et le but est tout de même d’échanger, pas d’affirmer.

Vivien attire notre attention sur le vocabulaire. Je pense que creative agenda se traduirait au mieux comme programme créatif ou [ i]priorités créatives[/i]. Mais par souci de clarté je vais conserver le terme choisi ici de démarche créative. À ce sujet, je tiens à rappeler que la Forge est une entreprise idéologique. Si la théorie forgéenne est bien un outil de réflexion, une grille de lecture et d’analyse du jeu de rôle, il ne faut pas oublier qu’elle cadre d’une manière bien spécifique le débat. E lui-même, le choix du vocabulaire oriente la réflexion et la discussion. Ceci n’enlevant rien à la qualité des réflexions qui y sont nées.

Allons enfin vers nos moutons. Une démarche créative c’est une priorité, ou un ensemble de priorités, qui va guider les décisions des joueurs en ce qui concerne la fiction. Cette priorité correspond à ce qui va être gratifiant pour eux lors d’une partie, quelque chose qu’ils apprécient dans le jeu de rôle.

La question en débat est : sur quelle période est-il bon de considérer cela ? Dans la théorie forgéenne, cette question se pose dans un cadre précis. Le postulat de Ron Edwards est que la pratique de jeu la plus satisfaisante est celle qui est « cohérente », c’est-à-dire — en première approximation, j’y reviens plus loin — qui promeut le choix d’une démarche créative unique et soutenue. Les alternatives sont l’absence de démarche créative soutenue et l’incohérence. La question à laquelle on peut trouver la réponse dans la théorie est donc : quelle période de jeu faut-il considérer pour s’assurer que le jeu (pratique) est cohérent et en identifier la démarche créative ? La réponse officielle est une instance de jeu, une notion dont la signification a varié. Je connais trois réponses :
1. le temps nécessaire pour identifier toutes les propriétés du système.
2. au moins un cycle de récompense (Un cycle de récompense, c’est le processus itératif « investissement en jeu → gratification », à ne pas surtout confondre avec les mécaniques de récompense style XP ou points Fate, même s’il y a bien évidemment des rencontres entre le cycle et les mécaniques.)
3. une période laissée volontairement floue. Sic.

Ok, il me semble que l’on a un problème là.

Mon interprétation de ces réponses c’est « suffisamment de temps que pour en être raisonnablement sûr ». C’est subjectif, c’est prendre le risque de l’erreur, ça se base sur l’expertise de l’observateur, mais c’est opérationnel.

Il serait donc nécessaire d’observer une période d’une certaine importance. Si cette période est nécessaire, c’est pour s’assurer que l’on a une démarche créative soutenue et cohérente. Il demeure que chaque décision de jeu est portée par une démarche créative ; on ne peut parler de la cohérence qu’en vérifiant chaque décision. Vérifier la cohérence d’une instance de jeu demande de descendre à un niveau de mesure plus bas, que l’on soit préoccupé par l’analyse d’une partie ou la conception d’un jeu.


Revenons à la cohérence. Une démarche créative unique et soutenue… j’ai un peu caricaturé, c’est un peu plus compliqué que cela. La Forge admet d’autres possibilités de cohérence, à savoir la combinaison harmonieuse de plusieurs démarches créatives.

La première possibilité est celle de l’hybridation. Dans ce cas, il y a plusieurs démarches créatives présentes simultanément. Pas au sein d’une seule décision, bien entendu. Les pratiques d’hybridations observées et reconnues comme fonctionnelles sont celles qui mêlent au plus deux des trois démarches créatives reconnues, avec une démarche primaire ou dominante et l’autre la soutenant. Il n’y aurait pas d’impossibilité « théorique » à aller plus loin, et l’hybridation est identifiée comme une pratique difficile.

Si l’on envisage d’avoir plusieurs démarches créatives simultanément menées, c’est de la congruence. Cela veut dire que pour chaque « coup », la décision peut être prise de manière à satisfaire à la fois les différentes priorités. C’est, en pratique, impossible sur une durée significative.

La possibilité d’avoir une succession de démarches créatives différentes lors de différentes phases est envisagée, mais à ma connaissance pas très mise en avant. On parle de transition et de règles spécifiques pour les gérer.

À mon avis pour que cela fonctionne il faut que la succession des démarches ne nuisent pas à la gratification, donc à minima à partir du moment où l’on a pu profiter suffisamment de la gratification de la démarche créative précédente, et d’une manière coordonnée entre les joueurs. Cette coordination peut être tacite, comme les musiciens d’un orchestre de chambre qui commencent ensemble le mouvement suivant d’un morceau. Surtout, la question de la succession de démarches créatives complique encore la question de la durée, en particulier si les transistions sont implicites et continues.

Les autres possibilités reconnues sont perçues négativement. Un jeu sans démarche créative est tout simplement fade, inintéressant. Un jeu avec plusieurs démarches créatives concurrentes est incohérent, dysfonctionnel. La concurrence peut avoir lieu entre participants, règles et/ou conseils de jeu. C’est le clash de démarches créatives. (Exemple archétypal : le joueur qui joue pour gagner le scénario qui se fâche avec le joueur qui a pris volontairement une décision non-optimale dans cette optique.)

Dans tous ces cas, il est nécessaire de considérer la démarche créative à la fois sur la durée et à la fois instant par instant pour pouvoir tirer des conclusions valables.


Et c’est ce que je voulais dire sur les modes de maitrise : on peut avoir des instants illusionnistes ou dirigistes dans une pratique qui demeure pourtant d’une autre nature ; ces instant pouvant même renforcer le mode principal. On peut avoir des périodes avec des modes différents au sein du même jeu, de la même partie. (Ceci étant, j’aurais très bien pu le dire sans faire référence au LNS, cela aurait été plus clair et moins conflictuel.)
Philippe D. / Sildoenfein - [G+] Attention : intervenant à éclipses. Avertissement : incapacité chronique à clôturer une conversation. Bien agiter avant l'usage. Ne pas dépasser la dose prescrite. "Le belge, là."
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Re: Pratique à démarches créatives plurielles ?

Message par Frédéric » 10 Mars 2015, 19:40

Il faudrait que je me replonge dans mes lectures, mais voici les endroits où l'on diffère :
  1. Il n'y a pas de démarche créative individuelle, de plaisir de jeu et d'intention GNS, c'est forcément une dynamique de groupe. La dynamique de groupe, elle, est identifiable. Ce que pensent les joueurs non. La démarche créative parle de ce qui est identifiable.
  2. Il n'y a pas d'instant G, N ou S : la flèche de la démarche créative n'entre pas dans les "ephemera". On peut jouer simulationniste avec un combat basé sur la compétition. On n'a pas fait du ludisme pendant ce combat. Soit on a continué de jouer sim avec un combat compétitif, soit on a eu une zone de jeu qui ne répondait pas tout à fait à la démarche créative, mais c'est pas trop gênant, et au pire on a détraqué la démarche créative.
  3. La dérive (drift) est une forme de compensation : le groupe dérive vers une démarche créative pour la partie à partir d'un jeu qui en avait une autre (ou pas du tout), pas vers plusieurs en alternance.
  4. Pour ce qui est des hybridations, je crois que Ron Edwards parle de cas spécifiques et extrêmement rares qui embrouillent tout le monde. Si l'on prend ce schéma de Vincent Baker, c'est tout simplement absurde d'imaginer utiliser plusieurs zones de ce schéma au sein d'une même partie (on explore un thème de façon collective, ah mais non, c'est le MJ qui pose le thème en fait...). Ron Edwards intègre des éléments qu'il attribue à une démarche créative dans une autre, mais je ne crois pas qu'il s'agisse de démarches utilisées de façon réellement complémentaires.

Certains jeux que j'ai eu l'occasion de tester récemment me font poser des questions au sujet de l'hybridation. Je reviendrai avec des CR pour en parler plus précisément, là je n'ai pas de matière pour ça.

Une démarche créative n'existe que sur la totalité d'une partie. Les cycles permettent de l'identifier, pas de conclure et de changer.
Parce que les enjeux d'une partie la traversent de son début jusqu'à sa fin. On en peut pas jouer pour la victoire et risquer la défaite d'un objectif final (avec des enjeux de bien et de mal clairs), si tout à coup on se met à jouer pour des questions morales et savoir quel sera le prix à payer pour atteindre le même objectif (avec des questions de bien et de mal devenues floues tout à coup), ça signifie qu'il n'y a plus de lien avec tout ce qu'on a fait jusque-là.
Soit la partie est coupée en deux et on résout un premier objectif selon le premier mode, puis on a un autre objectif avec un mode différent, mais ça reste un changement qui invalide la démarche de la première moitié de la partie : comment donner une cohérence à un héros qui luttait pour des valeurs claires de bien contre le mal (ou de justice contre l'injustice) et devient soudain en plein milieu de la partie un personnage ambivalent moralement ? Comment ce qui est écrit sur sa fiche peut se recycler pour ça ? La mécanique de jeu ? La création de situation ?

J'attends toujours de voir. Julien (KcoQuidam) avait tenté de fabriquer un jeu avec découpage par scènes et démarches créatives alternées, c'était pas une franche réussite : http://www.silentdrift.net/forum/viewto ... f=3&t=1895

Pour l'illusionnisme et le participationnisme, c'est pareil : le premier est un contrat : Je (le MJ) contrôle l'histoire, vous la suivez et vous vous amusez dans la part de liberté que vous avez pour atteindre les objectifs fixés.
Le deuxième est le contraire d'un contrat : Je (le MJ) vous fais croire que vous êtes libres, alors que c'est moi qui tire les ficelles.
Si tu essayes de passer à l'illusionnisme en cours de partie, ça signifie que tu fais de l'illusionnisme. Ça signifie que les joueurs ne sont pas libres. S'ils sont libres par moments et plus à d'autres, c'est quand même de l'illusionnisme.
Si tu essayes de passer au participationnisme en cours de partie, comment veux-tu que tout à coup les joueurs décident de suivre ton scénario alors qu'ils étaient libres avant ?

Une partie de JdR a besoin d'unité, de la même façon qu'un film ou un roman. Tous ces concepts parlent d'unité, à la fois au niveau du système, mais aussi au niveau social. Sans unité, on part dans le dysfonctionnel.
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Re: Pratique à démarches créatives plurielles ?

Message par Christoph » 10 Mars 2015, 21:42

Hello

Philippe, ton résumé est pas mal ! J'y apporterai juste la remarque super utile, tirée de l'introduction de LNS et d'autres sujets de théorie rôliste : « La personne qui est complètement satisfaite de sa vie rôliste n’est pas mon cœur de cible. » Mon interprétation : si c'est incohérent mais que les gens sont satisfaits, et ben ça n'a pas de sens de leur dire que c'est incohérent. J'ai appris, dans la souffrance, que cette remarque peut éviter pas mal de frustrations et de vexations.

Pour la question des hybrides et de la congruence et apporter un grain de sel au point 4 de Fréd', voici (après le dernier bloc cité) un « état de la question » de Ron en 2009 (soit 5 ans après le dernier des trois « gros » essais). En résumé : pourquoi pas, mais dans les faits, on ne l'a toujours pas vu, malgré beaucoup de bonne volonté. (On y voit aussi la réfutation de « l'atome » de démarche créative que Fréd' souligne au point 2.)

Finalement, en ce qui concerne le drift que Fréd' évoque au point 3, j'étais assez surpris d'apprendre qu'en fait même Ron n'était pas au clair sur ce que c'est en 2008, démentant implicitement la clarté apparente de sa définition dans le Provisional Glossary.

Voilà, assez de spéléologie pour ce soir mes amis. Ce n'est pas pour couper la chique à qui que ce soit, c'est pour montrer que les choses sont plus floues qu'on pourrait le croire à première vue. Ce qui ouvre tout un champ d'exploration à ceux qui le veulent bien : la Forge était loin d'avoir tout compris !
Les Petites choses oubliées, avec Sylvie Guillaume, c'est arrivé !
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Zombie Cinema, en français dans le texte.
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Re: Pratique à démarches créatives plurielles ?

Message par Sildoenfein » 19 Mars 2015, 18:27

Frédéric, je prétends que si tu vas vérifier, en dehors de mes interprétations personnelles que j’ai essayé de clairement délimiter, tu ne trouveras pas grand-chose qui ne soit pas solidement étayé ;)

Si je reprends tes arguments numérotés :

1. Évidemment. Il n’y pas de différence réelle entre ce que nous disons l’un et l’autre. Il y a une difficulté de vocabulaire qui ne permet pas de distinguer aisément (hors périphrases) la démarche créative accomplie, effective, des attentes-intentions des participants. Je pense que dans certains contextes il est très utile effectivement de faire soigneusement la distinction.

2. Tout à fait d’accord. C’est d’ailleurs plus une question de priorité que d’évaluation binaire présent / pas présent d’objets ludiques. Toutefois, pour pouvoir traiter d’incohérence, de conflit d’agenda (le terme en lui-même crée-entretien-révèle la confusion groupe/individu), de transition, tu n’as pas d’autre choix que de descendre un niveau plus bas que ce soit au niveau des individus ou des séquences de jeu. Bien sûr on ne parle plus d’une démarche créative cohérente accomplie – de par le sujet même – donc la confusion n’est pas possible. Si tu admets ne serait-ce que théoriquement la possibilité de transitions, il faut descendre la démarche créative à un niveau inférieur à celui de « la partie » (là aussi un concept qui me semble très difficile et périlleux à définir). Mais attention, je ne dis pas du tout qu’il y a nécessairement des instants ou de moments avec une démarche créative accomplie. Pour prendre une analogie, quand j’examine morceau par morceau une maison, je vois des morceaux de maison, certes, mais qui s’appellent briques, blocs, menuiserie, linteaux, isolation, … Autant la nature des morceaux que leur agencement définissent la maison. En faisant simplement une liste de leur nature, je ne saurais dire si c’est une maison d’habitation, un immeuble commercial. Mais il peut y avoir des éléments révélateurs. Maintenant si j’imagine la chose impensable qu’il puisse y avoir plusieurs bâtiments accolés, je ne saurai dire leur nature ni en examinant élément par élément (mais il peut y avoir des éléments révélateurs) ni en ne voulant voir que l’ensemble. Il faut que je sois prêt à percevoir des subdivisions et des frontières. Parfois claires comme le mur mitoyen entre la bijouterie et l’école, mais parfois très vagues. Dans le loft, la salle à manger où l’on reçoit qui est séparés de l’espace privé de la salle de bain simplement par un agencement de mobilier, pas par des parois. Dan sla salle de spectacle de l’espace culturel, la zone des spectateurs qui est aujourd’hui distincte de la zone des artiste uniquement parce qu’elle est moins éclairée, la scène et les gradins étant repliés comme il était prévu de pouvoir le faire.

3. Je ne suis pas sûr de comprendre ce que tu veux dire. J’ai deux hypothèses.
3.a. J’ai maladroitement laissé entendre que je traduis drift par transition plutôt que dérive ? Non.
3.b. Tu envisages ma proposition de suite de démarches créatives comme une suite de dérive à partir d’un tronc commun. Ce n’est pas exactement ma vision : pour moi la dérive nécessite de changer le système, alors que si le système est prévu avec des éléments mobiles du point de vue de la démarche créative, ou avec différentes phases où s’expriment différentes règles, il n’est pas changé mais maintenu. On utilise le système pour ce qu’il est prévu de faire, plutôt que de le modifier pour lui faire faire autre chose. Pour le cas du freeform à système malléable, la dérive fait partie inhérente du système.

4. Hybridation, je ne prends pas le risque de m’aventurer là-dessus… j’ai beaucoup hésité à l’inclure dans mon résumé, mais cela permettait de faire quelque chose de complet dans l’inventaire des différentes combinaisons reconnues.

Pour la succession de démarches cela va être difficile dans discuter sans définir ce qu’est qu’une partie et c’est peut-être là le point d’achoppement. J’ai l’impression d’être face à une tautologie, où la partie est définie comme étant cohérente en termes d’agenda créatif, donc par conséquent s’il y a plusieurs agendas, il y a plusieurs parties. Ce qui ne me pose aucun problème si ce n’est que cela heurte mes définitions propres — que je n’ai aucune prétention d’imposer. Mon propre critère serait la continuité de la fiction, indépendamment de ce qui se passe au niveau des joueurs. Dans ce cadre je peux changer d’optique au sein de la même partie. Il est vrai que si tu considères l’ensemble et que tu en attends un tout cohérent en termes de démarche créative, cela peut ne pas être satisfaisant de ce point de vue. Je n’ai pas cette exigence. Mon credo est que si chaque séquence fut gratifiante, c’est gagné.

Pour moi, on pourrait continuer la même fiction en changeant d’un coup de règles de jeu sans que je n’aie envie de parler de parties différentes. Par exemple intercaler une mission jouée avec les mécanismes de l’Agence au milieu d’une séance jouée par ailleurs avec les règles de Dungeon World ne me choquerait pas, et je percevrais cela comme une continuité si la fiction est maintenue, en particulier s’il n’y a pas de point d’articulation majeur au sein de la fiction. (Ici je ne parle que de ma perception de ce qu’est une partie et de changement de système.)

Je ne dis pas que les changements de démarche créative sont possibles tout le temps, n’importe comment, ou toujours souhaitable. Loin de là. Je dis qu’ils sont possibles. Que l’on appelle cela une partie avec plusieurs séquences ou plusieurs parties qui partagent des points de jonction, peu m’importe.

Oui, il faut de l’unité. Il faut aussi de la variété. Pour moi il est d’un grand intérêt de jouer sur la tension entre les deux, de profiter de l’intervalle. Et l’unité ne doit pas porter nécessairement sur l’agenda créatif, même si c’est une solution assez fiable.

Je remarque que sur cette discussion nous glissons inéluctablement d’une démarche de définition sur des éléments plutôt objectivables vers des éléments nécessairement subjectifs : ce qui peut ou non nous satisfaire. Je pense que tenter de poser des définitions sur des notions aussi personnelles est toujours périlleux et demande énormément de travail pour arriver à des principes utiles.

Cette notion d’utilité des définitions, des réflexions qu’elles permettent de mener, des nuances qu’elles permettent de percevoir, est fondamentale pour moi.

Il en va de même pour les styles de maîtrise. Je ne vois pas l’intérêt d’en avoir une interprétation aussi radicale. Je ne pense pas qu’il y a un vrai ou un faux dans nos positions, il y a seulement des manières différentes de nommer la même réalité. Si je suis en prison en janvier et libre en février mars, pour moi je suis prisonnier le premier mois et libre les deux mois qui suivent. Un trimestre avec deux séquences. Tu as tout à fait raison aussi : on ne peut pas dire que j’ai été libre ce trimestre.

Oui, pour changer de style de maîtrise (ou d’agenda créatif) il y a des questions de communication avec les joueurs. Mais il suffit de leur dire, que ce soit implicitement ou explicitement, entre joueurs, par le système ou par la fiction. Si je décide de passer du jeu de basse au participationnisme, j’ai plusieurs possibilités. Soit je leur dis tout droit dehors (bruxellisme qui signifie s’exprimer franchement) : « pour la suite j’ai eu une idée de scénario, ça me ferait plaisir de vous le faire jouer », ou je le propose aux joueurs « tiens, j’ai eu une idée de scénario pour vos personnages, ça parle de ceci-cela, qu’en pensez-vous » ou via les personnages en leur mettant une accroche claire sous le nez. De nouveau cela ne se fait pas n’importe comment, n’importe quand. Enfin, quand je dis « il suffit de leur dire », il faut naturellement que ce soit accepté, de bonne grâce et connaissance de cause, peut-être négocié.



Christoph, merci beaucoup pour ton appréciation.

J’avais hésité à inclure un paragraphe sur le fait que The Forge était constituée d’individus, qui ont des avis parfois très divergents entre eux et dont les perceptions ont évolué, parfois fortement au cours du temps, ceci aussi après la publication des articles. J’ai préféré réduire mon discours à ce qui semblait publiquement stabilisé et au moins validé par Ron.
Le problème avec la phrase sur les gens satisfait, c’est qu’il écrit par ailleurs quelque chose dans le genre « il y a des joueurs qui croient qu’ils sont satisfaits par leur vie rôliste, mais ils sont comme une femme prisonnière d’une relation abusive violente ». Je ne dis pas — du tout — qu’il faut juger Ron et l’ensemble de son travail sur une seule phrase extraite de tout le corpus et citée hors contexte (et très certainement que je l’ai déformée car je n’ai pas été vérifier). Mais cela me fait parfois demander quelle part de ce qu’il a écrit est son véritable avis (dans un contexte, à un moment) et quelle part ne l’est pas (mais soit expression maladroite, soit précaution).
Je n’ai pas encore pu prendre le temps de lire le fil sur le drift, que je ne me souviens pas d’avoir déjà lu et qui a l’air fort dense.



Merci à tous les deux pour cet intéressant échange.
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Re: Pratique à démarches créatives plurielles ?

Message par Frédéric » 23 Mars 2015, 09:51

Bon, cette discussion est encore une impasse à mon avis. Ce que je te propose, si tu veux poursuivre, c'est de passer par un rapport de partie pour, par exemple, nous donner un extrait de ta pratique, afin que l'on puisse se concentrer sur quelque chose de concret.
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Re: Pratique à démarches créatives plurielles ?

Message par Sildoenfein » 23 Mars 2015, 18:16

Je suis d’accord, cela ressemble à une impasse. Il n’est pas possible de discuter de mon propos à travers de rapports de partie, étant donné que je parle et veut parler des définitions en elles-mêmes. On pourrait interpréter les CR, voir comment les termes s’y appliquent ou non, mais dès que nos définitions — que nous voulons tous établies solidement, fidèlement et de bonne foi — divergeront, nous serons de nouveau dans cette impasse. La meilleure solution reste celle que tu (et je) préconise : éviter ce vocabulaire et parler concrètement. Manifestement, le vocabulaire forgien est d’un abord trop difficile et trop chargé affectivement pour permettre un réel échange et une réelle construction à travers un media aussi difficile qu’un forum. Pourtant j’espérais… (une petite voix cynique se gausse : tu n’apprendra donc jamais ?)
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