[Théorie] Immersion

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Re: [Théorie] Immersion

Message par Eugénie » 17 Mars 2015, 10:38

(kaly, je pense que je t'ai répondu en explicitant les choses pour Frédéric. Si ce n'est pas le cas, n'hésite pas à me demander de préciser.)

Mangelune a écrit :C'est vrai aussi que le flow (le phénomène psychologique évoqué dans le dernier podcast de la Cellule) c'est une concentration maximale favorisée par cette impression de ne faire qu'un avec l'interface et le reste (en jeu vidéo avec sa manette et le jeu, en musique avec son instrument et la musique, etc.)

En jeu de rôle, si flow il peut exister, il ne s'atteindra pas avec un joueur tout seul en train de cogiter comme un furieux sur le plan à venir. Il s'atteindra a priori avec les joueurs en harmonie avec l'histoire et l'interface (les règles). Vouloir atteindre le flow tout seul en jdr, c'est absurde puisque c'est une activité de création à plusieurs. D'ailleurs sans spoiler l'immersion de Sens Renaissance change avec Sens Néant, signe que Romaric n'est plus vraiment aussi convaincu de sa justification.

Oui. J'irai juste un petit pas plus loin, en disant que pour moi l'interface c'est les autres joueurs. Les règles arrivent dans un second temps, parfois proche de l'anecdotique. (je ne veux pas dire du tout qu'on s'en fiche, mais dans le cadre de l'immersion, les autres joueurs arrivent avant, à mon avis).
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Re: [Théorie] Immersion

Message par Mangelune » 17 Mars 2015, 11:49

Tout ça est vraiment intéressant, cela rejoint une remise en cause par laquelle j'étais passé il y a quelques années suite à la rencontre de plusieurs facteurs :
- Une profonde lassitude liée à l'aspect "compétition débridée" du jdr : pas que j'aime pas la compétition, mais je l'apprécie quand les règles sont claires en amont. J'en avais plus qu'assez de voir tout le monde se tirer la bourre à mes tables et tenter notamment de démolir tout ce que le MJ essayait d'amener (blagues hors jeu incessantes, destruction des PNJs, etc.) Cette sensation, je la retrouve souvent quand j'accepte de faire une partie de jeu traditionnel pour faire plaisir aux amis.
- La découverte de jeux mettant en avant une responsabilité plus partagée - une façon en gros de responsabiliser toute la table et en échange de leur faire davantage confiance. Un jdr plus mature en ce sens.
- Au fur et à mesure, la découverte de jeux moins épiques, moins basés sur les conflits à vaincre comme Prosopopée mais aussi Fiasco (où on joue pour perdre), et plein de petits jeux testés parfois avec Steve J.
- La rédaction de Perdus sous la pluie où le système simple met en avant une compétition faussée qui sert surtout de cadre à la partie, le reste étant largement aux mains des joueurs. Combien de joueurs se sont sacrifiés finalement, préférant aller dans le sens de leur personnage plutôt que remporter une victoire finalement sans enjeu ?

Je pense cela dit que ce n'est pas la seule option possible parce que cette création "pour le plaisir de créer" perd quelque chose que j'apprécie en jdr, cette idée de contrainte systémique, de lutte âpre, d'évolution dans la douleur. Des jeux comme Burning Wheel ou Dogs ou Apocalypse World optent pour un partage des responsabilités relativement serré mais pas fermé, avec par contre des règles aussi contraignantes pour les joueurs que pour le MJ. Tout est sur la table, les joueurs ne sont pas pris pour des enfants, on leur demande leur avis dès la création. Pour recouper avec l'immersion, j'ai le sentiment que si on me vend un univers qui résiste à mon personnage, je n'aurai pas le sentiment de cette résistance, je ne m'immergerai pas, si cela ne prend pas une forme mécanique quelconque. Thomas est bien sûr seul décideur de son jeu, mais l'idée de clochards ayant au départ des réticences à perdre ce qu'il leur reste doit à mon sens passer par une résistance systémique par exemple. Sans cela, je pense que la partie sera belle mais elle me touchera moins.

Pourquoi ce besoin de mécaniques pour refléter les résistances ? Pourquoi ne pas intérioriser ces conflits (se convaincre en son for intérieur que cela arrive vraiment) et trouver un moyen de les révéler aux autres joueurs ? Est-ce parce que les joueurs de jdr sont au départ des ados un peu introvertis qui n'ont pas trop envie d'explorer en semi-réel des sensations, qu'ils préfèrent éviter voire externaliser la gestion des sentiments ? Est-ce parce que même les jdr plus indépendants, plus expérimentaux, n'arrivent pas à se détacher complètement de ces origines (le mouvement Freeform constituant alors une rupture longtemps attendue) ? Ou bien est-ce au contraire la force du jdr, cette déconstruction du monde sous forme de règles abstraites ?
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Re: [Théorie] Immersion

Message par Globo » 17 Mars 2015, 14:10

kaly a écrit : Merci Globo pour ta réponse. Je suis totalement d'accord avec toi sauf sur l'immersion sociale. Elle n'est pas liée directement au jeu, je ne pense pas qu'elle puisse être qualifiée d'immersion.
Merci pour le conseil de lecture, ça va m'être très utile.


Du coup, à la lecture des messages d'Eugénie, cela remets dans le debat la question de l'immersion sociale ... je pense que je ne decrivais pas la même chose qu'elle mais je crois par contre qu'elle valide le fait que l'on puisse éprouver une immersion "sociale' dans une partie et que du coup, il ne faut peut être pas éarter cette proposition trop rapidement.
Dernière édition par Globo le 17 Mars 2015, 14:11, édité 1 fois.
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Re: [Théorie] Immersion

Message par Frédéric » 17 Mars 2015, 14:10

Eugénie : merci d'avoir développé ton point de vue.

J'arrive à comprendre que des joueurs parviennent à prendre plaisir en prenant des décisions détachées de la "volonté" de leurs personnages. Mais ce n'est pas ce pour quoi je joue. Je joue pour que mes décisions aient du sens.
Pourtant, quand je joue à Bliss Stage, je me régale d'écouter ce qui se passe pour les autres quand je ne joue pas de personnage.

Pour moi il y a deux cas :
Dans Prosopopée, on raconte plein de choses hors de la volonté du personnage, mais au final, tout converge vers les objectifs des PJ. Si j'ai décrit un fruit, ce fruit servira peut-être plus tard à soigner des villageois atteints d'une curieuse maladie. Donc on continue de jouer pour défendre les intérêts des personnages (leur mission dans ce cas précis). Du coup nos décisions comptent (et c'est un jeu où l'on joue des personnages altruistes).

Et puis il y a les jeux où l'on raconte des trucs pour raconter des trucs, comme Chronicles of Skins, Perfect Unrevised, Microscope et bien d'autres. Où les intérêts des personnages ne comptent pas vraiment. Les intérêts sont souvent externes à ceux des personnages (parfois forcés par la mécanique). C'est ce que j'appelle le mode auteur et pour moi c'est d'un ennui profond. J'ai cru comprendre que ceux qui aimaient ce genre de jeux aiment l'impro pour la performance, se tirer la bourre, faire une démonstration de créativité.
SI je dois me forcer à inventer une histoire, je préfère en improviser une à ma fille, plutôt que de me réunir avec des amis pour ça. C'est un effort et pas vraiment un plaisir (sauf quand c'est pour ma fille).

Si on me propose de gagner ou de perdre, en tant que joueur je vais trouver ce choix sans intérêt. Personne ne fait de tels choix. Si on me demande ce que je préfère entre perdre la vie ou voir la personne que j'aime mourir, là il y a un vrai enjeu.

Je joue au JdR parce que je peux défendre les intérêts de mon personnage. Je n'aime pas les jeux de plateau, les soi-disant "storygames" et les jeux vidéo (pourtant j'en ai passé du temps dessus). Ce qui m'intéresse, c'est la connexion avec un personnage de fiction, avoir de l'empathie pour lui et pour les autres, prendre des décisions qui comptent, ressentir toutes les émotions possibles. J'aime aussi voir mes personnages souffrir. Mais si je les mets moi-même dans la mouise, c'est contraire à défendre leurs intérêts (sauf s'il y a une contrepartie, auquel cas ça peut devenir un dilemme et redevenir intéressant).
Et quand on me pose comme choix : accepter une violence ou la refuser, je considère ça vide de sens.

Et c'est la mécanique du jeu (enfin, de certains jeux) qui, quand elle est transparente et qu'elle se base sur des décisions et pas juste un jet de dés, me donne l'assurance que mes choix vont compter et que ce ne sera pas le MJ qui choisira arbitrairement ce qui va m'arriver. Et c'est ce fait qui me permet de savoir que mes décisions vont compter.

Je pense que c'est complètement désolidarisé avec le fait de prendre un plaisir onaniste et destructeur à la table de jeu. Puisque si le jeu est bien fait, on partage tous la même démarche et donc les choix individuels construisent le jeu commun (et c'est à ça que sert un système de jeu : créer une synergie sociale et créative, s'il fait autre chose, on peut le jeter).
En revanche, j'ai vu pas mal de tables (en JdR tradi bien entendu) où la recherche de plaisir individuel pourrissait la partie. Certains s'amusaient à faire des conneries, d'autres tentaient de jouer sérieux, d'autres encore tentaient d'optimiser à tout va. Personne ne parvenait à assimiler à son propre jeu ce que les autres faisaient. Ça n'arrive plus à mes tables depuis que l'on joue avec de véritables démarches créatives. Et les démarches créatives, c'est (aussi) une question de game design.

Néanmoins, il existe des jeux sans mécaniques de résolution et qui sont formidables, mais c'est parce qu'ils ne se centrent pas sur la combativité (le fait d'obtenir ce que l'on souhaite ou de se protéger de ce que l'on ne souhaite pas) :
- Les Petites Choses Oubliées
- Under My Skin d'Emily Care Boss (qui se joue en semi-grandeur nature).
- Happy Together
etc.
Ayant joué au premier et au troisième, ils me conviennent parfaitement parce qu'on y défend quand même les intérêts de nos personnages. Mais ces enjeux sont d'un autre ordre que dans un jeu comme Sens ou Apocalypse World.

___________________________
EDIT : hum, j'espère que le ton de ce message ne paraîtra pas péremptoire, ni sur la défensive, ce n'est pas du tout le cas. J'ai le sentiment que plusieurs choses se mélangent dans ton argumentaire, Eugénie. Donc j'essaie de détacher certains concepts pour la suite de la conversation.
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Re: [Théorie] Immersion

Message par Epiphanie (Julien) » 18 Mars 2015, 03:44

Bon, je profite d'une insomnie pour apporter mes dix cents à cette discussion super intéressante.

* Tout d'abord par rapport à ce ce que dit Kaly et notamment sur les différentes formes d'immersion que tu détailles, une question de vocabulaire: par rapport à ce que tu décris, je me demande si le terme "implication" ne s'appliquerait pas plus qu'"immersion". Ce que tu décris finalement, c'est ce qui va amener le joueur à se plonger dans le jeu, durant une phase ou selon une certaine modalité. Cela peut conduire à une fore d'immersion, mais est-ce que ça ne relèverait pas plutôt du fait que le joueur trouvant un intérêt va, justement, prendre place dans le jeu, et donc s'impliquer.

* Par rapport à Eugénie, dont je partage les tables et avec qui ma pratique et mes attentes ont beaucoup en commun: eut égard à la comparaison avec le théâtre d'impro, je me demande si l'on ne pourrait pas considérer le jeu de rôles en terme de "pratique"; dans le sens d'une "pratique artistique/culturelle", ou d'une "pratique sportive", c'est à dire d'une activité collective codifiée non seulement par des règles, mais aussi par une forme de sociabilité y afférant. Ce paradigme appliqué à notre activité me semble utile pour l'envisager sous un autre angle, notamment du point de vue du joueur (dans la définition exclusive que donne Eugénie et sans distinction tradi/pas tradi: donc pas MJ et pas auteur non plus), et principalement dans la manière de gérer le collectif: l'exemple sur les temps d'en jeu et de hors jeu, la manière aussi d'organiser et de ritualiser l'écoute, voire de la canaliser non pas par l'intérêt qu'y peut apporter le système mais par des "règles de savoir vivre"... Alors bon, je soulève une (petite) question plus que j'apporte d'éléments - et là on dérive loin de l'immersion - mais ça me semble une piste intéressante (quitte à bouturer) pour réfléchir à notre activité.

* Dernière chose par rapport à ce que dit Frédéric sur les deux cas (la convergence vers les objectifs des pj et le mode auteur), et notamment à propos de ça:

[quote Frederic]Et c'est la mécanique du jeu (enfin, de certains jeux) qui, quand elle est transparente et qu'elle se base sur des décisions et pas juste un jet de dés, me donne l'assurance que mes choix vont compter et que ce ne sera pas le MJ qui choisira arbitrairement ce qui va m'arriver. Et c'est ce fait qui me permet de savoir que mes décisions vont compter.
[/quote]

Je me demande si ce qu'Eugénie veut dire (désolé Eugénie, t'es pas là, je parle à ta place, tu auras le droit de me disputer si tu n'es pas d'accord), ça n'est pas que l'on peut arriver à émuler mes mêmes prises de décisions, les mêmes choix qui font fondamentalement le sel du jeu sans passer d'abord par la mécanique du jeu, mais d'abord par une bonne entente entre joueurs, une capacité d'écoute et d'acceptation qui ferait que l'on rebondit respectueusement sur ce que dit l'autre (bref, ce que tu appelles une synergie sociale) sans forcément avoir affaire à une instance extérieure objective (les règles) ou subjective (le MJ); mais plutôt à une manière de "savoir vivre" (mot plutôt inadapté que j'emploie faute de mieux), ou mieux de "savoir jouer" que l'on pourrait acquérir avec la pratique... Ca rejoint une fois encore cette idée de voir l'activité rôlistique comme une "pratique". Je ne sais pas ce que ça vaut, mais je me pose la question.

En tout cas, il me semble que la position qu'Eugénie défend (et qui est en très grande partie la mienne, je le reprécise pour ne pas que vous croyez que je fais juste de l'interprétation des intentions d'autrui... pas seulement) ne me semble pas du tout incompatible avec ce que recherche Frédéric, et cela n'ôte pas le fait que les décisions des joueurs puissent avoir du sens. le tout étant encore de savoir lequel.

(ps: j'ai complètement perdu la notion des discussions par forum interposé et j'ai eu beaucoup de mal à écrire ce message; alors si jamais mon ton ou ma manière de faire ne sont pas bons, n'hésitez pas à me le signaler. Rien de péremptoire aussi dans ce que je dis...)
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Re: [Théorie] Immersion

Message par Eugénie » 18 Mars 2015, 09:36

Wow wow... ça va trop vite et trop partout pour que je vous suive.

Mangelune a écrit :Je pense cela dit que ce n'est pas la seule option possible parce que cette création "pour le plaisir de créer" perd quelque chose que j'apprécie en jdr, cette idée de contrainte systémique, de lutte âpre, d'évolution dans la douleur. Des jeux comme Burning Wheel ou Dogs ou Apocalypse World optent pour un partage des responsabilités relativement serré mais pas fermé, avec par contre des règles aussi contraignantes pour les joueurs que pour le MJ. Tout est sur la table, les joueurs ne sont pas pris pour des enfants, on leur demande leur avis dès la création. Pour recouper avec l'immersion, j'ai le sentiment que si on me vend un univers qui résiste à mon personnage, je n'aurai pas le sentiment de cette résistance, je ne m'immergerai pas, si cela ne prend pas une forme mécanique quelconque. Thomas est bien sûr seul décideur de son jeu, mais l'idée de clochards ayant au départ des réticences à perdre ce qu'il leur reste doit à mon sens passer par une résistance systémique par exemple. Sans cela, je pense que la partie sera belle mais elle me touchera moins.

Attention, je ne dis pas, à aucun moment, que ma façon de jouer est représentative de tous les joueurs, encore moins que c'est la seule possible. Je dis juste qu'il existe une autre façon de jouer et que je ne me reconnais pas dans l'image du joueur moyen qui est dessinée (souvent en creux) dans les théories sur le jdr.

Mangelune a écrit :Pourquoi ce besoin de mécaniques pour refléter les résistances ? Pourquoi ne pas intérioriser ces conflits (se convaincre en son for intérieur que cela arrive vraiment) et trouver un moyen de les révéler aux autres joueurs ?

Parce que ça s'apprend.

En impro, on ne joue pas pour vivre, on joue pour partager (sous-entendu pour révéler, pour donner à voir, pour échanger, pour valoriser, pour approuver...) Cet aspect-là du jeu est pour moi central en jdr, mais il dépend tellement du joueur que je comprends qu'il est plus évident de lui préférer des mécaniques (d'auteur) ou des techniques (de MJ) parce que c'est ce qu'on sait actuellement travailler et théoriser.

Comme on s'éloigne largement de l'immersion, j'aimerais expliciter ma position sur un nouveau fil dans ta cuisine, si tu me le permets. Ça me permettrait de basculer sur ce que dit Epiphanie à propos du jdr comme "pratique", en reposant les choses à plat.
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Re: [Théorie] Immersion

Message par Eugénie » 18 Mars 2015, 10:03

Frédéric : avant tout, je conçois qu'on ne soit pas sur le même plaisir (encore que, j'ai l'impression qu'il y a des similitudes) et je n'ai aucun problème avec cette différence-là. Sur la discussion à propos d'Arbre, vos échanges avec Thomas m'ont réellement intéressée et, si je ne partage pas complètement ton point de vue, je le respecte et je le reconnais pour fondé. J'ai bien noté que Thomas avait l'air pleinement satisfait de la nouvelle forme de son jeu.

Je me permets de lister les points où je te rejoins totalement et sans réserve, en espérant ne pas faire de contresens en sortant les phrases de leur contexte :
Je joue pour que mes décisions aient du sens.
Nos décisions comptent.
Ce qui m'intéresse, c'est la connexion avec un personnage de fiction, avoir de l'empathie pour lui et pour les autres, prendre des décisions qui comptent, ressentir toutes les émotions possibles.


Et je ne suis pas d'accord avec ces-points-là (uniquement dans la mesure où tu sembles les appliquer à ma façon de jouer ou au plaisir que je recherche) :
J'arrive à comprendre que des joueurs parviennent à prendre plaisir en prenant des décisions détachées de la "volonté" de leurs personnages.
(…) les jeux où l'on raconte des trucs pour raconter des trucs (...) Où les intérêts des personnages ne comptent pas vraiment.
J'ai cru comprendre que ceux qui aimaient ce genre de jeux aiment l'impro pour la performance, se tirer la bourre, faire une démonstration de créativité.


J'ai l'impression que tu considères qu'il n'y a que deux options pour jouer : défendre à tout prix les intérêts de son personnage ou s'en détacher complètement.
Je crois que je ne me retrouve pas dans cette opposition. Pour moi, jouer sa volonté prend en compte d'avance que je vais accepter la mouise qui va lui tomber dessus, si elle a du sens, si ça nourrit le collectif et si j'ai la possibilité de poser mes propres limites de joueuse. Ça fait de sérieuses restrictions, mais Arbre avait l'air de respecter ça.

Frédéric a écrit :Je joue au JdR parce que je peux défendre les intérêts de mon personnage. Je n'aime pas les jeux de plateau, les soi-disant "storygames" et les jeux vidéo (pourtant j'en ai passé du temps dessus).J'aime aussi voir mes personnages souffrir.

Je ne comprends pas ce que tu veux dire par là : est-ce que le fait que je n'envisage pas le jeu sous un angle aussi exclusif que le tien exclut mon expérience du champ du jeu de rôle pour la ramener vers celle du jeu de plateau ou du jeu vidéo ? C'est une vraie question, parce que bien que jouant au jeu de rôle, je ne me prétends pas rôliste pour autant.

Frédéric a écrit :Si je les mets moi-même dans la mouise, c'est contraire à défendre leurs intérêts (sauf s'il y a une contrepartie, auquel cas ça peut devenir un dilemme et redevenir intéressant).

Ce n'est pas la même chose de mettre soi-même son personnage dans la mouise et accepter que quelqu'un d'autre l'y mette (avec une échappatoire si c'est trop douloureux pour le joueur). Dans le cas d'Arbre, il s'agissait juste d'accepter, avec la possibilité (saine) de poser une limite.

Frédéric a écrit :Je pense que c'est complètement désolidarisé avec le fait de prendre un plaisir onaniste et destructeur à la table de jeu. Puisque si le jeu est bien fait, on partage tous la même démarche et donc les choix individuels construisent le jeu commun (et c'est à ça que sert un système de jeu : créer une synergie sociale et créative, s'il fait autre chose, on peut le jeter).

Je pense qu'Epiphanie a exprimé ce que je voulais dire, mieux que je ne l'ai fait moi-même : ce que tu repousses dans le champ du game-design en partant du principe que le joueur ne peut pas l'assumer, moi je pense qu'il peut être intériorisé par les joueurs comme un "jouer ensemble" qui assume le rôle de régulateur. Et ça ne me déconnecte pas de mon personnage, c'est juste que par défaut je vais dire "oui" quand un truc lui arrive. Si j'ai un problème avec ce qui lui arrive, je débrieffe ensuite avec les joueurs et/ou le MJ pour rectifier le tir.

Je considère qu'il y a un palier entre le point de vue subjectif et indivuduel du joueur qui ne fait que plaider pour son psero, et la posture d'auteur qui reste en surplomb. Le palier, c'est l'écoute de la table, de l'expérience collective. Et il se trouve qu'elle renforce ma connexion avec mon personnage.

L'immersion telle qu'elle est considérée en jdr me semble ne pas prendre en compte cette écoute. Et les théories de game design en jdr ne prennent pas en considération le palier, ce qui alimente selon moi un cercle vicieux, ou en tout cas limité, alors que le jdr pourrait peut-être échapper à ces restrictions. Mais ça rejoint ce que je répondais à Mangelune : le collectif ça n'est pas inné, ça s'apprend.


(les quelques mots en gras sont pour expliciter que je ne me reconnais pas dans une déifnition exclusive de la posture de joueur mais que je pense pourtant l'assumer en partie)
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Re: [Théorie] Immersion

Message par Steve J » 18 Mars 2015, 11:14

Au risque du manque d'originalité, je vais aussi saluer ton intervention, Eugénie, qui vient apporter une conceptualisation venue du théâtre d'improvisation. Je suis persuadé que le JDR a tout à gagner à aller chercher des vocabulaires et des principes dans d'autres domaines.

Je n'ai jamais pratiqué l'impro théâtrale (si ce n'est quelques exercices en cours de théâtre "classique") mais j'avais été convaincu par la fertilité du rapprochement avec le JDR par le bouquin de Graham Walmsey, Play Unsafe : How Improvisation Can Change The Way You Roleplay. Un livre de conseils de jeux s'inspirant de son expérience de l'impro théâtrale.
Ce que j'avais aimé à la lecture c'est que le livre s'opposait à la plupart des livres de conseils rôlistes qui était des manuels destinés aux MJs (Play Dirty, La Bible du meneur de jeu, le Manuel de masterisation de Robin D. Laws), alors qu'en s'inspirant de l'impro Play Unsafe était amené à considérer la partie de JDR comme un exercice de création collective (comme toi il mettait l'accent sur les joueurs).

Plus généralement j'ai eu l'occasion de discuter ce WE avec Thomas B qui tient un blog sur le GN et ce qui m'a frappé c'est qu'il m'a rappelé que le GN (autre domaine que je connais peu) disposait aussi d'une conceptualisation qui pourrait intéresser les rôlistes.
Nous avons notamment discuté du principe de "synesthésie" et il a répliqué en introduisant le terme de "bleed" qui désigne en GN la porosité des émotions entre les joueurs et leurs personnages.
Dans le cas du "bleed in" c'est le joueur qui est influencé par les émotions de son personnage (être triste parce que son personnage a perdu sa mère), dans le cas du" bleed out" c'est l'inverse (jouer un personnage en colère parce qu'on sort d'une rupture).
Je suis certain qu'il y a tout un vocabulaire à phagocyter dans le GN...

Une dernière remarque sur l'immersion, l'immersion c'est très facile en solo. Je raconte souvent mon expérience du jeu De Profondis qui se présente comme un psychodrame épistolaire, on écrit des lettres en s'auto-persuadant qu'on est le protagoniste d'une nouvelle de lovecraft. Le jeu propose même de jouer sans lettres, en se contentant de se promener dans les bois en se persuadant d'être victime d'une créature innommable.
Pour l'avoir testé il s'agit (de très loin) de ma partie de JDR la plus terrifiante.
De même se balader dans le métro en se racontant qu'on est poursuivi par la CIA produit son petit effet.
Dans le cas du GN une pratique consiste à s'isoler pour ressentir les émotions de son personnage (un théoricien du domaine racontait -avec un peu d'autodérision- avoir testé "l'immersion closet" en s'enfermant seul dans un placard pendant deux heures jusqu'à être en larmes).

Au fond cette technique d'isolement fonctionne mais est-elle très intéressante ? Adopter une posture d'auteur c'est aussi être dans le partage avec les autres joueurs.
Quand je joue en groupe je n'ai jamais l'impression de cesser d'être conscient de jouer (à la limite cela peut m'arriver en jeu vidéo, là encore un loisir solitaire) et de naviguer toujours entre l'empathie pour mon personnage (et des autres personnages) et la création de l'intrigue. Pas sûr que j'aurai envie d'éliminer l'une de ces deux éléments si cela s'avérait possible...
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Re: [Théorie] Immersion

Message par Frédéric » 18 Mars 2015, 12:08

Bon, pour moi la discussion part dans trop de directions, elle manque de cadre. Je fais mon deuil d'une éventuelle compréhension mutuelle, Eugénie. À ce stade, combler nos incompréhension demanderait trop de travail, je ne pense pas que ce format de discussion soit adapté : chacun parle de son expérience personnelle sans aucun apport concret en essayant de tirer des généralités qui bousculent l'expérience des autres. Je jette l'éponge.

Pas de malaise ni de vexation de mon côté, mais je me rends à l'évidence que personne ne sait de quoi les autres parlent quand on aborde la question de l'immersion. La part théâtre d'impro ne m'intéresse pas (ou alors c'est une part existante de ma pratique, mais je ne ressent pas besoin de la développer davantage), mais je respecte l'intérêt que cela suscite chez d'autres.

Bonne continuation.
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Re: [Théorie] Immersion

Message par Mangelune » 18 Mars 2015, 12:46

Le point de chaos ultime n'a pas été atteint pour moi mais je vais quand même ouvrir un sujet spécifique à côté pour laisser un peu tranquille ce thread consacré à l'immersion.
Contes et histoires à vivre, un site pour parler des Errants d'Ukiyo, de Perdus sous la pluie et du reste.

Pensez aussi à la page Facebook officielle de Perdus sous la pluie.
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Re: [Théorie] Immersion

Message par Eugénie » 18 Mars 2015, 13:51

Frédéric a écrit :Bon, pour moi la discussion part dans trop de directions, elle manque de cadre.


Oui.

Frédéric a écrit :Je fais mon deuil d'une éventuelle compréhension mutuelle, Eugénie. À ce stade, combler nos incompréhension demanderait trop de travail, je ne pense pas que ce format de discussion soit adapté : chacun parle de son expérience personnelle sans aucun apport concret en essayant de tirer des généralités qui bousculent l'expérience des autres.


Alors je tiens à te présenter mes excuses. Je n'avais pas pour but de bousculer ton expérience, ni de remettre en cause tes réflexions sur le jdr, que je suis assidûment, que je trouve justes, intelligentes et fondées. Quand j'explique qu'il me manque quelque chose, je ne veux pas dire que tu devrais ressentir ce manque ou que tu devrais le combler. Si j'ai pu le laisser entendre, si j'ai été brutale ou confuse par inadvertance, je m'en excuse sincèrement.

Bien à toi.
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Re: [Théorie] Immersion

Message par Frédéric » 18 Mars 2015, 14:19

Non, ne t'excuse pas, il n'ya pas de souci, je ne suis pas vexé.

Je ne suis pas adepte des discussions théoriques sur forum, parce que je pense que l'on crée des biais dans la compréhension mutuelle (moi autant que toi) et le sujet d'origine et les discussions sur forum sans rapport de partie me semblent extrêmement propices à cela. Je n'ai pas arrêté depuis le début de ce fil de me demander si ça vallaitle coup que je continue d'intervenir.

Donc pas de souci, mon ego n'est pas affecté. Je trouve ce que tu dis pertinent, mais j'ai beaucoup de mal à en saisir toute la substance. J'espère qu'on arrivera à mieux déblayer ce terrain théorique par d'autres moyens. ;)

Et j'aime être bousculé, mais je me sens incapable de bien communiquer sur un sujet si complexe par forum.
Bref, continuez, je vous en prie.
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Re: [Théorie] Immersion

Message par KamiSeiTo » 18 Mars 2015, 14:36

Plein de choses très intéressantes sont échangées ici, c'est chouette. n_n

Par contre, je voudrais préciser quelque chose à Eugénie, tu répètes plusieurs fois "l'immersion telle qu'elle est considérée en JdR".
Je pense que le début de cette discussion (les premiers messages, page 1) montre bien qu'il n'y a pas une seule acceptation de ce que recouvre ce terme: tout le monde n'appelle pas la même chose immersion, tout le monde ne recherche ni ne vit pas la même chose. C'est le problème ici d'un mot un peu trop fourre-tout.

Je ne sais pas quelle est celle à laquelle tu fais référence, mais sache qu'il en existe d'autres, et surtout il en existe d'autres qui ne sont pas du tout incompatible avec ce que tu défends. n_n
Là où les définitions deviennent intéressantes c'est quand elles sont utilisées non pour exclure mais pour interroger.
Le blog de mon collectif d'auteurs: Le Germinatorium Rolisticus
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Re: [Théorie] Immersion

Message par Thomas Munier » 18 Mars 2015, 15:07

Pour autant, il me semble que dans cette discussion, il y a un travail sur une notion qui pourrait réconcilier les approches de Frédéric et d'Eugénie : les dynamiques de jeu axées sur l'approbation. les résolutions par séduction ou Sympathie/antipathie évoquées par Frédéric dans cet article me semblent permettre de satisfaire à la fois le besoin de plaider pour son personnage et celui de créer une dynamique de création collective.

Ayant le plaisir d'être cité plusieurs fois au titre du développement des mécaniques de résolution dans Arbre, je dirais que je me situe dans cette approche mixte : je recherche la possibilité de plaider pour le personnage ET la possibilité de créer une dynamique de création collective. Ces possibilités ne me semblent nullement antinomiques et permettent d'accéder à deux types d'immersion : l'immersion dans le personnage + l'immersion sociale. Il me semble que Prosopopée est dans la même démarche, d'ailleurs, c'est un jeu où l'écoute est importante : il te plairait, Eugénie.

Cela m'inspire d'ailleurs une nouvelle évolution du système d'Arbre mais je la reporte dans le fil dédié.
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