[Article] Ce n'est pas du jeu de rôle !

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[Article] Ce n'est pas du jeu de rôle !

Message par Mangelune » 02 Mars 2016, 16:07

Allez aujourd'hui je m'essaie à la polémique avec cet article sur les jeux dits "narratifs" :

http://www.vivienfeasson.com/2016/03/02/ce-nest-pas-du-jeu-de-role/

où je réussis l'exploit de ne pas parler de machines à saucisse...
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Re: [Article] Ce n'est pas du jeu de rôle !

Message par Thomas Munier » 02 Mars 2016, 18:14

Je trouve que le propos est clairement amené, et je pense bien comprendre ce que tu veux dire en parlant d'un jouet de rôle, et bien comprendre pourquoi cela peut disconvenir à des personnes habituées à la présence de résistance, d'objectifs, de récompenses ou de conditions de victoire dans les jeux de rôles.

Pour autant, je suis en désaccord avec l'idée d'exclure les "jouets de rôle" du champ du jeu de rôle. En tout cas, j'éviterais de le faire à titre personnel, car en tant que game designer j'ai besoin de me fabriquer une définition du jeu de rôle la plus large possible (une aventure imaginaire où on incarne des personnages par le langage) pour justement élargir mon champ d'analyse.

Ce que tu regroupes dans la définition "jouet de rôle" me semble dans une large mesure regrouper des démarches de jeu esthétique. Or, le plaisir de participer à un jeu esthétique peut être minoré par la notion d'évaluation ou de récompense, car on y joue pour une récompense intrinsèque (le jeu est la récompense) plutôt qu'extrinsèque. L'échec d'Il Etait une Fois, en accumulant les conditions de victoire, à produire une histoire qui soit captivante, donne un point à cet argument.

Je suis loin de prétendre qu'un jeu esthétique doit absolument se passer de résistance, d'objectifs, de récompenses ou de conditions de victoire. Prosopopée, Happy Together ou Inflorenza sont des exemples de jeux qui fonctionnent avec ces notions. Je prétends en revanche qu'un jeu esthétique peut tout à fait fonctionner sans, et même atteindre une toute autre dimension, car dans le domaine de l'esthétique, la notion de faire de l'art pour l'art a du poids. Un jeu comme Les Petites Choses Oubliées me semble atteindre le statut de jeu de rôle esthétique et se passe assez largement de la notion d'évaluation (la question de savoir si le couple reste ensemble à la fin ou non est tangente : est-ce une évaluation ou une simple création collective ? Je laisse les joueur.se.s en juger).

Les jeux moraux et les jeux tactiques reposent davantage sur le game que sur le play. Mais dans les jeux esthétiques, le play a toute sa part.

cf. mon article Gaming vs Playing
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Message par Mangelune » 02 Mars 2016, 18:41

Tu sais, je me doutais bien que je serais en désaccord avec du monde ;)

Cela dit, quand tu parles du play qui a sa raison d'être face au game, nous allons dans le même sens. C'est parce qu'on a pas cette distinction en français que j'emploie le terme de "jouet" (ok et pour le plaisir de polémiquer un peu aussi, j'avoue). Le jouet, c'est justement cet objet avec lequel on va jouer - dans le sens de play.

Attention aussi, dans les faits, même si j'admets encore bien volontiers avoir forcé le trait, je ne dis pas qu'un objet à vocation esthétique est sans intérêt. Ni qu'on en tirera pas de plaisir. J'essaie juste de comprendre pourquoi un tel objet ne procure pas le même plaisir qu'un jeu de rôle "classique". Mais oui de fait, au-delà de la polémique, je sépare au lieu de rassembler. Volontairement. Je me demande même à quel point penser comme cela ne pourrait pas aider ceux qui préfèrent ces objets à se libérer des chaînes historiques du jdr.

Donc quand tu me dis que un "jeu de rôle esthétique" peut se passer de conflit, je dis oui. Sauf que je ne l'appelle plus jeu. Je pourrais dire la même chose d'un jeu vidéo expérimental comme Proteus ou Dear Esther. Ils proposent autre chose.

(Sinon "Il était une fois" est d'abord un mauvais jeu avant d'être un contre-exemple. Il ne te juge pas sur la qualité de ta fiction mais sur ta capacité à jouer sur les mots pour placer tes cartes. Rien d'étonnant donc à ce que les récits produits soient mauvais. D'où mon exemple sur Polar Base, qui marche beaucoup mieux à mon sens.)
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Message par Thomas Munier » 03 Mars 2016, 09:19

OK.

Alors, la question que je me pose, c'est à quel point, en excluant les "jouets de rôle" du champ du jeu de rôle, on s'interdit d'en réimporter certains principes dans d'autres jeux de rôles (j'entends les jeux de rôles à dominance tactique ou ceux à dominance morale, ou même les jeux de rôles à dominance esthétique mais avec une résistance) pour donner de la profondeur à son jeu de rôle ?
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Message par Mangelune » 03 Mars 2016, 09:44

Thomas Munier a écrit :OK.

Alors, la question que je me pose, c'est à quel point, en excluant les "jouets de rôle" du champ du jeu de rôle, on s'interdit d'en réimporter certains principes dans d'autres jeux de rôles (j'entends les jeux de rôles à dominance tactique ou ceux à dominance morale, ou même les jeux de rôles à dominance esthétique mais avec une résistance) pour donner de la profondeur à son jeu de rôle ?


En fait, pour moi les jeux de rôle incorporent déjà ces éléments. Tout comme ils incorporent des éléments de jeux de plateau, sans être des jeux de plateau. Les frontières sont bien évidemment perméables entre les domaines - même avec d'autres domaines plus éloignés comme la littérature, le cinéma, etc. L'intérêt de les séparer, c'est aussi de comprendre ce qui choque les rolistes quand on les fait jouer à des titres comme Swords without Master - personnellement, si j'en ai testé pas mal de ces jeux sans objectifs ludiques ni vrais conflits mécaniques, je me suis toujours senti un peu en manque de quelque chose à la fin, et je me demandais pourquoi.

On pourrait aussi adopter la posture englobante inverse. L'on joue au ballon - ou avec des GI Joe ou autres - comme on joue aux échecs. Il n'y a pas de distinction fixe jeu/jouet. La seule différence c'est le nombre de règles que l'on s'impose en amont du jeu. Un ballon est lui aussi soumis à des règles, celles de la physique. On les expérimente d'abord telles quelles, et puis on y ajoute des règles "humaines".
On peut ainsi prendre pour exemple un jeu vidéo : au départ, on explore le gameplay. On teste les mouvements, comme on le ferait d'un jouet complexe. Et puis on les maîtrise de mieux en mieux, on avance, le jeu nous pose de nouveaux défis. Cela devient du jeu. La frontière entre les deux est-elle claire ? Bien sûr que non, puisque c'est exactement le même objet que l'on manipule.

Ou alors différencier jeu physique/jeu intellectuel et social ? Après tout, le jdr et certains jeux vidéo ont beaucoup à voir avec les puzzle - les scénarios d'enquête ont énormément de points communs.
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Message par Thomas Munier » 03 Mars 2016, 13:16

Bien sûr, chacun s'approprie le langage comme il le sent, et place les limites sémantiques où il veut.

Je voudrais encore creuser sur la notion de jouet de rôle.
Tu vois, dans Inflorenza, les personnages ont des objectifs, il y a une résistance, mais honnêtement, je pense que les joueurs utilisent l'un et l'autre pour raconter une chouette aventure à plusieurs, les objectifs des personnages peuvent évoluer vachement, on se place souvent en mode auteur, et la résistance porte des contraintes créatives (facultatives, mais existantes) : au final, on est sur un jeu où la notion de condition de victoire est floue : la récompense, c'est l'aventure. Dans son interview concernant Seventh Seas v1 (donc là je te parle quand même d'un jeu assez unanimement étiquetté comme tradi, avec résistance, missions et tout le bataclan), John Wick précise que ce qui est important, c'est que les héros gagnent à la fin, avec panache. La notion "jouet de rôle" peut facilement envahir tout jeu de rôle esthétique, je pense, tant la notion de récompense extrinsèque y est souvent, sinon nécessairement, absente, secondaire, illusoire ou au service du play.
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Message par Mangelune » 03 Mars 2016, 14:37

Thomas Munier a écrit :Je voudrais encore creuser sur la notion de jouet de rôle.
Tu vois, dans Inflorenza, les personnages ont des objectifs, il y a une résistance, mais honnêtement, je pense que les joueurs utilisent l'un et l'autre pour raconter une chouette aventure à plusieurs, les objectifs des personnages peuvent évoluer vachement, on se place souvent en mode auteur, et la résistance porte des contraintes créatives (facultatives, mais existantes) : au final, on est sur un jeu où la notion de condition de victoire est floue : la récompense, c'est l'aventure.


J'y avais pensé.

(Je mets de côté le fait que les objectifs puissent évoluer. Les objectifs en jeu de rôle sont plus flous, plus malléables, plus diversifiés, que ceux des jeux de société. C'est ce qui fait à la fois la force et la faiblesse de notre pratique.)

Dans mes deux parties d'Inflorenza, on a eu effectivement un double-tiraillement, entre la volonté de jouer un personnage avec ses objectifs propres, et l'envie de raconter une histoire poignante.

Reste que, tel que ton jeu est écrit, on est dans du jeu de rôle tel que défini dans l'article :
- tu fais créer un personnage par joueur
- chaque personnage est défini par un objectif (c'est même la première chose que l'on crée)
- lorsque deux joueurs sont en désaccord, il y a conflit et mécanique de résolution (la simple existence d'une telle mécanique montre que le conflit est souhaité par le système)

Cela n'empêche pas quelqu'un de se passer de ces éléments, mais ils restent écrits dans la base. Si le but d'Inflorenza était "juste" de raconter une belle histoire entre amis, ces mécaniques seraient inutiles voire parfois gênantes. On pourrait par exemple remplacer la mécanique de résolution par un vote entre joueurs, ou par un système de mises extérieur aux PJs, ou par 1D12 tiré donnant la contrainte esthétique de la scène, ou par le tirage d'une carte.

Ok, par son partage plus large des responsabilités, en laissant au "meneur d'un tour" le temps de décrire les choses, Inflorenza lorgne davantage qu'un jeu plus traditionnel du côté de l'expérience narrative, du cadavre exquis, de la narration à plusieurs voix. Mais il ne va pas jusqu'au bout de cette logique (pourquoi pourrait-on demander du coup, par habitude, par volonté de rester dans un certain cadre ?)

Après oui, un jeu de rôle ce n'est pas "que" un objectif à remplir et des épreuves à vaincre. Oui on prend du plaisir avec l'histoire, avec les descriptions, etc. Et oui, des fois l'histoire nous semble plus belle que l'objectif mesquin de notre personnage. Mais c'est quasiment la même chose pour un jeu sur ordinateur : on apprécie les cinématiques, mais on ne les apprécie vraiment que si on traverse la partie "jeu" pour y arriver. On aime la couleur en jeu de rôle, mais on ne l'aime vraiment que si on a une direction à suivre et des obstacles à franchir en chemin.

Dans son interview concernant Seventh Seas v1 (donc là je te parle quand même d'un jeu assez unanimement étiquetté comme tradi, avec résistance, missions et tout le bataclan), John Wick précise que ce qui est important, c'est que les héros gagnent à la fin, avec panache. La notion "jouet de rôle" peut facilement envahir tout jeu de rôle esthétique, je pense, tant la notion de récompense extrinsèque y est souvent, sinon nécessairement, absente, secondaire, illusoire ou au service du play.


Je me méfie des grandes déclarations sans actes. John Wick est bien gentil mais je ne crois pas que le nouveau 7th Sea fasse l'économie d'un vrai système de résolution, pas plus que ne le fait la première édition ou ne le font des jeux "héroïques" où les gentils gagnent toujours comme toutes les adaptations de Star Wars. Ces jeux, pour rester des jeux justement, continuent d'offrir l'illusion que l'objectif peut être manqué, que les héros peuvent perdre.
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Re: [Article] Ce n'est pas du jeu de rôle !

Message par Thomas Munier » 03 Mars 2016, 16:25

Justement, il y a une différence entre la notion de game qu'on va trouver beaucoup dans les jeux tactiques et les jeux moraux, et la notion de game illusoire (dans le sens où l'issue de l'aventure est décidée ailleurs) ou de game au service du play (le jeu ne force aucune issue, mais les réussites / échecs servent surtout à alimenter une esthétique et à twister l'aventure). Ces deux notions sont là pour permettre un jeu esthétique qui puisse intégrer les personnes venues exercer leur combativité ou leur agentivité, et c'est sans doute là la différence fondamentale entre ces jeux et les "jouets de rôles", qui sont des jeux esthétiques qui se préoccupent uniquement des personnes venues jouer pour la performance.
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Re: [Article] Ce n'est pas du jeu de rôle !

Message par Steve J » 03 Mars 2016, 19:14

Il y a quelques jours je m'emportais contre l'expression de "Story Game/jeu narratif" à l'occasion d'une critique post-lecture de Downfall (qui se défini comme un "storygame") postée sur le forum de casus. Tu peux donc être rassuré : tu aura l'occasion de pratiquer le clash suite à ton article.

Ce qui est intéressant c'est que je sens qu'on partage un certain nombre (pas tous) de ressentis sur ce qui peut nous gêner dans certains JDR. Et qu'au fond c'est au nom de ressentis assez similaires aux tiens que j'ai envie d'éviter à tous prix bon en vrai dans mon prochain JDR j'utilise le terme mais je ne suis pas le seul auteur sur le jeu cette notion dans le cadre de mes critiques (ou alors pour en dénoncer l'usage) et surtout dans l'optique de créer des jeux (ou des "non-jeux"^^).

Il faudra que je trouve l'occasion d'un article (ou au minimum un long commentaire) pour défendre ce point de vu opposé mais aux causes similaires aux tiens. Je me permets déjà de recopier en grande partie ma critique de Downfall où j'y explique pourquoi le fait que la créatrice du jeu ait décidé de le considérer comme un storygame en fait un mauvais jeu (je surligne le passage concerné).
A l'exception de sa phase de création d'univers, le jeu est fondamentalement une version simplifiée du Polaris de Ben Lehman.
On créé collectivement une société et ses traditions. Chacune de ses traditions est aussi une faiblesse : on décide au moment de la créer de la façon dont elle peut s'avérer néfaste (et s’avérera néfaste puisque la partie raconte forcément une tragédie).
On ajoute une faiblesse fondamentale qui détruira la société (le perfectionnisme, l’aristocratisme, le conformisme...).

Il est pensé pour être joué à trois joueurs qui n'ont pas besoin d'un MJ mais qui vont successivement incarner plusieurs rôles (qui tournent à chaque étape du récit) :
*l'un incarne le Héros qui cherchera à résister à la chute de sa société
*l'autre incarne un Antagoniste qui œuvrera à la destruction de la société
*l'autre incarne le Pilier, un personnage neutre

On sait comment la partie va se terminer mais le jeu utilise quand même un système de résolution, à la Polaris mais en ultra light, l'Antagoniste pouvant systématiquement ajouter des conséquences néfastes aux actions décrites par le Héros.


J'étais immédiatement déçu par le manque d'ambition du jeu qui réduit la chute d'une société à un conflit entre deux personnages (si l'Antagoniste meurt il peut néanmoins être remplacé) tous deux liés à une troisième. Pourquoi pas mais cela me semble extrêmement (et inutilement) limitant.

Plus généralement je suis assez peu convaincu par ce game-design par soustraction (fut-ce à partir d'un jeu que j'aime beaucoup). En simplifiant Polaris, Downfall conserve cette sa dynamique de narration (qui marche sans doute très bien) mais le prive de tout enjeu ludique.
Non seulement on sait que la société va s'effondrer mais le Héros n'a pas tellement de raison de résister (dans Polaris il s'agit d'éviter d'être corrompu par le démon et de trouver une mort héroïque).

Ici à la seule lecture des règles j'ai l'impression de savoir exactement comment la partie va se dérouler.
Je sais ce qui va entrainer la chute de la société. Je sais que les traditions de la société vont se retourner contre elle (ce que je trouve un bien caricatural) et je sais de quelle façon elles vont le faire. Je connais le destin des personnages avant même d'avoir décrit leurs actions.



Je dérive un peu mais j'aurai du me méfier parce que la créatrice du jeu le désigne comme un "Story games".
Cela fait quelques temps que je râle contre l'usage de cette expression parce que je la considérais comme inutile et floue. Outre que chacun à une définition différente (ce qui est malheureusement typique de nos communautés rôlistes), toutes les définitions me semblent s'auto-contredire, donnent des images fausses de ces jeux qualifiés de Story-Games voire sont tellement larges que même l'Appel de Cthulu pourrait entrer dans cette catégorie.

Je pense maintenant que je me trompais et que cette expression n'est en réalité pas tant inutile qu'elle est nuisible.
Elle conduit à ce qu'il faut bien appeler le syndrome Story-Games. Ayant décider de ne pas classer leur jeu dans la catégorie des JDR, les créateurs de ces jeux se permettent de ne plus se préoccuper d'amener des choix intéressants (narratifs ou ludiques) pour les joueurs.
Au fond les joueurs ne sont qu'un relai des règles et ils se contentent de décrire des éléments de pure couleur, qui n'ont aucune influence sur la structure globale de l'histoire. Ils ne sont jamais amenés à faire des efforts (d'interprétation, de tactique) pour obtenir des choses puisque tout est joué d'avance.

Quand on jouait à Polaris (ou à My Life with Master qui est le premier à s'être qualifié de Story-Games) on cherchait à obtenir des trucs. cela amenait à réfléchir à ce que l'on amenait au récit, à négocier des choses, à lutter dans son roleplay pour obtenir des dés...
Là avec Downfall j'ai l'impression d'avoir déjà joué au jeu. Quand on s'intéresse aux concours récents de création de jeux anglophones on trouve des dizaines de jeux qui souffrent de ce problème, de cet aspect story-gamey qui veut en fait dire que le jeu n'a pas grand chose d'autre à proposer qu'une structure narrative immuable.
Comme si sortir du moule des jeux "classiques" forçait à entrer dans celui des jeux ultra-simplistes et déterministes.

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Re: [Article] Ce n'est pas du jeu de rôle !

Message par Frédéric » 03 Mars 2016, 22:53

Steve : Outch ! Si je me retrouve dans ton argumentaire, t'es sacrément plus virulent que moi !
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Re: [Article] Ce n'est pas du jeu de rôle !

Message par Thomas Munier » 04 Mars 2016, 10:30

(Vivien, si on dérive vers le hors-sujet, n'hésite pas à bouturer. Ma question essaye de recentrer le débat sur le sujet des jeux sans résistance).

Je n'ai pas lu le jeu, alors je voudrais t'interroger davantage dessus.

A. Qu'est-ce qui te pose problème dans Downfall, est-ce le fait que la fin soit déjà écrite ou l'absence de résistance, ou les deux ?

B. Actuellement, je fais beaucoup de jeu moral avec Inflorenza minima, qui est justement un hack minimaliste de Polaris (en gros, on ne garde que le "seulement si", qui sert de résistance asymétrique par négociation / chantage : quand le personnage veut réaliser quelque chose d'important dans son intérêt, le MJ (ou les autres joueurs dans la version en partage large des responsabilités) annonce quel est le prix à payer, et le joueur/personnage choisit de payer le prix ou de renoncer à son objectif immédiat). On a fait une partie dans le mode avec MJ où les personnages vivaient les derniers jours de Pompéi (le CR sera diffusé plus tard au propre, j'ai mis le CR non illustré dans l'hyperlien pour ceux qui voudraient étudier l'aventure dans les détails) et on avait acté dès le départ que les personnages mourraient à la fin. Ils se réveillent le matin avant la catastrophe avec l'intuition qu'ils vivent leur dernière journée.
Est-ce à dire que les joueurs ont perdu leur exercice de la combativité ? Pas du tout ! C'était une partie très interactive, et les personnages (et les joueurs) se sont battus pour les êtres et les choses qui leur importaient. Ils savaient qu'ils allaient mourir, et on va dire que c'était à 80 % certain que la ville de Pompéi serait détruite, mais pour le reste ils conservaient leur pouvoir d'action, et leurs actes ont été signifiants.

Ce que je défends avec cet exemple, c'est l'idée que ni le minimalisme ni la pose d'évènements inéluctables n'interdit le jeu moral ou l'exercice de la combativité (j'aurais la même approche pour le jeu tactique).

Ma question, c'est en quoi l'approche de Downfall diffère ? Est-ce que par exemple le jeu dit "on joue la chute de la société et comment vos personnages échouent à la sauver ou y contribuent" ? Parce que s'il dit "que parviendrez-vous à sauver le jour où la société s'effondrera ?", la prémisse est bien différente. (j'entends qu'alors le jeu le dit et le permet).

C. Je crois que le débat sur le "jouet de rôle" nous amène à la question de résistance asymétrique, et qu'on peut distinguer trois types de jeux : les jeux sans résistance (je peux), les jeux avec résistance (je peux essayer), et les jeux avec directives (je dois). Dans quelle catégorie se classerait Downfall ?
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Re: [Article] Ce n'est pas du jeu de rôle !

Message par Mangelune » 04 Mars 2016, 10:48

Thomas Munier a écrit :(Vivien, si on dérive vers le hors-sujet, n'hésite pas à bouturer. Ma question essaye de recentrer le débat sur le sujet des jeux sans résistance).


Bah clairement on est dans le thème non ? Même si j'ai cru que Steve allait me faire un body slam sur la quatrième corde alors qu'en fait on a taggé - en plus il est carrément plus au courant que moi de tous les mini jeux de la scène indé, donc c'est cool il vient avec plein d'exemples.
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Re: [Article] Ce n'est pas du jeu de rôle !

Message par Mangelune » 07 Mars 2016, 18:16

J'ai cassé le débat ?

Sinon c'est drôle de t'écouter Thomas sur Ludologies (merci pour la citation au passage), on retrouve certains des arguments utilisés ici, comme si on se retrouvait sur un sujet similaire sur certains points sans s'être concertés. Ta notion de jeu esthétique répond assez bien à mon histoire de jouet de rôle.

Je voudrais préciser quelque chose : ce n'est pas parce que j'exclue les jeux à très forte dominante esthétique ou les story games dans ce billet que je vais militer pour qu'on les écarte du jeu de rôle. Je ne vais pas non plus me mettre à dire "ce n'est pas du jeu de rôle" à chaque fois qu'on osera m'en proposera une partie ou qu'on utilisera le terme devant moi.
L'intérêt de séparer brutalement les choses le temps d'une modeste étude c'est celui de produire un objet théorique analysable, dans le but de mieux comprendre ce qui différencie Shadowrun de Shades par exemple, et pourquoi certaines personnes retrouvent le même plaisir dans D&D, Agone ou bien encore Cops et pas dans Sword without Master, et même dans Perdus sous la pluie ou Inflorenza.

Je trouve intéressant ton commentaire sur Inflorenza dans Ludologies : conçu comme un jeu moral, il s'est révélé jeu esthétique (à cause du partage trop large. C'est assez similaire pour Perdus sous la pluie (même si les joueurs n'hésitent pas à s'en mettre plein la tronche).

On peut même aller plus loin et se demander dans quelle mesure faire le MJ à n'importe quel jeu tradi n'est pas par essence une posture à dominante esthétique : le meneur ne fait que rarement de vrais choix moraux ou tactiques. Il arrive avec un jeu sous le bras, des rêves faits suite à la lecture dudit jeu, il veut davantage reproduire ces visions que "jouer pour voir ce qui va se passer", c'est souvent lui qui se charge des descriptions, qui donne une forme narrative codifiée à l'aventure, etc. C'est peut-être cette différence de positionnement qui produit souvent du clash à la table de jeu - les deux groupes doivent se mettre d'accord sur une dominante, ou au moins pour ne pas viser deux dominantes au même moment.
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Re: [Article] Ce n'est pas du jeu de rôle !

Message par Frédéric » 07 Mars 2016, 20:31

le meneur ne fait que rarement de vrais choix moraux ou tactiques

Mais il crée les conditions des choix moraux ou tactiques chez les joueurs.
Il y a un effet de balancier entre ces deux positions autour de la table, qui persiste y compris lorsque les Responsabilités du meneur sont partagées parmi les joueurs, soit en un rôle tournant (Polaris, PslP), soit comme un changement de Position informel (pas d'exemple efficace en tête).
Du moins si les joueurs défendent les intérêts de leurs personnages, auquel cas, on peut dire que le MJ (ou quel que soit son titre et sa fonction) menace, attaque, met en péril les intérêts des personnages des joueurs.

En revanche, on peut jouer en mode Auteur sans cette asymétrie.
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Re: [Article] Ce n'est pas du jeu de rôle !

Message par Thomas Munier » 08 Mars 2016, 09:53

A Vivien : je suis en effet assez d'accord sur l'analyse de jeux de rôles qui se différencient par leur absence de résistance (remplacée par des directives ou au contraire par un relatif lâcher prise), bref des jeux à dominance "play", qu'en effet je range souvent pour moi dans la catégorie des jeux esthétiques (puisqu'il est difficile de faire véritable choix moraux ou tactiques), et c'est important de les identifier.

A Frédéric : Je suppose en effet que dans un jeu asymétrique, les joueuses et la meneuse connaissent une expérience différente, s'attribuent des responsabilités différentes, quelque part les joueuses jouent, la meneuse encadre, mais une fois qu'on a identifié leurs rôles, et que les deux parties "jouent le jeu", on peut dire que les deux parties jouent aux même jeu : la meneuse a un agenda différent selon qu'elle amène un jeu tactique, un jeu esthétique, un jeu moral. Comme je le dis dans le podcast, une bonne joueuse ou une bonne meneuse, c'est une personne qui identifie la pente du jeu et parvient à s'y couler. (je suppose qu'on peut jouer à contre-pente, mais le jeu et la cohésion de groupe a besoin d'être solide pour que l'expérience soit satisfaisante).
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