Thomas Munier a écrit :Je voudrais encore creuser sur la notion de jouet de rôle.
Tu vois, dans Inflorenza, les personnages ont des objectifs, il y a une résistance, mais honnêtement, je pense que les joueurs utilisent l'un et l'autre pour raconter une chouette aventure à plusieurs, les objectifs des personnages peuvent évoluer vachement, on se place souvent en mode auteur, et la résistance porte des contraintes créatives (facultatives, mais existantes) : au final, on est sur un jeu où la notion de condition de victoire est floue : la récompense, c'est l'aventure.
J'y avais pensé.
(Je mets de côté le fait que les objectifs puissent évoluer. Les objectifs en jeu de rôle sont plus flous, plus malléables, plus diversifiés, que ceux des jeux de société. C'est ce qui fait à la fois la force et la faiblesse de notre pratique.)
Dans mes deux parties d'Inflorenza, on a eu effectivement un double-tiraillement, entre la volonté de jouer un personnage avec ses objectifs propres, et l'envie de raconter une histoire poignante.
Reste que, tel que ton jeu est écrit, on est dans du jeu de rôle tel que défini dans l'article :
- tu fais créer un personnage par joueur
- chaque personnage est défini par un objectif (c'est même la première chose que l'on crée)
- lorsque deux joueurs sont en désaccord, il y a conflit et mécanique de résolution (la simple existence d'une telle mécanique montre que le conflit est souhaité par le système)
Cela n'empêche pas quelqu'un de se passer de ces éléments, mais ils restent écrits dans la base. Si le but d'Inflorenza était "juste" de raconter une belle histoire entre amis, ces mécaniques seraient inutiles voire parfois gênantes. On pourrait par exemple remplacer la mécanique de résolution par un vote entre joueurs, ou par un système de mises extérieur aux PJs, ou par 1D12 tiré donnant la contrainte esthétique de la scène, ou par le tirage d'une carte.
Ok, par son partage plus large des responsabilités, en laissant au "meneur d'un tour" le temps de décrire les choses, Inflorenza lorgne davantage qu'un jeu plus traditionnel du côté de l'expérience narrative, du cadavre exquis, de la narration à plusieurs voix. Mais il ne va pas jusqu'au bout de cette logique (pourquoi pourrait-on demander du coup, par habitude, par volonté de rester dans un certain cadre ?)
Après oui, un jeu de rôle ce n'est pas "que" un objectif à remplir et des épreuves à vaincre. Oui on prend du plaisir avec l'histoire, avec les descriptions, etc. Et oui, des fois l'histoire nous semble plus belle que l'objectif mesquin de notre personnage. Mais c'est quasiment la même chose pour un jeu sur ordinateur : on apprécie les cinématiques, mais on ne les apprécie
vraiment que si on traverse la partie "jeu" pour y arriver. On aime la couleur en jeu de rôle, mais on ne l'aime vraiment que si on a une direction à suivre et des obstacles à franchir en chemin.
Dans son interview concernant Seventh Seas v1 (donc là je te parle quand même d'un jeu assez unanimement étiquetté comme tradi, avec résistance, missions et tout le bataclan), John Wick précise que ce qui est important, c'est que les héros gagnent à la fin, avec panache. La notion "jouet de rôle" peut facilement envahir tout jeu de rôle esthétique, je pense, tant la notion de récompense extrinsèque y est souvent, sinon nécessairement, absente, secondaire, illusoire ou au service du play.
Je me méfie des grandes déclarations sans actes. John Wick est bien gentil mais je ne crois pas que le nouveau 7th Sea fasse l'économie d'un vrai système de résolution, pas plus que ne le fait la première édition ou ne le font des jeux "héroïques" où les gentils gagnent toujours comme toutes les adaptations de Star Wars. Ces jeux, pour rester des jeux justement, continuent d'offrir l'illusion que l'objectif peut être manqué, que les héros peuvent perdre.