Créer de la familiarité 2 - créer du détachement

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Créer de la familiarité 2 - créer du détachement

Message par Mangelune » 13 Mars 2016, 12:16

Hello tous

Profitant d'une pause sur Libreté qui est vraiment très avancé mais nécessite un long test sur la durée, je réfléchis à un projet ultérieur se déroulant dans le même univers et dans lequel on incarne cette fois des parents. Ces derniers font appel à un spirite pour retrouver leurs enfants disparus et alternent entre monde réel et limbes. Un jeu entre enquête paranormale et exploration de personnages plongés dans une situation terrible (Silent Hill reste, comme toujours, une inspiration majeure).

Une des questions cruciales est celle du deuil et de son incarnation en jeu. Je m'interroge sur la pertinence d'une idée et aimerais grandement votre avis : je me demande s'il ne serait pas efficace d'utiliser la violence intrinsèque du rapport classique MJ/joueur pour donner corps au sentiment de déréalisation du monde que le deuil implique.

Je m'explique : si le MJ prend seul en charge le monde autour du personnage, il met un joueur dépourvu face à des choses que son personnage est censé connaître intimement. Par exemple, quand mon personnage interagit avec sa femme, il est censé connaître ses réactions, sa façon de faire, avoir tout un passif avec elle ; or en tant que joueur je la découvre pour la première fois, il n'y a aucune familiarité (on a parlé de ce problème classique dans le fil du même titre).

Là où je me pose une vraie question, c'est dans la gestion du "désendeuillage". Si le personnage retrouve un peu le goût de vivre, est-il bénéfique de donner au joueur davantage de "pouvoir de narration" ? Est-ce que décrire soi-même certains détails conduit nécessairement à davantage de familiarité ? Est-ce qu'il n'y a pas au contraire une forme de distanciation esthétique ?

En écrivant ces lignes, je commence même à me demander s'il est nécessaire de passer par ces artifices : jouer son personnage, c'est déjà le faire vivre, c'est déjà travailler sur le deuil, c'est apprendre à connaître les autres PJs de plus en plus, les PNJs aussi. C'est apprendre à re-connaître ce qu'on avait apparemment oublié. En fait le jeu de rôle classique, en campagne, est peut-être en soi un processus de désendeuillage naturel ? Même si j'y mets de gros guillemets, on y "renaît au monde" fictionnel ?

Qu'en pensez-vous ?
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Re: Créer de la familiarité 2 - créer du détachement

Message par Frédéric » 13 Mars 2016, 23:25

Vivien tente d'arracher le titre de Stromae du JdR à Steve, déjà disputé par Fred ! (Tu es mûr pour Antichrist de Lars Von Trier : https://fr.wikipedia.org/wiki/Antichrist_%28film%29 )

Est-ce que tu parles surtout de partage de Responsabilités sur la fiction, ou de Résistance, et donc de capacité des joueurs à faire évoluer l'histoire dans le sens qu'ils veulent ? Ou des deux ?

J'ai eu une problématique proche sur ma dernière version d'Orphans' Rhapsody, si ça t'intéresse, je peux développer ça.
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Re: Créer de la familiarité 2 - créer du détachement

Message par Mangelune » 14 Mars 2016, 00:22

:) Bah je me vois pas comme un fan de concepts dépressifs, mais j'aimerais bien faire du drame bien poignant ! (je viens de finir le jeu The Walking Dead, et je suis encore loin de ce niveau...)

Pour le partage, cela doit rester un jeu à MJ donc je pensais plus à la possibilité pour les joueurs de s'emparer largement de la couleur, des PNJs secondaires, de pouvoir inventer des détails non cruciaux, etc. La résistance, elle, évoluerait comme dans un jeu traditionnel, par les actions des personnages.

Tout concept voisin m'intéresse donc n'hésite pas à évoquer Orphan's Rhapsody !
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Re: Créer de la familiarité 2 - créer du détachement

Message par Frédéric » 14 Mars 2016, 14:55

Je ne vois aucun problème d'utiliser le rapport joueur/MJ traditionnel, voire de mettre les joueurs dans une relation d'emprise avec le MJ.

Par contre, il me semble toujours délicat de ne pas laisser aux joueurs un minimum d'emprise sur l'évolution de l'histoire. Je sais que c'est ce qui a tendance à me frustrer avec Patient 13, par exemple (qui s'inspire aussi beaucoup de SIlent Hill) : le MJ balade les joueurs et ils ont beau pouvoir agir, ils peuvent se sentir dépossédés de leurs moyens d'agir et de comprendre les événements.

C'est la question que je me suis posée avec Orphans' Rhapsody. Je ne veux surtout pas que les joueurs soient impuissants, donc je donne des outils d'emprise au MJ, mais je lui impose aussi des limites : il ne peut pas faire de mal à un PJ tant que le joueur ne lui en donne pas l'opportunité. Mais il peut maltraiter les choses auxquelles ils tiennent. Il raconte le résultat des jets de dés, mais quand les joueurs ont suffisamment de points d'initiative (obtenus en gagnant des jets de dés et en chantant), ils peuvent lancer des scènes durant lesquelles ils pourront accomplir des choses durables. Donc il y a un jeu de rapport de forces à la faveur du MJ, mais qui peut s'inverser au cours de la partie.


Pour ce qui est de laisser le contrôle au MJ de souvenirs que les personnages des joueurs devraient connaître, à mon avis il y a un truc important à jouer, mais sans une idée plus précise du système de ton jeu, c'est difficile de dire quoi. :)
Frédéric
 
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Re: Créer de la familiarité 2 - créer du détachement

Message par Mangelune » 19 Mars 2016, 17:47

Frédéric a écrit :Par contre, il me semble toujours délicat de ne pas laisser aux joueurs un minimum d'emprise sur l'évolution de l'histoire. Je sais que c'est ce qui a tendance à me frustrer avec Patient 13, par exemple (qui s'inspire aussi beaucoup de SIlent Hill) : le MJ balade les joueurs et ils ont beau pouvoir agir, ils peuvent se sentir dépossédés de leurs moyens d'agir et de comprendre les événements.

C'est la question que je me suis posée avec Orphans' Rhapsody. Je ne veux surtout pas que les joueurs soient impuissants, donc je donne des outils d'emprise au MJ, mais je lui impose aussi des limites : il ne peut pas faire de mal à un PJ tant que le joueur ne lui en donne pas l'opportunité. Mais il peut maltraiter les choses auxquelles ils tiennent. Il raconte le résultat des jets de dés, mais quand les joueurs ont suffisamment de points d'initiative (obtenus en gagnant des jets de dés et en chantant), ils peuvent lancer des scènes durant lesquelles ils pourront accomplir des choses durables. Donc il y a un jeu de rapport de forces à la faveur du MJ, mais qui peut s'inverser au cours de la partie.


Pour ce qui est de laisser le contrôle au MJ de souvenirs que les personnages des joueurs devraient connaître, à mon avis il y a un truc important à jouer, mais sans une idée plus précise du système de ton jeu, c'est difficile de dire quoi. :)


Merci pour ta réponse

Je sais que je devrais lire Patient 13, ne serait-ce que pour voir comment Yno gère ça. Je me souviens de Notre Tombeau qui pouvait souffrir du même principe, je me demande aussi si ce n'est pas ce que reprochent certains à certains scénarios de Sombre. L'horreur au cinéma, c'est des victimes qui avancent dans des couloirs, sont confrontées à des trucs horribles, fuient, et finissent par devoir se battre et gagner ou mourir.

En jdr, on entre dans ce type de scénarios séduisants sur le papier mais qui de mon expérience ne fonctionnent pas vraiment : soit l'exploration façon petit train fantôme où on enchaîne les rencontres chiadées-horrifiques-symboliques, soit le donjon de l'impuissance qu'on explore au petit bonheur la chance en espérant pas tomber sur la mauvaise pièce. Je n'exclus pas bien sûr que des MJs doués dans ce domaine y arrivent, ou que des scénarios bien écrits puissent transcender ce problème.

Tel que je suis parti, il y aura trois types de "scènes" dans Le Limbe des Pères :
- les scènes d'enquête dans le réel : là encore, agentivité totale. Ils pourront choisir d'enquêter ou non. Le scénario aura prévu des pistes possibles, et le MJ s'adaptera éventuellement aux idées des joueurs.
- les scènes dans le Limbe : c'est en fait là qu'on touche à l'horreur, au syndrome Silent Hill et au risque de voir des persos dépossédés de leur agentivité. C'est de cette partie que je doute le plus finalement, comme tu le dis c'est assez casse-gueule.
- les scènes de vie quotidienne : où on s'attachera à découvrir l'environnement des PJs. C'est là que je compte utiliser la défamiliarisation naturelle du jdr classique expliquée dans le post précédent. Le joueur me dira s'il a une femme, un ami, un autre enfant, quel boulot il fait... et je me chargerai en tant que MJ de faire vivre cette relation. L'agentivité sera bien présente, le joueur étant bien sûr entièrement libre de sa façon de réagir.

Dans la partie "vie quotidienne", en tant que MJ je n'ai pas besoin de contrôler les souvenirs du PJ en fait :
- le joueur m'annonce en début de campagne que son personnage a un amant et me donne 2-3 détails sur lui.
- je dois jouer ledit amant mais je n'ai nécessairement pas la même vision du personnage que le joueur qui l'a imaginé (je ne suis pas dans sa tête).
- la première scène avec le personnage arrive, et le simple fait de m'emparer du PNJ crée automatiquement de la défamiliarisation. Le joueur ne connaît pas bien ce personnage, alors que ça devrait être le cas puisque le PJ et le PNJ se fréquentent depuis des mois voire des années.
- au fil de la campagne, le joueur va se familiariser peu à peu avec les PJs et PNJs. Cela peut représenter le mouvement de désendeuillage. Le PJ retrouve le goût de vivre en même temps que le joueur apprend à maîtriser son environnement.

De nombreux jeux de rôle tendent à envoyer les PJs dans des lieux nouveaux, justement parce qu'ainsi joueur et PJ découvrent en même temps les décors et ceux qui les peuplent. Il peut être difficile voire impossible de créer une complicité, un sentiment de familiarité dès le début (cf. l'autre fil sur le sujet). Cela demande du temps, et bien des campagnes commencent par une espèce de flottement, le temps pour chacun de prendre ses marques.
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