[Question de Game Design] Les Lames du Cardinal
Publié : 14 Avr 2016, 11:22
[Note : une des idées de ce sous-forum est aussi de discuter de jeux spécifiques, des idées qu'ils amènent mais aussi des problèmes qu'ils soulèvent. Je préfère le faire ici que sur mon site, parce que je ne veux pas en faire une tribune ou un réquisitoire, juste y réfléchir et échanger. Si certains veulent participer, je serai très content de discuter avec eux, sinon, cela m'aura au moins servi à coucher sur papier électronique des réflexions un peu confuses.]
Je voudrais parler d'un cas épineux pour moi : les Lames du Cardinal.
Le jeu en quelques mots
- le cadre global est la série de romans de Pierre Pével, décrivant une France sous la Régence menacée par les conspirations draconiques. Les personnages sont des aventuriers d'élite, recrutés sous Richelieu puis Mazarin pour lutter contre ceux qui menacent le pays. Ils sont les Lames du Cardinal, une sorte de super-police secrète.
- c'est un jeu avec MJ, les personnages sont définis d'abord par des compétences diverses aidées par des caractéristiques (déterminées par le choix de deux "métiers"). Tous sont des bretteurs d'élite, avec une école d'escrime. Ils ont enfin un niveau de vie et quelques contacts. Les dés sont ici remplacés par des cartes de tarot. Je trouve le système de résolution et surtout de combat tout à fait intéressant et engageant.
- les parties se basent sur des missions mêlant enquête rapide et action. Il est de bon ton de commencer in medias res, et de ne pas perdre trop de temps à chercher.
Le problème
En dépit de la beauté du matériel et de mon envie de faire du cape et épée enlevé, je me retrouve systématiquement bloqué par ce jeu. Incapable de créer un scénario qui me motive, et ceux que je lis ailleurs m'ennuient - je trouve leurs rebondissements stériles, les images qu'ils convoquent banales, les enjeux vus et revus.
Le pourquoi
Je n'ai pas encore mis la main véritablement dessus, mais j'ai quelques pistes :
- L'effet "jeu historique" : ce type de contexte peut être assez paralysant, surtout si on tient compte des problèmes suivants (voir PJs ci-dessous).
- L'absence de profondeur des PJs : ces derniers sont en fait deux métiers, une poignée de compétences, deux contacts et une école d'escrime. Pour des épéistes d'élite ayant pas mal bourlingué, avouez que c'est très léger.
* Rien dans la feuille de personnage ni dans le système ne s'attache à la psychologie, aux raisons qui ont poussé ce personnage à rejoindre les Lames. Rien ne nous aide à comprendre comment cela s'est passé. Ce qu'il veut. Ce qui pourrait le pousser à trahir ou poser problème.
* Impossible de se baser sur le passé des héros pour les impliquer dans les intrigues - tant que les joueurs ne se sont pas chargés de les rempailler un peu en tous cas, sauf à imposer leur passé aux personnages.
* Escrime exceptée, le système de création n'aide de plus guère à ancrer les personnages dans un quelconque terreau typé 17e siècle. Le simulationniste en moi meurt de faim ou est au contraire étouffé par le travail immense à effectuer pour compenser.
- Le faux groupe : les personnages forment un groupe qui vient d'être créé. Ils n'ont ni passé commun a priori, ni attaches, juste un boulot à effectuer au nom de la France. Avec le temps, ils formeront des liens qui les aideront à devenir plus fort mécaniquement mais au début pas de liens pré-définis façon Apocalypse World, pas de réflexion sur le devenir du groupe façon Tenga, pas de problèmes relationnels posés noir sur blanc.
- Le jeu à mission : le concept même du jeu, l'ensemble des idées et les scénarios plus ou moins officiels, tout est mission confiée par Mazarin aux PJs, lesquels sont totalement extérieurs aux enjeux. Ce sont des super-policiers.
* J'ajoute à cela la tentation permanente du super-rebondissement imprévu ou des cinq camps différents venus s'opposer dans un chaos qui vient compliquer inutilement l'intrigue.
- Des scénarios très codifiés : le genre cape et épée implique des sortes de "passages obligés" - le duel, la course-poursuite en calèche ou sur les toits, l'infiltration dans le bal et le dialogue plein de sous-entendus avec le grand méchant. Cela signifie que la plupart des scénarios sont en chapelet, chaque scène est en quelque sorte pré-écrite.
- La multiplication des méchants stéréotypés : bien des opposants aux PJs peuvent être résumés par "le grand méchant qui intrigue comme personne dans les coulisses pour avoir le pouvoir absolu à la fin". Les autres sont des hommes de main violents et manipulés, ou des espions qui changent de camp comme de chemise.
- Mon propre rejet du "MJ animateur" : clairement, j'ai du mal avec l'idée d'être un meneur là pour amuser les invités, me plier en quatre pour distraire tout le monde façon grand huit, avec musiques et effets de voix et force gestuelles. Les Lames peut ressembler à cela - les personnages ne sont que des simulacres pour les joueurs, à moi de combler le vide par ce que je veux. Je suis libre de leur inventer un passé, de leur proposer n'importe quelle mission, etc. au nom de la "bonne partie".
Autre idée et conclusion
Paradoxalement, la plupart de ces défauts, il est possible de les envoyer au visage de la plupart des parties de Donjons et Dragons ou de L'Appel de Cthulhu. Et pourtant ces derniers ne me posent aucun problème, et je peux facilement m'impliquer dedans. Je considère qu'ils proposent une "forme" adaptée au jeu de rôle, là où les jeux de cape et épée se cherchent encore un peu.
Ma piste principale repose sur la dichotomie "personnages sans passé et sans psychologie" vs "personnages vétérans". Un PJ de Donjons ou de Cthulhu démarre son aventure dans le monde ordinaire. Il est vierge de toute expérience aventureuse, nous ne le connaissons pas encore et c'est normal : il va se révéler à nous comme à lui-même dans l'action.
A l'inverse, un vétéran a déjà l'expérience du monde aventureux. Il sait déjà qui il est, et est même engoncé dans une série de liens complexes. Un personnage de Smallville a déjà un lourd passé élaboré pendant la création. A Burning Wheel / Burning Empires, on a une bonne idée de qui il est avec les Lifepaths (son passé), les Traits, les Instincts et les Beliefs (sa psychologie). Tenga réfléchit aux liens entre personnages, à la notion de groupe et de destin.
Et vous ? Avez-vous déjà ressenti ça dans un autre jeu ?
Je voudrais parler d'un cas épineux pour moi : les Lames du Cardinal.
Le jeu en quelques mots
- le cadre global est la série de romans de Pierre Pével, décrivant une France sous la Régence menacée par les conspirations draconiques. Les personnages sont des aventuriers d'élite, recrutés sous Richelieu puis Mazarin pour lutter contre ceux qui menacent le pays. Ils sont les Lames du Cardinal, une sorte de super-police secrète.
- c'est un jeu avec MJ, les personnages sont définis d'abord par des compétences diverses aidées par des caractéristiques (déterminées par le choix de deux "métiers"). Tous sont des bretteurs d'élite, avec une école d'escrime. Ils ont enfin un niveau de vie et quelques contacts. Les dés sont ici remplacés par des cartes de tarot. Je trouve le système de résolution et surtout de combat tout à fait intéressant et engageant.
- les parties se basent sur des missions mêlant enquête rapide et action. Il est de bon ton de commencer in medias res, et de ne pas perdre trop de temps à chercher.
Le problème
En dépit de la beauté du matériel et de mon envie de faire du cape et épée enlevé, je me retrouve systématiquement bloqué par ce jeu. Incapable de créer un scénario qui me motive, et ceux que je lis ailleurs m'ennuient - je trouve leurs rebondissements stériles, les images qu'ils convoquent banales, les enjeux vus et revus.
Le pourquoi
Je n'ai pas encore mis la main véritablement dessus, mais j'ai quelques pistes :
- L'effet "jeu historique" : ce type de contexte peut être assez paralysant, surtout si on tient compte des problèmes suivants (voir PJs ci-dessous).
- L'absence de profondeur des PJs : ces derniers sont en fait deux métiers, une poignée de compétences, deux contacts et une école d'escrime. Pour des épéistes d'élite ayant pas mal bourlingué, avouez que c'est très léger.
* Rien dans la feuille de personnage ni dans le système ne s'attache à la psychologie, aux raisons qui ont poussé ce personnage à rejoindre les Lames. Rien ne nous aide à comprendre comment cela s'est passé. Ce qu'il veut. Ce qui pourrait le pousser à trahir ou poser problème.
* Impossible de se baser sur le passé des héros pour les impliquer dans les intrigues - tant que les joueurs ne se sont pas chargés de les rempailler un peu en tous cas, sauf à imposer leur passé aux personnages.
* Escrime exceptée, le système de création n'aide de plus guère à ancrer les personnages dans un quelconque terreau typé 17e siècle. Le simulationniste en moi meurt de faim ou est au contraire étouffé par le travail immense à effectuer pour compenser.
- Le faux groupe : les personnages forment un groupe qui vient d'être créé. Ils n'ont ni passé commun a priori, ni attaches, juste un boulot à effectuer au nom de la France. Avec le temps, ils formeront des liens qui les aideront à devenir plus fort mécaniquement mais au début pas de liens pré-définis façon Apocalypse World, pas de réflexion sur le devenir du groupe façon Tenga, pas de problèmes relationnels posés noir sur blanc.
- Le jeu à mission : le concept même du jeu, l'ensemble des idées et les scénarios plus ou moins officiels, tout est mission confiée par Mazarin aux PJs, lesquels sont totalement extérieurs aux enjeux. Ce sont des super-policiers.
* J'ajoute à cela la tentation permanente du super-rebondissement imprévu ou des cinq camps différents venus s'opposer dans un chaos qui vient compliquer inutilement l'intrigue.
- Des scénarios très codifiés : le genre cape et épée implique des sortes de "passages obligés" - le duel, la course-poursuite en calèche ou sur les toits, l'infiltration dans le bal et le dialogue plein de sous-entendus avec le grand méchant. Cela signifie que la plupart des scénarios sont en chapelet, chaque scène est en quelque sorte pré-écrite.
- La multiplication des méchants stéréotypés : bien des opposants aux PJs peuvent être résumés par "le grand méchant qui intrigue comme personne dans les coulisses pour avoir le pouvoir absolu à la fin". Les autres sont des hommes de main violents et manipulés, ou des espions qui changent de camp comme de chemise.
- Mon propre rejet du "MJ animateur" : clairement, j'ai du mal avec l'idée d'être un meneur là pour amuser les invités, me plier en quatre pour distraire tout le monde façon grand huit, avec musiques et effets de voix et force gestuelles. Les Lames peut ressembler à cela - les personnages ne sont que des simulacres pour les joueurs, à moi de combler le vide par ce que je veux. Je suis libre de leur inventer un passé, de leur proposer n'importe quelle mission, etc. au nom de la "bonne partie".
Autre idée et conclusion
Paradoxalement, la plupart de ces défauts, il est possible de les envoyer au visage de la plupart des parties de Donjons et Dragons ou de L'Appel de Cthulhu. Et pourtant ces derniers ne me posent aucun problème, et je peux facilement m'impliquer dedans. Je considère qu'ils proposent une "forme" adaptée au jeu de rôle, là où les jeux de cape et épée se cherchent encore un peu.
Ma piste principale repose sur la dichotomie "personnages sans passé et sans psychologie" vs "personnages vétérans". Un PJ de Donjons ou de Cthulhu démarre son aventure dans le monde ordinaire. Il est vierge de toute expérience aventureuse, nous ne le connaissons pas encore et c'est normal : il va se révéler à nous comme à lui-même dans l'action.
A l'inverse, un vétéran a déjà l'expérience du monde aventureux. Il sait déjà qui il est, et est même engoncé dans une série de liens complexes. Un personnage de Smallville a déjà un lourd passé élaboré pendant la création. A Burning Wheel / Burning Empires, on a une bonne idée de qui il est avec les Lifepaths (son passé), les Traits, les Instincts et les Beliefs (sa psychologie). Tenga réfléchit aux liens entre personnages, à la notion de groupe et de destin.
Et vous ? Avez-vous déjà ressenti ça dans un autre jeu ?