Mais c'est quoi votre indépendance ?

Les autres jeux indés, ceux du commerce, le jeu de rôle en général

Mais c'est quoi votre indépendance ?

Message par Mangelune » 28 Mai 2016, 09:26

Oui, je viens avec une question-choc. Mais pas juste pour la provoc, parce que c'est une question que je me pose de plus en plus : c'est quoi, pour vous, l'indépendance que défendent les Ateliers ?

Les fondateurs y ont déjà répondu dans deux podcasts de la Cellule, mais ils peuvent avoir des nuances à apporter ou avoir légèrement modifié leur perception des choses. D'un autre côté, on a les auteurs invités comme moi, qui ont peut-être leur propre vision. Et enfin les lecteurs, joueurs, relecteurs, soutiens, auteurs non affiliés bref ceux qui font vivre les Ateliers et dont l'avis compte au moins autant.

La raison derrière cette interrogation, ce sont aussi les évolutions récentes que je constate : Thomas part vers une forme plus radicale encore de sa démarche en cessant de faire payer ses oeuvres mais mentionne aussi le travail collectif, Morgane s'interroge sur la viabilité de son modèle économique, et de mon côté j'envisage sérieusement de passer par le financement participatif et la collaboration éditoriale pour pouvoir m'éloigner de l'hégémonie Print on Demand. De son côté Romaric met en avant ses problèmes de distribution mais vante aussi l'impression locale et le contact direct avec le public (ce que ne permettent pas Lulu ou Createspace, prouvant qu'il y a déjà là un gouffre entre deux formes de production-communication).

Où s'arrête l'indépendance ? A partir de quel degré de collaboration avec d'autres auteurs, avec des illustrateurs, avec des problèmes d'argent et d'imprimeur et de distribution, avec une plateforme de diffusion voire avec un éditeur ? A partir de quel stade un jeu n'a plus vraiment sa place au sein des Ateliers imaginaires (ce qui n'est pas exactement la même chose) ? Un indépendant qui produit sciemment une oeuvre en direction du public aurait-il sa place ici ?

J'imagine qu'une réponse possible serait : est indépendant et susceptible de rejoindre les Ateliers une personne qui est invitée par un des membres fondateurs. Mais c'est un peu vague, et susceptible d'être remis en question en fonction des projets.

On pourrait aussi prendre la définition de Fabien Hildwein, "Un jeu est indépendant lorsque son concepteur en possède les droits d'auteurs et les droits de commercialisation." (aussi appelés droits de distribution dans le podcast). Ce à quoi il ajoute "dans un jeu de rôle indépendant, un auteur peut certes faire appel à tout type de compétence (pour Monostatos, j'ai fait appel à un illustrateur), voire à quelqu'un qui t'encadre (un editor au sens américain), mais il reste celui qui a le dernier mot sur les décisions artistiques." (http://www.cnjeu.fr/accueil/conservatoire/fabien-hildwein-monostatos)

Personnellement, j'aurais tendance à dire que peu importe le nombre de collaborateurs voire la présence d'un éditeur (attention, je ne parle pas ici d'une grosse boîte façon Black Book ou Agathe mais de structures plus modestes), si l'auteur manifeste une pulsion créatrice, s'il semble vouloir exprimer une vision (quitte à produire un jeu largement fun et décomplexé par-dessus, après tout Romaric fait bien de la SF-Saint Seiya avec des guns et Zack Smith du Donjons & Dragons) et prendre des risques, s'il peut se dire à lui-même qu'il a écouté les conseils qu'on lui prodiguait mais n'a pas accepté des compromissions, alors il peut largement se revendiquer "de l'indépendance" au sens large.

Mais je prêche sans doute indirectement pour ma paroisse, je serais donc heureux de pouvoir confronter cela à vos propres subjectivités !
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Re: Mais c'est quoi votre indépendance ?

Message par Thouny » 28 Mai 2016, 19:17

« Un jeu de rôle est indépendant si, lorsque son auteur se rend compte que c'est de la merde, il ne peut s'en prendre qu'à lui-même. »

Ça va ça ? En fait, ça rejoint « il reste celui qui a le dernier mot sur les décisions artistiques ». Pour moi, c'est une bonne définition. Comme tu dis, tu peux être indépendant même en ayant un « editor », tant que c'est toi qui as le dernier mot.

Si tu as un éditeur, aussi gros soit-il (même Black Book ou, soyons fous, WotC), si, en cas de désaccord, tu peux dire « Non, c'est mon jeu, donc ce sera comme ça », et qu'effectivement le jeu est publié comme ça, alors tu es indépendant (selon moi).
Ça veut dire aussi que le mec qui écrit dans son garage, mais dont le compagnon relit les manuscrit et dit « Non, ça c'est mort, il est hors de question que tu gardes ça », il n'est pas indépendant. Bien qu'il n'ait pas d'éditeur, il n'a pas le dernier mot sur son œuvre.

Voilà mes 5 centimes.
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Re: Mais c'est quoi votre indépendance ?

Message par Eugénie » 29 Mai 2016, 01:10

Sur le modèle économique promu par les Ateliers, j'ai l'impression que les auteurs centrent beaucoup leur vision de l'indépendance sur leur liberté créative, souvent sans prendre en compte d'autres contraintes qui s'exercent sur leur jeu ou qu'ils exercent par ricochet sur d'autres salariés.

De mon point de vue, utiliser des plateformes type Lulu, ça n'est pas exactement être indépendant. Même si on peut effectivement parler d'une indépendance au sens large, je ne remets pas l'étiquette en cause, j'ai juste envie d'appuyer sur ce qui me tricote. D'une part, au niveau créatif, c'est dépendre de la plateforme pour la conception de l'objet livre (choix limité de format, de papier, etc). C'est aussi confier à d'autres structures les conditions de commercialisation du jeu : les délais d'envoi, le choix des transporteurs, des moyens de paiement, etc. L'auteur n'a pas le dernier mot sur ces modalités-là, qui pourtant seront le premier rapport entre le lecteur et le jeu.

Et en dehors de la question du dernier mot de l'auteur, il y a aussi la question d'assumer soi-même le travail non créatif. Compter sur d'autres salariés pour faire le boulot type facturation, emballage/mise sous pli, envoi, gestion des anomalies (comme sur les plateformes type Lulu) est-ce que c'est de l'indépendance ou du patronat ?

Il ne s'agit pas de dénigrer ces plateformes, parce qu'apparemment elles conviennent très bien aux auteurs et assurent un bon service auprès des lecteurs. Mais je soulève la question parce que j'ai l'impression que les auteurs indépendants décentrent assez peu leur regard de leur propre liberté, et évoquent rarement la façon dont ils délèguent la partie du job la plus triviale et inintéressante à des gens non-investis dans le projet (les salariés de Lulu par exemple).

Et je parle même pas des auteurs qui passent par Amazon... ^^
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Re: Mais c'est quoi votre indépendance ?

Message par Frédéric » 29 Mai 2016, 01:34

Si je te suis, être indépendant à 100%, c'est couper un arbre, fabriquer soi-même le papier, fabriquer ses fontes...
(La majorité des imprimeurs en France sont des grandes chaînes, en passant, les "petits éditeurs" sont rares).
Frédéric
 
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Re: Mais c'est quoi votre indépendance ?

Message par Eugénie » 29 Mai 2016, 08:53

Je ne crois pas avoir parlé d'impression, si ?

Pour moi, la gestion des commandes et des envois est une tâche que chacun peut assurer, qui ne demande aucune formation particulière. Par contre c'est pénible, c'est pas super intéressant, et ça demande énormément de temps et autant d'organisation.

L'impression, c'est un peu autre chose : ce sont des savoir-faire particuliers, ça représente plusieurs corps de métier, et ça n'est pas un maillon direct de la chaîne entre auteur et lecteur, comme le sont les éditeurs, les diffuseurs, les distributeurs et les boutiques.

Je ne suis pas en train de reprocher aux auteurs indépendants de ne pas assurer leur commercialisation. Je voudrais juste freiner le discours idéaliste et romantique qui a beaucoup été porté par La Cellule et Les Ateliers ("l'indépendance, c'est la liberté") parce que concrètement et notamment sur tous les aspects non créatifs, c'est pas exactement ça.
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Re: Mais c'est quoi votre indépendance ?

Message par Mangelune » 29 Mai 2016, 09:44

Eugénie a écrit :L'impression, c'est un peu autre chose : ce sont des savoir-faire particuliers, ça représente plusieurs corps de métier, et ça n'est pas un maillon direct de la chaîne entre auteur et lecteur, comme le sont les éditeurs, les diffuseurs, les distributeurs et les boutiques.


Effectivement, c'est d'ailleurs ce que mettent en avant Romaric et Morgane qui se chargent du contact direct avec leur public justement - ce qui passe aussi par des petits mots doux, une griffe personnalisée, un haiku, bref des gestes très chouettes -, ce que ni Lulu ni le diable (je vais appeler comme ça mon réseau de distribution) ne permettent. Ce qui peut donner de l'importance voire de l'humanité à chaque acte de vente, et donc faire que chaque vente compte.
Contes et histoires à vivre, un site pour parler des Errants d'Ukiyo, de Perdus sous la pluie et du reste.

Pensez aussi à la page Facebook officielle de Perdus sous la pluie.
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Re: Mais c'est quoi votre indépendance ?

Message par Gaël Sacré » 29 Mai 2016, 10:03

C'est un questionnement très intérressant que tu nous proposes là, Vivien. Un questionnement qui est beaucoup au coeur de mes pensées dernièrement. Le modèle économique choisit par Thomas Munier, celui de Morgane pour Sur la route de Chrysopée et mes propres expériences créatives, que ce soit en jeu de rôle avec Happy via CreateSpace (Amazon) mais aussi plusieurs financements participatifs en cours en audio-visuels.

L'indépendance totale est clairement une utopie. Il me semble que l'idée d'une certaine indépendance défendu notamment ici au sein des Ateliers vient d'une frustration de voir que le jeu de rôle, malgré ses revendications de passion pour tout le monde, est souvent traité comme un produit qui doit séduire un public, et que les considérations créatives personnelles ne sont pas les seules qui motivent la création d'un jeu. On est donc je pense plus face à une idéologie dominante qui voudrait qu'on doit vendre des produits et non des oeuvres, parce que "c'est ce que veulent les rôlistes" et que "l'argent gagné permet d'investir dans des projets plus risqués". En bref, c'est une résistance politique.

Ce qu'on oublie souvent de mentionner quand on parle "d'avoir la dernier mot" c'est l'effet de pression sociale et économique qui s'exerce quand on est un auteur, qui fait qu'on pense faire des choix à priori en toute liberté. L'idée de l'éditeur qui impose des choses à son auteur, c'est un cliché simpliste qui, bien qu'il existe peut être à un certain niveau, est assez réducteur de la façon dont ça fonctionne en réalité.

En ce qui me concerne, ma vision de l'indépendance évolue constamment, et elle se confronte à la réalité quotidienne. Plus on est indépendant, et plus ça prend du temps pour faire autre chose que de créer ses jeux et les tester. Mais à l'inverse, déléguer c'est le risque de se voir dépossédé de sa création, dans la façon dont il est fabriqué, maquetté, illustré, distribué etc. ou comme c'est mon cas sur mes projets en foulancement (en audio-visuels), avoir des soucis extérieurs à sa propre volonté qui empêchent que le projet soit terminé.

Je crois que c'est à chacun de fixer son niveau d'indépendance, et je crois qu'on a un bel exemple de diversité au sein des Ateliers. Il n'y a pas une indépendance, mais des indépendances, et c'est peut être ça, au fond, le coeur de la communauté.
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Re: Mais c'est quoi votre indépendance ?

Message par Frédéric » 29 Mai 2016, 13:44

Que chacun utilise son indépendance différemment, c'est tout l'intérêt : je ne crois pas qu'un éditeur francophone aurait accepté de publier Prosopopée en 2012.
Néanmoins, je crois qu'établir des proportions d'indépendance est la mauvaise approche, car c'est le meilleur moyen d'entrer dans un rapport conflictuel de qui est suffisamment ou vraiment indépendant parmi nous.

La définition que donne Thouny et qui est celle que je défends a le mérite de ne pas s'intéresser à des paramètres subjectifs ou artistiques parce qu'elle n'est pas excluante.
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Re: Mais c'est quoi votre indépendance ?

Message par Eugénie » 29 Mai 2016, 18:00

Gaël Sacré a écrit :mes propres expériences créatives, que ce soit en jeu de rôle avec Happy via CreateSpace (Amazon)


oups ! j'ai zappé qu'il n'y avait pas que Mangelune à passer par Amazon... ma pique sur Amazon était juste une façon de le taquiner. je suis maladroite des fois, pardon.
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Re: Mais c'est quoi votre indépendance ?

Message par Fabien | L'Alcyon » 29 Mai 2016, 18:42

L'indépendance des fondateurs des Ateliers
Je pense pouvoir parler au nom de mes co-fondateurs en répétant la définition de l'indépendance déjà vue et revue:
On pourrait aussi prendre la définition de Fabien Hildwein, "Un jeu est indépendant lorsque son concepteur en possède les droits d'auteurs et les droits de commercialisation." (aussi appelés droits de distribution dans le podcast). Ce à quoi il ajoute "dans un jeu de rôle indépendant, un auteur peut certes faire appel à tout type de compétence (pour Monostatos, j'ai fait appel à un illustrateur), voire à quelqu'un qui t'encadre (un editor au sens américain), mais il reste celui qui a le dernier mot sur les décisions artistiques." (http://www.cnjeu.fr/accueil/conservatoi ... monostatos)

Je précise que cette définition était celle de silentdrift avant d'être la nôtre, et avant cela celle de The Forge, qui eux-mêmes (me semble-t-il) l'ont construite à partir de la notion d'indépendance dans la musique rock.

A cela s'ajoute le fait que sur les Ateliers nous avons choisi de faire preuve d'arbitraire et d'inviter les personnes qui nous semblent intéressées par la communauté des Ateliers Imaginaires (ça peut être nos ami°e°s, mais ça ne s'y limite pas).
Le but des Ateliers c'est aussi de rassembler des gens qui ont une envie commune, même si comme on l'a déjà dit dans ce sujet, cette envie est floue et indéterminée. On ne veut pas de gens (indépendants) qui viendraient uniquement faire leur pub sans s'intéresser aux autres.
On ne cherche donc pas à être LE forum de l'indépendance, mais une communauté d'indépendants qui s'entraident, testent les jeux des uns et des autres, jouent à leurs jeux, etc.

Et à la limite, cette deuxième contrainte est presque plus forte que la première au sens où on conçoit très bien que l'indépendance soit un concept élastique, qui puisse recouvrir bien des réalités. C'est aussi sa force: les nombreuses expérimentations qui existent sur le forum, avec leurs hauts et leurs bas, sont une marque de dynamisme et permettent d'explorer ce qu'on peut faire avec le jdr. Chapeau bas d'ailleurs à Thomas, Morgane, Vivien et Gaël pour leurs recherches !
Ce que je veux dire par là, c'est que cette définition de l'indépendance structure surtout ce que nous cherchons à créer comme communauté. Ce n'est nullement un guide, ou - pire - une contrainte pour les auteurs°autrices des Ateliers, au contraire, ces expérimentations sont formidablement intéressantes ! Elles sont même vitales puisqu'un des buts originaux de l'indépendance est de chercher de nouveaux modèles économiques et éditoriaux. Je trouve donc que cette discussion est importante, puisqu'elle nous permet de co-créer ce que nous entendons par indépendance.

Cette définition fixe un esprit général qu'il s'agit de respecter, mais à l'intérieur de ces limites, l'indépendance c'est surtout ce qu'on en fait !

Que signifie cette définition de l'indépendance ?
Bon, mais c'est quoi l'« esprit » de cette définition ?
J'aime vraiment beaucoup la réflexion de Thouny à ce sujet:
« Un jeu de rôle est indépendant si, lorsque son auteur se rend compte que c'est de la merde, il ne peut s'en prendre qu'à lui-même. »

C'est à la fois une question de responsabilité et de contrôle de la création du jeu. Je suis le seul maître à bord. Ça ne garantit nullement la qualité de mon jeu, mais au moins j'ai eu toutes les cartes en main pour le réaliser. De façon générale, je trouve le message de Thouny excellent, ses « 5 centimes » valent de l'or.

Je réponds dans les paragraphes suivants plus spécifiquement à Eugénie. Cette définition de l'indépendance me semble très claire sur ce qu'elle propose et ce qu'elle ne propose pas.

D'une part, cette définition ne prétend pas être « socialement responsable ». Ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Effectivement on est surtout orientés vers les questions de liberté créative.
Donc on n'est pas moins ou plus indépendant, quel que soit les acteurs auxquels on fait appel, ou leur « moralité » respective. Sinon définir qui est indépendant et qui ne l'est pas serait encore plus difficile et complexe, et renverrait rapidement à des jugements de valeur difficile à trancher.
De même, j'ai du mal à comprendre d'où vient l'idée que nous aurions une vision romantique (voire socialement irresponsable ?) de la chaîne du livre. Romaric, par exemple, est extrêmement conscient de ces questions sociales. S'il fait appel à un imprimeur près de chez lui, c'est justement pour soutenir l'économie locale. J'ajoute que Romaric a été un des tous premiers à se poser la question (je me souviens en avoir discuté avec lui en 2010, au moment où je l'ai rencontré), à un moment il vérifiait systématiquement où étaient imprimés les jeux qu'il recevait, il a toujours été très attentif à ces enjeux sociaux.
Je trouve aussi qu'utiliser le mot de « patronat » me semble aussi abusif et biaisé. Je paie Lulu pour ces services, et je les paie bien, je n'ai pas l'impression de les exploiter ou de leur imposer quoi que ce soit. Tu peux me dire que je devrais choisir d'autres services et que je n'ai pas un comportement responsable ainsi, mais 1. le mot de patronat me semble toujours excessif, 2. ça ne remet pas en cause mon indépendance.
Tu peux légitimement argumenter que certaines plateformes ne te semblent pas éthiques (et je pense sincèrement que ce sont des discussions qui ont leur place ici), que ça nuit au métier de libraire, ou encore que ça a des conséquences sur l'environnement ou la fiscalité, etc., mais ça ne remet pas en cause la définition de l'indépendance telle que nous la défendons ici.

D'autre part, j'ai du mal à comprendre ton deuxième argument nous reprochant de ne pas être indépendant lorsqu'on fait appel à un prestataire extérieur, la définition ci-dessus est très claire sur le fait qu'on peut faire appel à d'autres personnes, y compris pour les tâches non-créatives.
Je suis toujours indépendant en faisant appel à Lulu parce qu'à tout moment je peux retirer mon jeu de Lulu et que Lulu n'exerce aucune pression créative sur mon jeu. De la même manière que quand je fais appel à un illustrateur ou à un relecteur, je suis libre de prendre en compte ou pas ses apports.
De même, j'ai du mal à comprendre pourquoi tu places dans un autre ordre la gestion des commandes et des envois. OK, ça ne demande pas les mêmes compétences techniques que l'impression et l'illustration. En quoi ça nous rend moins indépendant de confier ces tâches à d'autres personnes, sachant qu'on peut toujours le faire nous-mêmes si on le souhaite ?
L'indépendance ce n'est pas la liberté absolue de créer (nous n'avons jamais promu cette idée, ça me semble un cliché qui nous est imposé de l'extérieur, comme lorsqu'on nous fait dire que les éditeurs seraient le diable), mais de pouvoir faire soi-même les choix importants avec les contraintes de l'environnement, y compris les contraintes de distribution.

Donc cette définition n'a pas de prétentions éthiques et n'a pas de prétention à se passer complètement des autres. Ce sont des questions légitimes, mais elles ne remettent en rien en cause notre indépendance (du moins d'après la définition que nous nous donnons).

C'est quoi mon indépendance, à moi Fabien ?
Pour compléter ma réponse à Vivien, voilà comment j'envisage mon travail.
Je suis indépendant pour des raisons économiques avant tout. L'indépendance me permet de faire des choix créatifs risqués (quel éditeur aurait accepté de publier La Saveur du Ciel?). Ça me permet de ne pas faire peser sur d'autres épaules mes échecs, je suis le seul dans la merde en cas de pépin. Et accessoirement, ça me permet aussi de payer mes allers-retours en train pour promouvoir le jeu, ce qui fait que je suis à l'équilibre (en fait, c'est un peu excédentaire) dans mon loisir, ce qui est une bonne chose.

Je ne pourrais pas exister sans l'impression à la demande. Elle est cohérente avec ce que je recherche dans l'indépendance, qui est de pouvoir prendre des risques créatifs. Comme il n'y a pas de risques financiers à prendre avec l'impression à l'avance de nombreux exemplaires, je peux prendre ces risques.
De même, le fait qu'une plateforme distribue elle-même les commandes permet aussi de prendre moins de risques financiers. Le problème du système des boutiques c'est exactement le même: il faut imprimer de nombreux exemplaires pour alimenter toutes les boutiques, sans savoir si le jeu va se vendre. Je ne suis pas allergiques aux boutiques, je travaille avec celles qui me proposent un partenariat, mais clairement ce serait impossible de proposer cela à toutes, le risque devient alors beaucoup trop grand.
Et comme le fait remarquer justement Eugénie, faire la distribution soi-même, ça demande de la place, de la stabilité (je suis pas assez souvent chez moi pour assurer un suivi régulier), du temps et de l'énergie que je n'ai pas.

Enfin, l'indépendance pour moi ce n'est pas qu'être indépendant, c'est aussi aider les autres à le devenir. C'est pour ça que c'est essentiel de partager nos modèles économiques, de s'entraider, de discuter, etc. D'où l'importance des Ateliers Imaginaires, et là on boucle sur le début de mon message.
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Re: Mais c'est quoi votre indépendance ?

Message par Epiphanie (Julien) » 29 Mai 2016, 21:42

Merci de ta réponse longue Fabien, car même si on en a déjà parlé et que certains membres des Ateliers se sont prononcés sur la question par ailleurs, et notamment dans les podcasts de la Cellule, je trouve que tu poses bien mieux les choses.

Je crois que pour Eugénie, comme pour moi (mais je me trompe peut-être), l'"Indépendance" est un terme tellement utilisé à toutes les sauces dans l'édition qu'il donne lieu à des confusions. D'autant plus qu'il commence à être utilisé à toutes les sauces dans le jeu de rôles aussi avec la multiplication des sorties "indé" avec des modèles et des intentions souvent contradictoires.
Un abus de langage qui n'aide pas forcément, c'est aussi de parler de "Modèle de l'indépendance". C'est quelque chose qui revient trop souvent, alors que, comme tu le dis, et comme on peut le constater ici, qu'il n'y a pas vraiment de modèle, au sens économique du terme, mais des initiatives, et la recherche de solutions alternatives.

J'avais déjà parlé dans un fil assez long de la notion d'indépendance en édition, qui recouvre partiellement celle que tu donnes et qui en diverge largement aussi. En édition de livres, l'indépendance, c'est avant tout l'indépendance économique des structures, pour les distinguer des grands groupes. C'est aussi l'indépendance créatrice puisque l'autonomie économique de ces maisons les conduit souvent à décorréler leurs choix de publication de stratégies de groupe, souvent appuyées par un service commercial plus ou moins puissant. C'est à dire que l'on considérera l'indépendance économique comme le prérequis à l'indépendance créatrice dans le cadre de l'économie traditionnelle du livre (c'est à dire en excluant souvent le numérique, le print on demand et les services de financement participatif, même si cette dernière pratique pose d'autres questions et commence à être employée).
Par extension, et souvent par abus de langage, "indépendance" est souvent employé comme un marqueur "éthique", c'est à dire que cela garantirait la maison de pratiques abusives envers ses prestataires et de choix responsables, notamment en terme d'impression. En réalité, ce n'est quasiment jamais le cas et on trouve toute sorte d'exploiteurs et de margoulins chez les "indépendants".
Cela recouvre enfin une réalité politique: c'est que les subventions, régionales notamment, on beaucoup plus de chances d'être attribuées à un éditeur "indépendant" et qu'un certain nombre d'opérations sont spécialement créées pour eux. C'est un terme que je trouve donc, dans ce cadre extrêmement élargi, tout à fait problématique. D'autant plus que les premiers à le revendiquer, dans l'édition, sont soit des gens qui cachent la misère de leur projet culturel derrière une forme de revendication de statut; soit camouflent leur pratiques malhonnêtes derrière une formule funeste expliquant que l'indépendance de leur projet excuse toutes les compromissions.
Du coup, pour le commerce et la diffusion de l'écrit, c'est un terme qui n'est pas neutre et qui peut sérieusement prêter à confusion. J'apprécie ta définition Fabien, car elle est reliée un processus tout autre, celui de la musique. Cette comparaison écarte bien des mésinterprétations induites par le mot lui-même dans le contexte du livre.

Enfin le positionnement de l'auteur par rapport à l'éditeur est quelque chose qui mérite une fois de plus d'être soulevé par rapport à ces questions et il me semble qu'il y a des choses à réinventer autour de rapports de force plus équilibrés en faveur de l'auteur; autant qu'il y a de nouveaux modèles économiques à élaborer. En ça le statut d'auteur indépendant me parait moteur pour les années à venir pour le JDR. En littérature en revanche, je resterais bien plus traditionaliste dans mon approche, même si le rapport de force mériterait d'être aussi sérieusement revu en faveur de l'auteur. Mais les problèmes sont d'un autre ordre.
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Re: Mais c'est quoi votre indépendance ?

Message par Thomas Munier » 30 Mai 2016, 08:32

S'il convient en effet de départager l'indépendance au sens autoédition de l'édition indépendante comme le rappellent encore Fabien et Julien, il convient également de départager l'indépendance au sens autoédition, de la notion de "final cut à l'auteur" défendue par brand dans sa réponse à l'entretien avec Coralie David (où il se qualifie de férocement indépendant, je pense qu'à ce stade, c'est une sorte de manifeste d'auteur mercenaire, en pratique je pense que ça se manifeste par le choix entre avoir le final cut sur le texte ou refuser de bosser avec l'éditeur. Alors, j'extrapole peut-être car brand est plus elliptique que ça dans son article).

On rappellera aussi que par autoédition, on entend :
+ diffusion de pdf gratuit ou payant sur ses propres canaux
+ commande de livres auprès d'un imprimeur (revendus à prix coûtant ou avec une marge. Romaric Briand a pratiqué d'abord l'un, puis l'autre) avec ou sans soucription pour financer le projet.
+ impression à la demande (à prix coûtant ou avec une marge). On peut tout à fait discuter sur le fait que, pratiquement, Lulu est un éditeur, au moins du point de vue de l'Etat français. Mais un éditeur aux pratiques hors-normes (il accepte tous les manuscrits, bon à tirer facultatif, l'auteur fixe son revenu, etc...). Se qualifier d'indépendant lorsqu'on est édité par Lulu ou Createspace me semble rester une affirmation honnête.

En ce qui me concerne, si je défends farouchement l'indépendance, c'est parce qu'elle libère de la paralysie créatrice. Elle permet à n'importe quelle personne de partager ses créations aussi rapidement qu'elle veut. Elle permet une expression sans frein. Elle permet pour une personne créatrice de naître à la diffusion sans effort. Qu'on puisse avec l'expérience trouver le modèle étriquer et s'épanouir dans l'édition, qu'on préfère travailler avec un éditeur dès le départ parce que ça correspond à certains de nos standards et qu'on a la patience d'attendre qu'un projet éditorial aboutisse, je le conçois, mais c'est hors de mon champ de réflexion quand je mène mon principal combat, qui est d'inviter chaque personne à s'exprimer.


Un rappel sur la façon personnelle et actuelle dont je vis l'indépendance :
C'est un système qui me convient dans le sens où il est aligné sur mes valeurs :

+ Publication de versions brouillons
+ Textes dans le domaine public
+ Illustrations personnelles en licence creative commons paternité, pas d'utilisation commerciale.
+ Supports numériques gratuits, versions textes et illustrées
+ Maquettes et versions traitement de texte mises à disposition
+ Je collabore avec des éditeurs à condition que mes textes restent dans le domaine public et que je puisse les publier de mon côté comme je le fais d'habitude.
+ Impressions à la demande vendues à prix coûtant.
+ Diffusion en boutiques (Charybde à Paris, Philibert à Strasbourg)
+ Fabrication de livres artisanaux (pour le coup, je sais que ça représente de gérer toute la partie bassement prolétaire de la création et de la diffusion d'un livre ! )
+ Collaboration avec des illustrateurs bénévoles
+ Financement par le don
+ Appel au soutien
+ Collaboration avec d'autres personnes via la réutilisation de mes œuvres dans le domaine public

Pour aller plus loin :
Libre et gratuit
Donner, soutenir, contribuer
Le modèle des huit zéros
Articles et accessibilité
Outsider & artisanal
Interview avec Kiraen pour les Chroniques d'Altaride
Énergie créative. Univers artisanaux.
http://outsider.rolepod.net/
Thomas Munier
 
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Re: Mais c'est quoi votre indépendance ?

Message par angeldust (Simon) » 30 Mai 2016, 10:12

Juste pour compléter ce qui a été dit, pour moi le terme "indépendant" est un terme relatif. On est indépendant par rapport à quelque chose. Quelqu'un qui est indépendant de TOUT est alors absolu... et personne ne prétend être absolu n'est ce pas ?

Merci pour les réflexions que vous apportez (moi qui n'ai pas encore oublié, je reste en retrait pour me nourrir de vos propos).
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Re: Mais c'est quoi votre indépendance ?

Message par Thomas Munier » 30 Mai 2016, 10:51

En fait, derrière le débat de l'indépendance, je vois le débat des œuvres individuelles et des œuvres collectives. J'en ai parlé en détail dans cet article.
Énergie créative. Univers artisanaux.
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Thomas Munier
 
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Re: Mais c'est quoi votre indépendance ?

Message par Brisecous (Mathieu) » 30 Mai 2016, 11:30

Pour moi la notion d'indépendance est individuelle : il en existe autant que d'individus. Ensuite, l'indépendance est relative comme le disait Simon ; j'ajouterais même : c'est un idéal, et comme tout idéal, elle est inatteignable. On est plus ou moins indépendant. On est indépendant à un certain degré et par rapport à certains référentiels (comme l'indiquait Simon).

Pour moi, et pour reprendre d'autres participants à ce sujet, être indépendant c'est gérer l'ensemble des étapes de création, d'édition, de communication et de commercialisation de son produit créatif. Gérer signifie décider, cela n'empêche pas de déléguer et de passer par des prestataires. Décider, cela signifie également avoir le choix, se permettre le choix, se créer des choix, quitte à inventer de nouvelles solutions si le choix n'existe pas encore.

Un exemple : selon ma conception de l'indépendance, faire imprimer sur Lulu, ce n'est pas être indépendant s'il s'agissait du seul choix envisagé, du seul choix à votre disposition. Cela correspond à ma vision de l'indépendance s'il s'agit d'un choix conscient entre plusieurs solutions.

De mon point de vue, être indépendant c'est également en vivre financièrement. Le fait de gagner de l'argent n'est pas la finalité en soi de l'indépendance, c'est pour moi un objectif nécessaire sur le chemin de l'indépendance : c'est pérenniser son activité, s'assurer d'avoir les moyens économiques de gérer des projets ambitieux. C'est ne dépendre de personne et se libérer du temps pour créer, produire, commercialiser, communiquer ses jeux.

Mon objectif pour être indépendant, ce serait donc de créer ma boîte d'édition, de vendre mes jeux, et de dégager un bénéfice suffisant pour pouvoir en vivre et produire les jeux suivants.

C'est ma vision de l'indépendance, qui ne s'applique qu'à moi-même. Cela ne me choque pas que vous soyez également indépendants selon votre paradigme propre. Après tout, l'indépendance est un idéal relatif. ;)
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Brisecous (Mathieu)
 
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