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JdR narrativiste, JdR adulte ?

03 Mai 2016, 23:01

Je me permets d'ouvrir ce post pour rebondir sur ce que je viens d'entendre sur le podcast des Rôlistes dans la Cave dont tu parles sur ton blog.
Ce ne sera pas une profonde analyse théorique ou quoi que ce soit dans ce genre. Ce ne sera qu'une simple anecdote personnelle. Que Valentin connaît déjà, d'ailleurs.

Cela concerne surtout le passage après 00:11:22 : « Je trouve qu'il y a quelque chose d'assez adulte dans cette approche du jeu de rôle. » Ça m'a frappé, car je venais de dire la même chose (ou presque), lundi soir, à Valentin, par mail.

Bon, j'arrête le teaser, voilà l'anecdote : lundi après-midi, en entretien d'embauche, j'ai fait jouer la personne chargée de mon entretien à un jeu de rôle narrativiste. Ou presque. Je recopie le mail que j'ai envoyé à Valentin :

Y a un truc qui a changé avec les jeux de rôle de hipster™, pour moi en tout cas, c'est que ce n'est plus du tout un « loisir coupable ». Très clairement, j'aime beaucoup les jeux tradis, mais en entretien d'embauche j'aurais sans doute pas osé dire que ce qui m'occupe le mardi soir c'est d'aller jouer aux chevaliers avec des gens.
Donc pendant l'entretien (pas avec mon possible futur employeur, mais avec la respo du cabinet de recrutement), quand elle a abordé le sujet des loisirs, j'ai parlé de plein de trucs (lecture — le grand classique, mais bon, c'est pas comme si c'était faux), les sports de combat (déjà un peu risqué, genre « mais pourquoi vous faites que des sports de combat ? — Parce que ce qui me plaît dans la vie, c'est de faire mal aux gens, mouhahaha »), les araignées, etc.), et puis j'ai hésité genre une demi-seconde, et j'ai ajouté « les jeux de rôle ».

Elle a eu l'air un peu surprise et intéressée, et elle a demandé des détails. Je lui ai donc dit que, dernièrement, j'avais découvert des jeux de rôle un peu particulier, par exemple les jeux de rôle moraux.

« Ah, et donc le but c'est… de vous faire faire des choix contraires à votre morale ?
— Non, non, c'est pas ça… Bon, attendez, je vous montre. Imaginez, vous venez de récupérer un orphelinat. Vous avez éjecté le précédent propriétaire, et vous avez le contrôle de la situation. Les enfants vont bien. Sauf que… l'orphelinat est vétuste, presque insalubre. Il faut refaire la plomberie, l'électricité, les vitrages… et puis il y a probablement de l'amiante en plus. Si ça continue comme ça, vous allez réussir à mener l'orphelinat, mais les enfants vont être malades, et s'il y a de l'amiante, ce ne seront sans doute pas des maladies bénignes. Ou alors, vous pouvez partir un temps, aller persuader des gens de vous aider ou de vous financer. Ça va marcher, vous allez pouvoir rénover l'orphelinat, mais pendant que vous serez partie, un enfant va prendre le contrôle. Cet enfant, vous le connaissez, il est un peu caïd, voire dictateur. Il va transformer l'orphelinat en un remake de Sa Majesté des Mouches, et ça va mal se finir au moins pour les enfants les plus jeunes et les plus faibles. Quand vous serez de retour, vous pourrez rétablir l'ordre, mais le mal sera déjà fait. Sachant cela, que choisissez-vous ? »

Sa réaction a été surprenamment positive. « Han, mais c'est horrible comme choix ! Ça me rappelle Saw un peu : pour te sortir du piège, il faut te scier la jambe ! »

Bref, voilà comment j'ai joué à un jeu de rôle narrativiste en entretien d'embauche.


Comme dit au début du message : auparavant, je n'aurais certainement pas osé « avouer » jouer à des jeux de rôle en entretien d'embauche. Parce que mes jeux de rôle, c'était de me réunir avec des potes pour jouer aux chevaliers. C'est peut-être bête, mais je ne serais pas senti à l'aise. Un peu comme si je disais « ma série préférée, c'est My Little Pony ».

Mais le jeu de rôle narrativiste (et simulationiste, je lui ai parlé de ça également après, mais sans donner d'exemple), pour moi, c'est quelque chose dont je peux parler sans aucune appréhension. Comme tu le dis Fred, je ne dis pas que le JdR tradi est puéril, loin de là : j'y joue encore, et de nombreux adultes parfaitement fonctionnels y jouent.
Mais la nature même du JdR narrativiste me semble, en effet, plus mature.

En tout cas ce passage du podcast a vraiment fait écho à ce que je me m'étais dit la veille, et je me suis dit que cette anecdote pouvait t'intéresser.

Re: JdR narrativiste, JdR adulte ?

04 Mai 2016, 07:27

C'est super intéressant comme témoignage :) Personnellement je n'ai jamais "osé" dire que faisait du JDR en entretien (mais bon mon dernier entretien date d'il y a quelques années).

Pour rebondir sur ce que tu dis, ce sentiment de jeu "adulte"/"mature" ne vient-il pas d'une notion de bienveillance (qui jusque là implicite dans les JDR tradi) est dans les jeux "narrativistes"/à autorité partagée posée comme une règle, comme un pilier. Dans un Donj', aucune règle ne te dit d'être bienveillant avec tes camarades. Les règles peuvent encourager le contraire, étant donnée que la dynamique de jeu est basée sur la montée en puissance des PJ. Il y en ressort une impression de puérilité: un enfant est très autocentré jusqu'à un certain âge. Au contraire, les jeux à autorité partagée demande par nature de la bienveillance car l'autorité est justement partagée autour de la table. On porte le poids de cette responsabilité.

Re: JdR narrativiste, JdR adulte ?

04 Mai 2016, 09:08

J'applaudis des deux mains ! (Et la remarque de ton interlocutrice est priceless.)

Je me sens en effet la possibilité d'aborder avec mes amis (les autres podcasteurs) des thèmes plus difficiles depuis que je joue comme ça : sexe, deuil ou autre. Probablement parce qu'il n'y a pas de déséquilibre dans le rapport MJ-joueurs (ou Joueurs-joueurs), ou un déséquilibre contrôlé.
Si j'étais MJ et que je voulais imposer une scène de sexe à un joueur, il y aurait une violence intrinsèque, même si la relation en elle-même n'était pas violente, tandis que dans une pratique où les participants (MJ compris) sont plus égalitaires et arbitré par des règles où le joueur a toujours le choix (a une vraie prise sur l'évolution des situations), me semble davantage propice à explorer ces thématiques (parfois violentes) avec une relation apaisée autour de la table.
(On lit d'ailleurs souvent sur Casus NO des fils de discussion sur le sexe en JdR où beaucoup d'intervenants semblent rejeter l'idée assez catégoriquement).

Meguey Baker appelle ça la démarche "Je ne t'abandonnerai pas" : je suis prêt.e à te suivre sans porter de jugement sur toi ou te décrédibiliser ou sans te laisser tomber quand tu t'ouvres émotionnellement.
Elle la distingue de la démarche "Personne ne sera blessé" qui vise simplement à jouer dans sa zone de confort, sans prendre le risque de se dévoiler ou d'aborder des thèmes difficiles.
J'en parle ici : http://www.limbicsystemsjdr.com/un-contrat-social-sain/

En ce qui me concerne, j'aime beaucoup un certain cinéma d'auteur (Whiplash, Mustang, Dancer in the Dark) ou des séries qu'on pourrait qualifier d'auteur (comme Six Feet Under ou Shameless) qui nous font facilement sortir de notre zone de confort et certains JdR indés m'ont permis de voir qu'il était possible d'aborder ce genre d'histoires sans se pousser jusqu'au malaise, alors qu'en tradi je me sentais incapable de creuser dans cette direction, le principe même de scénario me semblait inadapté et je me sentais trop en surplomb des joueurs pour leur imposer des thèmes durs ou violents. J'ai le sentiment que la structure tradi fonctionne bien pour les problématiques externes aux personnages (mission, enquête, quête, etc.) mais assez mal avec les problématiques internes (amour, problèmes relationnels, deuil, etc.) sauf si c'est à l'initiative des joueurs, mais dans ce cas c'est contingent et si on a des joueurs qui ne donnent pas l'impulsion dans ce sens, ça n'arrivera probablement jamais.

En fait, Les Cordes Sensibles est un jeu où l'on peut aborder des thèmes difficiles, mais le jeu en lui-même est extrêmement "safe" : le joueur choisit sa problématique, il est responsable du passé de son personnage, de ses relations, et les mécaniques lui laissent toujours le choix d'éviter le pire (mais ça a un coût) c'est donc difficile d'aller dans une direction que l'on ne veut pas. C'est une bonne ceinture de sécurité (évidemment, si des joueurs s'amusent à foncer dans des murs à 100km/h avec la bagnole, la ceinture ne suffira pas, mais quand on joue en mode "Je ne t'abandonnerai pas", ça marche très bien).

Re: JdR narrativiste, JdR adulte ?

04 Mai 2016, 11:32

Super intéressant cet article Fred.

L'échelle de l'implication des joueurs me rappelle la partie d'Inflorenza minima que l'on a jouée avec Valentin. On était à l'assoce La Boîte à chimère, et on avait réuni deux autres joueurs (donc, Valentin en MJ, et les trois autres — dont moi — en joueurs), à qui on a expliqué le pitch du jeu, et qui ont dit « ouais, ça a l'air cool » (donc on est sur du 4-5). En plus, accord général pour aborder (sans excès toutefois) des thèmes un peu crades (Valentin a rappelé la règle du pouce haut / pouce bas pour dire quand le jeu part trop loin).
Et là sont arrivés un père et son fils, que l'on a dû dispatcher sur des tables existantes, et on a récupéré le fiston. Boum, là on a un 3 (voire moins !) qui débarque. Incertitude, etc.

Bon, en fin de compte, ça s'est bien passé avec lui. Les deux problèmes du jeu furent le joueur que je classerais rétrospectivement en 4, qui a eu un peu de mal à se mettre dans le trip narrativiste (il cherchait à contourner les dilemmes, genre en disant « ah, ouais, mais genre si je fais ça, du coup… »)… et moi, qui étais complètement en mode simulationiste. Je prenais les alternatives morales comme des alternatives esthétiques, je n'étais pas du tout dans le trip du jeu :|

Ça illustre assez bien ta liste. Les différentes approches sont bien trouvées, c'est assez clair, et ça décrit assez bien des situations habituelles. Mais, comme tu le dis toi-même :
Plus le numéro de liste est élevé, plus l’implication du participant a de chances d’être bonne.

Parce que, dans cet partie, un 3 (le fils), bien qu'en retrait, a été impliqué, tandis qu'un 4 (l'autre joueur) et surtout un 5 (moi-même) ont en fait eu beaucoup de mal à s'impliquer dans le jeu. Personnellement, j'y étais impliqué, mais je ne jouais pas au même jeu que les autres. Ça s'est bien ressenti pendant le débrief.

Re: JdR narrativiste, JdR adulte ?

04 Mai 2016, 17:32

Très parlant comme exemple ! ^^
Dans tous les cas, quand on parle d'humains, difficile d'être catégorique (quand je le suis, c'est toujours par abus de langage).
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