Apocalypse World | Comment tout ça tient ensemble ?

[Forum fermé] Si vous cherchez un coup de main, des collaborateurs ou un avis éclairé pour vos propres projets

Apocalypse World | Comment tout ça tient ensemble ?

Message par Frédéric » 05 Juil 2014, 12:55

Salut,

Hier soir on a joué, Gaël, Mélanie et moi, notre première partie d'Apocalypse World, avec notre grandissime Maître de Cérémonie : Jérôme (Schultz), qui lui n’en est pas à sa première partie en tant que MJ.

Je vous raconte un peu ce qu'il s'est passé :

On a décidé de jouer dans les ruines d’une grande ville déserte. Notre communauté a élu domicile dans un Palais de Justice désaffecté.

Jérôme demande à Mélanie où se trouve Épice, son personnage, quand l'histoire débute. Épice est un envoûteur de 14 ans au style vestimentaire assez fantasque et au sexe indéterminé. Mélanie dit qu'il se trouve dans un squat de gosses qu’il fréquente et qu'il a apporté de la came. Jérôme dit qu'alors qu'ils s'endorment shootés, il voit un type qui lui écrase un marteau sur la tronche (J'ajoute qu'il porte un masque de soudeur) et pose la première question à Mélanie : "Pourquoi est-ce qu'il t'en veut ?"
Là, Mélanie raconte qu'il était un de ses clients et qu'il était tellement fou d'Épice qu'il a claqué tout son fric et il a perdu sa femme et ses gosses suite à ça.
Puis elle raconte qu’Épice tente de se dégager et lance les dés pour "agir face au danger", mais il se prend le coup de marteau. Mélanie décide de tenter de le manipuler alors que du sang coule de la tempe de son PJ. Elle lance les dés et réussit à lui faire ôter son masque. Alors Épice se moque ouvertement de lui. Il réagit avec colère. Épice le prévient qu’il est un protégé de la “Reine” (le PJ de Gaël, la taulière du coin). Le type au marteau lui demande de le prouver. Épice lui montre sa boucle d’oreille en forme de ♠, symbole de l’appartenance au clan de la Reine.
Là le type bredouille et demande des excuses à Épice qui lui demande de lui filer ce qu’il a sur lui en échange de son silence (je ne sais plus exactement combien de fois les dés ont été tirés dans cette séquence).

À partir de maintenant, je vais moins décomposer qui a dit quoi, je trouvais ça intéressant pour la première scène qui était assez fraîche dans ma mémoire.

La scène suivante concerne le personnage de Gaël : Allison, aka “La Reine”. Une taulière respectée et forte, juste et optimiste (du moins c’est ce qu’on pense au départ).
Gaël a choisi que son clan payait une taxe à un autre clan : celui du Tondu, comme contrat de non-agression, tandis qu’il protège lui-même un groupe de villageois miséreux.
Jérôme et Gaël discutent un instant pour clarifier la situation. Puis le Maître de Cérémonie lance une situation : dans la salle des audiences, un homme âgé entre. Un protocole assez strict distribue la parole. Il s’agit de Pomme de pin, le chef du village miséreux, qui vient expliquer à Allison qu’ils ne pourront pas assumer les taxes ce mois-ci et que les hommes du Tondu commencent à les menacer. (Je ne sais plus si c’est Jérôme qui a inventé le problème ou s’il a demandé à Gaël de lui donner une piste).
Allison lui répond que leur accord est en équilibre précaire et qu’il tient à tout le monde de faire sa part du boulot, qu’ils leur ont donné des ressources et appris à être autonome sur le plan alimentaire. Pomme de pin fulmine et dénonce l’injustice de ses propos. À ce moment-là, Minuit (mon perso, Beauté fatale, noir, le crâne rasé, maquillé portant une longue veste en cuir), sort sa chaîne équipée d’une lame et menace de lui couper un bras s’il continue de s’adresser ainsi à la Reine.
Le vieux Pomme de pin fait marche arrière, mais se plaint du boulot de Big Day, l’homme de main d’Allison censé les protéger.

Lors du marché organisé non loin du Palais de justice, Épice fait une démonstration de ses talents de danseur/se. Un homme subjugué lui offre une tranche de bacon (ce qui est super rare, comme tout aliment frais).

Allison fait venir Big Day et lui demande des explications. Il explique qu’ils ne pourront pas tenir tête aux hommes du Tondu et qu’il y a une vraie pénurie de bouffe.

Minuit propose de monter une expédition spéléologique pour récupérer de la bouffe dans d’anciens entrepôts ou boutiques qui n’ont pas encore été pillés.
Allison propose également d’organiser un tournoi, façon joute médiévale, pour recruter de nouveaux membres sachant se battre correctement.

L’expédition est en marche, Minuit et Épice sont à moto avec 2 membres du gang d’Allison : Deux coups et Balloches. Ils voient de la fumée au loin.
On va jeter un oeil, je fais le point (j’adore cette règle, qui ne peut probablement marcher que dans un jeu sans scénario) et découvre que la plus grande menace de cette situation, ce sont 6 villageois de Pomme de pin qui sont en train de tabasser 2 motards du clan du Tondu.
Ça pue, on s’approche et Minuit pointe un flingue sur la tempe d’un des villageois et demande des explications. Les villageois repoussent les gars du Tondu, car ils ne peuvent pas soutenir double taxe. Ils en veulent aussi aux motos des 2 bikers - probablement pour les revendre - dont une est en train de fumer.
L’un des motards est à terre, mort ?

Minuit explique qu’ils se mettent dans la merde et qu’ils mettent également le clan d’Allison dans la merde. Pour que justice soit rendue, il doit abattre 50% d’entre eux. Et il appuie sur la gachette, tapissant le mur et 2 villageois de son sang et de sa cervelle.
Le combat s’engage, les villageois se font tailler en pièce, 2 parviennent à s’enfuir (ça ne fait pas 50%, mais on ne contrôle pas tout dans un combat). De cette manière, ils pourront dissuader les leurs de recommencer quelque chose d’aussi stupide.

Le motard encore valide se tire, Minuit fait une sépulture de fortune à ceux qui sont morts. Le motard à terre vit encore. Est-ce qu’on compromet la mission pour le sauver pour éviter tout incident diplomatique avec le Tondu (car honnêtement, c’est lui qu’on craint le plus) ? Épice trouve qu’il faudrait le buter pour limiter les emmerdes. Mais un groupe de motards approche. Ils nous demandent des explications. Minuit leur explique qu’ils ont rendu justice suite à cette attaque des villageois, en désignant les tombes.
Épice, de par sa grâce, séduit immédiatement l’un des motards, elle lui promet de passer le voir par chez lui s’ils ferment les yeux sur cet incident, puisqu’aucun des leurs n’est mort. Les motards acceptent.

Allison veut que le trophée du tournoi soit un cadeau de taille, pour attirer un maximum de candidats. Elle pense à une voiture. Mais la seule qu’ils ont de libre n’est pas en très bon état. Ils ont besoin de matos. Elle va voir un vendeur de pièces d’acier nommé Bouilloire. Elle négocie, le prix est trop élevé. Elle lui offre même les services d’Épice s’il divise par 2 son prix. Le type s’entête et dit à Allison que ce n’est pas Épice qu’il veut, mais elle. Allison l’attrape au cou et le plaque contre le mur en le menaçant : "Je t'ai fait une proposition intéressante dans l'intérêt de ton business et dans l'intérêt de la cour. Maintenant si tu veux, on peut gérer les choses autrement". Et elle sert sa main qui enserre le cou de Bouilloire. Il finit par accepter. Dans Apocalypse World, la violence paye, parfois.

On fait une ellipse et on décide que l’expédition revient avec de grandes quantités de bouffe pour chat (que tout le monde pense être de la viande de chat). C’est donc une victoire.
Minuit demande à Allison s’ils peuvent se voir en privé. Il lui fait le récit des ennuis causés par les villageois. Puis il l’embrasse et ils font l’amour. Juste après, Allison lui demande : quand tout ça sera parti en ruines, est-ce qu’on partira ensemble ? Minuit, après une hésitation : pourquoi veux-tu que tout ça parte en ruines ? Et là, on découvre que l’optimisme d’Allison n’est peut-être qu’une façade : Elle exprime le fait qu'elle a conscience de gérer un équilibre précaire qui menace de s'effondrer à tout moment. Puis elle explique que si les choses dégénèrent, le clan du Tondu aura les moyens de prendre définitivement l'avantage, puisqu’ils ont un tank à présent. Elle n’obtient pas vraiment la réponse attendue de la part de Minuit, car celui-ci n’a aucune confiance en elle.

Épice rejoint le vendeur d’acier. Ils vont chez lui, le type a l’air gêné (parce qu’Épice n’a que 14 ans ? Parce qu’il est parfaitement androgyne, au point que nul ne sait vraiment s’il s’agit d’un garçon ou d’une fille ?). Puis l’envoûteur lui bande les yeux et (censuré).

Ensuite, Épice se rend chez le type rencontré plus tôt au marché, qui se prénomme Hugo. Ils discutent un peu, Épice arbore ses attitudes de façade. Mais le comportement de son hôte lui fait un effet étrange et pour une fois, elle se montre sous son vrai visage. Ils passent la nuit ensemble, mais sans coucher ensemble.

***

Commentaires :
Super partie de l’avis de tous, dans la bonne moyenne de nos parties réussies.
Le jeu nous amène rapidement à des situations bien tendues, on est tentés de jouer des ordures, ou du moins des personnages sans attaches, désabusés.
Mais j’ai le sentiment que ça risque de s’essouffler rapidement (le jeu pousse dans ce sens, surtout côté MJ : “joue tes PNJ comme des voitures volées”, “mène les par n’importe quel bout…”), les joueurs sont donc poussés dans leurs retranchements et les solutions les plus simples sont souvent les moins propres.
Le perso de Gaël avait d’emblée des responsabilités de taulière et des intérêts contradictoires. Le perso de Mélanie a commencé à s’attacher à un PNJ à la fin de la partie et c’est là que l’on sent le véritable potentiel du jeu : que les PJ aient des choses auxquelles les joueurs tiennent vraiment. Je pense qu’on y gagne vraiment si on oriente le jeu de cette manière. Mon perso en revanche n’avait pas vraiment de choses importantes à défendre : il est lié à Alisson, mais il ne lui fait aucune confiance, Épice est une amie, mais elle se débrouille très bien toute seule. Je ne me suis pas ennuyé pour autant. Mais j’ai dit à Jérôme à la fin de la partie que j’avais envie d’avoir quelqu’un à qui je tiens et que j’ai pris sous mon aile pour la prochaine partie, parce que je suis convaincu que ça va augmenter l’intensité du jeu.

Je me demande à la réflexion comment tout ça tient ensemble : persos, système, directives au MJ, etc. À la lecture du jeu, j’ai eu le sentiment que la mayonnaise pouvait facilement ne pas prendre. Je ne sais pas comment ça se passe aux autres tables, Jérôme semblait d’accord avec moi, je serais curieux d’avoir des avis à ce sujet.
En analysant un peu la façon dont les situations prennent forme :
Les personnages ont, de par leur archétype, un rôle, une mission qui peuvent rapidement être définies.
L’univers est violent, les pénuries sont la loi, chacun veut quelque chose que l’autre a.
Le MJ peut donc rapidement trouver des moyens de mettre les PJ dans des situations tendues, voire carrément dangereuses.
Les questions permettent de laisser le joueur décider de tout ce qui concerne son personnage, y compris son passé, son mode de vie, ses relations, etc. Mais c’est aussi un moyen de le brusquer sans le déposséder de son protagonisme, voire de lui donner une vraie prise sur l’évolution des choses, le laisser choisir une direction à l’histoire qui lui plaît.
La mécanique de jeu fait en sorte que les situations rebondissent toujours. Par exemple : quand Alisson reçoit Pomme de pin, au départ, la situation aurait pu se régler en discutant simplement. Mais après réflexion on a décidé de faire lancer les dés à Gaël comme “tentative de manipulation”, ce qui a créé des rebondissements inattendus et fait monter la tension et la violence de la situation.
Du coup, tout ce que font les joueurs a des conséquences et ces conséquences, le MJ s’en sert pour créer d’autres problèmes. Un bel effet boule de neige.

En réduisant le niveau de formalisation des JdR habituellement développés sur The Forge avant ça, Vincent Baker met le MJ d’Apocalypse World dans un poste clé de la partie, en lui donnant plus de responsabilités. Pas mal de choses reposent sur ses épaules (bien que probablement pas autant que dans beaucoup de pratiques tradi). Par exemple : “pose des questions comme un malade”. Comme la limite du type de questions que l’on peut poser n’est pas définie, on risque des questions inutiles, ne faisant rien avancer, qui demandent au joueur de créer sa propre adversité, etc.
J’en ai moi-même fait l’expérience avec un hack de Lady Blackbird.
Je pense que ce genre de choses pose le risque qu’une partie ou une campagne s’enraye.
En tant que MJ, cette liberté et ce flou me gênent (c’est une des raisons pour lesquelles je n’ai pas encore mené le jeu).
En tant qu’auteur de JdR, je trouve cette prise de liberté libératrice. Après tout, on peut se reposer sur le MJ et sur les joueurs, tant que le jeu garantit une mécanique solide, qui propulse l’histoire en avant. Ils apprendront probablement à mieux jouer avec le temps.
Car je pense que même si les enjeux n’avaient pas été intéressants, la partie aurait roulé quand même. Avec moins de conviction, mais le jeu aurait fait le boulot, et on aurait probablement eu quelques bons moments quand même.
Et concernant la partie elle-même, j’ai l’intuition que cette “légère incertitude” que la mayonnaise va prendre crée peut-être une plus-value : comme si le fait que l’amplitude de qualité de partie est plus grande permettait de jouer de bien mauvaises parties, mais que, inversement, on pourrait arriver à jouer des parties formidables d’une qualité rare. Et ça, j’en ai moins l’impression avec un jeu comme Dogs in the Vineyard, où tout est bien cadré et balisé, où la qualité des parties est plus constante, mais peut-être moins surprenante sur la durée.
Par contre, pour modérer mon propos, je pense que trop d’incertitude est synonyme de mauvais jeu. Apocalypse World est peut-être un bon compromis.

Mélanie a fait une remarque très intéressante sur le fait que la fiche de personnage ne contenait aucune information du passé, des objectifs et causes à défendre des personnage, ce qui devient un élément émergent en cours de jeu. Si l’on suit ce schéma de Vincent Baker : http://lumpley.com/index.php/anyway/thread/497 on peut établir que la fiche de personnage ne comporte rien du Positionnement utile à la partie (ou presque). Et l’enjeu principal dans le jeu se concentre pourtant presque essentiellement dessus. Le partage de responsabilités entre MJ et joueurs, notamment, mais pas seulement par le fait de poser des questions, quand ça prend bien, permet de créer tous les enjeux nécessaires à la partie, tout en garantissant que les joueurs aient leur mot à dire.

Bref, encore bravo monsieur Baker.
Frédéric
 
Message(s) : 3111
Inscription : 08 Déc 2007, 13:27
Localisation : L'Arbresle (69)

Re: Apocalypse World | Comment tout ça tient ensemble ?

Message par Thomas Munier » 05 Juil 2014, 13:44

Si l’on suit ce schéma de Vincent Baker : http://lumpley.com/index.php/anyway/thread/497 on peut établir que la fiche de personnage ne comporte rien du Positionnement utile à la partie (ou presque). Et l’enjeu principal dans le jeu se concentre pourtant presque essentiellement dessus.


Accepterais-tu de nous expliciter cette phrase ?
Énergie créative. Univers artisanaux.
http://outsider.rolepod.net/
Thomas Munier
 
Message(s) : 2003
Inscription : 30 Nov 2012, 12:04

Re: Apocalypse World | Comment tout ça tient ensemble ?

Message par Frédéric » 05 Juil 2014, 14:28

Hello Thomas, oui, tu as raison, je me rends compte de la confusion que peut provoquer cette phrase.

Cette conception du Positionnement est, je pense, obsolète dans la théorie de Vincent Baker. Comme le schéma le montre, on y parle de relations, de sentiments et de rapport du perso à son boulot.

Ce que je voulais dire, c'est que les fiches d'Apocalypse World (sauf celles dont les actions spécifiques sont liées à un groupe), ne s'intéressent pas à ces aspects-là du personnage. Du coup, on est parfaitement libre, pendant le jeu, de prendre n'importe quel parti dans les situations qui se dressent. Et on n'a aucune idée prédéfinie des objectifs, causes et enjeux liés aux personnages (sauf leur rôle supposé dans la communauté).
Là où je pense que c'est un élément essentiel du jeu, c'est qu'au bout d'un moment, les enjeux reposant sur ce qui compte pour le PJ, on a besoin de créer tout ça pendant la partie (les questions du MJ servent à ça). On peut se contenter de tabasser les ennemis et protéger les alliés, mais encore faut-il déterminer qui sont-ils. Cependant, ça ne permet pas à mon avis d'explorer ce qui est potentiellement optimal dans le jeu : c'est quand ce qui compte pour le joueur est mis en danger, ou met le PJ dans une position délicate.

Pourquoi je n'aurais pas dû parler de Positionnement pour ça ? Parce que cette ancienne conception du positionnement ne considère qu'une faible partie de la définition plus actuelle de Vincent Baker et induit donc en erreur, car après tout, le simple fait d'avoir noté sur sa fiche qu'on a un flingue est intimement lié au positionnement : cela permet de légitimer une décision du joueur de type "je sors mon arme et je lui tire dessus". Donc ce n'est pas que de la Ressource ou que de l'Efficacité, mais aussi du Positionnement.
J'ai même le sentiment que les meilleures mécaniques de jeu sont toujours un liant entre ces 3 éléments fondamentaux du jeu (exemple, les Traits dans Dogs : les Traits déterminent l'efficacité technique du personnage, puisqu'ils déterminent le nombre de dés qu'on lance, ce sont des ressources, puisqu'ils augmentent, diminuent et changent en conséquence des conflits et du Positionnement puisqu'ils influencent les choix du joueur dans la fiction).
Frédéric
 
Message(s) : 3111
Inscription : 08 Déc 2007, 13:27
Localisation : L'Arbresle (69)


Retour vers Parler de vos trucs

LES JEUX DES ATELIERS IMAGINAIRES

cron