[JDR & Animation] Entretien avec Grégoire Pinson

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[JDR & Animation] Entretien avec Grégoire Pinson

Message par Thomas Munier » 08 Sep 2014, 19:26

Cet entretien a été réalisé pour le dossier Jeu de rôle & animation : les avancées.

Peux-tu te présenter ? Quel est ton parcours professionnel ? Ton parcours associatif ? Ton parcours rôliste ?

Je suis Grégoire Pinson aka Silerias. J'ai bientôt 43 ans, je fais du jdr depuis 1987. De métier, je suis animateur pédagogique en éducation relative à l'environnement. J'ai un brevet d'état, un parcours universitaire de géographe, j'ai suivi un programme de formation spécialisé en éducation relative à l'environnement avec l'université du Québec à Montréal et une formation en pratiques sociales avec le collège coopératif de Rennes. Mais j'ai surtout appris mon métier au sein d'une structure arrageoise spécialisée en éducation à l'environnement urbain où j'étais responsable de la création des outils pédagogiques. Dans ce cadre professionnel, j'ai écrits des contes, un recueil de nouvelles pour expliquer le développement durable et participé à l'élaboration de plusieurs jeux de plateau surdimensionnés destinés à tourner dans les écoles, les centres de loisirs ou auprès du grand public lors de moments festifs. J'ai eu la chance d'intervenir en tant qu'animateur sur des séjours Rêves de Jeux et ça permets de voir ça et là, au hasard du web, des têtes connues qui sont passées par là aussi. En formation initiale, j'ai plutôt fait une fac jeux de rôles et j'ai repris mes études bien plus tard quand j'ai commencé à bosser et que ça avait plus de sens pour moi. On me colle une étiquette d'autodidacte même si pour moi je n'ai fait que piocher le savoir là et quand j'en avais besoin.

En tant que rôliste, j'ai beaucoup beaucoup joué dans les années 80-2000. En club, à la MJC de Douai, tous les WE, à la fac, tous les jours et chez les amis pendants toutes les vacances. J'ai plutôt une tendance naturelle à être du côté joueur, je trouvais certains de mes potes bien plus doués que moi comme maîtres de jeu même si je mène également quasi depuis que j'ai commencé le jeu de rôle, ça a toujours été plus laborieux d'interpréter des personnages non-joueurs (de façon détachée) que de m'immerger dans un perso (de façon empathique). Auprès des copains, j'étais surtout connu pour être celui qui a toujours un nouveau système à tester; nouveau système toujours trop compliqué, évidement... A titre d'exemples, j'ai mené à du Highlander avec un système Rolemaster sans classes de perso, j'ai adapté le système d'Armor Adjustment de l'Unearthed Arcana au BRP auquel j'avais déjà fait subir les derniers outrages en le rendant compatible avec l'exponentional game system de DC heroes !... Mon dernier bricolage en date m'avait permis d'explorer avec moult détails le système d'historique de Vampire et de l'adapter comme système de rareté à un Vermine que j'avais réduit à 9 caracs au lieu de 12. C'est ce dernier bricolage qui m'a permis de rencontrer Apocalypse World quasi dès le départ. Cet "enfoiré de Baker" était tombé pile poil sur LE truc que je recherchais depuis des lustres !

Entre temps, j'avais pas mal goûté au jeu de rôle par forum et à sa rare qualité dans les interactions. Pas mal curieux, j'ai découvert The Forge, suis devenu traducteurs de quelques trucs qui me plaisaient pour ptgptb.fr (en particulier des articles de Zak.S sur les bacs à sable et ceux, très pertinents, des auteurs de la scène Nordic LARP) et ai recommencé à me tenir pas mal informé de ce qui se faisait de nouveau dans notre hobby en traînant sur divers forum ou blogs et maintenant sur G+. Je joue une fois par semaine à la maison, je mène à des hack de l'Apocalypse world engine ou à Marvel Heroic RPG et je joue avec un groupe de beaucoup plus jeunes trés sympas et très talentueux.

J'ai eu l'occase de m'impliquer pour les Démiurges en Herbe 6 et les deux derniers Game chef où j'ai pondu des trucs comme La Vergne des Ombres, Parangons d'1515 et Les Familiers de Brocéliande. ça booste et ça canalise ma créativité et j'ai bon espoir qu'il en sorte un jour quelque chose d'assez bien pour être partagé.

Professionnellement, je suis aujourd'hui un peu éloigné de ma formation initiale, j'accompagne un jeune adulte souffrant de troubles autistiques sur ses temps de loisirs. En parallèle, je me reconstruits peu à peu une carrière d'animateur en intervenant sur les temps periscolaires pour ma commune. Tout doucement mais surement, ça avance et je me fais une place d'intervenant indépendant sur les questions de jeux.

Quand tu animes du jeu de rôle dans le cadre de ta profession/ton statut associatif, quels sont les enjeux ? Ludiques, pédagogiques, thérapeutiques, autres ? Quel est ton public ? De quelles ressources disposes-tu ? Durée, budget, matériel, locaux, assistants...

Pour l'instant, j'ai surtout animé des séances (1 heure maxi) de jdr le midi auprès des enfants des écoles de la commune (du CE2 au CM2) dans le cadre d'ateliers périscolaires. Ici, les officiels ont signé un Projet Educatif Local (un dispositif contractuel entre l'éducation nationale, jeunesse et sport, la CAF et la commune), ce projet a des objectifs et je dois tomber dans la case "découverte et ouverture culturelle" mais ils ne sont pas très regardants et c'est plutôt moi qui suis force de proposition pour le coup. La première année, j'ai travaillé à partir de photos de Philippe Manguin, un artiste dépeignant de façon assez lumineuse les lieux mythiques du pays de Brocéliande. Je les ai envoyé dans le fantastique avec un système maison. Cette année, ça a été des photos retouchées de leur école et une partie de Dungeon World.

Pour la suite, ça sera sans doute plus difficile, avec la réforme des rythmes, je gratte des heures d'animation mais j'ai des groupes beaucoup plus conséquents (de 12 à 15 enfants, même avec du jeu de plateau, ça va être une gageure, on verra si je bricole une soirée enquête à un moment donné, ça pourrait être sympa ;) ). Par contre, je suis en pourparlers avec la médiathèque pour faire de l'animation jeu de rôle auprès de collégiens sur un thème lié à l'uchronie. A suivre, mais mes interventions pourraient bien prendre une nouvelle dimension grâce à ça. C'est amusant, j'ai un statut un peu particulier, je suis embauché par la mairie mais je conserve l'indépendance d'un intervenant extérieur. ça ne paie pas beaucoup (un SMIC horaire) mais c'est exactement la liberté et la latitude pédagogique dont j'ai besoin.

Au delà de ce pour quoi je suis rémunéré, je demeure un éducateur à l'environnement et toutes mes interventions impliquent que les joueurs s'expriment sur leur milieu de vie et confrontent leurs représentations entre eux. J'ai l'ambition d'être dans les prémisses d'une démarche d'empowerment. Mais tout en douceur, pas besoin d'aller au delà de l'exploration si le joueur ou le groupe de joueurs ne le souhaite pas. Je fais du jeu et je ne gâche surtout pas tout ce que peut apporter le jeu par des ambitions éducatives quelconques. Mais par contre, je suis très vigilant à ce qui se passe et j'évalue en permanence l'impact de ce qui se déroule autour de la table comme n'importe quel MJ mais aussi en tant qu'éducateur.

Pour ce qui est des ressources, je fais une demande de matériel auprès de la mairie qui m'achète les quelques outils bureautique dont j'ai besoin. En périscolaire, j'ai travaillé pendant 3 ans dans les locaux des 3 écoles de la commune (en évitant les classes si possible, ça ne s'y prête pas trop...). Avec la réforme des rythmes, ça va bouger un peu, j'aurais 1h30 d'intervention et j'irai dans les locaux de la maison de l'enfance.

As-tu déjà créé ton propre jeu de rôle ou tes propres scénarios de jeu de rôle pour les besoins de l'animation ? Si oui, comment et pourquoi ?

Comme dit précédemment, j'ai pondu trois ovnis grâce au Démiurges en Herbe et aux Game chef. Ces jeux, un peu trop sérieux, ne sont pas des jeux directement adaptés à mon public. Par contre j'avoue que mes temps d'animation me servent également de playtest pour certaines mécaniques ludiques. C'est une invitation à participer à la création très indirecte :P . Mais à part la dernière séance de cette année où j'ai fait du Dungeon World, sinon, je bricole une mécanique maison à chaque fois.
Pour les besoins de l'animation, j'essaie d'être assez rationnel. Je suis rémunéré à l'heure. Si pour une heure d'intervention, je bosse aussi une heure à la maison pour préparer un scénar, je considère être dans l'erreur. Je fais donc du jeu de rôle avec un minimum de préparation. Mon minimum vital, c'est la satisfaction du public. Et puis de toutes façons, je n'aime pas les scénarios. Tout vient de ce que les joueurs ont a dire sur ce qu'ils connaissent déjà. En général, je leur fait traverser le cercle magique en les faisant jouer eux-même à qui je fais traverser le voile. Un exemple: "Ce matin, vous vous êtes rendus à l'école comme d'habitude mais l'ambiance était bizarre, il y avait un drôle de brouillard, vous vous êtes sentis différents en arrivant dans la cour et il y avait des silhouettes très inquiétantes. Qu'êtes-vous devenus ?..." Et hop c'est parti pour 6 séances durant lesquelles les enfants transformés vont chercher à élucider/contrecarrer ce qui est arrivé à leur école. ça prend super bien avec les mômes. Même si parfois je retombe dans mes vieux travers du "trop complexe"/"trop intellectuel", mon expérience de MJ m'aide pas mal à assurer malgré des mécaniques de jeu parfois tâtonnantes. Après il faut gérer le timing pour qu'il y ait une fin satisfaisante. Pour ce qui est de l'aide à la création de scénar, il faut remonter à mon expérience à Rêves de Jeu mais ça remonte à 2000 ;) .

Pour ce qui est de mes ambitions, j'aspire à finaliser deux de mes jeux. Bien bouclé, Les Familiers de Brocéliande est potentiellement diffusable dans le circuit du tourisme local. Quant à La Vergne des Ombres, qui est désormais La Vergne, j'ai vraiment accroché au potentiel de l'univers et j'espère en faire quelque chose de bien tripant et d'assez original pour plaire aux rôlistes curieux. Ensuite, je n'ai pas pu participer aux Démiurges 7 de l'année dernière mais j'ai très envie de reprendre l'un des thèmes et de proposer un jeu de fantasy urbaine sur la mémoire... J'ai plein d'idées, pas forcément l'application qu'il faudrait et je suis très lent à l'écriture. S'il y a une résolution à prendre en septembre 2014, ce serait de bosser sur mes projets de création ; il y a du potentiel, je le sais. Quant à l'animation, petit à petit, j'ai l'impression de me faire ma place. C'est lent, ce n'est pas très rémunérateur mais je fais vraiment ce qu'il me plait. Le public est lui aussi un aiguillon très efficace et ça donne tout son sens au travail de création d'outils. En tout cas, je suis sur le bon chemin, le mien. Celui qui associe jeux de rôles et relation à l'Habiter.

Peux-tu expliquer plus en détail ce que tu appelles l'environnement ? J'ai l'impression que ça ne se résume pas à l'écologie, mais aussi au rapport à l'espace, à l'habitat ?

Alors... Ce que l'on nomme "environnement" est un objet social. Selon qui l'on est, là d'où l'on vient, ce mot n'aura pas la même signification. Tour à tour, pour les gens, ce mot peut vouloir dire "nature", "ressource", "système", "communauté", "problème", "biosphère". De mon côté, si je ne rejette pas les autres représentations du mot, je suis attaché à la notion d'environnement comme "milieu de vie". Cette notion de "milieu de vie" est proche du concept d'Habiter en géographie. Pour moi, cette notion de "milieu de vie" est essentielle car elle se rattache à toutes les autres représentations et surtout, elle part de ce que nous sommes, là où nous sommes. c'est une représentation de l'environnement hautement philosophique et en même temps très simple. Elle interroge sur le "qui suis-je?". Je suis ce que je fais, là où je le fais. Cela invite à la méditation. Explorer là où l'on fait les choses, comprendre et porter un regard éthique sur ce "là" est de moins en moins évident. Notre milieu de vie, c'est encore le milieu de vie traditionnel: le logement-le pâté de maison ou l'immeuble-le quartier-la ville ou le village-le canton-le pays... Mais nous habitons aussi de plus des milieux de vie découpés en lieux séparés, dans des aires différentes et de plus en plus en réseaux distincts. Nous vivons une période de transition difficile pour beaucoup et je pense que jouer avec les représentations que l'on a de son milieu de vie peut contribuer à favoriser une meilleure appréhension de qui l'on est, là où l'on est. La forme d'éducation relative à l'environnement qui m'intéresse le plus (je ne suis pas du tout fermé aux autres démarches et méthodes) invite à entrer dans un cercle vertueux: j'agis quelque part, du coup je connais mieux ce quelque part, du coup je suis plus enclin à le protéger, du coup j'agis etc... Commencer l'action par le jeu pose d'emblée une relation non conflictuelle (même si le jeu lui-même peut être conflictuel) qui ne sépare pas plus l'homme du monde et favorise le tissage de liens positifs.
Énergie créative. Univers artisanaux.
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Thomas Munier
 
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