Au gré de mes playtests d'Arbre
et de Wonderland
, je suis confronté à un problème récurrent : je n'arrive pas à distribuer le temps de parole de façon équitable. Les joueurs les plus timides s'expriment moins, et en tant que MJ je m'exprime beaucoup plus que tout le monde. Je vous appelle au secours !Dans
Inflorenza, je n'ai pas ce problème parce que l'action est découpée en tours. Un tour c'est une scène focalisée sur un personnage-joueur. Tout le monde peut agir tout le temps, mais ce focus permet de donner un coup de projo sur chaque joueur à tour de rôle. Et dès qu'un joueur joue un conflit, le MJ doit demander à chaque autre joueur s'il s'allie au joueur en conflit ou s'il le contre en conflit duel (même si les personnages sont éloignées les uns des autres). Ces deux mécaniques (une scène par joueur à tour de rôle + tout le monde peut participer à chaque jet de dé) font que c'est difficile de larguer un joueur. D'autant plus qu'un des conseils de jeu est d'inviter le joueur en retrait à prendre part à un max de conflits, et de s'immiscer dans ses propres conflits. Si on joue
Inflorenza en partage de responsabilité large (chaque joueur contrôle le décor et les figurants pendant son tour, le MJ se contente d'un rôle de metteur en scène), on évite aussi que le MJ accapare trop la parole.
Dans
Arbre, on est dans un jeu où le MJ contrôle le décor et les figurants tout le temps. J'ai redonné un peu de pouvoir aux joueurs en leur laissant de grandes libertés sur les propriétés de leurs personnages, suite à un
instructif playtest où en tant que MJ, je prenais trop de contrôle là-dessus.
Mais il n'y a pas de gestion au tour par tour. C'est un jeu
structured freeform où le système de résolution doit être le plus narratif possible (pas de chiffre, pas de hasard) et le plus intradiégétique possible (des choix de personnages plutôt que des choix de joueur).
ça veut dire : pas de scène, pas d'initiative, pas de round. Le MJ déroule son flow, les joueurs réagissent du tac au tac.
Généralement, en tant que MJ, j'interrompts ma narration pour demander aux joueurs ce qu'ils font, mais ça a des inconvénients : j'ai tendance à oublier les joueurs les plus discrets, les joueurs les plus prolixes partent se faire des actions en solo qui peuvent me prendre un quart d'heure à gérer, et en cas de combat, je me retrouve à improviser des systèmes d'initiative absolument arbitraire, et je n'arrive pas à gérer les actions simultanées.
Lors du dernier playtest, c'est une spectatrice de la partie qui m'a fait remarquer que la distribution du temps de parole n'était pas équitable. J'étais au milieu d'une longue table et clairement les deux joueurs en bout de table (de surcroît c'était une joueuse dont c'était la première partie de jeu de rôle et un joueur qui incarnait un personnage taciturne et plus orienté observation que action) ont parlé beaucoup moins que les autres. Cependant, ces deux joueurs m'ont fait remarquer que c'était pas grave, parce que justement ils étaient dans l'observation.
Y'avait aussi beaucoup d'actions solo, mais ça non plus ça n'a apparemment pas gêné les gens parce qu'ils faisaient du roleplay entre eux pendant que je gérais les solos, ou parce que ça les intéressaient d'observer les solos
en tant que public.
Et enfin, à cause de ces actions solo et des tours de garde (tout le monde est au même endroit, mais certains persos dorment), j'avais un mal de chien d'avoir toujours tout le monde au même endroit
N'empêche. ça m'embête. Je vois bien que quelque chose cloche. Notamment parce que si j'avais des joueurs plus à cheval sur le temps de parole, çà aurait coincé.
Pour autant, si je veux continuer à m'orienter vers un système intradiégétique, ça m'ennuie de retourner à des choses ultravisibles, comme les scènes, les conflits, les initiatives, les rounds, les actions simultanées. Même les "que faites-vous ?" me gênent en fait. Je suis pas en train de dire qu'
Arbre se passe de système de résolution ! (je l'ai dit dans le podcast de la Cellule consacré à
Arbre, coming soon,
CR ici), mais Romaric m'a contredit et il avait raison)
J'ai déjà une piste, mais je sais absolument pas ce qu'elle vaut : en m'inspirant de ce qu'on m'a dit sur
Swords Without Master d'Epidiah Ravachol, le MJ est tout le temps en narration. Il s'arrête jamais de son plein gré, car le décor et les figurants ne s'arrêtent jamais d'exister. Mais à tout moment, un joueur peut l'interrompre, et là le MJ il doit se taire, écouter ce que le perso pense ou fait, et en prendre acte dans la fiction, puis reprendre la narration quand visiblement les joueurs n'ont plus rien à ajouter.
Si plusieurs joueurs veulent agir, c'est le premier qui l'ouvre qui agit, ensuite un autre peut l'interrompre quand il veut pour reprendre la parole et agir, et ainsi de suite. Il n'y a jamais d'action simultanée : le joueur doit tenir compte de tout ce qui a été dit précédemment pour décider comment faire agir son bonhomme (qui lui, n'est pas obligé de tenir compte de tout, si on considère qu'il a une mauvaise perception, des infos lacunaires ou de mauvais reflexes).
C'est élégant parce qu'on supprime le "que faites-vous ?' et les action simulatanées (qui interviennent quand on détache déclaration d'intention et action, et engendrent des quiproquos terribles) c'est pas top si on considère que plusieurs joueurs ouvrent la bouche en même temps, on sait pas comment les arbitrer, et ça ne résoud ni le problème des joueurs timides, ni celui des actions solos qui prennent du temps (techniquement, dans mon dernier playtest, le groupe se réunit dans le hall d'un manoir pour faire un topo, alors qu'un des persos s'enfonce dans le manoir pour explorer : ça a prix un quart d'heure pour gérer son explo).
Vous l'aurez compris, j'ai besoin d'aide sur cet aspect, je suis assez preneur de vos conseils ou de vos expériences sur comment d'autres jeux trouvent à gérer le temps de parole équitablement (et pas égalitairement), si possible par des mécaniques différentes d'un découpage en scènes/initiative/round.
On peut déborder du cadre structured freeform, tout apport sur la distribution du temps de parole me sera utile.