[Dragonfly Motel] Manuscrit

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[Dragonfly Motel] Manuscrit

Message par Thomas Munier » 09 Juil 2015, 14:15

MANUSCRIT

La découverte du jeu de rôle surréaliste en fractale.

Jeu : Dragonfly Motel, tranches de vie oniriques pour voyageurs imprudents

Joué le 17/06/2015 sur google hangout
Personnages : Ernest ; le vendeur d'aspirateurs.

Image

crédit image : [mi:m], licence cc-by-nc, galerie sur flickr.com


L'histoire :

Ernest est écrivain. Il a peut-être soixante ans, il est alcoolique. Il arrive avec ses valises au Dragonfly Motel, au milieu du désert. Personne. Il appelle. Personne. Il trouve un verre de whisky et la bouteille, comme laissées à dessein sur le comptoir. Il se sert. Il explore les cuisines. Odeurs. Personne. Cela angoisse Ernest.

Dans l'entrée, sonne un téléphone noir. Il répond. C'est sa fiancée. Elle vient lui prêter compagnie. "Mais je t'avais dit de rester à la maison, prendre soin de mon manuscrit !
- C'est arrangé, mon chéri. Ton manuscrit arrive par le prochain train.".
Ernest monte dans sa chambre. Une grande chambre claire avec du carrelage au sol, une baignoire, une grande fenêtre qui donne sur le désert. Il y trouve son manuscrit.

Ernest est assis sur la pente du toit du motel, face au désert. Il boit du whisky. A ses côtés, son amant, c'est pour lui qu'Ernest est venu, et c'est à cause de lui qu'il ne veut pas que sa fiancée le rejoigne. Son amant ne dit rien. Ernest lui demande de parler. L'amant ne répond pas. Juste il le fixe avec ses yeux cillants.

Une longue route à travers les cactus. Ernest est au volant de sa Cadillac bleue. Sa fiancée est avec lui, elle est très jeune, elle a dix-sept ans. Ernest est ivre. Comme pour sortir de ce mauvais rêve, il fonce dans les cactus.

Il se réveille à l'hôpital. En face de lui, un nain, qui lui présente des livres rangés dans un frigo. Il lui offre de manger des livres, il y a du Rimbaud et du Verlaine, notamment. Ernest décline, mais il accepte de déguster un cigare avec le nain.

Un train file à travers le désert. Des hommes en noir fouillent un wagon. Ils trouvent le manuscrit d'Ernest et le mangent. Feuilles qui volent dans le désert.

La fiancée monte dans la chambre pour protéger le manuscrit. Elle est pressée, mais elle met beaucoup de temps à monter les escaliers. Elle appelle à l'aide, mais il n'y a personne dans le motel hormis un vendeur d'aspirateurs. Le vendeur explique que ses aspirateurs servent à aspirer la réalité. Elle lui explique que le manuscrit d'Ernest a une dimension fractale, chaque lettre contient une pièce et chaque pièce contient aussi des mondes. Cela intéresse beaucoup le vendeur d'aspirateurs.

La fiancée est dans la chambre d'Ernest, elle est nue, plongée dans la baignoire remplie d'eau bleue. Elle débat sur le suicide avec le vendeur d'aspirateur. Le vendeur d'aspirateur maintient qu'ils ne sont pas dans la réalité, et la fiancée dit que la seule façon de le savoir est de s'ouvrir les veines. Si c'est un rêve, alors on se réveille. Elle montre la lame du rasoir d'Ernest posée à côté de la baignoire, demande au vendeur de lui passer, mais le vendeur s'y refuse, car si c'est la réalité, alors elle va mourir. La fiancée plonge la tête sous l'eau.

Le vendeur dans sa boutique. Il fait chaud. Une ménagère l'engueule parce que ses aspirateurs n'aspirent pas la poussière. Le vendeur explique que bien sûr, puisqu'ils servent à aspirer la réalité. La ménagère se met encore plus en colère, elle estime que les commerçants doivent vendre des choses utiles, c'est dans l'ordre des choses, pour elle c'est de la folie que de vendre des choses inutiles.

Ernest et le Vendeur sont attablés, dans une cuisine. C'est la cuisine de la maison d'enfance d'Ernest. Ernest explique sa souffrance. Son enfance solitaire, ses parents n'étaient jamais à la maison et il n'avait pas d'amis. Le vendeur trouve irresponsable qu'Ernest transmette sa souffrance à travers ses livres. Ernest dit qu'il a besoin de s'en débarrasser, tant pis si d'autres récoltent sa souffrance en le lisant...

La fiancée et le vendeur sont sur la terrasse du motel. Le désert est inondé, l'eau lèche la terrasse. Ils veulent revenir à la surface de la réalité, et une course effrénée commence.

Ils traversent une tranchée sous les éclats d'obus. Ce sont les souvenirs qu'Ernest a de la guerre. Ils courent au travers du no man's land, face à la mort, à la recherche de la sortie.

Le vendeur et Ernest sont dans la chambre de l'écrivain. Ernest veut explorer plus loin le manuscrit. Il dit que la baignoire est un passage vers un niveau plus profond. Il se met à genoux au pied de la baignoire. Il plonge sa tête sous l'eau.

Il fait des bulles quelques temps.

Puis plus rien.


Ernest, feuille de personnage :

Cinq papiers collectés, deux révélés, tous déchirés

+ Beauté : un visage innocent
+ Blessure : enfance solitaire (révélé)
+ Beauté : elle est trompeuse (révélé)
+ Attache : la fidélité
+ Question : Es-tu seul ?


Les papiers Parole que j'ai distribués :

+ Blessure : le couteau
+ Attache : le manuscrit
+ Question : y a-t-il une sortie dans le manuscrit ?


Commentaires sur le jeu :

C'était le premier test de Dragonfly Motel, il a donné lieu à une réécriture des règles. J'ai demandé au joueur de lire les règles avant le début de la partie, et je lui ai expliqué aussi à l'oral avant qu'on fasse la minute de silence et qu'on entre dans la narration. Mais j'ai eu des difficultés à transmettre au joueur du vendeur le principe de prise de parole. Quand Ernest traverse le motel, et qu'il n'y a personne, que personne répond à ses appels, c'est parce que j'ai commencé à jouer Ernest, comme personnage, et j'attendais que le joueur du vendeur prenne la parole pour jouer un décor ou un personnage et me donne la réplique. Ce qu'il ne faisait pas, parce qu'il pensait que dans ce jeu, on ne pouvait pas se donner la réplique, qu'il fallait attendre qu'un joueur finisse un monologue pour intervenir, qu'un personnage ne pouvait pas interagir avec un décor ou avec un autre personnage. J'ai refait un appel du pied plus prononcé en décrivant l'amant d'Ernest, et en demandant à l'amant de me parler. J'attendais que le joueur du vendeur le fasse parler, en tant que décor ou en tant que personnage, mais il n'en a rien fait. Cela a créé une ambiance flippante qui était sympa en soi, mais clairement il y avait un défaut de compréhension des règles, et comme le jeu interdit le méta à haute voix, et que nos autres possibilités de communication méta étaient limitées, on a pas réussi à se mettre d'accord tout en jouant (dans Dragonfly Motel, on a droit à la communication méta par chuchotis, ce qui était impossible sur un format deux joueurs, et par papiers, ce qu'on pouvait émuler avec le chat d'hangout, mais en moins pratique). On a fait une pause d'une demi-heure pour remettre ça à plat (du coup, j'ai introduit dans les règles la possibilité de demander une pause), et c'est là où j'ai introduit le concept de banc de touche et d'espace de jeu, que j'ai repiqué à Eugénie (blog : Je ne suis pas MJ) qui elle-même l'a importé du théâtre d'improvisation. Avec cette notion de banc de touche et d'espace de jeu, ça a paru plus clair. Si le joueur l'avait compris dès le début, il aurait joué le barman, par exemple.

Sinon, en termes d'ambiance, ça a rejoint mes attentes. Je voulais qu'on joue sans combativité, contrat rempli. Je voulais rompre les chaînes de causalité, contrat rempli. Je voulais une ambiance onirique, poétique, lynchienne, contrat rempli. L'excellente surprise, ça a été la musique. Pour adapter au jeu en ligne le principe de gestion de playlist partagée, on s'envoyait des liens vers des chaînes youtube, bandcamp, myspace... Quand j'entendais parler le joueur du vendeur avec la musique planante dans les écouteurs, ça faisait vraiment comme si j'écoutais du slam. C'était vraiment étrange, unique. Il y a des moments, j'étais vraiment dans une situation de rêve éveillé, sans prendre de substance pour autant.

L'autre satisfaction, c'est de pouvoir mobiliser à la volée des références que je n'aurais pas le réflexe de mobiliser dans d'autres jeux de rôles. Ici, par exemple, j'ai fait un clin d’œil à plusieurs histoires pseudo-autobiographiques d'Ernest Hemingway. Les papiers que me donnaient le joueur du vendeur, comme l'enfance solitaire, m'ont aussi aidé à construire un personnage surprenant, tandis qu'en donnant des papiers au joueur du vendeur, comme l'intérêt pour le manuscrit, ça a permis une convergence (des ruisseaux différents rejoignent la même rivière) sans que cette convergence ne nécessite de grandes négociations méta comme c'est le cas par exemple sur Inflorenza.

Le joueur du vendeur a trouvé le terme juste pour décrire le mode de jeu. Surréaliste. C'était assez vrai, et pour le coup, j'ai remis Clair de Terre d'André Breton dans les conseils de lecture. Bref, une expérience de jeu assez nouvelle pour moi.


Le retour du joueur du vendeur :

Pour moi c'est ok. Ca me parait très bien. Il me reste quelques bribes et détails de souvenirs, mais dans l'ensemble ton texte rend bien l'ambiance de la partie et du jeu en général.
Comme références littéraires, tu peux aussi évoquer le réalisme magique ("... peindre une réalité transfigurée par l'imaginaire et dans laquelle le rationalisme est rejeté"), qui est un terme générique recouvrant pas mal de styles.

Et peut être les romans de Kafka (la Métamorphose) ou de Burroughs (le Festin Nu) ou encore de Gogol (le Nez) et Dostoievsky (le Crocodile), le film Mullholland Drive et la série Twin Peaks.
C'est en tout cas ce à quoi me fait penser l'atmosphère et le ton.

Bref, j'ai beaucoup aimé ce jeu.

Au plaisir d'y rejouer un de ces quatre !
Énergie créative. Univers artisanaux.
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Thomas Munier
 
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