[Dragonfly Motel] La Danse des Machines à Ecrire

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[Dragonfly Motel] La Danse des Machines à Ecrire

Message par Thomas Munier » 23 Juil 2015, 12:08

LA DANSE DES MACHINES A ÉCRIRE

Ne plus jouer sur les enjeux, jouer sur l'émotion.

Jeu : Dragonfly Motel, tranches de vie oniriques pour voyageurs imprudents

Joué le 18/06/2015 sur google hangout
Personnages : Pierre Janvier, Wittgenstein, Le Cancre


Image

crédits image : ignis, Quim, licence cc-by-nc, galeries sur flickr.com


L'histoire :

Pierre Janvier a dix-sept ans. Il arrive au motel avec un gros cartable sur le dos. Le concierge lit le bottin. Pierre lui dit que ses parents lui ont réservé une chambre pour qu'il révise des maths tout l'été. A la rentrée, il intégrera une classe préparatoire aux grandes écoles. Le concierge a du mal à se sortir de son bottin, dont la lecture le passionne. "Saviez-vous qu'il y avait trois garages à proximité ?".

Pierre arrive dans sa chambre. La courroie de son cartable pète, tous ses cours de maths en sortent et s'éparpillent au sol.

Comme il a besoin de compagnie, il va voir la personne de la chambre d'en face, qui a son âge. C'est un cancre qui trouve bizarre qu'on passe l'été à bûcher les maths. Pierre lui répond qu'il est d'accord, que lui-même trouverait mieux faire, et qu'il peut lui montrer s'il lui passe un disque. Le cancre lui passe un mp3. Alors Pierre enlève ses lunettes et saute sur le matelas, et danse sur le matelas. Il saute et danse de matelas en matelas, de matelas en matelas, de matelas en matelas.

Un amphithéâtre rempli de mathématiciens en robes noires de diplômés, avec des chapeaux de diplômés, des chapeaux noirs à gland. Entre un homme âgé. Il se présente comme étant Ludwig Wittgenstein. Il expose sa théorie du solipsisme. Pour lui, l'ensemble du monde extérieur n'est que le fruit de son imagination. Les mathématiciens lui lancent des craies : "Est-ce le fruit de ton imagination ?". Pluie de craies et de quolibets. Le professeur de mathématiques lui propose une expérience pour infirmer sa théorie. On va le faire rentrer dans la tête d'un cancre, celui qui aura la plus mauvaise note à l'examen de mathématiques, on va le faire rentrer dans sa tête au moment où il apprend sa note, au moment où il va être exécuté, car la sélection est impitoyable dans les classes préparatoires, on exécute toujours celui qui a eu la plus mauvaise note à l'examen, celui a eu zero sur vingt. Le professeur dit qu'il va le faire rentrer dans la tête du cancre parce que le cancre "dit oui avec le cœur, et dit non au professeur". Les mathématiciens utilisent des escabeaux à roulettes et des craies de couleur et des compas géants pour dessiner un portail sur le grand tableau noir.
Mais Wittgenstein veut employer ses propres méthodes. Il dessine son propre portail au sol, qui est plutôt un dessin anarchique qu'un dessin géométrique comme celui des mathématiciens.

Une salle de classe. Des enfants qui dorment sur leurs pupitres. Wittgenstein est installé sur un pupitre, il a cinq ans. Un cancre au coin, avec un bonnet d'âne, il lui tourne le dos. Les fenêtres. On voit la nature au travers, on entend les oiseaux. La maîtresse d'école. Elle sourit, elle a des tâches de rousseur sur le visage. Wittgenstein dessine sur le sol à la craie, il dessine le huit de l'infini. Il discute avec la maîtresse qui semble vouloir le convaincre que la théorie du solipsisme est fausse. Wittgenstein insiste sur l'absurdité du fait qu'il puisse tenir une conversation si élevée alors qu'il n'a que cinq ans. La maîtresse lui dit d'aller au coin, que ça va lui faire comprendre. Au coin, le cancre tourne la tête pour les regarder. Il a un sourire mauvais.

Une salle de spectacle. Sur l'estrade, il y a une maison, la maison d'enfance de Pierre. Devant la maison, un landau avec un bébé, sans doute Pierre quand il était bébé. Ses parents à ses côtés. Pierre entre sur scène. Il est en collant, ses cheveux sont plaqués en arrière. Ses parents le mettent en garde contre la danse, il doit se tourner vers une carrière sérieuse qui le portera au sommet, comme les mathématiques. Pierre ne les écoute pas et danse. Il saute sur les strapontins et danse sur les strapontins. Des comptables apparaissent sur les strapontins, ils tapent sur des machines à écrire, et c'est ce qui constitue l'orchestre. Pierre danse sur les machines à écrire. Une pluie de mathématiques. Pierre lève le bébé dans ses bras, il danse avec le bébé et le bébé rit.

Dans le ciel au-dessus du motel. Un escadron de machines à écrire, avec les mathématiciens en tutu qui dansent dessus. Au milieu de l'escadron vole un piano, la maîtresse est installée sur le piano, et c'est le cancre qui joue du piano. Wittgenstein vole sur une machine à écrire, à côté du piano. La maîtresse veut l'avertir du danger, mais Wittgenstein l'ignore, et continue à soutenir la thèse du solipsisme. Le cancre étrangle la maîtresse. L'escadron devient une tornade de machines à écrire, de craies, de chapeaux de mathématiciens. Fracas des os de mathématiciens brisés. La tornade emporte le piano et ses occupants vers le motel, l’œil du cyclone.

La cave du motel, où sont entreposés tous les rêves brisés. Le cancre y habite. Il monte avec son couteau. Il va jusqu'au grenier, où la maîtresse est enchaînée. Un plombier rentre dans le grenier, pour réparer la baignoire. Le Cancre le saigne. Pierre surgit, il tue le cancre avec un grand compas de mathématicien, qui sert d'habitude à tracer des cercles au tableau noir. Le cancre et le plombier saignent abondamment, bientôt la baignoire déborde, et bientôt c'est une mer de sang qui submerge le motel. Le cancre devient un requin, il dit "Pierre, si tu veux sauver la maîtresse, tu ne dois pas t'arrêter de danser. Si tu t'arrêtes, je la tuerai.". La maîtresse est au bout de la mer de sang, réfugiée sur le piano qui lui sert de radeau. Pierre essaye de nager de la façon la plus artistique possible. Wittgenstein est installé dans un parapluie qui flotte sur la mer de sang. Il donne un parapluie à Pierre, Pierre dans sur le parapluie flottant, les courants de la mer de sang s'accélère, de mer elle devient rapides, il faut tout le temps gesticuler et baisser la tête pour ne pas entrer en collision avec les poutres du grenier, et sous la mer de sang on entend la gigantesque rumeur d'une baleine de sang qui remonte, et toujours le requin s'approche toujours plus du piano dans la fureur des éléments, bois, cris et sang.

L'amphitéâtre. Tous les mathématiciens sont appliqués sur leur examen, sous la surveillance du professeur. Pierre et le cancre sont côte à côté, tous les deux ils sèchent. Pierre essaye de copier par-dessus l'épaule du cancre, mais bien sûr le cancre ne sait pas plus sa leçon que Pierre. Il demande au cancre de trouver une solution, le cancre lui montre la fleur qui sort de l'encrier de Pierre, Pierre tire sur la fleur, mais elle est tenue par une main de bébé. Le cancre rit, et Pierre entre en rage contre le cancre, il lui attrape la tête et la frappe sur la table jusqu'à ce que le cartilage de son nez éclate !

Le tableau coulisse comme un passage secret dans un film d'espionnage, et révèle un grand rideau rouge. Le rideau s'écarte, et révèle une guillotine , immense et brillante dans la pénombre. Pluie de machines à écrire sur la scènes. Lentes comme des flocons, elles s'écrasent avec fracas. Pierre danse sur les têtes à chapeau des mathématiciens. Wittgenstein, redevenu vieux, soutient encore que ceci n'est qu'une mascarade solipsiste, tous sont des aspects de lui-même.

Une modeste salle de danse. Un vieux monsieur attend que quelqu'un vienne s'inscrire pour la rentrée, d'année en année il a toujours eu moins d'inscrit, et là il sent cette année personne ne viendra, que c'en sera fini. Mais il entend sonner, alors il prend sa canne et titube vers la porte pour ouvrir. C'est le cancre. Il a des dents de requin. Il dit qu'il cherche un cours facile pour avoir des points en plus. Le vieux monsieur dit : "Oui, la danse, c'est facile, il suffit de lâcher prise !". Mais le cancre a l'air bien raide. Le vieux se traîne jusqu'à son piano, il donne un rythme. "Regarde, c'est facile, il suffit de se laisser porter ! Un, deux, trois ! Un, deux, trois !". Il arrive à le faire danser, le cancre s'élève en l'air en sautant de note en note. Mais le jeu du vieux monsieur se fait hésitant, sa poitrine lui fait mal, les notes se déséquilibrent, le cancre manque de tomber, le cancre lui dit de continuer de jouer. Le vieux monsieur marmonne dans sa souffrance : "Si seulement je n'avais pas attendu aussi tard ! Mais maintenant, je n'ai aucun regret !". Alors il résiste et arrive à rejouer de nouveau, et le jeune cancre peut rester en l'air. Le vieux monsieur regarde le cancre, il joue de toutes ses forces, ses yeux sont mouillés, il joue du piano, il regarde le cancre danser, de toutes ses forces, et finalement une dernière douleur, son cœur lâche, et c'est en fini.


Papiers que j'ai récupérés en jouant Pierre (et tous déchirés) :

Blessure : Accident de voiture
Blessure : Abandon
Beauté : Éphémère
Question : Pourquoi ai-je fait cela ?
Attache : la musique
Destin : Tomber et se relever
Motivation : Devenir.


Commentaires sur le jeu :

J'avais réécrit les règles après le premier test, j'ai fait lire la nouvelle mouture aux deux autres joueurs, et je me suis appliqué sur le briefing oral préliminaire, ce qui nous a permis de jouer sans incompréhension majeure sur les règles.

Le joueur du cancre a avoué s'être ennuyé pendant la première demi-heure du jeu, il s'est fait violence et la magie a pris plus tard. Il faut dire que les règles désactivent toute notion d'enjeu et de convergence, par exemple il est écrit qu'on ne doit faire de lien entre son personnage et un autre que si en tant que joueur, on s'attache au personnage de l'autre. Disons plutôt que dans Dragonfly Motel, les enjeux sont purement cosmétiques, les mécaniques ne les forcent pas à apparaître et ne soutiennent pas leur résolution. Et la convergence, si elle est souhaitée, n'est pas drivée par des mécaniques fortes, si ce n'est le don de papiers. La convergence est implicite.

Il faut aussi souligner que c'est une forme de jeu assez exigeante. Au terme de deux heures de jeu, j'ai déchiré les papiers qui me restaient. Je jouais Pierre, qui n'est autre que le vieux monsieur à la fin, vous l'avez peut-être compris, en tout cas dans le jeu c'était tacite.

J'ai apprécié pouvoir mobiliser des références comme Prévert ou Kafka, encore des choses inhabituelles dans le jeu de rôle que je pratique. De même que j'ai mis beaucoup de choses personnelles dans mon personnage de Pierre (et j'ai aussi pas mal pompé sur Billy Eliott).

Je n'ai pas enregistré cette partie, à la demande du joueur de Wittgenstein, ni la précédente, à la demande du même joueur, car à ses yeux, l'intimité créatrice était un élément essentiel pour produire du jeu surréaliste. J'ai du mal à lui donner tort, je reconnais l'importance de l'intimité créatrice, et certainement qu'on ne joue pas de la même façon, qu'on ne se livre pas autant quand on sait qu'il y a un public, fut-il asynchrone. En tant qu'auteur, j'ai besoin de ses enregistrements de partie comme élément d'étude, mais je dois considérer que tout enregistrement constitue un biais.

Lors du dernier test, on avait perdu beaucoup de temps à rechercher des musiques, ce qui avait nui à l'immersion. Là, j'ai bien insisté pour dire qu'on devait préparer ses liens internet à l'avance, et çà a été beaucoup plus fluide.

Les références musicales pour ce jeu sont sans fin. Ambiant, slowcore, folk, post-rock, post-hardcore, bande originale de films... Un relecteur avait suggéré Loveless de My Bloody Valentine. Pour ma part, j'ai très envie de réessayer avec In Rainbows de Radiohead dans les oreilles, spécialement la dernière chanson, My videotape, une aurore d'émotions.


Le retour du joueur de Wittgenstein :

Hello,
J'ai relu, ça me parait bien, ça reflète l'atmosphère du jeu.
J'ai des interprétations et souvenirs un peu différents, mais ça parait inévitable vu l'aspect onirique et flottant de l'expérience.
Je pense même que si chacun écrivait un compte-rendu immédiatement après avoir joué et qu'on comparait les perspectives, on aurait des divergences intéressantes - pas tant sur les "faits" que sur l'interprétation.

Aux références que j'ai mentionnées dans mon retour précédent [Il était alors joueur du vendeur sur la partie Manuscrit], j'ajouterai sans aucun doute : Alice au Pays des Merveilles.

En tout cas, chapeau pour avoir su élaborer des règles adaptées et un cadre permettant l'immersion collective dans un thème surréaliste et onirique.
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Thomas Munier
 
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Re: [Dragonfly Motel] La Danse des Machines à Ecrire

Message par kiraen » 23 Juil 2015, 12:53

Le récit me parait fidèle et retranscrire une partie de ce que j'ai pu vivre pendant cette partie (j'étais le cancre).

Un point cependant mérite d'être souligné : l'influence énorme qu'a eu la musique sur cette partie. C'est d'ailleurs ce qui m'a touché et plu dans Dragonfly Motel. J'y reviendrai.

Un point cependant auparavant : oui je me suis un peu ennuyé pendant la première demi heure, mais je ne pense pas que ça ait grand chose à voir avec l'absence d'enjeu. Je pense que c'était un problème d'immersion avant tout. Je me suis trouvé dans la position d'un spectateur face à une oeuvre hermétique dans laquelle il n'arrive pas à plonger. En d'autre termes je n'étais pas encore sur la même longueur d'onde que les autres participants et je n'arrivais pas à me syntoniser avec eux.
Puis peu à peu j'ai pu m'ajuster et entrer dans l'univers qu'ils créaient pour y prendre part. Je pense que c'est une étape importante de ce jeu, réussir à rejoindre l'univers créatif commun. J'ai juste eu besoin d'un peu de patience et au moment où je commençais à trouver le temps long, les éléments se sont assez mis en place pour que j'y prenne beaucoup de plaisir.

A propos de la musique donc. Je suis peut être un cas particulier en ceci que je suis très sensible à ses effets. En partant de cette base sans musique je pense que je ne serai jamais entré dans la partie ni n'aurait autant apprécié l'expérience. Au début, la musique me servait de support d'inspiration pour improviser dans cet univers aux possibilités infinies. J'y retrouvais mes pratiques de MJ, la façon dont j'ai appris à improviser des séances entières simplement en lâchant prise et en me laissant porter par la musique. C'est quelque chose que j'ai fait pendant des années en préparant une séance presque uniquement en me demandant quelle bande son j'allais utiliser (je force le trait, je ne préparais pas autant que ça).

Dans une second temps la possibilité de proposer des ambiances musicales aux autres (et je dis bien de proposer, pas d'imposer dans la version en ligne, ce qui me semble impossible dans la version en direct), m'a ouvert un nouveau mode de roleplay, de communication dans le jeu. En choisissant la musique je dévoile sous forme symbolique les pensées de mon personnage. Je peux transmettre un partie de ses émotions autrement que par son langage corporel ou verbal. C'est ce que je retiens vraiment de cette partie : l'ajout d'un nouveau mode de communication à mon arsenal de joueur. Je l'ai utilisé des dizaines de fois en tant que MJ : générique de partie, thème d'un PNJ, thème de combat dans une campagne, influencer l'état émotionnel de la table (influencer le maelstrom ?) etc... Mais la possibilité de le faire en tant que joueur est top. J'ai bien un MJ qui il y a un ou deux ans utilisait beaucoup la musique et nous avait demandé de choisir un thème pour chacun de nos persos, mais le faire pendant la partie était nouveau et pourtant parfaitement évident.

Voilà mon grain de sel à propos de cette partie.
Les Voix d'Altaride, podcast rôliste.
Le Sénat des Architectes, blog de Divergence un jdr en développement.
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Re: [Dragonfly Motel] La Danse des Machines à Ecrire

Message par Thomas Munier » 23 Juil 2015, 13:54

Merci !

Lors de deux campagnes de Donjons & Dragons (avec des MJ différents), j'étais joueur et c'était moi qui gérais la musique... et ça se passait plutôt bien. L'idée de laisser la main à l'ensemble des joueurs sur la playlist vient de là.

Je n'ai pas encore testé sur table, donc je ne peux pas dire la différence que ça fait, si on a l'impression que la musique est imposée par l'autre alors que sur hangout elle est avant tout suggérée.
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Thomas Munier
 
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