[Inflorenza] Moins Quarante

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[Inflorenza] Moins Quarante

Message par Thomas Munier » 07 Juil 2015, 08:38

MOINS QUARANTE

Faire forfait face aux rudesses du climat

Le Jeu : Inflorenza, héros, salauds et martyres dans l'enfer forestier de Millevaux

Joué le 07/12/15 sur google hangout

Personnages :
L'inspecteur, Dragon, Inok, Roche, Nobody


Retrouvez l'enregistrement de partie sur ma chaîne youtube.

Image

crédits images : Travis S, Jasmic, Phil Mclver, Sophus Tromholt, licence cc-by-nc, galeries sur flickr.com, visit finland, Granbergs Nya Aktiebolag, licence cc-by, galeries sur wikipedia commons


Le Théâtre :

Moins Quarante : Hommes, Bêtes et Dieux dans l'enfer glacial du Grand Nord est une création d'Orlov pour le recueil de scénario Le défi des quarante ans du JDR. On s'aventure dans une région éludée dans l'Atlas de Millevaux : la frontière entre l'ancienne Russie et l'ancienne Finlande, autour de Mourmansk, terre désolée, sauvage et fière, territoire des hommes, bêtes et dieux, lieu des nations premières, des grandes chasses millénaires et des pêches industrielles, carrefour des hégémonies et domaine de la mort, du tout Puissant Père Gel et entrée de la mythique Terre Creuse.

Puissamment exotique et pour autant complètement empreint des marqueurs de Millevaux, Moins Quarante est un théâtre qu'il nous était urgent d'arpenter.


L'histoire :

L'Inspecteur

+ (barré) Je veux conserver mon petit pouvoir de fonctionnaire.

Printemps.
Petit fonctionnaire corrompu de l'appareil communiste chinois, je coule des jours mornes à l'entrée du Mur vers la zone de Moins Quarante. Le Parti contrôle cette zone car les sources marines de l'endroit sont un des derniers viviers de nourriture pour la masse prolétaire affamée de l'empire communiste panasiatique. Ici, le Mur n'est plus une barrière mais une frontière, contrôlée par nos douanes. Et dans ces circonstances, il y a toujours du pouvoir et de l'argent à se faire pour ceux comme moi assez malins pour jouer de leurs influence, rançonner et se faire graisser la patte. Mon seul péché mignon, ma seule passion coupable, qui fera ma perte, c'est mon engouement pour les langues, pour le mythe de Babel. C'est ce qui m'a convaincu d'aller me perdre dans ce trou. Parce que c'est dans ce trou qu'échouent tous les peuples et tous les idiomes du monde. Ainsi, j'ai fort à faire avec les migrants pansibériens, Bouriates, Yakoutes et autres Tchoutchkes fuyant la panlèpre et voyant dans Millevaux un genre d'eldorado, se ruant vers elle comme sur une femme à conquérir.

+ Je vais accompagner Roche jusqu'à la Terre Creuse.

Été
J'ai arraché les faveurs d'une femme qui voulait faire passer sa tribu à l'ouest. Roche, une princesse mongole au visage martelé par le vent. Mais c'était une erreur. J'ai cédé devant sa noblesse. Elle m'a dit que dans la zone de Moins Quarante se trouvait l'entrée de la Terre Creuse, et dans la Terre Creuse se trouverait la mère de toutes les langues. Elle m'a dit qu'un fonctionnaire corrompu serait toujours utile pour sa tribu, alors j'ai laissé mon bureau en désordre et je suis partie avec eux.

+ Très mauvaise réputation auprès des membres du Clan.

Automne.
Dans la tribu, j'ai fait connaissance de Dragon, un exilé de l'Alaska, un chasseur illuminé en motoneige. Il m'a dit vouloir gagner la Terre Creuse, domaine des chasses éternelles. Un allié dans ma quête. Alors, j'ai utilisé mes connaissances "théoriques" du terrain pour l'aider à faire une superbe chasse qui allait le faire grimper dans la hiérarchie de la tribu.
Mais il ne m'en a attribué aucun mérite quand il est revenu avec un grand renne rouge. Il est plus difficile d'assoir mon influence ici que dans les alcôves miteuses de la bureaucratie. Ici, je ne suis personne, et pour mes collègues fonctionnaires, je ne suis plus personne non plus, maintenant que j'ai déserté mon poste pour poursuivre une chimère.

Hiver.
La saison est terrible. La tribu essaye de passer cette mauvaise période enfermée dans une prison de glace. Les plus faibles meurent de froid ou de gel, ils se brisent rien qu'en les touchant. Inok, le chef de la Tribu, annonce qu'on se rendra vers le Sud, là où le sol n'est pas gelé toute l'année, là où la tribu pourra survivre de façon pérenne. Je ne suis pas d'accord, mais il est inenvisageable de fuir la tribu ou même de la scinder : si nous ne sommes pas au complet, nous sommes morts. Dragon exige qu'on se rende à la Terre Creuse, la véritable terre promise pour la tribu selon lui, et bien sûr j'appuie cela en sous-main, j'applique les leçons politiques apprises dans les coursives de l'appareil soviétique.

Mais Dragon s'emporte ; il se bat avec Inok, Inok tombe et se brise le crâne sur un pic de sol gelé. La tribu en fait un martyr, elle hisse un portant pour son corps et fera le voyage vers le Sud en son honneur, elle portera son corps comme une bannière. Elle devient la Procession. Nos manoeuvres ont échoué et je me suis fait une solide réputation de langue de vipère.

+ Hélène est mon ennemie.

Été.
Nous vivons des péripéties fabuleuses pour sauver Roche, et la tribu nous abandonne comme on abandonne les traînards.
Nous allons vers le Sud à sa recherche et rencontrons les Marchants, migrants paneuropéens qui viennent de la forêt et la fuient parce que c'est l'enfer. Ils sont plus grands, plus forts, mieux équipés que nous, et pourtant leur terre de vie n'est pas l'eldorado qu'on nous avait vanté. Nous comprenons avec amertume que l'eldorado n'existe pas : nous n'avons plus le choix que de choisir notre enfer.
Une tempête de bois éclate : tornade meurtrière emportant branches et troncs de la forêts toute proche. Nous nous en réfugions avec les Marchants et cette épreuve commune fait que nous sommes adoptés, comme on adopte des chiens errants.
Les marchants nous accueillent. Nous découvrons qu'un de leurs vieux sages est en possession d'une carte, artefact miraculeusement conservé, plastifié, annoté à l'encre, folie de comprendre le territoire.
Hélène est la cheftaine des Marchants. Quarantenaire, blonde, des rides sur le visage comme une écriture rectiligne de dureté.
Les Marchants ont croisé la Procession, mais ça ne m'intéresse pas de les rejoindre, je veux toujours gagner la Terre Creuse.

Automne

Je manœuvre pour qu'on rejoigne la Horde d'Or de l'Ataman-Lama : seule cette hégémonie pansibérienne a les moyens de gagner l'une des mythiques entrées. Cette fois-ci, mes manœuvres fonctionnent et les Marchants font route vers le campement de l'Ataman-Lama. Mais ainsi ils prennent le risque de se faire absorber par la Horde d'Or, qui poursuit l'objectif de faire de la zone de Moins Quarante un domaine de chasses éternelles, et une tête de pont pour l'invasion des forêts fertiles de Millevaux, en somme l'opposé du rêves des Marchants, qui ne rêvent que de franchir le mur, alors que la Horde s'en éloigne de plus en plus. En tuant ainsi le rêve des Marchants, je me fais d'Hélène une puissante ennemie.

+ Je suis le prochain sur la liste des victimes.

Aussi, quand nous arrivons au campement de l'Ataman-Lama, je profite de la disparition de Leife Antikrist Snorri, l'âme damnée de l'Ataman, pour me faire une place au sein des conseillers de l'Ataman. Je retrouve mes aises de fonctionnaire corrompu, même si les yourtes et les chevaux ont remplacé les bureaux et les postes de douane.
Mais je sais qu'à ce poste, il me faudra avoir des yeux derrière le dos, et que bientôt, fatalement, je finira un couteau entre les omoplates, sans doute, d'ailleurs, sans jamais avoir eu la chance de découvrir la Terre Creuse, d'entendre son murmure primordial, la langue putride, la Mère de toutes les langues.


Dragon

+ (barré) Je veux créer mon clan dans la Terre Creuse.

Automne

Exilé de l'Alaska après en avoir tué le dernier ours, je suis un fou. Un fou de chasse. J'ai traversé toute la Sibérie pour gagner la Terre Creuse, la terre des chasses mystiques où le Tout Puissant Père Gel mène ses meilleurs veneurs à la poursuite d'une mégafaune que même la préhistoire n'a jamais connu.
Je suis en fourrures et en motoneige, incohérent, sauvage. Je suis la chasse.
Je suis parvenu au plus proche de mon but. Je suis arrivé dans la zone de Moins Quarante, je suis tout proche. J'ai élu refuge dans la tribu d'Inok, car aussi farouche puissé-je être, je ne peux pas survivre seul : à Moins Quarante, on ne survit qu'en groupe.
C'est l'Automne, dernière et fugace saison de vie, temps de la chasse de tous par tous, pour faire des réserves pour l'hiver. Il me faut chasser un gibier mythique, pour gagner le respect de la tribu. L'inspecteur, étrange gratte-papier qui a sa place ici comme un glacon sur un brasier, me donne des conseils sur les zones de chasse. Au début, je l'ignore, mais après avoir arpenté la taïga en motoneige en tous sens sans succès, je me résigne à aller là où il m'a dit d'aller, et c'est payant : je trouve un tue un Mégaceros, un grand renne rouge, qui va nourrir toute une famille pendant un mois.
La tribu me respecte désormais. Bien sûr, je n'évoque pas l'aide du fonctionnaire : personne n'a besoin de savoir que Goliath a eu besoin de l'aide de David.

+ Le sang noir bout dans mes veines.

Hiver.
Nous sommes prisonniers sous la glace. Et moi, mon sang noir m'ordonne de passer à l'action. Je ne suis pas de ces bêtes molles qui se résignent à l'attente et à la peur. Mon besoin de violence trouve un exutoire dans un conflit avec Inok, le chef de la tribu. Il ne veut pas entendre parler de mes histoires de Terre Creuse. Il ne veut qu'aller vers le sud : à la promesse du vertigineux eden des chasses éternelles et mortelles de la Terre Creuse, il préfère l'éventualité d'une survie modérée dans les pauvres forêts du Sud, une survie de peur, de comptage et de ratiocination. Nous nous affrontons, et je le tue. Par mégarde ? Le sang noir a parlé.
Mais c'était un mauvais calcul. La Tribu en fait un martyr. Si j'y conserve une certaine influence en tant que chef des chasseurs, je dois abandonner l'idée qu'elle gagne la Terre Creuse.

+ Je suis l'amant d'Hélène.

Été.
Après notre passage dans la Terre Creuse, bref mais intense, nous perdons la trace de la Procession mais croisons la route des Marchants. La force d'Hélène me frappe. Nos deux sangs s'attirent, et la fatalité fait son œuvre : nous devenons amants.

Mais mes délires de Terre Creuse m'amènent à laisser les Marchants se rapprocher de la Horde d'Or de l'Ataman-Lama, qui dans sa voracité de troupes, fait de notre équipage un de ses régiments.
Avec Hélène, j'ai le sentiment que si nous restons au sein de la Horde d'Or, nous survivrons, mais pas notre fierté. Notre sang noir se diluera dans cet esprit de civilisation nomade et violente. Nous ne serons plus des grands veneurs partis à la tête de chasse éternelle, la mort courant à nos côtés. Nous ne serons que les têtes anonymes d'une vie de razzias et de terre brûlée. Une vie de confort, une vie de parasites.

Mais une vie sûr, avec Hélène. Alors, un soir, alors que mes bagages étaient faites pour partir à l'horizon, retrouver ma Terre Creuse, je me suis couché dans la yourte avec ma femme, sachant que le lendemain serait le même, et le lendemain, et le lendemain. J'ai rendu forfait devant les rudesses du climat.


Inok (mort)

+ (barré) Je veux aller vers le sud pour trouver un temps clément pour le clan.

Hiver.
Je suis le père de Roche, je suis le chef de cette tribu de chiens et de fous que j'ai emmenés dans mon sillage à travers toute la Sibérie pour fuir le froid, la faim et la panlèpre. Je n'ai pas fait tout ce chemin pour poursuivre des chimères de Terre Creuse et aller droit devant des dangers pire que ceux que nous fuyons. Quand l'insolent Dragon parle, alors que nous claquons tous des dents ensevelis sous la glace, alors qu'une chance sur deux nous sépare de l'éradication, quand il parle de conduire ma tribu dans la Terre Creuse, je crie à la folie ! Seule la mort nous attend là. Si nous avons fait tout ce chemin, si j'ai laissé ma fille, la plus noble des princesses mongoles, sacrifier son honneur pour nous faire franchir le Mur à tous, c'est pour gagner les forêts fertiles du Sud, pour gagner Millevaux, cet éden où il y a de la végétation, où chasses, cueillettes et cultures sont possibles, où le sol n'est pas gelé toute l'année. C'était ça le but de la tribu !
Mais Dragon est une bête enragée. Il n'écoute pas mes arguments. Il me pousse et me brise la tête. Alors je deviens un martyr. Alors c'est désormais mon esprit qui conduit la tribu. Alors ma mort était un petit prix à payer. Pour que la tribu trouve enfin paix et sécurité, dans les forêts du Sud.


Roche

+ Je veux aller faire mes adieux au corps de mon père.

Hiver.
Mon père dit de moi que je suis la plus noble des princesses mongoles. Je veux juste être la plus dure. J'ai fait de grands sacrifices pour la tribu. Je me suis compromis avec l'Inspecteur pour que la tribu franchisse le Mur, c'était comme frayer avec un rat.
Quand mon père est mort, avec Tania ma mère, j'ai conduit la tribu vers le Sud, pour continuer son œuvre. C'est ainsi que procèdent les personnes de mon sang. Nous avançons, sans jamais broncher. Nous franchissons les obstacles, ou ils nous passent au travers.

Printemps.
La tribu est sorti de sous les glaces aux premiers signes du dégel. Avec à notre tête le portant de bois sur lequel gît le corps de mon père, et son esprit tutélaire, nous avons marché vers le sud. Mais le printemps est la saison la plus traître de la zone de Moins Quarante. Le dégel brusque rend les rivières à moitié folles et une coulée m'a emporté. C'est un same, un autochtone, pouilleux, perdu, alcoolique qui a franchi la muraille des eaux pour me sauver. Il m'a plaquée sur une roche qui faisait île au milieu du torrent. J'ai senti sa respiration rauque. J'ai vu que sous sa crasse il y avait toujours un homme. Nos regards se sont croisés. J'ai bien compris tout le désir qu'il avait pour moi, pas le petit désir vaniteux du fonctionnaire, non, un grand torrent de sang noir. Mais il n'a rien fait. Je pense que quelque chose lui a interdit de me toucher. Une morte.

Il m'a sauvée des eaux mais le froid et les mauvais esprits étaient en moi comme le gel est dans les roches les plus dures. J'ai traversé des mois de souffrance et de coma.

Quand je me suis enfin réveillée, j'ai compris que je devais encore ma survie à Nobody, le chamane perdu.
Je lui suis deux fois redevable, c'est plus qu'une princesse mongole doit l'être. Mais avant de l'aider, j'ai une chose à faire. Retrouver la tribu. Dire adieu à mon père.

+ Je veux aider Nobody à trouver une placer dans le camp de l'Ataman.

Quand les Marchants s'éloignent du Sud pour gagner le camp de l'Ataman, je comprends qu'il me sera difficile de m'acquitter de ma dette envers Nobody, et en même temps de retrouver ma tribu. Mais Nobody m'en acquitte. Il me dit qu'il a besoin de régler ses problèmes seuls. Il me dit aussi qu'il est attiré par moi, que c'est son sang noir qui parle, et que si nous restons côte à côté, trop longtemps, nous finirons par accoupler, et ce n'est pas ce qu'il veut, il est là pour retrouver sa vraie famille. Je finis par comprendre. Je ne l'aiderai pas si je le détourne de sa quête. Une princesse mongole doit mettre ses sentiments et sa fierté de côté. Alors je lui fais mes adieux et je pars vers le Sud.

+ J'ai peur de la réaction d'Inok lorsque je verrai son corps.

Me suis-je bien comportée pour mériter la fierté de mon père dans l'au-delà ? Je n'étais pas là quand la Procession a emporté son cœur vers le Sud. Je sais qu'ici-bas, nous pouvons parler aux morts, il suffit de passer du temps avec eux. Que me dira mon père quand je le retrouverai ?

+ Je surmonte ma peur.

Mais alors que je fais mes bagages pour quitter le camp de l'Ataman, je n'ai plus peur. Une personne de mon rang ne doit pas se laisser abuser par la peur. C'est la leçon que je dois retenir de mon père. La peur marche face à nous, et nous ne détournons pas le regard. Je suis prête. Je pars.

+ Celui qui a abusé de moi obtient une place de choix.

Mon seul regret, c'est d'être partie sans ouvrir la gorge du fonctionnaire. Qu'importe. Quelqu'un le fera forcément à ma place. Quant à moi, les tigres ne doivent pas perdre leur temps à chasser les insectes. Le tombeau de mon père m'attend.


Nobody

+ Je veux persuader le clan d'Inok d'atteindre le campement de l'Ataman.

Printemps.
Avant, j'étais le chamane de ma tribu de sames, les vrais habitants de la zone de Moins Quarante. Avant, j'avais des âmes sur qui veiller. J'avais une famille. J'avais une femme et des enfants. Mais c'était avant. C'était avant que nos valeurs soient foulées aux pieds. C'était avant la folie sédentaire. C'était avant l'alcool. C'était avant que je vende toutes mes romances contre de l'alcool. J'ai vendu la mémoire de ma tribu, j'ai vendu l'âme de ma tribu, pour pouvoir me brûler le ventre. J'ai vendu la mémoire de ma famille pour oublier que j'étais un homme. J'ai vendu le visage de ma femme et de mes enfants, j'ai vendu le nom que la nature m'a donné. Maintenant, je suis Nobody.
Il ne me reste qu'un nom : Liki "Antikrist" Snorri, le barde scandinave à qui j'ai vendu mes romances. Cet homme achète la mémoire du monde. Et maintenant, je dois le retrouver pour qu'il me redonne au moins une romance, celle de ma famille. Je dois le retrouver car c'est ma seule chance de retrouver ma femme et mes enfants, dont j'ai oublié jusqu'au visage.

Alors, j'erre, soûl en permanence, dans le sillage du clan d'Inok. Je les suis comme les chiens vagabonds suivent les caravanes, et ils ne me voient pas autrement : un inutile pique-assiette. Mais j'ai besoin d'eux, j'ai besoin qu'une tribu me conduise au campement de l'Ataman-Lama, pour que je puisse retrouver l'âme damnée de l'Ataman, le barde Snorri, pour que je puisse me venger. Je guette la moindre occasion d'obtenir une influence sur la Procession, et je la trouve quand l'inondation emporte Roche, la fille du défunt Inok.

+ J'ai sauvé Roche mais j'ai presque perdu mes habits.

L'eau du torrent est en-dessous de zéro, seul le mouvement l'empêche de geler. Je vois des personnes mourir à son simple contact. Moi-même, depuis que je suis alcoolique, j'ai peur de l'eau, mais je ne réfléchis pas, je n'aurai pas d'autre occasion. Je plonge, et c'est la chaleur de l'alcool, du sang noir, qui m'empêchent de mourir. Je sauve Roche, je la plaque au sol d'un îlot formé au milieu du torrent. Je suis au-dessus d'elle. Le sang noir frappe à mes tempes. Je suis pris d'un violent désir pour cette femme, quelque chose qui n'appartient ni au domaine de la raison, ni au domaine des sentiments. Quelque chose de bestial. Mais je m'accroche. Je repense à ma famille, à ce souvenir de famille, à cet espoir de famille, et je ne passe pas à l'acte. Si j'ai sauvé Roche, c'est pour cette cause, pas pour mon désir. Mon désir a déjà fait trop de mal.

Je reviens à la rive avec elle. On nous enlève nos habits et on nous frictionne. On me passe des habits de sibérien. Je garde mon ancienne tenue de chamane, devenues des loques de vagabond, je les garde en paquet. En revêtant des habits de sibérien, j'ai encore perdu de mon identité.

Mais Roche ne se remet pas. Elle grelotte en permanence, elle ne peut plus parler, elle est dans l'inconscience. Je pense que c'est l'esprit d'Inok. Si je ne la sauve pas, je perds toute chance d'avoir une influence sur la trajectoire de la Procession. Alors, j'implore Tania, la mère de Roche de me laisser exercer mes talents de chamane pour la sauver. Elle pense que je ne suis qu'un vieil alcoolique, pas un vrai chamane, en cela elle a presque raison. Mais Dragon et l'Inspecteur sont de mon côté, alors elle se résigne à me laisser faire.

Je demande à Dragon de me chasser une bête au sang noir. Il me ramène un loup gris.

Avec elle, Dragon et l'Inspecteur, nous rentrons dans leur tente. Roche est étendue au milieu. Nous faisons cuire du bois de bouleau jusqu'à ce que toute la tente soit enfumée. Tania refuse de faire plus sa part au rituel que l'enfumage. Nous poursuivons sous sa surveillance : je bois le sang du loup à même sa gorge, puis je m'asperge de vodka, j'en bois aussi, il me faut être ivre. Laisser monter l'ivresse chamanique du sang noir, succomber au chaos.

Le rituel fonctionne. Avec Dragon et l'Inspecteur, nous réalisons qu'à travers la fumée, les parois de la tente ne sont plus là. Nous sommes dans la Terre Creuse, le sol est plat et la brume bouche l'horizon. Nous suivons une corde tendue à travers la brume, c'est le fil de vie de Roche. Nous la retrouvons, mais elle n'est pas avec Inok comme je le pensais : elle est entourée de Horlas, ce sont eux qui convoitent son esprit. Avec Dragon et l'Inspecteur, nous les affrontons, en rage. Je n'ai plus de pouvoir, il ne me reste que mon sang noir. Je brise ma bouteille de vodka vide pour en faire une arme, et je monte à l'assaut, hurlant, couvert de sang.

Fondu au noir.

+ (barré) Le désir de vengeance est la seule fierté qui me reste.

Été.
Quand nous reprenons nos esprits, la fumée s'estompe dans la tente. Roche pousse un long râle, elle revient à elle. Tania, assommée par la fumée, reprend ses esprits. Le rituel est une réussite. Mais dans la Terre Creuse, le temps ne s'écoule pas comme ici-bas : trois mois ont passé. La Procession ne nous a pas attendu. Du camp, il ne reste que notre tente.

Nous sommes ivres de faim et de soif, nous avons jeûné pendant trois mois !
Dragon ramène un gibier et nous nous ruons vers les abats. Sang noir !
J'enrage, je sens que je deviens vraiment un animal. Seul mon désir de vengeance me guide encore. La vengeance, c'est la seule part d'humanité qui me reste.

+ Je renonce à l'aide de Roche.

Automne.
Nous avons intégré la tribu des Marchants et les avons convaincus de rejoindre le campement de l'Ataman. Je touche au but. Roche insiste pour m'aider, elle dit que je lui ai sauvé deux fois la vie. C'était exactement ce que j'attendais elle, mais je lui rends sa liberté. J'ai trop de désir pour elle pour qu'elle reste à mes côtés plus longtemps. Je veux livrer une dernière bataille contre mon sang noir. Je dois me venger seul.

Je m'approche de la yourte de Snorri. Je fais un dernier rituel : je me plonge la tête la première dans un tonneau de vodka, dussè-je en mourir. Rituel de sang noir. Cela me permet d'atteindre Snorri par la Terre Creuse. J'entre dans la version creuse de sa yourte. Suspendu aux cuirs du sommet de la yourte, je vois toutes les romances que Snorri a volée.
Je sais que Snorri est à ma merci à ce moment précis.
Mais je ne me venge pas. Je dérobe juste la romance de ma famille. Je reprends juste mon visage, et je m'éloigne à pas feutrés, alors que je sens mon corps s'approcher du coma.

Je suis Nobody. Je vais peut-être mourir ce soir. Mais j'ai retrouvé leurs visages.


Règles utilisées :

J'ai testé trois règles nouvelles cette fois-ci.

A. Je trouvais que le théâtre se prêtait bien au temps long, à la saga. J'avais le jeu Saga of the Icelanders en tête. Le théâtre Moins Quarante insiste sur les saisons, et si nous l'avions joué comme à l'ordinaire, je sais qu'on aurait déroulé la fiction sur quelques jours seulement, voire quelques heures. Alors j'ai proposé qu'une saison s'écoule entre chaque instance. Et comme les saisons sont folles dans la zone de Moins Quarante, on n'était pas obligé d'enchaîner les saisons dans l'ordre précis.
Cette règle a très bien fonctionné. Quand les personnages sont sortis de la tente enfumée, une instance avait passé, c'est ce qui nous a amenés à conclure qu'une saison entière était passée pendant le rituel et que la tribu nous avait abandonnés. C'était énorme ! J'avais déjà testé des libertés avec la temporalité avec le théâtre Au cœur de la bataille, mais cette règle des saisons a amené de nouvelles surprises en terme de gameplay !

B. Autre innovation, j'ai testé le jeu en mode Carte Noire. En quelque sorte, c'est du Carte Blanche, mais en Confident tournant : le Confident change à chaque instance. Le Confident ne peut pas être le joueur dont c'est l'instance, et si pendant l'instance, le personnage du Confident prend part au conflit, on change de Confident, ou on joue le conflit sans Confident, les deux étaient possibles, les deux sont arrivés. J'ai refait deux autres tests en Carte Noire et le mode est concluant, il sera proposé dans Inflorenza 2. Il me semble que c'est une bonne transition vers Carte Rouge, mais qu'il a aussi un grand intérêt pour lui-même.

C. Enfin, j'ai verbalisé davantage la règle du forfait (que j'appelais non-objectif pendant le test) : ce qui se passe si le joueur, à l'annonce du contre-objectif (ce que je vais sûrement appeler risque dans Inflorenza 2), se dit que le jeu n'en vaut pas la chandelle. Nous avons fini en conflit de masse, et le conflit de Dragon avait pour enjeu de partir mener une vie de chasse solitaire aux côtés d'Hélène. Le risque, c'était de se faire massacrer par la horde d'or, qui ne supporte pas les déserteurs. Le joueur de Dragon a préféré prendre le forfait, une vie de confort, une vie sans sang, aux côtés d'Hélène, au sein de la horde d'or. En terme de gameplay, pouvoir choisir le forfait, pouvoir choisir de se coucher, ça apporte des nuances nouvelles. Cela permet d'aborder une chose peu explorée en jeu de rôle à mon sens : la résignation. Certes, la résignation est abordée dès que la mécanique prévoit de se coucher, comme dans Dogs in the Vineyard. Mais dans Dogs, les conflits sont de courte portée. Ici, on était sur un conflit à longue portée, le fait que Dragon fasse forfait le condamnait à une vie aux antipodes de celle dont il rêvait. Ce fut le dernier conflit de la partie, et c'était une excellente fin. Verbaliser le concept de forfait m'a permis de rendre en mécanique ce que j'avais observé lors de mon test de la Moisissure de l'Oubli, des conclusions dans le calme, hors-conflit, où l'on explore autre chose que de la combativité, où l'on explore les territoires surprenants et tristes de la résignation.


Feuilles de personnages :

L'Inspecteur

+ (barré) Je veux conserver mon petit pouvoir de fonctionnaire.
+ Je vais accompagner Roche jusqu'à la Terre Creuse.
+ Très mauvaise réputation auprès des membres du Clan.
+ Hélène est mon ennemie.
+ Je suis le prochain sur la liste des victimes.

Dragon

+ (barré) Je veux créer mon clan dans la Terre Creuse.
+ Le sang noir bout dans mes veines.
+ Je suis l'amant d'Hélène.

Inok (mort)

+ (barré) Je veux aller vers le sud pour trouver un temps clément pour le clan.

Roche (d'abord figurante, ensuite jouée par le joueur d'Inok après la mort d'Inok)

+ Je veux aller faire mes adieux au corps de mon père.
+ Je veux aider Nobody à trouver une placer dans le camp de l'Ataman.
+ J'ai peur de la réaction d'Inok lorsque je verrai son corps.
+ Je surmonte ma peur.
+ Celui qui a abusé de moi obtient une place de choix.


Nobody

+ Je veux persuader le clan d'Inok d'atteindre le campement de l'Ataman.
+ J'ai sauvé Roche mais j'ai presque perdu mes habits.
+ (barré) Le désir de vengeance est la seule fierté qui me reste.
+ Je renonce à l'aide de Roche.
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Thomas Munier
 
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