par Romaric Briand » 27 Août 2015, 15:16
Je vais t'aider parce que ton MP m'a convaincu.
Il ne faut pas vraiment parler de jeu de rôle, mais de jeu qui invite à une réflexion collective autour d'un univers et de questions initiées par l'un des joueurs (l'Aiguilleur) à d'autres joueurs (les personnages aiguillés). Si tu présentes les choses comme ça, tu t'épargnes déjà beaucoup de difficultés.
Tu as lu Le Maelstrom ? Si ce n'est pas le cas, je t'invite vivement à le lire parce qu'il permet de porter sur Sens un regard nouveau. C'est d'ailleurs ce que je vais m'évertuer à faire dans mon appendice pour Sens Cosmo.
Sens s'appuie sur un média, le JDR, pour faire ce que Socrate ou le Christ on fait bien avant lui avec leurs disciples, à savoir, donner des révélations par le biais d'un leader qui se présente comme le dépositaire d'un savoir, le dépositaire de Sens, d'un ouvrage sacré ou d'une connaissance venue d'un autre monde (je fais ici référence au monde des idées platoniciennes, ou ce que le Christ nomme "Dieu" ou "son père" dans les évangiles, par exemple) ;). Le but de l'Aiguilleur de Sens est, comme Socrate, de faire en sorte que ceux qu'il guide (les joueurs) découvrent un certains nombre de révélations.
Socrate avait horreur des livres et des romans qu'il considérait comme "muets". Il se plaignait qu'un livre ne puisse pas répondre directement aux questions du lecteur. Le jeu de rôle aurait certainement beaucoup plu à Socrate.
Voilà une petite aide de jeu pour toi, Vincent ;)
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Sens est un jeu qui vise à changer les gens qui y jouent en philosophes. Il n'est pas nécessaire d'être philosophe pour y jouer. Le jeu amène ses participants à se poser naturellement (ou insidieusement) des questions qu'ils ne se seraient probablement jamais posées sans leur visite dans l'univers de Sens. Le but de ces questions est d'interroger quelques uns de nos déterminismes et, ainsi, de nous en libérer autant que possible. Le jeu est donc "alchimique" au sens où il propose de changer ou d'éveiller ses participants.
Ce jeu rassemble deux types de participants :
1) des participants avides de découvrir les secrets du jeu => les joueurs ou CELLULIS.
2) un participant privilégié qui les connait tous, du moins c'est ce qu'il croit-il au départ => le maître du jeu ou AIGUILLEUR de Sens.
Dans ce jeu, chaque joueur est invité à endosser le rôle d'un simulacre. Ces derniers vivent dans un monde dont l'architecte est Sens. Le maître du jeu est donc l'Aiguilleur de Sens. Il est le "porte-parole" de Sens. Il n'a qu'à décrire les choses pour qu'elles soient. Son langage est performatif. S'il dit "il y a une table et, autour d'elle, quatre chaises" alors il y a une table et, autour d'elle, quatre chaises.
A travers leurs sens, les simulacres des joueurs perçoivent la réalité décrite par l'Aiguilleur de Sens et donc, à travers lui, ils perçoivent Sens Lui-même (car l'architecte et son monde, comme chez Spinoza ou chez Wittgenstein, sont ici confondus ou presque). L'Aiguilleur a pour rôle de présenter des scènes, des lieux et des personnages dont les seuls objectifs sont d'être les porteurs de problématiques existentielles. Ces personnages, ces lieux, ces décors engendrent des problèmes, des problématiques et, bien entendu, pour résoudre ces problèmes et avancer dans le jeu, les joueurs n'ont d'autre choix que de réfléchir à ces questions, c'est à dire, de se poser les questions.
Dans Sens Renaissance, il s'agit d'un univers que l'on qualifierait volontiers de post apocalyptique, le jeu parle d'Empire galactique, de Résistance, de Liberté, de Déterminisme, autant de thématiques familières et accessibles immédiatement. Les personnages partent d'un lieu clôt souterrain (la base du pôle-Sud) pour finalement s'en libérer (conquête de la surface de la Terre). On retrouve des thématiques classiques de l'héroisme : l'ascension, la libération, des combats contre des titans, des monstres marins ou des créatures fantasmagoriques (les quadrillas).
Ce jeu, Sens Renaissance, a été originellement conçu comme un piège pour attirer, dans Sens, une clientèle geek, fan de sujets divers tels que l'informatique, le cinéma, le jeu-vidéo, le jeu de rôle, la science, la science-fiction, etc. Mais, en réalité, si le jeu parle de la libération des simulacres, les Cellulis, les joueurs, quant à eux, sont en train de s'enfermer dans l'univers de Sens. Ils font - pour ainsi dire - le jeu de Sens, en manifestant le désir d'en savoir toujours plus, d'en voir toujours plus et de faire vivre leur simulacre dans cet univers. Beaucoup d'avertissements sont pourtant donner, mais ils le sont de façon cryptée. Des personnages de Sens répètent à l'envie qu'"il est des choses qu'il vaut mieux ignorer". Dans la première épreuve, par exemple, un poète peut tuer par ses œuvres. Les joueurs sont ainsi, discrètement avertis du danger du jeu et du piège dans lequel ils sont en train de tomber. Mais ils continuent de jouer, continuent de lire... le caractère crypté des révélations ne fait qu'attiser leur curiosité, pour le plus grand plaisir de Sens.
Ainsi chaque scène de Sens est potentiellement porteuse d'un double langage à destination des simulacres ou des joueurs. La réalité et la fiction se mêlent lentement l'une à l'autre et, progressivement, les enjeux des simulacres deviennent ceux des joueurs et inversement. Les problématiques philosophiques s'exportent ainsi de Sens (le jeu) vers la réalité. Le système portent également les joueurs à s'interroger sur leur simulacre et inversement. Je ne rentre pas dans ces considérations techniques.
Dans Sens Mort, c'est la société contemporaine qui se retrouvent critiquée, caricaturée par l'Aiguilleur de Sens. Dans Sens Néant, un monde fait de sentiments, les joueurs sont interrogés sur les notions de propriétés et d'appartenance chères à nos économies contemporaines. A travers des sens étrangers et une vision du monde radicalement différente, le jeu tente de proposer une altérité à notre humanité pour favoriser un retour réflexif sur nous même, etc.
Sens est une hexalogie. Qui sait ce que réserve Sens Cosmo, Sens Chaos et Sens Création ? Les joueurs savent pourtant que c'est un piège. Les joueurs savent que s'ils finissent Sens, ils le libéreront. Mais le désir d'aller au bout de cette expérience est plus fort que tous les avertissements. Le désir de connaître est plus fort que la sagesse. Et c'est peut-être là le propos central de Sens : l'idée que l'humain, en dépit de tous les avertissements et de tous les dangers, est incapable de s'arrêter de penser, de chercher et de creuser. L’ataraxie n'est pas humaine et l'humain - qu'il le veuille ou non - est déterminé à devenir Sens, à devenir l'architecte de son propre monde.
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Un truc comme ça ? Tu vois ici, je ne rentres pas dans les détails techniques, je vais droit au but. Alors, maintenant, je t'avoue franchement que ce texte est plus "racoleur" qu'informatif. Si le but de ton exposé est de donner envie, de faire rêver, il faudra partir dans un truc de ce genre. Mais, si le but est de faire un retour analytique de Sens (genre : défauts, qualités du jeu...) là, il n'est clairement pas approprié d'en parler ainsi.
J'espère t'avoir aidé.