Les Ateliers Imaginaires

Avec Gaël, Jérôme et Cédric, on a joué une partie des Cordes Sensibles dont la particularité était qu’on jouait des individus normaux, mais possédant d’étranges pouvoirs et ce, d’autant plus qu’on les a notés en tant que “Croyances” sur la fiche, afin de semer le trouble : pouvoirs réels ou pures divagations de l’esprit ?

Je tenais à vous raconter ma scène préférée parmi celles où mon personnage était le Protagoniste :

Carol, étudiant en lettres modernes, se retrouve à la rue un beau matin après que sa mère ait quitté leur appartement sans prévenir. Il ère dans la rue avec un sac de fringues ; il croise des gens qui font du footing ou qui vont au travail et qui semblent transparents (Carol a le pouvoir de percevoir des émanations du subconscient d’autrui). Il se sent à la fois terriblement inquiet et vaguement libéré.

Il frappe chez Tybalt, un ami et confident pour qui il a des sentiments (probablement à sens unique) qui vit en collocation avec trois autres personnes de leur âge. Certains sont étudiants, d’autres bossent et d’autres encore cumulent études et boulot alimentaire.

Carol demande à Tybalt s’ils peuvent l’héberger pour quelques temps, Tybalt est OK, mais il doit en parler avec ses colocs. Ils se réunissent dans le salon et débattent. Une certaine Jill objecte que Carol n’apportera pas d’argent et qu’elle ne veut pas d’un poids dans le budget. Carol propose de faire du ménage et de se rendre utile. Après hésitations, le groupe accepte, mais Carol comprend vite aux réactions de chacun qu’il risque de devenir le larbin de service et qu’il sera de toutes façons considéré comme un occupant illégitime.

***

Si je restitue assez mal la tension et les enjeux de la scène, j’ai ressenti un piège se refermer sur moi, auquel je prenais part pour ne pas me retrouver à la rue. Par la suite, les colocataires n’ont pas manqué de jouer le rôle que l’on pouvait craindre.
C’était une scène sans conflit mécanique mais Jérôme et Gaël qui ont joué Tybalt et les colocataires ont su appuyer là où ça fait mal et c’était vraiment intense et cool. J'étais dans une posture où il était plus sûr de ne pas entrer dans un conflit, mais où la tension était palpable.

Est-ce que tu veux dire qu'à la maniére d'un sombre ou d'une certaine maniére de faire du donjon les cordes sensibles poussent à tout faire pour éviter d'etre dans des situations où on a recours au systéme de résolution de conflits ? Car trop létal ou trop aléatoire ?

LOL !
Non, jouer un conflit, c'est avant tout un moyen d'obtenir ce que l'on souhaite. Dans ce jeu, je me suis attaché à éviter la surenchère de conflits mécaniques : en jouer c'est bien, mais en jouer quand c'est vraiment important, c'est mieux.

Dans ce cas de figure spécifique, mon personnage était dans une situation où j'ai estimé que faire profil bas était le plus judicieux. Mais j'aurais tout aussi bien pu engager un conflit pour obtenir gain de cause, sauf qu'en cas d'échec ça m'aurait probablement mis à la rue sans cérémonie. Donc la tension autour de jouer un conflit repose sur "est-ce que ça vaut le coup que je prenne le risque" ?

Néanmoins, la particularité de sa mécanique, c'est que si on souhaite réellement une issue au conflit, on peut forcer les choses pour l'obtenir, ce qui signifie subir des conséquences (Répercussions) qui peuvent nous conduire à moyen terme à commettre l'irréparable. Donc ce n'est pas "létal", puisqu'il n'y a pas de "compteur de vie" et ce n'est pas trop aléatoire puisqu'on peut toujours forcer l'issue désirée si l'on en accepte les conséquences.

C'est plutôt une affaire de concession : quand est-ce que l'enjeu est suffisamment important pour que j'accepte de prendre le risque que les choses se retournent contre moi ? Et quand est-ce qu'il vaut mieux concéder en acceptant les conditions posées par les autres personnages. Ce qui serait dommageable pour ce jeu, ce serait de jouer trop de conflits sur des enjeux futiles. Il faut laisser le temps aux situations de se développer, parfois sereinement, pour utiliser la mécanique de résolution quand les enjeux deviennent vraiment importants.

Yo !

Super partie, en effet ! J'ai pas grand chose à rajouter à la scène décrite par Fred, si ce n'est que j'ai finalement adoré jouer Jill, étudiante en droit réfractaire à l'arrivée de Carol dans la coloc' :
"Et t'as un boulot, au moins ?
- Bin, j'écris...
- Nan mais un VRAI boulot, j'veux dire..."
(peu ou prou)
J'ai pris un plaisir malsain à jouer cette fille qui n'a de toute évidence pas grand chose en commun avec moi :D


Pour ma part, je jouais Jared, père de famille régisseur de plateau TV qui avait depuis quelques temps une liaison avec une femme plus jeune que lui, malgré l'amour qu'il porte à sa femme. Mon problème était un truc du genre "Pourquoi est-ce que mon mariage ne me suffit pas ?" (j'ai pas ma fiche avec moi, donc c'est restitué "à peu près" fidèlement)
Encore une fois, un malin plaisir à jouer un personnage très éloigné de moi, un peu "beauf" (il fait des soirées poker avec ses potes mecs, va en stand de tir, prétexte des "réunions je vais rentrer tard" quand il va rendre visite à son amante, et je suppose qu'il a un certain goût pour le bling).


Je vais raconter une scène de développement, donc une scène où l'on demande aux autres joueurs de nous cadrer une scène qui éventuellement va peut-être mettre notre personnage en face de son problème. Fred décide de cadrer : il va jouer Michelle, mon épouse.

Je sors des toilettes du domicile conjugal, Michelle m'attend dans le couloir, mon téléphone portable à la main. Elle me dit qu'un contact nommé "Carambole" me propose une soirée ensemble dans la semaine et me demande qui c'est.
"Carambole" a été inventé sur le tas par Fred, mon amante se nommant Carrie. J'ai trouvé ça complètement raccord avec la personnalité de mon perso, c'est tout à fait son genre, j'ai adoré. Bref.

Je commence à arguer que c'est un pote rencontré dans les soirées poker que l'on organise avec Garrett (un PNJ, je reviens pas dessus), avec qui on a pris l'habitude de boire un coup de temps à autre après la débauche*. Michelle me demande alors pourquoi le SMS est signé "<3 " (un cœur, donc, je précise au cas où). Je commence à bafouiller en cherchant une excuse bidon. Ma mémoire est floue mais il me semble que j'ai fait dire à Jared quelque chose d'homophobe pour détourner l'attention de Michelle, un truc du genre "bah tu sais ce que c'est entre mecs, on se chambre mais 'no homo' hein".

Michelle ne me croit pas vraiment. J'ai eu le malheur de dire que ça faisait un bail que j'avais pas vu Carambole, mais Michelle a pris le temps de vérifier l'historique et le dernier message reçu de ce numéro me remercie pour la soirée passée il y a moins d'une semaine.
Je suis de plus en plus à court d'argument. À ce stade il me reste peu de solutions : admettre et tout avouer, me mettre en colère de mauvaise foi ou encore mettre la faute sur Michelle, coupant court à la conversation et et la scène avec une engueulade. Il reste aussi la solution du conflit, pour imposer mon choix à la suite. Je décide de faire ça, dans l'espoir que Michelle gobe mon mensonge pour le moment et me foute la paix.

Le conflit est rude. J'y reviendrai plus bas. Je perds le conflit ,du coup. Commence une dispute où je reproche à Michelle de ne pas respecter mon intimité et de me fliquer, le ton monte, Michelle ne veut toujours pas me croire, je ne sais plus ce que je dis qui est mal passé mais Michelle finit par m'envoyer violemment contre le mur d'une bousculade légère de la main (ma croyance concernant les pouvoirs fantasmatiques ne concernait pas mon personnage mais Michelle, dont Jared pense qu'elle a force surhumaine). La soirée se termine dans un silence gêné ou Michelle ne m’adresse plus la parole, sous les yeux de notre fils de 8 ans qui ne saisit pas trop la situation. À l'heure de se coucher, Jared constate que la chambre conjugale est fermée à clé. Le message est clair : direction canapé ce soir.
Ce paragraphe a été décrit par moi-même, vu que l'égalité aux cartes me permettait de raconter moi-même mon échec.


Bon, cette scène était bien cool. La partie aussi dans son ensemble, c'était excellent ! J'ai enfin pu comprendre les changements de règles de LCS par rapport à l'ancienne version que je connaissais... Enfin disons plutôt croyais connaître, parce que je me suis rendu compte que je ne suivais pas exactement les anciennes règles à la lettre non plus. Notamment le fait que je jouais en autorisant plusieurs traits à être utilisés lors d'un conflit, alors qu'en fait non. Du coup je comprends mieux le changement de système de Fred qui consiste à ne plus "jouer les cartes" qu'au dernier moment d'une scène pour clôturer ce qui sera considéré à posteriori comme un conflit, plutôt que d'en faire une mécanique de gestion de la parole dans le conflit lui-même.

Cela a deux effets que j'identifie tout de suite, en tout cas c'est l'impression que ça me donne :

- Les conflits étaient vachement plus "mécaniquement épiques" dans mon ancienne pratique, parce qu'on tirait un max de cartes. Bon, ça faisait un peu Démiurges au final, donc je comprends que ce ne soit ni le but ni le propos et que cela change.

- Par contre, sans dire que Fabrice a raison, je me pose vraiment la question. Le conflit a l'air maintenant SUPER dur à gagner maintenant. En ayant eu le malheur de perdre le premier conflit de ma première scène scène de développement, je me suis d'emblée retrouvé dans une situation précaire pour la suite des conflits. Donc clairement je ne me sentais plus encouragé à en tenter par la suite, par peur de prendre super cher dans ma face.

- (oui en fait, une 3e réflexion vient de me venir pendant que j'écrivais ça) Mais bon, au final, ce n'est qu'un pousse-au-cul pour que les joueurs usent du coup de théâtre, comme Fred le soulignait en disant

Frédéric a écrit :ce n'est pas trop aléatoire puisqu'on peut toujours forcer l'issue désirée si l'on en accepte les conséquences.

Parce que c'est vrai qu'avant on les utilisait assez rarement ces coups de théâtre, et encore moins avec mes erreurs d'interprétations de l'époque (qui n'empêchaient pas de jouer ou de prendre du plaisir, loin de là, mais je sens que les modif' apportées par Fred vont rendre le jeu subtilement meilleur. J'insiste sur la subtilité parce que ce n'est pas forcément évident au premier abord, mais au final que je ne peux qu'abonder dans ce sens là.

- M'enfin vous pouvez être sûres qu'une fois le jeu sorti je tenterai malgré tout très vite des petis hacks persos, Les Cordes Sensibles a beau être le meilleur JDR à mes yeux, il est aussi un de ceux que j'ai le plus envie de déformer, triturer, tester les limites. Bref, c'est un peu mon Apocalypse World à moi, quoi. Mais bon comme dit un peu plus haut, j'ai l'impression que cette fois les règles sont définitivement meilleures comme ça. Contrairement à avant (vil sceptique que je suis ^^ ).

[EDIT :]
* : je suis charentais, quand je dis débaucher je parle de sortir du boulot après la journée de taf, pas de stupre :p

Breaking news "Expérimentation LCS" : un joueur a tenté de jouer un beauf et c'était pas naze, voire franchement intéressant !

J'ai aimé jouer Michelle en inventant des arguments (des indices de l'infidélité de Jared en fait) au fur et à mesure et le conflit était aussi prenant pour moi qui jouais la PNJ.
Au final, la résolution était touchante (revenir à son couple). Mais la contre-résolution (finir par céder ... à son amante) d'autant plus intéressante.

Le personnage beauf s'est révélé complexe malgré lui, tiraillé et impuissant, mais gentiment connard et cynique. ^^