[Island in a Sea of Solitude] Lili et Jo

Pour le développement de vos jeux ou pour discuter de théorie

[Island in a Sea of Solitude] Lili et Jo

Message par Morgane » 29 Mars 2015, 20:40

Bonsoir à vous,

Cette semaine, Steve et moi-même avons testé le nouveau jeu de Ben Lehman : Island in a Sea of Solitude.
Il s'agit d'un jeu freeform (mais avec Steve aux manettes, vous l'aurez déjà deviné !) pour deux joueurs.

Description du jeu :

Après un accident, ou une maladie, l'être que vous aimiez est mort. Mais au milieu du chagrin, un réconfort : ils l'ont rappelé et ont accepté de vous laisser lui parler une dernière fois, pour résoudre les ultimes questions, les non-dits restés en suspend, ou déclarer votre amour. Le rappel coûte évidemment excessivement cher et votre assurance a accepté de vous accorder 30 minutes, ce qui est une chance inestimable.

2 joueurs : l'un interprète le vivant, l'autre le décédé. (notez que le jeu permet d'ajouter un troisième joueur pour un deuxième vivant)
Toute la partie doit idéalement se passer par video-chat. Nous avons donc utilisé Hangout pour l'occasion.

Les personnages :
Nous avons choisi d'interprété Johan et Adelaïde, qui sont faux-jumeaux et qui ont la trentaine. Adélaïde est décédée récemment. Ce sera mon rôle, à Steve reviendra celui de Johan, toujours en vie.
D'un commun accord, la cause du décès d'Adélaïde est inconnue de Johan.

Nous n'avons pas besoin de décider de plus de chose entre nous. Le jeu nous demande de nous isoler 20 minutes avant de jouer afin de décider chacun de notre côté de ce qu'à été la relation entre nos deux personnages.

Adélaïde :
Durant ces 20 minutes, j'ai décidé qu'Adélaïde était morte dans un accident de voiture en revenant d'une soirée où elle avait abusé de la drogue. Il me semblait intéressants que ces jumeaux, très attachés l'un à l'autre, aient été séparés au moment fatidique des études supérieures et du symbolique "passage à l'âge adulte", et que Lili soit partie en vrille petit à petit.
On verra que ce postulat de base a été amendé au fil de la partie avec les paroles de Johan.

Les règles me demandaient de choisir 3 souvenirs :
- Les lumières dansantes qui tournent et filent comme des étoiles
- Une injustice tenace, la sensation d'être laissée de côté au moment fatidique des études supérieures "Lui devant les résultats du concours qui devait nous mener dans la même école".
- Deux ombres d'enfants qui se mêlent sous un grand soleil pour n'en former plus qu'une seule et unique, indistincte, assorti d'un immense sentiment de joie.

Au delà de ces quelques informations, les règles précisent que tous les souvenirs du décédé sont altérés, flous, et que même sa conscience du monde est très partielle. Le seul sentiment véritablement tenace qui lui reste est l'importance du lien qui l'unissait au vivant, et la volonté d’apaiser ce dernier avant que le temps imparti soit révolu.
Conscience GNistique oblige, j'ai mis la pièce dans le noir, allumé quelques bougies sur le bureau et lancé une musique d'ambiance en fond avant de relancer le chat vidéo. Le jeu est clair : "au bout de trente minutes, coupez la vidéo et mourrez."

A peine le temps de dire...
Durant les 30 minutes de leur ultime entretien, Lili et Jo vont finalement échanger des banalités touchantes. Jo refuse d'évoquer le décès de sa sœur, mais il voulait s'excuser : ébranlé par leur enfance en famille d'accueil, devenu mauvais garçon, il a fait quelques gardes à vue et n'a plus donné signe de vie véritablement. Il n'y avait que Noël pour réunir la fraternité séparée par le temps.
Il s'en veut de n'avoir pas trouvé le courage d'aller voir sa sœur à l'hôpital et voilà qu'elle est morte.

La conscience de Lili est bouleversée par le processus : elle n'a pas conscience de son véritable état, tout au plus ne sent elle qu'un froid de plus en plus tenace. Ses souveirs confus se mélangent sans égard pour le temps : les études d'art, leur chatte Misty qui se sauvait toujours de chez eux, les factures non payées, les excès de dope et d'alcool pour tenter d'atteindre son frère dans son côté bad boy.

Plus Johan évoque l’hôpital, la mort de Lili, et son chagrin, plus Lili se souvient. La voiture. Eric qui a trop bu et elle aussi. La sensation d'avoir son frère à ses côtés dans le véhicule. Ils se disent qu'ils s'aiment, Jo joue le jeu, ils évoquent le prochain Noël, puis "Attention Eric, le camion !". Et fin.

Retour :

C'est très difficile de vous parler du maelstrom de cette partie parce qu'il n'y a rien de notable dans les situations évoquées. Mais émotionnellement, belle aventure !
Le jeu a été probablement écrit pour des personnages en couple (la question des enfants, des dettes, des procédures légales, est mentionnée dans les règles) mais je ne suis pas à l'aise pour jouer ce genre de relation. Le jeu marche néanmoins très bien aussi avec une relation type frère/sœur comme ici.

J'ai eu un souci majeur avec le jeu : les règles présentent véritablement le décédé comme quasi amnésique. Afin, bien sûr, d'empêcher deux situations complètement différentes de se catapulter et de faire capoter le jeu.
Mais je n'aime guère ce procédé de l'amnésie parce que je le trouve très creux. Mon expérience de GN m'a conforté dans l'idée que ce n'est pas une posture confortable, ni même dynamique pour un joueur. J'ai donc amendé cette situation de départ en donnant plus de souvenirs à Lili au fur et à mesure du jeu, comme si la présence de Jo la ramenait chez les vivants.

Le chat vidéo est un sacré dispositif ! Contrairement à Amid Endless Quiet, toujours de Ben Lehman, je n'avais pas du tout la sensation de faire de la représentation pour plaire au groupe. Je retrouvais la simplicité instantanée qu'on a dans le GN, très intimiste, très directe.

Je crois que selon les joueurs, une partie de IIASOS peut être aussi bien leadée par le vivant que par le décédé, même si c'est le vivant qui a finalement le dernier mot.
Du coup, notre équilibre a fait que j'ai peut-être plus réfléchi au timing des informations, à quelques effets de style comme la dernière phrase qui révèle la cause du décès à Jo, etc. Néanmoins je n'avais rien prévu et j'ai tout improvisé au feeling.

Conclusion :

J'adore ces jeux à deux, où par une alchimie étrange, toutes ces petites évocations très basiques deviennent des magies de symbolisme. Le chat qui fuit, revient et n'en ait qu'à sa tête est devenue une métaphore filée de la relation entre Jo et Lili. Noël, cette convention sociale sans aucun sens prend soudain une proportion nostalgique énorme. 30 minutes, cela me paraissait vraiment très long à la lecture, presque inatteignable, et finalement elles sont passées très bien. On aurait pu arrêter un peu avant, mais j'ai trouvé les derniers silences gênants vraiment très beaux et lourds d'émotions.

Le dispositif chat-vidéo est vraiment intéressant. J'ai toujours trouvé que les logiciels avaient le défaut de présenter une miniature de vous-même dans un coin du cadre, et qu'elle capte narcissiquement l'attention quand on parle. Du coup, je me suis forcée à regarder Steve "dans les yeux", c'est à dire qu'il n'a été pour moi que la petite lumière blanche de ma webcam tout le long de la partie. C'est assez fort et très perturbant.

Je ne sais pas si je referais cent parties d'IIASOS mais j'ai vraiment beaucoup aimé celle-ci, notamment parce qu'elle libère -paradoxalement- du biais de la représentation. J'avais peur que cet effet vidéo ne me gène (et les 2 premières minutes sont assez bizarres, on se demande ce qu'on fout là...) mais le résultat m'a carrément rassuré.
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Re: [Island in a Sea of Solitude] Lili et Jo

Message par Arjuna Khan (Fabric) » 29 Mars 2015, 22:04

Concept diablement intéressant, merci beaucoup pour ce cr. Le jeu donne t-il des exemples de ce que doit être une partie ? Ce que sont censé se dire les personnages ?

Je m'interroge aussi pas mal sur le jeu du mort. Qu'est-ce qu'on joue exactement ? Une réminiscence, un souvenir, une personne du royaume des morts ? A t-il froid ? Est-il perdu ? A t-il mal ? Ce sont des aspects qui me semble intéressant en terme de jeu et je serais curieux de savoir si le jeu l'évoque.
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Re: [Island in a Sea of Solitude] Lili et Jo

Message par Morgane » 29 Mars 2015, 22:22

Le jeu est pour le moins laconique, car les règles tiennent sur trois petites pages : une de présentation générale et une pour chaque rôle.
Pas de partie-type, ni d'indications détaillées sur les propos à tenir. Tout au plus suggère-t-il quelques sujets comme les enfants à charge, les regrets, les questions juridiques ou les derniers mots d'amour.

Visiblement, le mort se joue lui-même juste avant de trépasser définitivement (bien qu'il soit mort déjà). Où est-il ? Que ressent-il du temps ou de l'espace ? Souffre-t-il ? On ne te dit rien là-dessus. Aucun de ces points n'est clairement défini. Tout est très laconique et c'est assez perturbant à la lecture. Juste un vague paragraphe pour te dire que finalement, il ne te reste pas grand chose de viable.
(d'où ma remarque sur l'amnésie)
J'ai construis la situation de Lili de toute pièce : elle entend Jo mais ne le voit pas (joue-t-il à cache-cache ?), elle a de plus en plus froid (ont-ils finalement coupé le chauffage parce qu'elle a encore oublié de payer sa facture ?), elle ne sait-pas quand elle se situe (jeudi... jour du cours de dessin, non ?) ni où (il fait gris puis elle est dans la voiture avec Jo et Eric à la toute fin)

Le fait que Lili se souvienne de plus en plus de la cause de la situation lorsque Jo en parle n'est pas du tout une technique donnée dans les règles. J'ai improvisé ça au pied levé durant le jeu .J'ai exploité ces blancs à ma guise, et je crois que c'est ce que le jeu attend de ses joueurs mais il ne le leur dit jamais.
Et il n'est pas plus loquaces en ce qui concerne le vivant. Steve parlera de son versant du jeu quand il passera par là.
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Re: [Island in a Sea of Solitude] Lili et Jo

Message par Fabien | L'Alcyon » 31 Mars 2015, 18:37

Super, rapport de partie vraiment intéressant.

Je trouve qu'effectivement il y a une voie à explorer dans les jeux à deux. Pour le moment c'est surtout des jeux très orientés one-shot, même s'il y a souvent des possibilités de jouer en campagne (S/Lay w/Me de Ron Edwards notamment). C'est à la fois intense et épuisant ! Bref, je suis curieux de voir ce qui se fera dans ce sens-là les prochaines années.

Je trouve également que l'utilisation de l'amnésie est devenu une faiblesse pour un jdr. C'est terriblement pratique, mais c'est tellement utilisé que ça tourne au cliché et ça empêche de construire le personnage à l'avance. Bref, je crois que si on veut faire appel à cela, il faut bien travailler le mécanisme et sa justification.
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Re: [Island in a Sea of Solitude] Lili et Jo

Message par Steve J » 03 Avr 2015, 16:30

Merci à toi Morgane pour avoir ouvert ce sujet. Je vais pouvoir en repartir pour discuter de point précis.
Je commence quand même à combler les trous et parlant de mon rôle dans l'affaire.

Ma préparation
Après avoir décidé de notre relation et de quelques infos sur nos personnages (nous savions que nous étions frères et sœur, avions la trentaine passée et nos prénoms) le jeu demande une phase de préparation d'une vingtaine de minutes avant l'appel (que l'endeuillé initie).
On est sensé réfléchir aux sentiments que nous évoque le défunt et préparer, ou non, ce que l'on souhaite lui dire. Je l'ai pris comme une invitation a créer moi-même pas mal d'éléments de l'intrigue (c'est sans doute ce que Ben Lehman avait en tête en faisant du personnage du défunt une entités amnésique).
Je décidais donc que nos chemins s'étaient séparés, que je ne revoyais ma sœur qu'aux repas de noël (j'organisais moi même cet éloignement dont je souffrais pourtant), que nous sommes orphelins très tôt transféré de familles d'accueil en famille d'accueil (seule restait notre tante) et que j'étais devenu le paumé de la fratrie ce qui m'avait séparé de Lili la fille sage de la famille.
Au moment de créer nos personnages, nous avions décidé de ne pas arrêté la cause du décès de Lili mais Morgane m'avait dit "j'ai une idée". J'ai donc décidé de ne pas réfléchir à la question préalablement même si je partais du principe que je n'étais pas allé la voir à l’hôpital avant sa mort.

L'aspect freeform
Il y a en fait deux définitions du terme "freeform".
Celle que Thomas Munier utilise : jeux qui n'ajoute pas de systèmes de résolution.
Celle que j'utilise : jeux semi-GN qui explorent la frontière entre les deux loisirs. Définition qui, en général, englobe celle de Thomas : puisque nous agissons physiquement comme le font nos personnages il n'est pas nécessaire de se préoccuper de question de résolution. Le jeu n'ayant pas de conflit physique il n'est pas nécessaire de savoir si une action réussie : si je dis un truc mon personnage le dit, si Morgane fait un geste son personnage le fait...etc.

Il y a du coup deux choses à en dire :
1) Le JDR n'a pas besoin de mécaniser le conflit pour faire naître des enjeux (la question se savoir dans quel état mon personnage allait sortir de cette conversation était un enjeu très important pour moi, de même je me préoccupais de l'image que Lili aurait de mon personnage).
2) Le fait d'introduire des éléments du GN, même minimalistes, est utile au JDR.
Le JDR est aussi un dispositif, ce n'est pas la même chose de jouer autour d'une table, assis sur son lit, sur le sol...etc. C'est un élément dont j'étais déjà persuadé en jouant à Polaris (le fait d'allumer et d'éteindre une bougie en prononçant des phrases clefs créé une ambiance) ou à WITNESS THE MURDER OF YOUR FATHER AND BE ASHAMED, YOUNG PRINCE (qui impose aux joueurs de prononcer des phrases clefs lors de leur intervention ce qui créé une ambiance presque aussi cool que le nom du jeu).

Dans le cas de notre partie le dispositif a fonctionné à merveille.
Avant la partie nous avions commencé, Morgane et moi à discuter ensemble (et oui nous ne sommes pas des purs homo rôlisticus ("On parle, on joue après !"). J'ai donc replacé le visage de Morgane dans ma mémoire immédiate et me suis fait une image de son salon.
Nous avons ensuite arrêté notre conversation pendant les 20 minutes de préparations. J'avoue que je n'ai pas fait grand chose pendant ce temps si ce n'est me dire qu'on risquait de bien se faire chier pendant notre entretien de 30 minutes. Je n'y croyais donc pas trop au moment de lancer la conversation.

Je propose un appel.
Morgane ne répond pas immédiatement.
Je relance.
Elle ne répond pas.
Légère inquiétude de mon côté, j'entre peu à peu dans la partie.

Finalement son visage apparait. Elle a plongé son salon dans le noir, a mis une légère musique d'ambiance et du mascara sur ses yeux. Ce n'est sans doute pas grand chose mais le contraste produit un fort effet sur moi.

Rien que sur ces quelques éléments le dispositif fonctionne. La partie serait très différente si nous étions dans la même pièce.

Posture de personnage
Il y a une expression de Ron Edwards que je n'aime pas beaucoup : "Posture d'Acteur" qui désigne le fait de prendre le décision pour son personnage uniquement à partir des connaissances et de la perception qu'on lui suppose.
Ron Edwards n'a sans doute jamais fait de théâtre parce qu'être acteur, qu'on fasse de l'impro ou non, c'est d'abord être dans une optique de représentation. On ne se met pas, ou peu, dans la peau du personnage mais dans celle du public (parlons de "Posture d'Acteur Dramatique").

Je rejoins Morgane qui dit ça
Contrairement à Amid Endless Quiet, toujours de Ben Lehman, je n'avais pas du tout la sensation de faire de la représentation pour plaire au groupe. Je retrouvais la simplicité instantanée qu'on a dans le GN, très intimiste, très directe.

Avec un exemple très précis : le fait que mon personnage refuse de dire frontalement à Lili qu'elle est morte.

Dans un pur raisonnement d'acteur j'ai rapidement envisagé de jouer un petit peu atour de ce refus de verbaliser la mort avant de craquer et de lâcher un "mais parce que tu es morte !!!!" qui aurait sans doute créé l'émotion. J'en étais déjà à me poser la question du ton de ma réplique. Allais-je hurler "MAIS TU ES MORTE LILIIIIIIIIIIIII !!!!!" en arrachant ma chemise ? Allais-je laisser échapper ces mots douloureux entre deux sanglots ("Mais mais tu esmorte") ?
Bref l'examen d'entrée au cours Simon était à ma portée.

Mais finalement, il s'est avéré qu'il me semblait difficile de dire ces mots sans forcer. Mon identification au personnage et mon empathie avec lui m'éloignait de la Posture d'Acteur Dramatique. Et ça c'était chouette.

Immersion couch ?
Bon le titre de ma partie est une private joke qu'il va me falloir expliquer.
Lors de ma visite à la convention Ludesco j'ai croisé l'excellent Thomas B. qui tient un excellent blog sur le Grandeur Nature et y connait un rayon.

Nous avons discuté de la question de l'émotion et de l'immersion. Et il m’apprenait qu'un théoricien nordique de la discipline parlait de son expérience dans l'immersion closet.
Il s'était enfermé dans un placard pendant deux heures pour chercher à ressentir des émotions. Il en était ressorti en larmes mais heureux.
On peut penser que cette expérience n'aurait pas d'application pratique mais, au contraire, ce théoricien partait régulièrement s'isoler, seul, pendant les GN dans le but de ressentir les émotions de son personnage.

A cette pratique solitaire s'oppose une logique peut-être plus française où, quand son personnage ressent des émotions, on va chercher à les jouer devant les autres participants ou au moins à les vivre collectivement. Quitte, sans doute, à ce que les émotions soient moins intenses.
Je ne cacherai pas ma préférence pour cette deuxième école. J'apprécie l'idée d'être triste/heureux/en colère lors d'une partie de JDR mais au fond, si je jugeai la qualité de mes parties à l'intensité de mes émotions lors de la partie, il y a longtemps que j'aurai arrêté le JDR pour me consacrer exclusivement à des médias comme le cinéma.

J'ai l'impression que, sans doute par son ambition très modeste, IIASOS arrive à réconcilier les deux écoles. J'ai été ému jusqu'à en avoir les larmes aux yeux par la partie (ce qui m'arrive très souvent devant un film mais presque jamais en JDR) mais, en même temps, nous construisions une histoire collective (nous n'étions certes que deux). Assis sur mon immersion couch j'étais touché par la partie sans pour autant sacrifier l'aspect collectif du JDR.
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Re: [Island in a Sea of Solitude] Lili et Jo

Message par Thomas Munier » 03 Avr 2015, 20:10

Tu parles de la posture d'acteur, et dis que tu ne t'y reconnais pas. Mais ta façon de jouer, en immersion dans le personnage, rappelle en fait les techniques de l'Actor's Studio. Je les caricature sans doute, mais elles consistent en partie à s'identifier au personnage pour le jouer en vérité, et non en représentation. L'objet de mon message n'est pas de savoir si je comprends ou non comment fonctionne l'Actor's Studio (c'est sûrement plus nuancé que ça), mais de comprendre de quelle façon tu as joué et comment çà t'a permis d'accéder à l'émotion.

Pour le pinaillage, ma définition du freeform structuré, que je tire de cet article et que je réinterprète peut-être à ma sauce, est plutôt actuellement "un jeu freeform est un jeu où les chiffres et le hasard prennent le moins de place possible". ça n'implique pas forcément l'absence d'un système de résolution. En stade où j'en suis de mes réflexion, les mécaniques de résolutions (qui peuvent être sans chiffre et sans dé) me paraissent encore nécessaires pour jouer en confiance dans un jeu où il y a de la combativité (ce qu'il n'y a ni dans IIASOS, ni dans Les Petites Choses Oubliées, si on exclut du registre de la combativité le fait de défendre l'image de son personnage).

Pour le freeform dont tu parles, j'apprécie le terme american freeform théorisée par Lizzie Stark, qui permet de bien le distinguer (même si je suis d'accord quand tu dis que l'american freeform, c'est du structured freeform + du GN). Lizzie recense d'ailleurs un certain nombre de jeux qui ont testés sur ce forum (comme Amidst Endless Quiet, du même Ben Lehman)
Énergie créative. Univers artisanaux.
http://outsider.rolepod.net/
Thomas Munier
 
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Re: [Island in a Sea of Solitude] Lili et Jo

Message par Schultz (Jérôme S.) » 06 Avr 2015, 17:33

Super cool ce rapport de partie ! Ça donne envie.
Je trouve que la solution des souvenirs qui reviennent au fur et à mesure est une solution élégante aux soucis que peuvent poser l'amnésie du défunt.
Question : le jeu implique-t-il de jouer via webcam, ou un format "audio seulement" peut-il suffire ? Et si le jeu demande explicitement de la vidéo, explique-t-il en quoi ce "format" est important ?
Podcasts amateurs et pleins de spoilers sur Sens : http://desrolistesdanslacave.fr/
Schultz (Jérôme S.)
 
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Re: [Island in a Sea of Solitude] Lili et Jo

Message par Steve J » 07 Avr 2015, 17:29

Étant très peu présent sur internet ces derniers temps je réponds très lentement...

@Thomas : Il me semble que l'Actor Studio, qui est bien une méthode d'apprentissage des arts dramatiques, est une méthode incomplète. Elle prône bien l'identification de l'acteur avec son personnage mais elle n’inclue pas le travail technique lié à la représentation (placement vis à vis du public/ de la caméra, déplacements,...).
De ma (très modeste) expérience de la scène (et pour en avoir discuté avec des acteurs, notamment d'impro) j'ai l'impression que le travail d'acteur nécessite un travail technique et donc distancié de son personnage. Cet aspect technique je l'avais fortement ressenti en testant Amidst Endless Quiet et il me semblait que la distinction "Acteur"/"Auteur" effectuée par Ron Edwards ne permettait pas de mettre des mots sur cette pratique.

@Jérôme : Le (très court) PDF du jeu précise que le jeu est idéalement fait pour être joué par chat vidéo (sans le justifier). On pourrait effectivement considérer que l'alternative la plus naturelle serait d'y jouer uniquement avec le son (plus que d'y jouer "sur table").
Steve J
 
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