[Agence Spéciale] questionnements

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[Agence Spéciale] questionnements

Message par shlopoto » 18 Sep 2015, 03:07

Salut !

C'est mon premier message ici donc, d'abord, bonjour à tous. Vous avez peut-être lu certains de mes messages sur silentdrift, j'ai notamment présenté un jeu dont le nom, temporaire mais qui dure depuis des années, est Agence Spéciale. Depuis cette présentation le jeu a dormi quelque temps, puis j'y ai pas mal joué depuis un an et il a été amélioré sur une somme de détails. Vu de dehors il doit sembler identique, mais pour moi il a beaucoup gagné.

Le jeu
D'abord je refais une présentation, rapide. Pour une version plus complète (mais parfois désuète), je vous conseille d'aller voir sur silentdrift. C'est un jeu dans lequel on joue des personnages dont on ne connaît pour ainsi dire rien, initialement. Ils travaillent pour une agence dont on ne sait rien non plus, dont les buts et motivations sont inconnues. Des « clients » contactent l'agence pour demander des services, sous forme de missions atypiques (voire iconoclastes). Ces missions sont souvent sans queue ni tête, parfois même sans difficulté. Le but réel du jeu est de découvrir, dans un premier temps, ce dont sont capables les personnages et, dans un second temps, pourquoi ils en sont capables. Ça commence parfaitement ancré dans notre époque, (sur)réaliste à souhait, mais petit à petit l'univers peut déraper dans une direction ou une autre jusqu'à, si besoin, briser complètement les barrières de la réalité telle qu'on la connaît. Tout est improvisé, tout le monde arrive les mains dans les poches, on joue sans aucune préparation.

Je vais faire un rapport de « campagne » plutôt que de partie, car c'est à présent sur le jeu à long terme que je travaille. Mais je m'interroge aussi sur le concept de l'agence, car je m'intéresse avant tout au développement des personnages, et cette agence mystérieuse est finalement assez gênante car elle détourne les joueurs de l'objectif réel. Le développement des personnages et les mécaniques de jeu liées à ce développement sont au point, d'après moi, et d'une simplicité trompeuse.

Une campagne, en bref
C'est une campagne avec trois PJ : madame Artichal, monsieur Silverking et monsieur Riboux. On ne connaît que leur nom de famille et leur apparence. Rapidement on découvre aussi leurs manies, leur façon de s'occuper dans les intervalles, parfois longs, entre deux missions. L'un a son bureau rempli d'écrans et surveille toute la ville, l'autre lit des comics à longueur de journée, l'autre récure sa pipe avec acharnement. Ils ont été recrutés par madame Field, pour sa mystérieuse agence rue de Rivoli à Paris. Les missions s'enchaînent à un rythme très irrégulier et sont parfois sans aucun intérêt visible, parfois absurdes : photographier une voiture à la fourrière, voler le slip d'un acteur célèbre (sans le remettre à qui que ce soit), faire exploser un gâteau d'anniversaire dans un jardin public, capturer un animal disparu… Au cours de ces missions, les PJ montrent qu'ils ont certaines capacités, relations ou connaissances. Monsieur Silverking s'avère être pote avec de nombreuses stars d'Hollywood, monsieur Riboux fait très bien la cuisine, madame Artichal dispose de nombreux gadgets électroniques, par exemple une araignée télécommandée.

Petit à petit ils prennent conscience de phénomènes récurrents. Par exemple à plusieurs reprises ils croisent des humains avec une force surhumaine, puis découvrent que certains sont des androïdes, et que beaucoup d'animaux sont eux aussi des androïdes. Même leur patronne, madame Field, semble être un robot. Tous ces robots ont des pièces signées Mitsubishi ou Peugeot. En parallèle, ils apprennent que Georges Lucas a voyagé sur d'autres planètes, qu'il existe d'autres races, des vaisseaux, un phénomène identique à la Force, etc. Plus tard ils se lancent à la recherche d'une femme qui a été enlevée, pour constater qu'elle a été conduite sur une planète pour que des milliers d'androïdes à son image soient construits, à la chaîne, dans une usine Peugot. Au cours de ces aventures, on a appris que madame Artichal avait travaillé à la CIA, que monsieur Riboux est né il y a plusieurs siècles, que monsieur Silverking était une ancienne star des séries TV américaines, et qu'il possède la Force. J'en oublie et des meilleures. On en est à peu près là pour l'instant.

Un autre groupe de joueurs, sur une autre campagne, est aux prises avec des voyageurs dimensionnels et des sumos adorateurs d'une divinité consacrée aux trous… Chaque groupe part dans des directions différentes.

Observations
Et voici quelques observations. D'abord c'est drôle, les joueurs adorent. Les missions les font toujours halluciner. Le mécanisme de développement des personnages, comme indiqué plus haut, fonctionne très bien. J'ai résolu un des problèmes dont je parlais sur silentdrift, sur la vie des personnages en-dehors du travail et sur les révélations entre eux quant à leur identité. Mais les joueurs sont aussi très curieux et se lassent quand l'intrigue piétine. Ils veulent en savoir plus sur l'agence, sur leur patronne, sur son rapport avec les fabricants de robots, sur le lien avec la planète où ils sont fabriqués en masse, etc. Ils ont l'impression, assez justifiée, que ça n'a pas de fin et qu'ils n'auront jamais les réponses.

De mon côté je suis en train de mettre en place des mécanismes pour permettre de faire des petites campagnes à thème. À l'issue de chaque campagne, qui dure de dix à vingt heures, on décide si on veut se lancer dans une nouvelle campagne (éventuellement en faisant tourner le rôle de MJ) ou en rester là. Ou simplement faire une pause. C'est très similaire au concept de saisons dans Monsterhearts. Pour chaque campagne je dois trouver un thème. Initialement je n'ai rien en tête mais, les missions s'enchaînant, je trouve un truc récurrent entre certaines d'entre elles, je décide de les relier et j'invente une sorte de grand secret. Ensuite j'ai une simple échelle de un à dix, considérant que chaque nouvelle mission sur ce thème fait avancer d'un échelon, et qu'à dix les joueurs sont censés avoir le fin mot de l'histoire. Dans l'exemple ci-dessus, les androïdes sont un thème, le pseudo Star Wars en est un autre. Ce n'est que récemment que j'ai décidé de n'aborder qu'un seul thème à la fois, dans la campagne c'est encore entremêlé mais c'est trop confus pour les joueurs. Dans le futur, j'envisage que les nouveaux thèmes s'ajoutent un par un à ce qui a été dit, englobant les thèmes précédents pour apporter une nouvelle lecture, une nouvelle profondeur.

Je n'envisage pas d'apporter de réponses sur l'agence elle-même, bien qu'elle puisse tisser des liens avec certains des thèmes. D'une part parce que je n'ai pas ces réponses, d'autre part parce que certains joueurs apprécient le mystère planant autour de l'agence et ne souhaitent pas briser la magie.

La suite…
Ai-je besoin de votre aide ? Je ne sais pas, peut-être que j'écris seulement comme on réfléchit à haute voix. Si je trouve des échos ici, je serai tout ouïe. =) Voici mes interrogations à cette étape du projet :

a. En ce moment je me demande si je dois garder ce concept d'agence, si je ne dois pas le remplacer par une agence de détectives plus conventionnelle, dont le seul mystère serait de savoir pourquoi ils ne récoltent que des missions débiles. Un peu comme on se demande pourquoi Al Amarja, l'île du jeu Conspirations, attire tous les phénomènes bizarres. Les joueurs qui connaissent déjà le jeu sont attachés au concept de cette agence, en soit ça me dit qu'il y a un truc à garder, et en même temps ça fout un peu la zone dans ce qui moi m'intéresse de montrer dans le jeu.

b. Sur les thèmes et la fin du jeu, l'idée est bien sur papier mais je dois tester encore et encore pour la valider, ça prend du temps mais on y arrive. En pratique j'ai observé qu'il était difficile de conclure de façon intéressante un thème. Imaginons que le secret du thème des androïdes soit : Dieu est fatigué/a perdu son pouvoir de création et fait maintenant appel à des constructeurs pour créer la vie. Quand les joueurs découvrent ça il se passe quoi, au juste ? Ce n'est pas une fin en soit : ils s'attendent probablement à rétablir ou modifier la situation. J'ai l'impression qu'un thème doit induire une résolution, pourtant à aucun moment il n'est dit que les PJ sont des héros qui doivent sauver le monde ou je-ne-sais quoi. Peut-être qu'un thème ne doit pas cacher un secret mais un problème à résoudre.

c. Les mécanismes du jeu sont atypiques mais restent comparables à ce qui se faisait « à l'ancienne » : les conséquences de l'échec ne sont pas explicites ; certains jets semblent pouvoir être refaits à l'envie ; le MJ n'a pas de directive super claire, à la Apocalypse World, sur ce qu'il peut ou ne peut pas faire ; les indications de durée pour les missions (de cinq à vingt-cinq minutes) ne sont pas particulièrement soutenues par les mécanismes du jeu, c'est juste un objectif pour le MJ ; il y a encore probablement trop d'attente sur l'expérience du MJ, il n'est pas pris par la main. Je ne veux pas faire un jeu « moderne » à tout prix, mais je veux prendre le temps de méditer sur certaines remises en cause des mécanismes précités, et les alternatives possibles, pour voir s'il y a mieux à faire que de foncer dans un schéma classique. C'est quelque chose que je regrette de ne pas avoir fait sur mon jeu précédent, Pirates!.

d. Un des groupes commence à partir dans l'espace. Je m'aperçois que ça ne me plaît pas trop car la bizarrerie de l'agence et des missions fonctionne surtout quand elle est calquée sur notre monde. Si on change complètement de monde, on sort du cadre qui donne toute une saveur au jeu. Donc, même si je n'envisage pas de limiter les directions prises par la fiction, il faut d'une façon ou d'une autre prévenir le MJ (ou les joueurs) que l'action doit rester centrée sur notre monde. Ou simplement les inciter à y rester.


Voilà. Si vous avez tout lu, je vous remercie, et si vous avez des remarques, je suis preneur. Il est possible que je sois trop évasif sur certains sujets, posez-moi des questions si c'est le cas. Pour les plus curieux, j'ai fait une sorte de kit de démo il y a quelques mois, je dois le mettre à jour et ensuite je pourrai vous le partager, si vous voulez plonger le nez dans les règles du jeu. Vous serez peut-être déçus de voir à quel point c'est court, pourtant j'ai pu vérifier que c'était suffisant pour qu'une autre table puisse jouer sans mon aide et produire des parties ayant la même saveur que celles à ma table : que demander de plus ? =)

s.
shlopoto
 
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Re: [Agence Spéciale] questionnements

Message par Thomas Munier » 18 Sep 2015, 10:38

Déjà, ça a l'air complètement barré, mais complètement barré comme j'aime ! Je serais curieux de savoir quelles techniques tu utilises pour improviser des plots aussi space.

A te lire, il me semble que tu estimes que le concept d'agence (qui intéresse tes joueurs, et m'intéresserait moi aussi) détourne l'attention des joueurs sur ce que tu recherches vraiment pour le jeu. Mais je n'arrive pas à comprendre ce que tu recherches, justement. Tu parles de développer les relations entre les personnages, mais ça m'est un peu vague. peux-tu développer ?
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Re: [Agence Spéciale] questionnements

Message par shlopoto » 18 Sep 2015, 16:35

Les plots improvisés, c'est assez facile si tu prends le temps d'y réfléchir entre deux séances. Pour commencer tu balances tout ce qui te passe par la tête, sans te censurer, comme tu le ferais en théâtre d'improvisation. Il n'y a (initialement) pas d'objectif de cohérence entre les missions. Par contre il faut prendre des notes, même succinctes, sur chaque mission ; souvent quelques mots en vrac suffisent, en plus de garder l'énoncé : force, androïdes, Peugeot, Neuilly, gâteau explosé, Josiane Soulban. Ensuite quand tu as déjà enquillé quelques missions, tu prends le temps de réfléchir entre deux séances, comme tu le ferais après la première partie d'Apocalypse World. Là je vais citer Andreas, le créateur de la BD Rork : « L'important n'est pas de tout prévoir, mais de ne rien oublier. » C'est aussi ce qui se passe en théâtre d'improvisation : on réinjecte des trucs qui ont été dits, et le public a l'impression que tout était prévu. L'important c'est de le faire avec aplomb, en assumant. Si tu sembles y croire, alors le public y croit.

Sur les missions elles-mêmes, j'utilise pour l'instant un lancer de dé qui va m'indiquer si la mission sera banale ou « bizarre », et également si elle sera entravée. Pour une mission banale, j'imagine simplement une activité sans intérêt mais qui peut présenter quelques obstacles, comme : « Aller photographier la R16 de monsieur Ramassamy à la fourrière. » Pour une mission « bizarre », j'essaye d'introduire, soit dans l'énoncé de la mission (« ramener un dodo »), soit au cours de son déroulement (« l'homme qui vous ouvre la porte a une tête de mouche »), un élément qui sera « un pas plus loin » par rapport à ce que l'on a déjà vu dans la fiction. Un pas plus loin, ça veut dire qu'on ne passe pas directement de notre monde réel à une invasion extra-terrestre, mais qu'on va commencer par leur faire rencontrer, disons, une technologie étrange ou des restes non humains. Enfin, si le dé m'indique que la mission sera entravée, je vais chercher dans les missions passées, dans les thèmes ou dans ce que l'on sait des PJ pour voir s'il y a des anciens adversaires qui pourraient refaire surface, pour créer des rebondissements imprévus. Une fois qu'un thème est défini, les missions « bizarres » (soit 50 % d'entre elles en moyenne) devront faire avancer le thème, donc l'élément bizarre sera une révélation allant dans la direction du thème. Dans tous les cas, quand j'invente un énoncé de mission, je cherche à obtenir la réaction what the fuck? chez les joueurs ; si j'ai l'impression qu'ils ne réagiront pas à l'énoncé, c'est qu'il n'est pas prêt.

J'avais un générateur plus complexe qui proposait des bouts de phrases pour aider à la création, mais en l'utilisant je finissais par tourner en rond. Je pense que donner quelques dizaines d'énoncés en guise d'exemples sera suffisant. Le seul lancer aléatoire restant permet de gérer le rythme de progression du thème et l'alternance des missions bizarres et des missions banales.


Quant à l'agence, c'est plus compliqué à expliquer, je vais peut-être être incohérent. Autant avec Pirates! je voulais avant tout faire marrer les joueurs, autant ici la priorité est de titiller leur curiosité, jusqu'à la torture. Ce n'est tolérable que si des réponses finissent par être apportées, mais apporter des réponses sur l'agence va donner le sentiment que la campagne est terminée, pour de bon. Je ne sais plus trop pourquoi j'ai inventé cette histoire d'agence mystérieuse, mais c'était en bonne partie pour avoir certains garde-fous à cause des possibilités énormes qui sont données aux joueurs. Aujourd'hui j'ai l'impression d'avoir été trop frileux et que cette agence, finalement assez contraignante (elle impose un ton sérieux, une culture du secret et une certaine soumission au patron) n'est plus une nécessité. Elle est simplement supposée être un point de départ et un prétexte : un second rôle. Au début du jeu il y a des zones d'ombres sur les PJ mais, par contraste et pour avoir un peu de solide à se mettre sous la dent, je préférerais que l'agence, leur point de départ, soit plus définie.

L'attachement des joueurs à l'agence est en partie sentimental, en partie par « inertie ». Maintenant qu'ils ont mis le doigt dedans, qu'ils se posent des questions, il est difficile de fermer cette porte. Mais un joueur qui n'en aura jamais entendu parler n'aura aucun problème à accepter un autre setting, et je n'ai pas d'inquiétude sur ma capacité à produire un autre setting qui soit agréable tout en n'ayant pas, contrairement à l'actuel, le défaut de voler la vedette.

s.
shlopoto
 
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