[Dog eat dog] machine à saucisse?

Pour le développement de vos jeux ou pour discuter de théorie

[Dog eat dog] machine à saucisse?

Message par Djinfizz » 05 Oct 2015, 12:59

Bonjour, après une longue période d'inactivité ici, je reviens vous relater un rapport de partie qui nous a laissé perplexe à la tablée. On a fait du jeu de rôle ou pas? pas trop réussi a statuer et après un débat de débrief les avis sont partagés. On a passé un bon moment, c'est certain mais sans avoir eu l'impression de défendre vraiment les intérêts de nos personnages.
Aussi je vous relate ce rapport de partie pour avoir vos retours d'expérience ludiques ou vos impressions sur ce jeu qui me semblait pourtant diablement prometteur. (Pas moyen de trouver d'autres rapports de partie sur le net)

Déjà pour poser le contexte, Dog eat Dog est un jeu à la mécanique simple mais diabolique qui propose d’explorer les conséquences du colonialisme.

Le principe : l’un des joueurs incarne « le colon », il n’est pas MJ mais est un joueur particulier (le jeu demande que ce soit « le plus riche du groupe de joueurs » mais je n’ai pas joué cette règle, elle me plait pas) .Bon déjà rien que ça, ça sent la saucisse. En revanche, tous les autres joueurs incarnent un seul personnage, qui fait partie des « natifs », c’est à dire les indigènes du monde colonisé.

Chaque joueur joue donc le rôle d’un natif avec un trait saillant, qui le distingue du reste du peuple, et qui lui donne une certaine autorité pour influencer l’avenir de son peuple, son histoire.
En début de partie, chaque joueur définit un trait du peuple colon, à tour de rôle ; puis un autre tour de table pour les traits du peuple natif ; voici ce qui en est sorti à notre table :

LE PEUPLE NATIF : (« le peuple des Roches »)
-pratique des rites cannibales
-vénère ses enfants
Est un peuple « minéral »
Creuse des tunnels
Jaloux de ce qu’il possède

LE PEUPLE COLON (« Les hommes libres du christ »)

-prône la non-violence
-est un peuple cupide
-Utilisent des armes biologiques
-Vénère un dieu unique
- a une technologie avancée

Enfin chaque joueur natif décrit son personnage, le rôle qu’il joue dans la communauté et un trait qui le caractérise.
Dans le groupe des natifs nous avons :
Krinska, la sage du village, mère de 6 enfants
Marcel, l’ingénieur fouisseur, géologue confirmé qui trouve les filons
Lang, le Forgeron, fabrique les outils pour le peuple
Xava, Maître excavateur, le plus grand et fort du village, à l’autorité reconnue


Le système de jeu est simple :
Chaque natif dispose de trois tokens
Le colon dispose de 1 token + 2token/natif (ici 9)

La première règle du jeu est la suivante : « le peuple natif est inférieur au peuple colon »

Le premier joueur à gauche du colon commence à raconter une scène qui met en jeu son personnage, puis expose son issue de la scène. Les autres natifs peuvent « entrer dans la scène » mais avec l’accord du colon. Le colon peut s’inviter dans la scène à tout moment, ou forcer un natif à entrer dans la scène.

Si le colon n’intervient pas, la scène se déroule comme telle, le colon défausse un token
Si un ou plusieurs participants de la scène ne sont pas d’accord avec l’issue, il y a un conflit.

Si conflit, on joue une négociation, ou on essaie d’aboutir à un compromis
Si la négociation ne donne rien, on joue la chance (chaque participant au conflit jette 1D6 +1D6 par trait relatif à la scène) celui qui obtient le plus gros score décide de l’issue de la scène.
Si les natifs ne sont pas d’accord, ils peuvent invoquer le décret du colon : le colon décide de l’issue
Si le colon était en scène et que l’issue finale ne lui convient pas, il peut utiliser son pouvoir de décret et décider de l’issue.

Ensuite on passe au jugement : on regarde si les lois ont été respectées, dans leur ordre d’apparition :
Si oui, le colon donne 1 token au natif/règle respectée
Si non, le natif donne 1 token au colon par règle transgressée
Si le colon transgresse une règle, il défausse 1 token /règle transgressée

A l’issue de chaque scène (seulement s’il y a eu conflit dans la scène) une règle nouvelle émerge, qui répond à la question : quel comportement le colon récompense/permet/punit/interdit ?

Un natif qui n’a plus de pièces : il peut peter les plombs (run amok) : il décrit un scène violente à l’issue de laquelle il meurt. Cela lui octroie le pouvoir de décider de l'issue de la scène et fait perdre un token au colon.

Fin de partie :
La partie se termine soit
-quand le colon n’a plus de token
-les natifs n’ont plus de tokens (ont tous pété les plombs
-les natifs ont 6 tokens (assimilation)
Pour des questions de timing, nous avons pour notre part terminé la partie après un tour complet de table.

La partie : (je résume les scènes le plus brièvement possible, sans les fioritures)


Krinska, sage du village, ouvre le bal avec la première scène. L’aieul du village est mort, une fête est organisée en son honneur, le rite veut que tout le monde mange sa chair pour recevoir une part de sa sagesse, mémoire et connaissance. Krinska fait un grand honneur aux colons, en guise de volonté de rapprochement des peuples, en les invitant au banquet. Elle propose comme issue que le peuple colon partage la connaissance et les rites ancestraux. Le colon refuse. Après négociation, le colon laisse faire cette dernière cérémonie mais interdit tout rite cannibale par la suite. Il offense le peuple des Roches, le forgeron s’emporte et méprise le colon. (règle n°2 : le colon interdit les rites du peuple.)

Marcel, chef fouisseur, propose dans sa scène une entente économique entre les deux peuples, en faisant visiter au colon les nombreuses galeries, et une grotte magnifique pleine de cristaux. En issue, il propose l’apport de sa connaissance du terrain et de la géologie, et le colon apporte ses ressources technologiques, le partage serait de 50/50(transgression règle n°1) ; Le colon décide quant à lui de faire de la caverne aux cristaux une église à la gloire du Dieu unique, dans laquelle les enfants du peuple serait éduqués au culte de la vrai foi. Le partenariat économique ne semble pas l’intéresser pour l’instant. Les natifs refusent en bloc. A l’issue du conflit, le compromis trouvé permet aux natifs de garder un contrôle sur les enseignements dispensés par les colons. (règle n°3, le colon récompense l’éducation religieuse). Des natifs perdent des jetons dans ce conflit.

Lang (moi-même) le forgeron est excédé par le comportement des colons. (et le joueur pas satisfait de comment tourne le jeu) Il décide de ne pas envoyer son fils suivre l’éducation religieuse. Mais son fils, parti faire une commission, ne revient pas. Il part à sa recherche, retrouve sa trace et tombe sur un colon caché,en train d’abuser sexuellement de son enfant. Fou de rage, il lui tombe dessus et le bat jusqu’à ce que mort s’ensuive. Bien sûr, le forgeron est maitrisé par les colons, et emprisonné. Lors de son procès, l’issue proposée est : le colon reconnait la faute impardonnable de son compatriote, et le forgeron est relaxé. Le colon décide quant à lui qu’il y a eu faute, certes, mais que le peuple des roches ne peut se rendre justice lui-même et doit s’en remettre à la justice du peuple colon. Lang est donc condamné à mort pour le meurtre d’un colon. Lang qui a pedu tous ses jetons, « pète les plombs » (run amok) ce qui lui autorise selon les règles à mettre sa mort en scène et à décider de l’issue de la scène. Une révolte éclate donc, le forgeron est libéré et dirige la révolte qui se termine dans un bain de sang, dans lequel il perd la vie, la révolte est matée.

Dans la scène suivante, la tension est à son comble entre les deux peuples. Les guerillas urbaines font des morts des deux côtés, mais au désavantage des natifs, bien inférieurs en technologie. Le Chef du peuple (Xava) demande donc officiellement au colon l’autorisation pour le peuple des roches, et sa survie, de quitter sa terre pour aller vivre en paix ailleurs, et laisser le colon s’établir. Le colon refuse cette issue, il décrète un couvre feu, puis décide de parquer le peuple dans un camp pour en garder le contrôle, jusqu'à ce que le peuple natif devienne raisonnable. Le peuple refuse d’être privé de liberté et choisi la mort. L’issue est un bain de sang dans lequel le peuple natif frise l’extermination. Un groupe d’exilés menés par Krinska et Marcel parvient à fuir loin de l’horreur. (Issue décidée par Xava le chef natif lors de la mise en scène de sa mort)
Fin de partie (durée 2h environ)

Après debrief de la partie, l’impression est mitigée. Nous avons plutôt eu l’impression de jouer la destinée d’un peuple plutôt que de défendre l’intérêt de nos personnages. Nous aurions pu dans chaque scène ne mettre en jeu que des PNJ, rien dans les règles n’invite vraiment à mettre le personnage au premier plan des scènes, ni de restrictions sur les PNJ mis en jeu au bon vouloir.
Aussi je demande à profiter de l’expérience des membres des ateliers pour me donner leur impression sur ce jeu, si certains d’entre vous l’ont déjà testé, et si j’ai bien compris et appliqué les règles.

Bien à vous

Greg Djinfizz
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Re: [Dog eat dog] machine à saucisse?

Message par Frédéric » 05 Oct 2015, 22:27

Bonsoir Greg, très intéressant rapport de partie.

J'avoue que j'ai un peu de mal à voir en quoi le jeu ne permet pas de défendre les intérêts de son personnage (mais je ne mets pas en doute tes remarques, j'ai seulement du mal à en comprendre les raisons).

Si vous vous étiez centrés sur les PJ, penses-tu que ça aurait changé votre sentiment ?
Qu'est-ce qui vous en empêchait ?
Frédéric
 
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Re: [Dog eat dog] machine à saucisse?

Message par Djinfizz » 05 Oct 2015, 23:28

Bonsoir Frédéric

Eh bien ce n'est pas tant que le jeu ne permet pas de défendre l'intérêt de son personnage, mais il n'y invite pas non plus. Chaque joueur met en scène son personnage dans une scène sensée orienter l'avenir du peuple colonisé, soit vers l'assimilation, soit (comme dans ce rapport) vers l'extermination. et les références ne manquent pas dans le passé colonial à ces sujets. Du coup, "jouer son personnage" a été plutôt ressenti comme "jouer globalement un meta personnage" c'est à dire le peuple. Dans chaque scène, les personnages parlent au nom du peuple qu'ils représentent, parcequ'ils en sont la voix, mais les joueurs se sentent du coup un peu dépossédés de ce qui fait l' essence personnelle de leur personnage. C'est assez bizarre comme ressenti, parce que dans les scènes, il y a eu du roleplay ou les personnages s'exprimaient personnellement devant le colon. Il ya peut être aussi le fait que j'ai proposé ce jeu à des joueurs qui sont plutôt très (trop?) habitués au jdr traditionnel, et la transition un peu déstabilisante pour eux.
Deux d'entre eux ont toutefois apprécié la partie (le colon et Marcel)
L'une d'entre eux a clairement exprimé le coté machine à saucisse (Krinska)
Xava et moi même sommes très indécis sur ce qu'il faut penser de cette expérience, d'ou ce topic
Djinfizz
 
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Re: [Dog eat dog] machine à saucisse?

Message par Frédéric » 05 Oct 2015, 23:51

OK, je vois.
J'ai ressenti quelque chose de similaire avec Microscope et Chronicles of Skin.

Dans le premier, on joue l'Histoire d'un peuple de sa naissance jusqu'à sa mort. On joue des scènes importantes de ladite Histoire via des personnages clefs.
La première chose qui nous empêche de défendre les intérêts de nos personnages est que d'une scène à l'autre on n'arrête pas de changer de personnage, ce qui tend à nous donner l'impression qu'on ne joue que des PNJ.
L'autre étant qu'en début de scène, on doit poser une question et la scène devra répondre à la question en question. Du coup, on se retrouve dans une situation de posture externe au personnage en construisant la scène dans ce but externe de répondre à la question posée.

Dans Chronicles of Skin, on joue un peuple également. Chaque personnage est un pion pour tenter d'affaiblir les autres peuples, chacun joués par un participant.
Du coup, quand on tue le personnage d'un autre joueur, ça l'affecte à peu près autant le joueur que quand on mange un pion aux échecs. On a l'impression de jouer PNJ contre PNJ, donc la perte d'un personnage n'a aucun impact émotionnel. L'intérêt du peuple (gagner la guerre) prévaut sur celui du personnage.

J'ai franchement détesté ces deux jeux. Mais après, je sais que certains rôlistes aiment vraiment ce genre de pratiques, donc bon...

Est-ce qu'il y a quelque chose dans ces exemples qui te font penser à ce qu'il s'est passé dans votre partie de Dog eat dog ?
Frédéric
 
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Re: [Dog eat dog] machine à saucisse?

Message par Djinfizz » 06 Oct 2015, 08:38

c'est exactement ça, un mélange de tes deux exemples, je pense. Le thème du jeu est néanmoins intéressant, et pour ne pas rester sur une mauvaise impression, je referai un test, mais pas avec un groupe de vieux briscards!
Djinfizz
 
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Re: [Dog eat dog] machine à saucisse?

Message par Thomas Munier » 06 Oct 2015, 09:11

Pourtant, quand on lit ton compte-rendu, on a bien l'impression que chaque joueur jouait un seul personnage du début à la fin ?

Si vous aviez joué plus d'une scène par joueur, auriez-vous gardé le même personnage (hors mortalité) ?

Est-ce le fait que les actions d'un personnage influencent la destinée de tout un peuple qui t'a donné cette sensation de ne pas plaider pour les intérêts de ton personnage ?
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Re: [Dog eat dog] machine à saucisse?

Message par Mangelune » 06 Oct 2015, 11:30

Les jeux permettant de développer une société en posture d'auteur sont de plus en plus nombreux, McDalndo en a fait un aussi (A Quiet Year). Le terme machine à saucisse reste péjoratif, alors que je ne vois aucune raison de dénigrer ce type de proposition. Au contraire, qu'on aime ou pas, je trouve qu'elles apportent de l'eau au vaste moulin du game design et offrent quelque chose qu'une partie de jdr n'offrira pas.

D'un autre côté, c'est vrai qu'on est à l'autre bout du spectre et qu'on y incarne plus vraiment un personnage dans un univers virtuel - ce qui est encore le cas dans beaucoup de jeux jugés "limites" comme Prosopopée, Perdus sous la pluie, InSpecters, ou même la machine à saucisse Perfect. Et on est pas tout à fait non plus dans un storygame pur façon Il était une fois ou Polar Base, même si on en est plus proche.

Un autre terme serait sans doute bienvenu ? Nation-game ? Map-game ? History-game ? (j'aime bien celui-là).
Contes et histoires à vivre, un site pour parler des Errants d'Ukiyo, de Perdus sous la pluie et du reste.

Pensez aussi à la page Facebook officielle de Perdus sous la pluie.
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Re: [Dog eat dog] machine à saucisse?

Message par Frédéric » 06 Oct 2015, 13:07

J'ai déjà proposé "Jeu en mode auteur".
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Re: [Dog eat dog] machine à saucisse?

Message par Djinfizz » 06 Oct 2015, 16:55

On jouait le même personnage, mais on peut faire intervenir des PNJ à la volée tant que que personne ne s' oppose à la narration de la scène. Le jeu prévoit qu'on joue son personnage du début à la fin de la partie, quelque soit le nombre de scènes. Mais comme presque chaque scène apporte une nouvelle règle et que chaque respect/transgression de règle provoque des échanges de jetons (et donc des critères de fin de partie), je doute qu'une partie puisse durer plus de 2 tours complets à 5 joueurs.


Thomas Munier a écrit :Est-ce le fait que les actions d'un personnage influencent la destinée de tout un peuple qui t'a donné cette sensation de ne pas plaider pour les intérêts de ton personnage ?


Oui c'est tout à fait ça, disons que l'interêt collectif prime tellement devant l'incarnation personnelle qu'on est presque tenté à chaque scène de péter les plombs (et donc se sacrifier)rien que pour avoir le contrôle de l'issue; ce qui génère certes de l'histoire, mais aussi une certaine forme de frustration.
Je suis d'accord que le terme machine à saucisse est trop péjoratif pour ce jeu, qui a quand même de bons atouts et ne rentre pas dans cette catégorie
Djinfizz
 
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