[Terres de Sang] Playtest 01

Pour le développement de vos jeux ou pour discuter de théorie

[Terres de Sang] Playtest 01

Message par angeldust (Simon) » 22 Déc 2015, 13:13

Playtest 01
Premier vrai playtest à avoir son rapport de partie sur les Ateliers ! Je suis fier ^^

Merci à tous du temps que vous me consacrerez.


Conditions de la partie
Partie de type playtest: Méthodologie F. Sintes, le jeu était de type ii) Le jeu tient debout.
Joué le 21/12/15

Meneur : moi même

Profil des joueurs :
Des joueurs plutôt cérébraux et très analytiques (une prof de français et un chercheur en science), ce qui m'a incité en fin de partie à poser tout un tas de questions sur le design du jeu. Ce playtest m'a permis d'avoir un retour détaillé et intellectualisé de mon jeu, au détriment de retour sur le « feeling ».

Personnages :
Abil l'Ephèbe
Adam le Matelot


Un mot sur le jeu

Dans Terres de Sang, vous jouez des explorateurs, des pionniers, qui arpentent les terres étranges, exotiques et dangereuses du Nouveau Continent. Envoyés par le Grand Royaume, et bénis des Dieux par le Saint Ordre, vous foulez un sol inconnu en quête de gloire, de connaissance ou de rédemption. Cartographier, pacifier et coloniser les terres sauvages: voilà votre mission. Mais jusqu’où irez vous pour atteindre vos buts ? Au nom de quel dogme assoirez vous votre domination ? A moins que vous ne tourniez le dos à votre Patrie pour rejoindre la cause des Indigènes ? Bienvenue dans les Terres de Sang.



La fiction, comment elle a été jouée et les analyses des joueurs et de l'auteur
Pour faciliter la lecture, je mets un peu de couleur:
- La fiction en bleu
- Les détails sur le système en vert
- Le retour des joueurs et mes analyses en noir
- Mes questions aux membres de l'Ateliers, mes interrogations, bref ce qui ouvre la discussion avec vous en rouge
Les retours des joueurs ont été effectués après la partie mais je les intercale au milieu de la fiction pour le contexte.

On y va :

Deux jeunes hommes se présentent devant la cathédrale. Ils portent chacun un panier de fruits qu'ils déposent devant l'autel avec un signe de révérence. Le premier se nomme Abil, dit l'Ephèbe. Cartographe de père en fils, il a atteint le sommet de sa carrière non pas par ses talents mais pas son joli minois. Le second est son ami de toujours, Adam le Matelot. Ensemble, ils ont fait les 400 coups quand ils étaient jeunes, mais maintenant les choses sont devenues sérieuses : naviguer jusqu'au Nouveau Continent pour explorer, cartographier et coloniser les terres sauvages seraient leur prochaine mission. La Cérémonie de l'Offrance terminée, une charte d'exploration signée du Grand Roi et du Grand Pape leur est remise. Ils sont maintenant investis d'une mission sacrée et ils embarquent sur les flots, des idéaux plein la tête.

La création de personnage a été jouée dans la fiction. Chaque joueur pioche 6 cartes sur lesquels sont indiqués un aspect d'un Dieu qu'ils vénèrent. Par exemple, le joueur qui joue Abil a pioché la carte « Abilkin, le Constructeur, au marteau qui construit le monde ». Le meneur (moi) explique alors aux joueurs qu'Abilkin est le Dieu fondateur, créateur du monde, et que c'est donc le maître artisan absolu. Le joueur doit alors trouver un trait qui correspond à l'aspect divin qu'il a pioché. Abil sera donc cartographe : tout comme Abilkin, il construit à sa manière le monde. Les personnages sont donc définis avec 6 traits inspirés des aspects divins.

Les joueurs ont été satisfaits de la création de personnage. Les cartes sont assez évocatrices et c'est assez simple de trouver des traits correspondants, à partir du moment où le meneur explique bien les tenants et aboutissants du panthéon de l'univers. La création des personnages a durée 30 minutes, ce qui est dans les objectifs du jeu (je ne voulais pas de création de personnage à rallonge).

Question de l'auteur : Qu'évoque pour vous la contrainte des traits par les aspects divins que vous piochez ?
Réponse des joueurs : Les personnages sont contraints par la société et par leur croyances. Ils se définissent littéralement par les Dieux qu'ils vénèrent : ils n'ont pas d'identité propre en dehors du carcan social et religieux. Tout ce qui mérite d'être noté pour le personnage, leurs traits, est de l'ordre du divin.
Analyse de l'auteur : Parfait c'est bien ce que je voulais faire ressentir. J'avais peur que les aspects divins soient trop vagues, trop flous pour permettre aux joueurs de trouver des traits. Mais pour ces deux intellectuels, ça a l'air de passer. L'explication du meneur étant essentiel, il faudra que je rajoute dans la base de règles un maximum d'exemples.


Le voyage est long et fastidieux. Durant leur traversée de la Grande Mer, ils prennent le temps de faire connaissance avec le reste de l'expédition. Après plusieurs mois de voyage, nos héros arrivent à Port Espoir, le premier comptoir du Grand Royaume sur les terres inconnues. Contrairement à leurs attentes, Port Espoir n'est qu'un amas de maisonnettes, guère plus grand qu'un village de campagne en pleine effervescence. Ce n'est clairement pas le glorieux comptoir qu'ils avaient en tête. Ils sont accueillis par le Général Ephaïm, le dirigeant de la petite communauté. C'est à partir de Port Espoir que nos amis devront partir en expédition et le général leur fournira tout le nécessaire logistique à leur mission.

Après un repos mérité, Abil et Adam, accompagnés de quelques hommes de main, partent à l'aventure. Sous un soleil de plomb, nos héros s'engagent dans une jungle luxuriante, dense et humide. Leur équipement n'est pas du tout adapté au climat tropical et c'est avec un grand mal qu'ils avancent vers le sud. Au bout de quelques heures, l'expédition tombe sur un groupe d'indigènes. Ces derniers sont complètement nus et ne portent que quelques gris-gris. Leur peau sombre fait frémir lesexplorateurs. S'approchant avec prudence, Abil propose un panier de fruits aux autochtones. Après un moment d'incompréhension (à cause de la barrière de la langue), le présent est accepté et les indigènes demandent à l'expédition de les suivre jusqu'au village.


Première scène de conflit. Dans Terres de Sang, le meneur décrit les situations, propose des conflits et les joueurs y répondent en annonçant ce que font leur personnage et en lançant les dés. Les dés sont pris d'une réserve associée à un trait du personnage (il y a donc 6 réserves de dés, 1 par trait). En fonction des résultats des dés, c'est le joueur qui décrit les conséquence des actions de leur personnage. Par ailleurs, on peut sacrifier des dés pour augmenter le degré de réussite. Les dés sacrifiés ne sont plus utilisables par la suite. La réserve de dés associée à un trait s'amenuise donc au fur et à mesure des sacrifices.

Les joueurs ont apprécié le fait de pouvoir décrire les conséquences des actions. Ceci a permis d'ouvrir la fiction sur des choses que le meneur n'avait pas forcément prévues. Les joueurs font remarquer que cette méthode qui laisse beaucoup de liberté ne fonctionne qu'avec des joueurs de « bonne foi ». Je me demande alors s'il faut introduire un garde fou pour le meneur ou pour les joueurs afin de garder une certaine cohérence.

Question de l'auteur : Qu'avez vous ressenti lorsque vous avez sacrifié des dés ?
Réponse des joueurs : Rien. Tout juste de la peine. Les dés et leur sacrifice sont perçus de manière purement mécanique. La réserve de dés est associée à un trait qui diminue d'importance au fur et à mesure des sacrifices. En fait, ça signifie que le personnage perd peu à peu la définition que la société a imposé sur lui (il perd des dés dans les traits qui ont été définis par des attributs divins). C'est alors que les joueurs réalisent le sens du sacrifice ! Ils ont dû formuler, verbaliser et analyser le système pour comprendre ce qu'il y a derrière. Effectivement, les personnages changent lorsqu'ils sont confrontés aux terres sauvages et le carcan de la société qu'ils ont quitté ne s'applique plus sur le Nouveau Continent.
Analyse de l'auteur : C'est très bien que les joueurs aient vu après coup les intentions que j'ai mises dans le système. Par contre, durant la partie, cet aspect a été complètement occulté au profit d'une approche très « gestion de ressource ». De plus, les joueurs sont très « cérébraux », ils aiment analyser les choses et c'est pour cela qu'ils ont vu les dessous du système, mais à posteriori. Des joueurs qui ne fonctionneraient que au « feeling » seraient passés à côté, je pense (?). Comment faire pour inciter les joueurs à ressentir le sacrifice de dés comme la perte de valeur inculquée par la société ? Je pensais justement que le système de sacrifice ferait son office mais apparemment ce groupe ne l'a pas ressenti comme ça.

Remarque supplémentaires des joueurs : Du coup, si le système pousse à sacrifier des valeurs que la société inculte aux personnages, comment les autres personnages le perçoivent-ils ? Le système de sacrifice pousse à l'introspection, certes. Mais il faudrait quelque chose pour que les autres personnages le ressentent aussi : en effet, le personnage qui sacrifice des dés abandonne petit à petit ses valeurs; mais les autres personnages, eux, ne voient qu'une personne qui ne respecte pas les Dieux et les principes de la société.
Analyse de l'auteur : Remarque très juste ! Comme quoi il est pertinent notre chercheur (lol) ! Je ne sais pas s'il faut vraiment introduire une mécanique qui permette aux autres joueurs de ressentir qu'un personnage abandonne les valeurs du Grand Royaume. Quelque chose en moi dit oui (ça serait énorme!), mais je ne sais pas vraiment comme l'implémenter... Y-a-t-il des systèmes similaires dans d'autres jeux ? Par ailleurs, peut on vraiment contraindre le regard des joueurs sur un personnage. Si cela va trop loin, ça peut (peut être) conduire à l'isolement du joueur en plus du personnage. Je suis très perplexe.


Le village des indigènes est construit par dessus d'anciennes ruines aux pierres recouvertes de végétation. Les petites cahutes de bois sont bâties à même les anciennes pierres et c'est une sorte de village improbable qui se dresse devant nos héros. Ces derniers sont amenés dans l'une des maisonnettes. Après un instant, une femme qui semble être la chef du village se présente devant les aventuriers. Adam tente de se faire comprendre en effectuant quelques gestes mais malencontreusement, l'un des signes semble vexer la chef qui demande alors à ses hommes de défaire les membres de l'expédition de leurs armes. Les hommes de main résistent et une altercation éclate. Grâce au sourire et aux gestes d'apaisement d'Abil, aucun mort n'est à déclarer et les esprits se calment. Nos héros sont néanmoins ligotés et faits prisonniers. Le soir tombe sur le village et un grand feu de joie est allumé au milieu des ruines. Nos aventuriers sont alors appelés à prendre place (toujours attachés) parmi les indigènes.

Deuxième scène de conflit, qui inclue une scène de conflit armé. Les joueurs ont apprécié le fait qu'il n'y ait pas de tour d'initiative, et que la parole/les gestes et les armes ont le même pouvoir narratif : puisque ce sont les joueurs qui décrivent les conséquences d'un jet de dés, il est autant possible de raisonner l'adversaire que de le vaincre par la force.


Globalement, les joueurs ont apprécié la partie, bien qu'elle soit trop courte (nous avons joué 1h30, dont 30 minutes de création de personnage). Les remarques très analytiques des joueurs m'ont permis de mettre le doigt sur quelques problèmes du jeu. Je reste perplexe quant au ressenti que les joueurs ont eu vis à vis du système. C'est dur de faire ressentir quelque chose par le système ! J'ai hâte de rejouer avec un groupe au profil différent (je me mets en recherche d'un groupe plus « émotionnel ».


Merci par avance de vos retours et merci pour le temps que vous me consacrerez.
A très bientôt !

Angel
angeldust (Simon)
 
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Re: [Terres de Sang] Playtest 01

Message par Thomas Munier » 22 Déc 2015, 14:10

Si tu veux amplifier le sentiment des joueur.se.s qu'ils doivent sacrifier les valeurs de leur patrie initiale pour gagner en efficacité dans le nouveau monde, que dis-tu de renommer les traits des "valeurs" (sachant qu'alors les joueur.se.s écriront des choses un peu différentes que si ça s'appelle des "traits" et de devoir supprimer carrément le trait plutôt que de faire baisser sa valeur ?
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Re: [Terres de Sang] Playtest 01

Message par Frédéric » 22 Déc 2015, 23:53

Bonjour Angel, très intéressant projet !

❧ Pour ce qui est d'offrir aux joueurs de raconter les conséquences de leurs actions : je n'ai jamais vu de joueurs ne prenant pas au sérieux une telle responsabilité (ni en convention, ni en asso). Dans tous les cas, ceux qui le feraient ne prendraient pas la partie au sérieux, est-ce nécessaire de prendre en compte de tels joueurs ?

❧ Pour qu'un sacrifice ait un impact autre que "technique" sur le joueur, à mon avis, il faut prendre garde à l'impliquer pleinement dans les enjeux de la situation dans lequel il est fait, par exemple : ma croyance m'intime l'ordre de tuer un autochtone, mais j'éprouve des réticences. Si là je sacrifie ma croyance, ça prend tout son sens : je ne fais pas ce qu'elle me demande, je la transgresse, je prends de la distance avec.

❧ Comme pour le point précédent, ce sont les actes du personnage qui définissent sa moralité et ses valeurs. Pour que l'on perçoive un changement, il faut qu'il agisse différemment. Un jeu comme Dogs in the Vineyard permet d'impliquer ses valeurs dans le conflit : si mon PJ "Ne tolère pas le blasphème", on le verra car il sera tenté d'agir en ce sens dans un conflit, notamment car il obtient un bonus ce faisant. Ainsi, quand il peut agir dans ce sens, mais qu'il ne le fait pas, tout le monde comprend qu'il doute de sa valeur/croyance ou autre.

❧ À mon avis, un bon système crée des méta-enjeux qui enrichissent ou donnent une tonalité différente aux enjeux de la fiction. Il pousse les joueurs dans des directions qu'ils n'auraient pas forcément considéré sans les règles. Par exemple : si j'appréhende cette situation selon ma conviction que le péché mérite la mort, je risque de tuer des gens qui ne le méritent peut-être pas vraiment. Mais pour cela, il faut que la situation en elle-même pose des problèmes troubles, où les notions de bien et de mal ne sont pas clairement établies, de sorte que le joueur ait l'impression qu'il n'y a pas de bon choix, que chaque décision est potentiellement source de drame.

Si tu veux creuser dans une direction ou l'autre, n'hésite pas. ;)
Frédéric
 
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Re: [Terres de Sang] Playtest 01

Message par Fabien | L'Alcyon » 23 Déc 2015, 00:40

Salut Simon ! (ou est-ce que tu préfères que je t'appelle Angel ? à toi de me dire)

Ça fait vraiment plaisir de voir un jeu qui se développe vite et avec autant d'énergie !
Merci aussi pour le code couleur, c'est vrai que ça fonctionne bien.

Donc pour répondre à tes deux questions.

1. Les joueurs décrivent les conséquences des actions de leurs personnages
Il y a effectivement deux limites à cela:
  • il faut accepter comme MJ que nécessairement tu ne contrôles pas les conséquences des actions des personnages, donc difficile de prévoir un scénario traditionnel
  • il se peut que ce que créent les personnages entre en conflit avec le ton de l'univers ou ta préparation
Pour la première limite, il faut accepter cela pleinement et prévoir une préparation qui puisse s'affranchir du scénario traditionnel. Si tu cherches à « manipuler » les joueurs pour les amener malgré tout là où tu veux, ils sentiront bien que les conséquences qu'ils ont raconté pour leurs personnages n'ont servi à rien et ça peut être très frustrant. Il faut accepter qu'ils puissent avoir la main sur le déroulement de l'histoire (y compris en tuant des personnages importants pour le scénario). Il y a plein de manières de faire une préparation qui laisse les joueurs libres, je t'en donne un exemple plus loin.
Pour la deuxième limite, l'outil le plus efficace est celui de la cohérence. Tant que tout le monde trouve que ce qu'on raconte est cohérent, on le garde, sinon il faut le reformuler. La difficulté c'est que dans un univers que l'on découvre, comme le tien, cette cohérence n'est pas toujours claire, on peut même franchement chercher à la découvrir (j'ai eu le même problème dans Monostatos que j'ai cherché ensuite à résoudre dans Sphynx).

Mais je crois que la vraie question est: pourquoi les joueurs décrivent-ils les conséquences des actions ? A quoi cela sert-il dans le jeu ? Par exemple, est-ce parce que par ailleurs ils ont peu d'emprise et donc que lorsqu'ils parviennent à leurs fins ils puissent le faire pleinement ? Ou est-ce que ça fait partie d'une esthétique héroïque où les personnages doivent pouvoir montrer qu'ils sont balaises ? Il y a un millier d'autres raisons, mais il faut que ce soit une bonne raison, c'est-à-dire que ça réponde à un projet plus général dans le jeu.

2. Faire ressentir les sacrifices des Traits
Ça c'est une vraie question et c'est pas facile d'y répondre. On ne peut pas simplement décréter que les joueurs doivent ressentir un sacrifice, ou alors c'est très artificiel dans mon expérience. Il faut trouver un moyen de les prendre aux tripes.
Pour qu'un joueur adhère à ce genre de Trait, je connais une solution en deux étapes.
La première, c'est que le joueur l'ai choisi lui-même pour son personnage: c'est beaucoup plus facile d'adhérer à une contrainte morale qu'on a choisi soi-même, parce qu'on s'y projette immédiatement. Donc c'est quelque chose qui se passe soit à la création de personnage, soit si tu autorises les joueurs à développer leurs personnages durant le jeu (une règle du genre "une fois par partie, un joueur peut raconter un flash-back de son personnage et lui ajouter un Trait d'une valeur de X).
La deuxième, c'est que cette valeur soit remise en cause par le contexte et le comportement des autres. Le comportement des autres joueurs, ça va venir tout seul, pas besoin de faire d'effort, mais ça doit aussi être amené par les situations : des gens qui, pour d'excellentes raisons, ne fonctionnent pas comme je fonctionne (tiens, un beau symbole du choc du colon face à des cultures différentes ! va-t-il les adopter ou les détruire parce qu'elles ne correspondent pas à sa vision du monde ? tu as vraiment une magnifique piste de développement de ton jeu dans ce sens !).

Je connais deux jeux qui y parviennent particulièrement bien: Dogs in the Vineyard de Vincent Baker et Les Cordes Sensibles de Frédéric Sintes.
Ce sont des jeux dans lesquels les valeurs et les croyances des personnages sont remises en cause et dans lesquels la mécanique de résolution oblige petit à petit les joueurs à formuler un choix, qui n'est jamais noir ou blanc, mais se fait tout en nuances.
Dans Dogs, ce sont des adolescents à la foi solide et aux traits souvent caricaturaux (comme beaucoup d'adolescents) et dont la fonction de prêtre-juges dans le far-west mormon du début du 19ème siècle oblige petit à petit à changer et à grandir au fil des parties. Il y a aussi une méthode de préparation de partie par village qui laisse une très grande liberté aux personnages, tout en donnant assez de matière au MJ pour qu'il n'ait pas à trop improviser.
Dans Les Cordes Sensibles on joue des gens lambda à des moments clés de leurs existences, obligés de changer et de se confronter à leurs plus grandes questions. Il y a notamment une règle que j'aime bien: on peut utiliser un Trait à l'envers (utiliser Le mensonge est mauvais pour manipuler quelqu'un) mais cela incite les autres joueurs à en diminuer la valeur à la conclusion de la confrontation; ainsi on peut jouer son personnage « à l'envers » parce que ce Trait reste un enjeu central pour lui.
Bref, je t'invite vraiment à y jouer (Dogs est encore en anglais, mais Les Cordes Sensibles est gratuit et en français, alors pas d'excuses !).

Question bonus
Tu sembles mobiliser dans tes descriptions des images colonialistes, par exemple la représentation des « indigènes »: « Ces derniers sont complètement nus et ne portent que quelques gris-gris. Leur peau sombre fait frémir les explorateurs. »
Est-ce voulu ? Si ton jeu aborde la question de la colonisation et de la découverte d'autres civilisations (surtout avec la question de la remise en cause progressive de notre éducation), je pense que ça vaut la peine d'interroger ces images, qui risquent de tourner au mieux à l'image du bon sauvage, au pire aux clichés racistes.
Tu peux jouer avec ces images (par exemple un Trait du genre Je veux apporter la lumière aux peuplades primitives au-delà des mers. que le personnage sera amené à remettre en cause, ou par des révélations montrant que ces images sont fausses, limitantes et/ou instrumentalisées pour justifier des comportements violents des colonisateurs), mais je pense que ce serait dommage de les accepter comme telles. L'ethnologie depuis plus d'un siècle s'emploie à montrer comment les civilisations hors de l'Occident se sont développées autrement et ainsi à remettre en cause notre propre civilisation qu'on pourrait croire absolue: je pense que c'est un questionnement qui pourrait être magnifiquement abordé par ton jeu.


Voilà, j'espère que tout ceci t'aide, n'hésite pas à me demander de développer.
Fabien | L'Alcyon
 
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Re: [Terres de Sang] Playtest 01

Message par angeldust (Simon) » 26 Déc 2015, 00:22

Bonjour à tous.

Merci pour vos retours très construits :)

Avant de commencer à enrichir la discussion, je me permets de vous souhaitez un Joyeux Noël !

Allons y gaiement ^^

Réponses à Thomas:
Bonjour Thomas.

Si tu veux amplifier le sentiment des joueur.se.s qu'ils doivent sacrifier les valeurs de leur patrie initiale pour gagner en efficacité dans le nouveau monde, que dis-tu de renommer les traits des "valeurs" (sachant qu'alors les joueur.se.s écriront des choses un peu différentes que si ça s'appelle des "traits" et de devoir supprimer carrément le trait plutôt que de faire baisser sa valeur ?


Je ne sais pas si c'est l'origine du problème. Dans quelle mesure penses tu que le fait de changer la dénomination change le ressenti ? Je sais que la couleur / l'esthétique fait une grande partie du l'expérience de jeu. Mais est ce que ça ne fait pas "cache misère" d'une mécanique pas tout à fait au point ? J'essaierai la prochaine fois avec le terme "Valeur" pour voir. :)

Réponses à Frédéric:
Bonjour Angel, très intéressant projet !

Salut Frédéric ^^ Merci à toi !

❧ Pour ce qui est d'offrir aux joueurs de raconter les conséquences de leurs actions : je n'ai jamais vu de joueurs ne prenant pas au sérieux une telle responsabilité (ni en convention, ni en asso). Dans tous les cas, ceux qui le feraient ne prendraient pas la partie au sérieux, est-ce nécessaire de prendre en compte de tels joueurs ?

Tu as tout à fait raison ! Je pense inclure une simple phrase dans la base qui précise que: si quelque chose n'est pas cohérent avec ce qui a été dit dans la fiction, cela doit être reformulé. En gros, il faut l'approbation des participants à la table. Ca donnera un point d'appui aux meneurs débutants.

❧ Pour qu'un sacrifice ait un impact autre que "technique" sur le joueur, à mon avis, il faut prendre garde à l'impliquer pleinement dans les enjeux de la situation dans lequel il est fait, par exemple : ma croyance m'intime l'ordre de tuer un autochtone, mais j'éprouve des réticences. Si là je sacrifie ma croyance, ça prend tout son sens : je ne fais pas ce qu'elle me demande, je la transgresse, je prends de la distance avec.
❧ Comme pour le point précédent, ce sont les actes du personnage qui définissent sa moralité et ses valeurs. Pour que l'on perçoive un changement, il faut qu'il agisse différemment. Un jeu comme Dogs in the Vineyard permet d'impliquer ses valeurs dans le conflit : si mon PJ "Ne tolère pas le blasphème", on le verra car il sera tenté d'agir en ce sens dans un conflit, notamment car il obtient un bonus ce faisant. Ainsi, quand il peut agir dans ce sens, mais qu'il ne le fait pas, tout le monde comprend qu'il doute de sa valeur/croyance ou autre.

Je suis d'accord avec toi. Je cherche un moyen habile de le faire. Fabien donne quelques pistes et j'y répondrai un peu plus bas ^^

❧ À mon avis, un bon système crée des méta-enjeux qui enrichissent ou donnent une tonalité différente aux enjeux de la fiction. Il pousse les joueurs dans des directions qu'ils n'auraient pas forcément considéré sans les règles. Par exemple : si j'appréhende cette situation selon ma conviction que le péché mérite la mort, je risque de tuer des gens qui ne le méritent peut-être pas vraiment. Mais pour cela, il faut que la situation en elle-même pose des problèmes troubles, où les notions de bien et de mal ne sont pas clairement établies, de sorte que le joueur ait l'impression qu'il n'y a pas de bon choix, que chaque décision est potentiellement source de drame.

Sur ce point, il s'agit, je pense, du ressort du meneur. Je prends pleinement conscience qu'il faut que la base de jeu propose des outils pour que le meneur puisse construire ce genre de situations. C'est là qu'on voit qu'au delà du simple livre, le jeu de rôle se vit avec des personnes qui proposent des expériences toutes différentes. La base de jeu (les règles) n'est que le catalyseur.


Réponses à Fabien:
Salut Simon ! (ou est-ce que tu préfères que je t'appelle Angel ? à toi de me dire)

Ça fait vraiment plaisir de voir un jeu qui se développe vite et avec autant d'énergie !
Merci aussi pour le code couleur, c'est vrai que ça fonctionne bien.


Salut Fabien. Merci de tes compliments ^^ Tu peux m'appeler comme tu le souhaites, je réponds aux deux (d'ailleurs pas plus tard qu'il y a quelques jours, une dame appelait sa fille, qui se nomme Angèle, et je me suis retourné en demandant ce qu'elle désirait... Triste vie ! :D )

1. Les joueurs décrivent les conséquences des actions de leurs personnages

Je suis d'accord avec toi sur les deux points. Il est très certainement difficile de trouver la cohérence dans un univers nouveau. Mais je me refuse à fournir une encyclopédie du monde car j'ai toujours eu horreur de ce genre de chose dans un livre de base. Par ailleurs la question ci-après que tu soulèves me laisse coi (et agréablement surpris): Je ne me suis jamais posé la question !
pourquoi les joueurs décrivent-ils les conséquences des actions ?

Et ben... Je ne sais pas. C'est parce que c'est comme cela que je joue... J'ai bien réfléchi mais je ne me suis jamais posé la question, et le fait d'inclure cette pratique comme règle de jeu m'a paru tellement naturel ! Si je devais répondre "à postériori" en regardant mon jeu, je dirais que c'est pour représenter le fait que les personnages sont les vrais acteurs de leurs actions et que les Dieux n'ont rien avoir là dedans. Mais quelque part, c'est tricher de ma part de donner cette réponse après coup ^^ La vraie réponse, c'est: "je n'en sais rien, je trouve ça cool. Et puis c'est comme ça que je joue"... Est ce que ça en fait une bonne raison du coup ?

2. Faire ressentir les sacrifices des Traits

Sur ce point, je trouve que ta proposition en 2 temps est très juste. Le premier temps est assez bien géré par mon jeu, je pense. Les joueurs ont des cartes qui décrivent un attributs divin et c'est à eux de trouver un trait qui correspond à leur personnage en rapport avec cet attribut. Du coup, je fais d'une pierre deux coups: j'enferme les personnages dans le carcan de l'univers tout en leur laissant le choix des valeurs qu'ils revendiquent. Le deuxième temps par contre n'est il pas du ressort du meneur au final ? Dans l'exemple de Dogs in the Vineyard, c'est le village qui apporte ce "choc" de la réalité. Dans les Cordes Sensibles, ce sont les situations cadrées par les autres participants qui amène le questionnement. (J'ai d'ailleurs joué aux Cordes Sensibles avec ma femme et ça m'a laissé sur le cul: le jeu est profond et terriblement perturbant. Nous n'avons pas pu finir parce que ça nous mettait terriblement mal à l'aise de traiter des sujets si intimes.) Finalement, je tire de tes remarques et de celles de Frédéric que la base de jeu DOIT comprendre une section qui explique comme fabriquer de bonnes situations dans la fiction, des situations qui amènent le questionnement, voire le changement.

Question bonus

Encore une fois, la pertinence de la question me laisse pantois. Je ne me suis pas posé la question du tout. Comme quoi, nous avons nous même des marques fortes de l'instruction qu'on nous a donné. Je pensais à des autochtones et j'ai décris naturellement des indiens d’Amérique. Ce n'était pas du tout préparé, j'ai improvisé sur le moment. Je pense du coup qu'il faudrait que les indigènes fassent partie d'une civilisation non humaine avec des traditions chamaniques par exemple (un peu comme les Hommes Lézards de Warhammer). Ca permettrait d’introduire une vision différente de celle des joueurs, qui ressemble beaucoup à notre vision occidentale. On déplace le problème mais ça n'a jamais posé de soucis aux rôlistes d'être raciste envers les orques et de les massacrer par centaines. Comme quoi...


Merci beaucoup à tous de m'avoir lu. Vos remarques sont très pertinentes et m'ont beaucoup aidé à avancer.
Merci encore ^^ N'abusez pas du foie gras :D
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Re: [Terres de Sang] Playtest 01

Message par Fabien | L'Alcyon » 26 Déc 2015, 11:58

Hey, content qu'on ait pu t'aider !

Il n'y a pas de bonnes réponses dans l'absolu, c'est plus une question à méditer sur le long terme, ta bonne réponse te viendra naturellement. Le but ici est plus de te permettre de te poser les bonnes questions que de te forcer à trouver les bonnes réponses.

Génial que tu ais déjà pu tester Les Cordes Sensibles ! Hein que ça envoie de la godasse par paquet de 12 !
Ce qui est intéressant dans les Cordes Sensibles c'est que ce n'est pas nécessairement au MJ de préparer la situation problématique (comme dans Dogs) mais c'est créé par la dynamique entre les joueurs, soutenue par les règles. La situation problématique naît de la rencontre du Problème du protagonistes, de ses croyances et des Relations aux autres.
Mais une situation initiale préparée par le MJ est une excellente possibilité.
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Re: [Terres de Sang] Playtest 01

Message par Frédéric » 27 Déc 2015, 21:28

Content que ça t'aide,
ton projet contient des thématiques fortes et je suis curieux de voir comment il va évoluer.

(Au passage, c'est cool que tu aies testé LCS, je prends ce que tu dis comme un très beau compliment). ;)
Frédéric
 
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