Salut Mathieu,
Non ça n'existe pas et c'est une bonne chose. Le féminisme est une galaxie de courants les plus divers, parfois opposés ou contradictoire, avec différents degrés de radicalité, et qui touche à de nombreuses autres luttes (post-colonialisme/anti-racisme, lutte des droits des personnes LGBT+, lutte des classes, protection de l'enfance, questions des handicaps, etc. etc.). Un label qui prétendrait couvrir tout ceci de façon satisfaisante se fourvoierait et serait aisément attaquable.
De façon plus poussée, il me semble qu'
aucune œuvre n'est à l'abri de critiques féministes (ou anti-racistes, ou...). Parce que nous vivons dans des systèmes de domination inextricablement liés, nous sommes profondément porteurs de représentations sexistes, racistes, classistes, etc. dont il est terriblement difficile de se débarrasser - et il y a un moment où il faut bien se mettre à créer, on ne peut pas tout le temps être réflexif. On peut toujours être plus féministe, moins raciste, plus critique, etc. « On est pétri°e°s des dominations que l'on combat ! » avait dit
Je ne suis pas en train de dire qu'il ne faut rien faire ! Je dis qu'il faut avoir à l'esprit ce but de se débarrasser de ces représentations, mais être conscient qu'on n'y arrivera jamais totalement, et donc accueillir avec bienveillance les critiques sur ce sujet, qui émergeront nécessairement.
Je ne suis pas non plus en train de dire qu'il faut nécessairement représenter des univers positifs car inclusifs et où tout le monde est accepté. Ça peut être très intéressant de montrer le sexisme, de montrer ce que ça signifie pour les individus, bref de problématiser la question.
Le problème c'est de prendre des représentations sexistes comme quelque chose d'évident et de naturel, qui n'a pas à être discuté, sur lesquelles aucun discours critique n'est formulable. Si on joue tous des hommes blancs hétéro, qu'est-ce que ça signifie ? Qu'est-ce qu'on peut dire d'intéressant sur la masculinité blanche hétéro ? Pourquoi c'est une situation complexe humainement ? Il y a des kilomètres de réflexions et d'approfondissement là-dessus, ça vaut la peine de les mobiliser pour une œuvre !
Pour tout dire (et là, ça devient vraiment,
vraiment compliqué), je ne crois pas que parcourir une liste de recommandations soit le bon moyen. Il me semble que c'est plus
un état d'esprit, une attitude face à son propre travail, une vigilance qui doit se cultiver pour pouvoir se dire « tiens, je parle de sexualité ici, est-ce que ça peut poser problème en regard du sexisme ou de l'homophobie ? » ou « est-ce que ce personnage est nécessairement hétéro et cis-genre ? est-ce que la sexualité est forcément quelque chose de simple pour lui ? » ou « voilà tel personnage: comme leur genre n'est pas indifférent, qu'est-ce que ça dit que j'ai choisi d'en faire un homme ou une femme ? » ou « combien il y a-t-il de femmes dans mon œuvre et comment interagissent-elles ? ».
Cet état d'esprit permet d'ouvrir des portes, de proposer des univers plus riches car plus complexes, qui remettent en cause les préconceptions des lecteurs, qui leur permettent de réfléchir et de s'enrichir personnellement. C'est typiquement une contrainte créatrice.
J'ajoute qu'à mon sens
nier la domination masculine (par exemple en switchant l'identité de genre d'un personnage et en considérant que rien ne change)
n'est pas une bonne solution. Etre une femme n'est pas symétrique à être un homme, pas dans une société comme la nôtre (et bon courage à celle ou celui qui voudra représenter une société
réellement post-patriarcale, parce que ça ferait
tout changer: le rapport au travail, aux relations humaines, aux animaux, à la sexualité, à la consommation, à l'habitation, à l'économie, à l'étranger, etc. etc.). Etre homosexuel n'est pas symétrique à être hétérosexuel, ne serait-ce que parce qu'on suppose implicitement que tout le monde est hétéro,
sauf les exceptions qui sont homos.
Un bon exemple de ce que je veux dire c'est (encore !)
Miyazaki. Miyazaki se revendique féministe, mais ses œuvres ne sont pas ouvertement des bannières féministes, c'est plus subtil que ça. On sent que ça lui vient naturellement. Ses personnages féminins sont complexes et divers (elles peuvent faire la guerre ou chercher la paix, être cheffe d'entreprise, défendre la nature, chercher la paix, être mauvaises ou être bonnes, être libres ou répéter le sexisme, tomber amoureuses ou n'avoir besoin de personne, etc.). Les relations amoureuses se construisent graduellement et se fondent sur la relation entre deux être humains plutôt qu'entre deux genres (« je suis un mec, tu es une nana, nous devons donc au moins nous rouler une galoche avant la fin du film »). Certains personnages de Miyazaki combattent la domination masculine (Dame Eboshi dans Princesse Mononoke, mais aussi Kushana dans Nausicaä (le manga, pas le film).
Bref, on sent que chez Miyazaki c'est une attitude générale féministe qui lui permet de transcrire ses convictions dans ses œuvres, plutôt que le respect d'une ligne de conduite claire.
Et tout ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas des parties de l’œuvre de Miyazaki qui mériteraient d'être critiquées ! Par exemple, les relations amoureuses dont je parlais ci-dessus sont toutes hétéros (sauf erreur de ma part).
Donc pour répondre plus directement à ta question, je te propose
deux voies complémentaires:
- développer cette « vigilance » en lisant, en se renseignant, en écoutant les critiques féministes de la pop culture (je suis assez fan d'anglophones comme Feminist Frequency, Lindsay Ellis et Rantasmo
- discuter de ton œuvre avec d'autres personnes (féministes, anti-racistes, etc.) en qui tu as confiance pour te dire s'il y a des passages problématiques et te suggérer des solutions ; tu trouveras évidemment de l'aide sur les Ateliers Imaginaires, mais je pense qu'il ne faut surtout pas s'y limiter.
Et quoi que tu fasses, quelqu'un pourra toujours être critique de ton œuvre d'un point de vue féministe, ou de tout autre point de vue d'ailleurs. Si on présente son œuvre au reste du monde, il y aura nécessairement des critiques, pas toujours pertinentes ou constructrices mais que on ne peut les éviter.
Pour terminer, j'imagine que c'est une entreprise particulièrement difficile quand on parle de jdr, puisque la nature de l’œuvre exacte reste floue et que l'auteur ne contribue que partiellement au résultat final, mais c'est encore tout un débat.
J'espère que tout ceci répond à ta question.