L'art imprononcé : comprendre le jeu de rôle

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L'art imprononcé : comprendre le jeu de rôle

Message par Thomas Munier » 01 Juin 2016, 16:02

Cet article suit la lecture de L'Art invisible : comprendre la bande dessinée, de Scott McCloud. Ce livre fournit une analyse de la bande dessinée qui à bien des égards, peut inspirer une analyse du jeu de rôle. Voici donc une tentative de voir le jeu de rôle avec un regard proche de celui tenu par Scott McCloud sur la bande dessinée.

Pour aller plus loin :
Bibliothèque : ailleurs, par Jérôme Larré sur Tartofrez

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A. Une définition par le plus petit dénominateur commun.

Définition 1 : Le jeu de rôle est une conversation.

Définition 2 : Le jeu de rôle est une conversation au sujet d'une aventure imaginaire.

Définition 3 : Le jeu de rôle est une conversation au sujet d'une aventure imaginaire dans laquelle chaque personne incarne au moins un personnage.

+ Des jeux de rôles tels qu'Ars Magica, Bloodlust et Paranoïa proposent d'incarner plusieurs personnages.
+ La majorité des jeux de rôles permettent de changer de personnage dans le temps, parce que le précédent est mort, disparu, ou ne suscite plus l'intérêt.
+ Dans les jeux de rôles à MJ, une personne incarne le décor et les figurants : une infinité de personnages.

Pour aller plus loin :
C'est quoi un jeu de rôle ?, par Gregory Pogorzelski sur Du bruit derrière le paravent


B. Les origines.

+ Scott McCloud ramène l'origine des bandes dessinées aux peinture rupestres. Pour le jeu de rôle, si la date d'apparition qui fait consensus est fixée à 1974 avec la première édition de Donjons & Dragons, le jeu de rôle est sans doute aussi vieux que le "on fait comme si" des enfants.
+ Poser une date d'origine récente revient surtout à marquer la date de la cristallisation d'une pratique (le jeu de rôle papier-crayon) et de son accélération via certaines proportions culturelles, technologiques, industrielles, inédites jusqu'alors. Le jeu de rôle post-1974 ne serait qu'une forme moderne et identifiable du jeu de rôle des origines. Ce qui signifie qu'on peut gagner quelque chose en étudiant les pratiques qui précédent le jeu de rôle papier dans le temps et qui s'en écartent dans le présent (jeu de rôle en jeu vidéo, soirée enquête, jeu de rôle grandeur nature, jeux de narration, jeu d'acteurs au théâtre et au cinéma...).

Pour aller plus loin :
Game Design JDR / Les Anciens et les Modernes, Podcast Outsider N°14


C. La grammaire

+ L'Art invisible propose une grammaire de la bande dessinée, comme d'aucuns proposèrent une grammaire du cinéma. Cela rejoint le propos de Jérôme Larré qui cherche à écrire une grammaire du jeu de rôle : poser une définition de chaque atome d'un média pour mieux en synthétiser les potentialités et en permettre le progrès.

+ McCloud reconnaît que les pratiques et les grammaires en bande dessinée divergent selon les cultures, c'est aussi une chose à prendre en compte dans notre média, surtout si l'on veut permettre l'avènement d'œuvres transculturelles.

+ En jeu de rôle, les pratiques divergent d'un pays sur l'autre (jeu centré sur les émotions dans les pays scandinaves, jeu pratiqué en convention au Japon, etc...). Elles divergent aussi grandement entre les jeux tactiques, les jeux esthétiques, les jeux moraux et les jeux sociaux ; entre les jeux à MJ unique, MJ multiples, MJ tournant et sans MJ...

Pour aller plus loin :
La grammaire du jeu de rôle, vidéo par Jérôme Larré
Le jeu, une expérience tactique, esthétique, morale, pour le podcast Ludologies
Responsabilité et propriété, par Frédéric Sintes, sur Limbic Systems


D. La gouttière

+ Dans la BD, c'est le vide entre les images qui permet à la lectrice de construire la réalité de l'histoire déroulée par la séquence de la bande dessinée.
+ En jeu de rôle, ce vide pourrait être les tempêtes qui s'agitent sous les crânes des joueuses quand elles visualisent les propositions des autres et les leurs propres, et établissent une synthèse entre elles pour aboutir à un espace imaginaire à la fois intime et partagé. C'est ce qui est étudié, notamment, dans le contrat social, dans la cohérence mécanique-imaginaire.
+ Il y a aussi une problématique assez proche de la littérature : comment passer d'un monde de mots à un espace imaginaire intime, forcément plus riche ?
Une joueuse dit : "Le sorcier est grand et sinistre." et l'autre joueuse imagine une personne précise, elle en a une image mentale, comme dans un rêve.
+ Et comment faire pour que cet espace imaginaire intime rejoigne avec bonheur l'espace imaginaire partagé ?

Pour aller plus loin :
Le nuage et les dés, par Gregory Pogorzelski sur Du bruit derrière le paravent
Le Maelstrom, par Romaric Briand, dans le recueil Le Maelstrom.
Un contrat social sain, par Frédéric Sintes sur Limbic Systems
Le positionnement, qu'est-ce que c'est ?, par Frédéric Sintes sur Limbic Systems
L'immersion, pour le podcast Les Voix d'Altaride


E. Le temps.

+ Si la bande dessinée figure le temps par un jeu de textes et d'images, le temps est particulier en jeu de rôle. C'est un temps soumis à la fois à des règles narratives (on fait l'ellipse sur les épisodes ennuyeux et on prend son temps sur les éléments importants de l'aventure) et à des règles ludiques (le façon dont on séquence le temps et l'action influe sur les choix que peuvent faire les joueuses et sur la tension qu'elles ressentent).
+ Aujourd'hui, la pratique majeure c'est de jouer dans l'ordre chronologique et dans une prétendue simultanéité (La joueuse A peut faire des choses pendant que la joueuse B agit). C'est un leurre puisqu'on joue en réalité par tour de parole. En analysant comment fonctionne le temps en jeu de rôle, on peut amener à le dépasser (jouer des flash-backs, des flash-forwards, des aventures potentielles, des temps suspendus...) pour servir des enjeux tactiques, moraux ou esthétiques. La particularité du média jeu de rôle, c'est que le temps est de la potentialité.

Pour aller plus loin :
Le JDR est potentialité, par Frédéric Sintes sur Limbic Systems
Soirée Littérature, musique et jeu de rôle : l’onirisme, table ronde à la librairie Charybde
Animer les scènes spéciales, par Coralie David, Jérôme Larré et Thomas Munier, dans le recueil Mener des parties de jeu de rôle


F. La contrainte du langage

+ Faire passer en jeu, essentiellement par le sens de l'ouïe et le vecteur du langage, les émotions, le mouvement, le toucher, les températures... Comment faire ?
+ On en revient à la cohérence mécanique-imaginaire
Dire qu'il fait froid n'a guère de sens si aucun effet du froid n'altère le personnage.
+ On en vient aussi au lien imaginaire-ressenti
Si on décrit un personnage en colère, comment faire pour que cette colère prenne corps dans l'esprit des autres joueuses ?
+ Comment faire pour que l'espace imaginaire prenne vie ?

Pour aller plus loin :
L'analogie du jeu d'échecs, par Frédéric Sintes sur Limbic Systems


G. Montrer et dire.

+ La BD a ses phylactères et ses sous-titres, le JDR a ses supports non-verbaux (musique, image, chiffres, toucher, aides de jeu, mise en jeu du corps) et le discours méta.
+ Comme la BD, le JDR peut renforcer un même message en l'apportant par des canaux multiples.
Décrire une bataille et passer une musique de bataille.
+ Il peut aussi jouer la complexité en apportant des messages dissonants et complémentaires par le biais de canaux différents.
Décrire une scène violente et passer une musique enfantine, décrire un monstre mignon qui a des carac très puissantes...
+ Se pose aussi la question du minimalisme : que gagne-t-on à supprimer certains canaux ? Tout comme certaines BD gagnent à supprimer le texte de sous-titre, et même le texte des phylactères... Que gagne-t-on à supprimer le hasard, la feuille de personnage, le discours meta ou la base de jeu de rôle ?
+ Se pose enfin la question du "montre, ne raconte pas".
Plutôt que la joueuse raconte l'historique de son personnage, que le personnage raconte son historique, ou que l'historique soit rejoué au cours d'un flash-back dynamique.


H. Les étapes de la création de jeu de rôle

+ Scott McCloud suppose que les autrices et auteurs de BD changent le point de départ de leur démarche avec l'expérience. D'abord, ces personnes partent d'un défi technique (la forme) dans leurs œuvres de jeunesse, puis partent d'une idée ou d'une histoire à transmettre (le fond) dans leurs œuvres de la maturité.
+ A traiter une auteur et un autrice de jeu de rôle sur la même hypothèse, on peut considérer que les œuvres de jeunesse se concentrent sur un défi technique, qu'il s'agisse d'une innovation (une façon spéciale de partager ou de cadrer la narration, une façon spéciale de gérer les personnages...) ou d'une célébration (un piratage d'un jeu plus ancien ou un hommage à celui-ci, un affinage à partir de ces anciens jeux, une mosaïque de règles tirées d'autres jeux...).
+ Et les œuvres de la maturité seraient plutôt impulsée par un grand sujet de fond.
+ Ce sujet de fond serait soit issu d'une analyse de ses œuvres précédentes, d'une tentative de les rassembler sous la bannière d'une même grande thématique, avec la création de nouvelles œuvres qui agrandissent le corpus précédent et lui donnent son identité en le complétant.
+ Ou ce sujet de fond peut être une idée originale (un nouvel univers, une nouvelle philosophie de jeu) qui nécessite la création d'une nouvelle œuvre à part du corpus précédent pour être exprimée.

Pour aller plus loin :
Bon bin, à mon tour... par Jérôme Larré, sur Tartofrez (pour son analyse sur sa motivation à écrire Tenga...)
Entre les règles et l'aventure, la philosophie du jeu, par Thomas Munier sur Les Ateliers Imaginaires
Énergie créative. Univers artisanaux.
http://outsider.rolepod.net/
Thomas Munier
 
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